CNDA (Cour nationale du droit d’asile) et statistique de l’asile

Anicet Le Pors

Président de section à la CNDA (1)

Les séquelles de la disparition des empires coloniaux et de l’effondrement du bloc soviétique, l’exacerbation des revendications identitaires régionales ou nationales, l’expansion des fondamentalismes à base religieuse ou ethnique, les inégalités croissantes du développement économique marquent l’évolution des flux des demandeurs d’asile et, plus généralement, des phénomènes migratoires. Ces facteurs conduisent les pays d’accueil à réaménager leurs réglementations du droit d’asile à la fois sur le plan national et international. L’ensemble de ces éléments a d’importantes conséquences sur l’activité des organismes administratifs et juridictionnels chargés d’appliquer le droit d’asile.
Les flux de l’asile sont susceptibles de varier fortement d’une année à l’autre. Les dates de publication des statistiques par les organismes concernés sont très différentes pour une année donnée. Il convient donc de procéder aux actualisations nécessaires en se reportant aux sites figurant à la fin de l’ouvrage.

I. – Données générales

Le HCR a compté fin 2006 quelque 32,9 millions de personnes concernées par son action, se décomposant en : réfugiés (9,9 millions), demandeurs d’asile (0,7 million), réfugiés retournés dans leur lieu d’origine (0,7 million, pour moitié en Afghanistan), personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et autres (12,8 millions) (2). Mentionnons également quelque 4,4 millions de réfugiés palestiniens qui relèvent pour l’essentiel de l’United Nations Relief and Work Agency (UNRWA), une autre agence spécialisée des Nations Unies.
On retiendra donc que, sur ces bases, le droit d’asile concernerait 10,6 millions de personnes dans le monde (réfugiés ayant obtenu ce droit et demandeurs d’asile), chiffre stable depuis 1997 entre 10 et 12 millions.
D’où viennent-elles ? Les chiffres fluctuent évidemment beaucoup d’une année sur l’autre en fonction de la conjoncture des pays d’origine. Sur les 9,9 millions de réfugiés, les principaux pays d’origine sont l’Afghanistan (2 108 000), l’Irak (1 451 000), le Soudan (686 000), la Somalie (464 000), la République démocratique du Congo (402 000) et le Burundi (397 000).
Où vont-elles ? Les principaux pays d’accueil sont le Pakistan (1 044 000), l’Iran (968 000), les États-Unis (843 000), la Syrie (702 000), l’Allemagne (605 000), la Jordanie (500 000), la Tanzanie (485 000). Le Royaume-Uni accueille 302 000 réfugiés, la France, 146 000, le Japon, seulement 1 800.
Ainsi, en matière de droit d’asile, l’idée reçue d’une invasion du Nord par le Sud est contredite par les chiffres : 72 % des réfugiés du monde se trouvent en Asie (46 %) et en Afrique (26 %), seulement 16 % en Europe et 10 % en Amérique du Nord. Par ailleurs, à l’inverse d’une autre idée reçue, la France n’accueille qu’environ 1,5 % des réfugiés du monde, soit un pourcentage voisin de son poids démographique relatif dans la population mondiale.
Alors que l’on ne comptait que 2,5 millions de réfugiés dans le monde au début des années 1970, leur nombre atteint 10,3 millions en 1982 pour culminer à 17,8 millions en 1992. Une succession d’événements en est la cause : le coup d’État du général Pinochet au Chili et le renforcement des dictatures d’Amérique latine, l’exode des boat people d’Extrême-Orient, les conflits ethniques ou religieux en Inde et au Moyen-Orient, les troubles dans la corne de l’Afrique, l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique, la révolution islamique en Iran, la chute du mur de Berlin.
En France, selon l’ANAEM, l’arrivée de travailleurs étrangers et le regroupement familial ont atteint un maximum de 390 000 entrées en 1970 ; celles-ci ne s’élevaient plus qu’à 192 000 en 1981 et 56 000 en 2006. Les flux d’entrée qui correspondent respectivement aux politiques d’immigration et d’asile ne sont pas indépendants.

II. – Les demandes d’asile
 devant l’Office français de protection
des réfugiés et apatrides

1. Les demandes enregistrées. – L’OFPRA a enregistré en 2007, 23 804 premières demandes et 6 133 demandes de réexamen, soit au total 29 937 demandes. Il convient d’ajouter aux premières demandes celles de 5 583 mineurs accompagnants, ce qui fait un total de primodemandeurs de 29 387 et un total de demandes (y compris les réexamens) de 35 520.
La progression des primodemandeurs (hors mineurs accompagnants) a été lente de 1981 (19 863) à 1988 (34 352). Elle est forte jusqu’en 1989 (61 422) pour décroître régulièrement ensuite (17 405 en 1996). La croissance reprend très vivement jusqu’en 2003 ( 52 204) pour diminuer dans les années suivantes.
Les demandes de réexamen après avoir fortement progressé au cours des dernières années ont légèrement régressé en 2007, accompagnant la baisse générale de la demande. Elles correspondent pour 59 % à la mise en oeuvre de la procédure prioritaire qui représente 28 % du total des flux (premières demandes hors mineurs et demande de réexamen), 6 % étant en centre de rétention administrative.
Les hommes sont 63,5 % des demandeurs d’asile, les femmes 36,5 % ; 50,3 % sont célibataires, 31,2 % mariés, et 12 % en concubinage. Ils résident pour 17 % à Paris, 8 % en Seine-Saint-Denis, 5 % dans le Rhône, 4,5 % dans le Val de Marne, 4 % dans le Val d’Oise, 3 % dans les DOM, 3 % dans les Bouches-du-Rhône et 3 % dans l’Essonne.
Les dix principaux pays d’origine des demandeurs d’asile sont : la Serbie (2 250 premières demandes), la Turquie (2 039), la Russie (2 001), le Sri Lanka (1 845), la République démocratique du Congo (1 802), l’Arménie (1 495), la Chine 1 262), le Bangladesh (923), l’Algérie (865), le Congo (827). Ils représentent 64 % du total des premières demandes.

2. Les décisions rendues. – L’OFPRA a pris 29 536 décisions en 2007 qui se répartissent ainsi : 25 922 rejets, 3 401 admissions au statut, 213 radiations. À ces décisions s’ajoutent 8 053 décisions concernant les mineurs accompagnants, soit un total de 37 589 décisions. Le délai moyen de traitement des dossiers par l’OFPRA est de 105 jours calendaires, toutes décisions confondues. Le taux d’entretien a été de 73 % des demandeurs, pour un taux de convocation de 94 % (pratiquement tous les primodemandeurs sont convoqués).
Les décisions directes de l’OFPRA (hors mineurs) correspondent très majoritairement aux motifs de l’article l A . 2 de la Convention de Genève : 2 754 (81 %) ; les accords au titre de l’unité de famille s’élèvent à 399 (11,7 %), ceux relatifs à la protection subsidiaire à 146 (4,3 %). Les autres motifs représentent des pourcentages infimes : Convention de New York (apatrides) 51 (1,5 %) ; 4 sur mandat HCR (0,1 %) ; 36 transferts vers la France (1 %).

3. La protection assurée. – Fin 2007, selon le rapport annuel de l’OFPRA, le nombre de personnes placées sous la protection juridique et administrative de l’OFPRA est estimé à 130 926, hors mineurs, chiffre relativement stable depuis l’année 2000. La part de la population d’origine asiatique est estimée à 41,7 % (alors qu’elle ne représente que 22 % de la demande), celle en provenance d’Europe à 28,4 % (40,5 %), d’Afrique à 26 % (33 %), du continent américain à 3 % (4 %).
L’OFPRA, chargé d’assurer la protection juridique et administrative des réfugiés, exerce à ce titre une fonction de consulat à leur égard. Il a ainsi délivré 219 171 documents d’état civil en 2007.
L’OFPRA a une activité juridique importante : il produit des observations écrites (263 en 2007) en relation avec les recours exercés devant la CNDA, qui portent notamment sur les cas d’exclusion, de cessation ou de retrait du statut ; ses observations orales sont aussi en forte progression (504) ; il commande des suppléments d’instruction et exerce quelques pourvois en cassation (13). Il développe également une coopération diversifiée avec les services étrangers homologues et a mis sur pied un important service de documentation sur les pays d’origine, qui nécessite une mise à jour constante.

III. – Les recours
 devant la Cour nationale du droit d’asile

1. Les recours enregistrés. – Le nombre de recours devant la juridiction est stable de 1996 à 1998, au voisinage de 13 500 par an, il s’éleve jusqu’à 52 166 en 2004 pour redescendre à 22 676 en 2007. Cette évolution est bien évidemment liée à l’évolution observée des demandes enregistrées par l’OFPRA et des décisions administratives prises par l’office. Le taux de recours contre les décisions de rejet du directeur de l’OFPRA devant la CNDA est proche de 90 %, il est donc devenu quasi-systématique.
Les dix premiers pays d’origine des demandeurs représentent près de 70 % de la demande totale.

2. Les décisions rendues. – En 2007, la CNDA a rendu 27 242 décisions comprenant : 5179 irrecevabilités (19 %), 596 désistements (2,2 %), 15 950 rejets au fond (58,5 %), 83 non-lieux (0,3 %) et 5 415 annulations des décisions du directeur général de l’OFPRA soit 19,9 % du total des décisions, se répartissant en 4 853 annulations et accords de statut de réfugié soit 17,8 % et 562 soit 2,1 % au titre de la protection subsidiaire. 5 502 affaires ont été réglées par voie d’ordonnance, soit 20,2 % des décisions, dont 1 977 ordonnances classiques – irrecevabilité manifeste, non-lieux, désistements – et 3 525 ordonnances dites “ nouvelles ” – demandes qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision du directeur général de l’OFPRA – (respectivement 7,3 % et 12,9 %). Les annulations avec accord de statut de réfugié l’ont été presque exclusivement sur le base des dispositions de la Convention de Genève. La CNDA n’a procédé qu’à cinq annulations au titre de l’asile constitutionnel. On notera que les annulations avec bénéfice de la protection subsidiaire représentent 10,4 % du total des annulations.
L’obligation d’entrée régulière sur le territoire français qui conditionnait le bénéfice de l’aide juridictionnelle est levée à compter de décembre 2008 ; on peut donc s’attendre au cours des prochaines années à une augmentation du taux de constitution d’avocats dans les affaires jugées. En 2007, plus de 65 % des décisions collégiales ont été prises après qu’un avocat a été entendu. 20 % des avocats qui se constituent devant la juridiction ont plaidé, à eux seuls, plus de 80 % des affaires plaidées.
Le nombre d’affaires en instance devant la juridiction s’élevait, au 31 décembre 2007, à 22 803 correspondant à un délai de traitement d’environ dix mois. La grande variabilité de l’activité, oblige à une adaptation permanente des moyens (effectifs, nombre de formations de jugement, de divisions, d’audiences tenues). La CNDA a tenu 1997 audiences publiques en 2007, dont 3 sections réunies, avec un taux de renvoi moyen des affaires audiencées (maladie du requérant, empêchement de l’avocat) de près de 30 %. Ces décisions ont concerné 113 nationalités.
Le pourvoi en cassation n’a qu’une incidence marginale. Pendant l’année 2007, 394 décisions de la CNDA ont fait l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. Celui-ci a jugé 480 affaires ; seules 27 ont franchi le seuil de l’admission préalable. Elles n’ont conduit qu’à 4 décisions donnant satisfaction (demandeur ou OFPRA), 3 annulations avec renvoi à la CNDA, 19 rejets et 1 désistement.

IV. – Un dispositif rigoureux

Sur ces bases, en 2007, l’OFPRA, seul habilité à délivrer les premiers certificats de réfugié ou apatride, a réalisé 8 781 admissions (dont 8 024 soit 91 % avec reconnaissance du statut de réfugié et 706 soit 9 % au bénéfice de la protection subsidiaire), 3 401 directement et 5 380 après annulation par la juridiction, ce qui représente (hors mineurs accompagnants) un taux global d’admission de 29,9 % (11,6 % au titre des décisions directes de l’OFPRA – dont 0,5 % au titre de la protection subsidiaire – et 18,3 % par annulation de la juridiction – dont 1,9 % au titre de la protection subsidiaire).
Les dix principaux pays dont les ressortissants se sont vu reconnaître la qualité de réfugié par l’OFPRA (soit directement, soit après annulation par la juridiction) sont : le Sri Lanka (1 130), la Russie (804), la Serbie (641), la Turquie (625), la République démocratique du Congo (520), la Guinée Conakry (512), Haïti (355), l’Arménie (285), l’Azerbaïdjan (253), le Bangladesh (239). Ils représentent 61 % du total des admissions (hors mineurs).
La demande en provenance des pays d’origine sûrs a représenté 5 % de la demande globale. Le taux d’accord de l’OFPRA pour ces pays a été de 19,9 % et celui de la CNDA de 21,9 %. Cette augmentation fait suite à l’application de la jurisprudence sur l’appartenance à un certain groupe social appliquée aux femmes qui souhaitent soustraire leurs filles à la pratique de l’excision. Cette pratique, au regard des pays d’origine sûrs, touche essentiellement les demandeurs d’asile maliens et dans une moindre mesure sénégalais.
La forte décroissance des demandes d’asile en France depuis 2003 a sans doute des causes variées, parmi lesquelles le durcissement des conditions d’entrée et de séjour des étrangers que l’on observe dans la plupart des pays développés. Nos principaux partenaires européens ont également enregistré une forte baisse des demandes. Le nombre de demandes d’asile a diminué de plus de moitié dans l’Union européenne au cours des cinq dernières années, mais alors que la baisse se poursuit dans certains pays, plusieurs pays connaissent à nouveau une hausse. Les principaux pays d’origine des demandeurs d’asile au sein de l’Union sont : l’Irak, la Russie, la Serbie et le Monténégro, l’Afghanistan et la Turquie. En 2003, le taux de demandes d’asile par rapport à la taille de la population était de 0,7 pour mille habitants ; il était tombé à 0,4 en 2006, la France se situant dans la moyenne. Les comparaisons statistiques entre pays d’accueil doivent être interprétés avec prudence : Eurostat placait en tête, en 2006, la Grande Bretagne avec 27 800 demandes (mais sans isoler les demandes nouvelles), devant la France (26 300), la Suède (24 300) et l’Allemagne (21 000).
Il n’existe pas de statistique des demandeurs d’asile définitivement déboutés et expulsés, la catégorie n’étant pas isolée dans les données publiques de reconduite à la frontière.

(1) Anicet Le Pors, Le droit d’asile, Que sais-je ?, PUF, 2005 (1° éd.), 2008 (2° éd.).

(2) Les dernières statistiques générales relatives à l’asile en 2007 sont les suivantes :

Entre 2006 et 2007, le nombre de réfugiés comptabilisés par le HCR est passé de 9,9 à 11,4 millions de personnes, mais plus des deux tiers de cette augmentation sont dus à un changement de méthode statistique.

A eux seuls, les réfugiés afghans (3,1 millions de personnes) vivant au Pakistan ou en Iran, et les réfugiés irakiens (2,3 millions) vivant en Syrie ou en Jordanie constituent près de la moitié du total des réfugiés. Viennent ensuite les Colombiens (552 000 réfugiés), les Soudanais (523 000), les Somaliens (457 000) et les Burundais (376 000).

Les Irakiens figurent au premier rang des demandeurs d’asile (52 000), devant les Somaliens (46 100) et les Erythréens (36 000). Au total, 647 200 demandes d’asile ont été soumises en 2007, un chiffre en augmentation pour la première fois depuis quatre ans. Les principaux pays de destination ont été, selon le HCR, les Etats-Unis, l’Afrique du Sud, la Suède, la France, le Royaume-Uni, le Canada et la Grèce.

L’agence de l’ONU, qui précise n’avoir « pas la prétention de fournir une image complète des déplacements forcés à l’échelle mondiale », souligne aussi des évolutions positives. En 2007, 731 000 réfugiés ont été volontairement rapatriés, notamment en Afghanistan (374 000) et au Soudan sud (130 700). En Afrique, le nombre de réfugiés a diminué de 6 % et au total, 2,1 millions de « déplacés internes » sont rentrés chez eux.

4 commentaires sur “CNDA (Cour nationale du droit d’asile) et statistique de l’asile

  1. Cher monsieur,
    ayant eu a assister à une audience de la cnda, je souhaiterais savoir comment sont recrutés les membres de la commission; sont ils des « particuliers » ou des professionnels (magistrats ou autres)? Dans l’attente que vous éclairiez ma lanterne, je vous remercie d’avance!

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  2. Je ne me souviens pas avoir répondu à votre question que je redécouvre. Si c’est le cas veuillez m’en excuser. J’indique, dans le Que sais-je ? sur « Le droit d’asile » d’où est extrait ce chapitre statistique les références juridiques qui président à la composition des formations de jugement de la CNDA.

    – Les secrétaires de séance de la commission sont des fonctionnaires de catégorie C.
    – Les rapporteurs sont des fonctionnaires de catégorie A (niveau attachés d’administration centrale.
    – Les présidents sont des membres du Conseil d’État, de la cour des comptes, des tribunaux administratifs et du judiciaires.
    – Un assesseur est nommé par le vice-président du Conseil d’État.
    – L’autre assesseur est nommé par le Haut commissariat aux réfugiés sur avis conforme du vice-président du Conseil d’État.

    K’espère ainsi avoir répondu à votre demande.

    Bien cordialement.

    Anicet Le Pors

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  3. Bonjour,
    Pouvez-vous m’indiquer ou je peux trouver les statistques des 10 dernières années sur la demande d’asile en France et les résultats de statuts obtenus.

    Merci de votre aide (objet mémoire sur la demande d’asile)

    Jean-yves LONCKE Travailleur Social

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  4. Bonsoir,

    Vous trouverez tous ces renseignements dans les rapports annuels de l’OFPRA dont l’adresse électronique figure dans mon Que sais-je ? sur « Le droit d’asile ».

    Bien cordialement,

    Anicet Le Pors

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