Christian Vigouroux ; « 30 ans après la loi du 13 juillet 1983 »

L’article qui suit, de Christian Vigouroux, Président de la Section du Rapport et des Etudes du Conseil d’Etat, a été publié dans le numéro 27/2013 du 17 juin 2013 de l’AJDA

Le fonctionnaire existe puisqu’il a des droits et des obligations. Tel est le message que voulait nous donner la loi n°83-634 du 13 Juillet 1983, dite loi LE PORS.

Dans le Larousse universel de 1922  (p.807), le « fonctionnaire » est défini comme « qui remplit une fonction publique » ce qui n’est pas une définition statutaire. Mais le paragraphe suivant nous indique « tout fonctionnaire a qualité pour déférer au conseil d’Etat les décisions disciplinaires ou de révocation prises contre lui. Ces décisions sont annulables pour excès de pouvoir… ». Le fonctionnaire est à cette époque succinctement défini par ses fonctions mais largement plus encore par ses droits. C’était tout sauf neutre.

Dans l’Encyclopédie universelle en ligne de 2022, le mot « fonctionnaire » sera-t-il défini ainsi : « mot de l’ancien français, aujourd’hui peu usité, désignait un agent sous statut à vie, travaillant exclusivement pour une collectivité publique. » ?

30 ans après la loi de 1983, (1) si les principes sont les mêmes,  (2) les priorités sont différentes mais (3) le besoin de valeurs est plus fort que jamais.

I Les principes sont les mêmes

En apparence, les colonnes du temple sont solides. Les premiers mots de l’avant-projet de loi «relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires » de mai 2013 rappellent « l’héritage des valeurs et du programme du Conseil National de la Résistance » et affirme que « le statut de la fonction publique a permis à tous les gouvernements successifs d’assurer la mise en œuvre de leurs politiques publiques, et constitue, encore aujourd’hui, un atout pour les réformes à venir ». Comment concilier ce sens de l’histoire qui pèse tant sur la vie publique française et la nécessité d’inventer « les réformes à venir ».  En les attendant, certaines valeurs demeurent.

  Il est instructif à cet égard de relever qu’en 30 ans, plusieurs articles de la loi de 1983 ont résisté à toutes les turbulences et brillent par leur stabilité absolue : les articles 3 et 4 qui réservent les emplois civils publics à des fonctionnaires placés « en situation statutaire et réglementaire » donnent l’impression (à moitié fausse) de continuité dans un monde apaisé et rassurant. Cette impression est vraie parce qu’elle se fonde sur le droit mais elle est fausse parce que derrière cet hommage, la fonction publique ne cesse de se repenser et de se préparer aux changements nécessaires. Restent aussi inchangés, les articles 10 sur la « grève dans le cadre des lois qui le réglementent », 16 sur le principe du concours, 17 sur l’accès aux notes individuelles, 23 sur les conditions d’hygiène et sécurité, 26 sur la discrétion et le secret professionnels, 27 sur l’information du public, 28 la hiérarchie, 29 le cumul des sanctions administratives et pénales et 30 sur la suspension.

 Ce rapide survol des évolutions de la loi de 1983 montre que les droits ont beaucoup plus été modifiés que les obligations. Car le fonctionnaire est défini plus par ses obligations spécifiques liées à son service que par ses droits qui rappellent seulement que le fonctionnaire reste un citoyen.

Ce citoyen accepte, en devenant fonctionnaire, un vrai système de références qui va le guider pendant des années, celles de la carrière de service public, et le placer, pour le bénéfice et la sécurité des usagers, sous la bannière de plusieurs principes et valeurs.

Parce que les principes sont des valeurs ou du moins servent les valeurs et que chacun attend du fonctionnaire un strict respect de celles-ci. Les valeurs incitent le fonctionnaire à mettre en œuvre un comportement professionnel prévisible, juste, explicable et compréhensible.

 Le fonctionnaire se caractérise partout en Europe, par trois principes et trois valeurs qui le font digne représentant de l’Etat : probité, efficacité et impartialité.

Les principes de la fonction publique sont bien connus. Et dans un livre intéressant Eliane Ayoub les décrivait en 1994 « la fonction publique en vingt principes » parmi lesquels le principe statutaire, la continuité du service public, le principe hiérarchique, la distinction du grade et de l’emploi ou la garantie du fonctionnaire. Et, déjà, son dernier chapitre annonçait « les principes en mutation ». Comme la revue Pouvoirs consacrée en 2006 aux « serviteurs de l’Etat »[1]. Il est possible d’en souligner trois principaux qui perdurent au cours de toutes ces années.

Le premier principe de légalité ramène le fonctionnaire à la Constitution dont le célèbre article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’égal accès aux emplois publics était si important pour les révolutionnaires qu’ils l’avait traité comme la liberté ou la propriété. Ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel le 5 octobre 2012 la bonne moralité n’est pas une condition superflue pour exercer une magistrature[2] et comme le rappelle le Conseil d’Etat en 1993 : « il existe un principe constitutionnel selon lequel des corps de fonctionnaires de l’Etat ne peuvent être constitués et maintenus qu’en vue de pourvoir à l’exécution de missions de service public »[3]. De même, dans une République laïque et sûre d’elle-même, le principe de laïcité fait qu’ « aucune disposition ni aucun principe ne permet à l’administration de refuser de réintégrer un professeur certifié ayant embrassé l’état ecclésiastique durant une période de disponibilité »[4].

De même, encore, la Constitution autorise le droit de grève mais de manière responsable et encadrée ou veille à la rémunération des agents de l’Etat par le budget et non par des procédés financiers latéraux[5]. Le fonctionnaire ne saurait oublier qu’il est un objet constitutionnel, donc au centre de la définition de l’Etat de droit.

Le second principe de diligence exige que le fonctionnaire assume son rôle particulier avec disponibilité, économie de l’argent public, recherche du meilleur service. Et aussi imagination, adaptation, aptitude à rendre compte de l’emploi des deniers publics, selon la notion d’ accountability en Grande Bretagne.

Le troisième principe, forgé en France par le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel, pose l’égalité entre fonctionnaires comme base du système. Le principe d’égalité vaut tant pour l’accès aux emplois[6] que pour le déroulement des carrières[7].

Les valeurs, quant à elles,  sont plus indispensables que jamais, à la fois les valeurs fondamentales et les valeurs du futur. Même si les valeurs sont fragiles, elles n’existent que si les acteurs les portent et même s’il est audacieux d’écrire en 2013 que « ce projet de loi [qui]  renforce significativement la place des valeurs de la fonction publique ». La place des valeurs dépendra étroitement à la fois de ce que l’Etat réussira et consentira à exprimer sur le rôle de la fonction publique et  ce que les fonctionnaires consentent à reconnaître.

Parmi les valeurs fondamentales, la probité s’impose face à une certaine avidité contemporaine conduisant à des revendications qui n’auraient jamais dû se poser comme celle de l’avancement au choix d’un fonctionnaire devenu parlementaire qui sera refusé au parlementaire européen[8] ou l’acceptation de « pantouflage » à répétition que la mise en garde de la décision CE 6 décembre 1996 société  Lambda  n’a que temporairement ralentie. La cupidité se retrouve derrière nombre de catastrophe contemporaines, scandales sanitaires, évasions de détenus, arbitrages financiers douteux, titres de séjour incertains, diplômes dispensés frauduleusement. Et le combat de tous les instants contre les conflits d’intérêts ne fera que renforcer l’impératif de probité par les textes en projet et ceux déjà pris comme le décret n°2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l’expertise sanitaire prévue à l’article L.1452-2 du code de la santé publique.

L’efficacité sera la grande question des futures années dans un cadre financier resserré[9]. Le fonctionnaire devra, comme son institution, prouver à chaque instant l’apport de son activité à l’intérêt général du pays. Ceci suppose une redéfinition permanente des fonctions, une conception exigeante des lettres de missions et du contrôle des objectifs fixés.

 Enfin la valeur d’impartialité, sans accepter qu’elle devienne un Moloch qui dévore ses meilleurs enfants, redevient une exigence pointilleuse qui réapprend à chaque fonctionnaire la transparence, le déport, la distance et le sens absolu du refus de toute préférence personnelle. Dans l’actuelle ambiance de « rénovation de la vie publique », il faudra bien revenir sur l’article 7 de la loi de 1983 organisant la vie du fonctionnaire élu politique et durcir les conditions dans lesquelles le fonctionnaire peut revêtir la tunique de l’homme politique.

 Parmi les nouvelles valeurs, celles qui reflètent les nouvelles priorités et qui vont dessiner un fonctionnaire plus adaptable, ouvert à une société profondément transformée.

Quoi qu’il en soit, inutile d’inventer de nouvelles chartes ou guide des valeurs, il suffit que chaque service, dans le cadre de sa propre réflexion déontologique, soit inventif et précis pour proclamer ses propres valeurs compte tenu de sa mission.

Le droit administratif s’est construit par quelques grands arrêts et ceux sur la fonction publique ne sont pas les moindres : prince Napoléon 1875,  abbé Bouteyre 1912,DEBERLES 1933, DEHAENE 1950,  BAREL 1954, et la loi de 1983 n’a pas interrompu ce dialogue avec le juge : HARDOUIN 17 février 1995, société LAMBDA 6 décembre 1996, PAPON 12 avril 2002, Mme PERREUX 30 octobre 2009.

Les arrêts évoluent et les  priorités de la fonction publique avec eux.

II . Les priorités ne sont plus les mêmes

Le monde change et avec lui les conditions économiques et techniques du service public. Dans sa leçon d’Etat distillée le 29 mai 2013, la Commission européenne propose au Conseil de tancer la France au nom de l’OMT (objectif à moyen terme) ce qui passe par la MAP (modernisation de l’action publique). Selon la Commission, « il est également possible de rationaliser davantage les différents niveaux et compétences administratifs afin d’accroître encore les synergies, les gains d’efficacité et les économies ». l’impérieux besoin de revoir toute dépense publique, et donc tous les leviers tenus par les fonctionnaires implique une autre manière de gérer.

Les priorités ne peuvent alors plus être les mêmes pour deux raisons : d’une part, de nouvelles priorités sont apparues qui « crèvent l’écran » et dont chacun détaille les propriétés avec le respect dû aux nouvelles idoles. Et, d’autre part,  plus souterrainement, des transformations structurelles sont tentées : la réforme avance masquée.

A. Les nouvelles priorités

Les nouvelles priorités dessinent une fonction publique plus proche des citoyens et de leurs préoccupations quotidiennes. Cela passe par l’évaluation des missions, l’égalité des sexes (de l’article 6 bis de la loi de 1983 issu des lois des  11 mai 2011 et 12 mars 2012 jusqu’à la réforme de la Constitution). Cela passe aussi par une nouvelle conception de la non discrimination rappelée depuis une quinzaine d’année sous toutes ses formes (lois des 16 novembre 2001, du 30 décembre 2004, du 27 mai 2008° Surtout la loi du 6 août 2012 qui, à l’article 6 de la loi de 1983, ajoute aux motifs traditionnels de discrimination possible – opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, sexe et appartenance ethnique, de nouveaux motifs issus des contradictions de la société, si ce n’est  nouvelles du moins nouvellement prises en compte : « l’origine, l’orientation ou l’identité sexuelle, l’âge, le patronyme, l’état de santé, l’apparence physique, le handicap ou l’appartenance, vraie ou supposée à une ethnie ou à une race ».  ). En le protégeant contre ces discriminations, la loi a entendu que le fonctionnaire protége aussi les citoyens.

Les nouvelles priorités passent encore par l’accueil et l’accès aux responsabilité des personnes handicapées, la lutte contre les harcèlements sexuel et moral (art. 6 ter et quinquiès de la loi de 1983 et loi du 6 août 2012), l’utilisation des nouvelles technologies[10] la mobilité, la performance, la diversification par adaptation aux fonctions et aux terroirs, l’ouverture à l’Europe.

 Elles passent enfin, et ce n’est pas réjouissant, par un renforcement de la protection des fonctionnaires contre les différentes formes d’agression dont témoigne en mai 2013 l’attaque d’un militaire en opération de paix publique dans le cadre de Vigipirate. La modification de l’article 11 de la loi de 1983 par l’article 71 de la loi du 17 mai 2011 puis l’avant projet de loi sur la déontologie des fonctionnaires en mai 2013 marquent une époque où le bouclier est devenu un outil pour les administrateurs de la chose publique. Ce qui obligera dans les années à venir à revoir certaines formes de service public trop exposée aux violences quotidiennes (horaires, effectifs, guichets protégés, transmissions et alarmes etc).

Dès 1973, le Conseil d’Etat[11] acceptait le recrutement d’étrangers comme contractuels en interprétant strictement le monopole de nationalité française aux seuls titulaires. Mais avec l’Union européenne, l’ouverture devient de droit sauf quelques fonctions directement liées aux intérêts nationaux.

          B . Les transformations souterraines

Les transformations souterraines plus que dissimulées sont nombreuses. Elles dessinent une fonction publique moins campée sur ses certitudes, et aussi moins stable sur ses garanties, plus dépendantes de ses emplois. Ainsi : le choix contre l’ancienneté, (ce sont les cursus avec concours et commissions en cours d’exercice), la diversification des recrutements contre le monopole du concours et c’est la modification de l’article 13 de la loi de 1983), l’emploi contre le grade, (c’est le développement des emplois fonctionnels), le métier contre le corps (ce sont les filières de métiers, la diminution de nombre de corps, la remise en cause de la notion d’ « emplois permanents » de l’article 3 de la loi de 1983 et l’emploi systématique de la notion de « cadre d’emploi » à côté de la notion de « corps »), l’expérience contre la jeunesse (ce sont les suppressions de limite d’âge, le nouveau fonctionnaire peut l’être pour une partie de sa vie après une autre expérience[12]), le manager contre l’entraineur (c’est la fascination pour « la conduite du changement » et la RH plutôt que le sens de la mission et le sens de l’Etat[13]), la prime au résultat contre le forfait (c’est la modification de l’article 20 de la loi de 1983 par l’article 38 de la loi du 5 juillet 2010[14] avec l’apparition du mot « résultats » dans la loi de 1983), la formation contre le diplôme (c’est l’article 22 de la loi de 1983 modifié par la loi du 2 février 2007 qui introduit « la formation professionnelle tout au long de la vie),  la mobilité contre le « patriotisme ministériel » (ce sont les articles13 bis à 14  issus des lois du 3 août 2009 et 12 mars 2012 qui organisent cette mobilité avec intégration dans le corps d’accueil sauf attributions juridictionnelles), la double activité contre l’exclusivité, (ce sont la possibilité d’activités annexes privées par la loi du 2 février 2007 et  par les articles 33 et 34 de la loi du 3 août 2009 et l’abrogation du décret du 29 octobre 1936 pourtant raisonnablement interprété[15]), la continuité contre la grève (ce sont les lois transport du 19 mars 2012[16] et école sur l’accueil minimum des usagers),  la propriété contre la collectivité, (c’est la loi de 2006 sur la propriété intellectuelle du fonctionnaire), le licenciement contre la stabilité, (c’est la loi de 2011[17]), la négociation contre le statut (c’est la création de l’article 8bis de la loi de 1983 par l’article 1er de la loi du 5 juillet 2010 sur la rénovation du dialogue social),  la reproduction du modèle comité d’entreprise contre le paritarisme (c’est la réforme des CTP qui perdent leur «P »), l’action sociale « avec participation du bénéficiaire et externalisation de la gestion des prestations contre l’action sociale « ministérielle » (article 9 de la loi de 1983 modifié par l’article 26 de la loi du 2 février 2007) la réduction contre l’expansion, (c’est le non remplacement de deux fonctionnaires sur 3 dans la réalité (et non de 1 sur 3) de RGPP en MAP),

Entendons nous : chacune de ces réforme est publique, discutée utilement par le Parlement qui en établit devant le peuple les tenant et aboutissant. Mais ce qui est dissimulé, c’est la globalité et la cohérence du nouveau système qui s’esquisse, système  de rapprochement avec le salarié du secteur concurrentiel si ce n’est système de banalisation du salarié de la chose publique. De temps à autre, la totalité du nouveau système de substitution se dévoile comme un nouveau continent brusquement apparu entre deux nuages pendant un vol aérien. Tel fut le cas du rapport du Conseil d’Etat en 1993 ( ?), du livre blanc sur l’avenir de la fonction publique d’avril 2008, de tel rapport parlementaire et de quelques propos libres du président de la République avant 2012.

 Car il est de bon ton de se réjouir de « some cracks in the cult of technocrats »[18] tout en admettant que si lesdits technocrates s’emparent des sujets c’est bien que le politique décide ou tolère de les lui concéder. Le culte est inutile. La pratique est nécessaire. Tous les clercs n’ont pas vocation à trahir.

 La carrière et le « tour » intérieur et extérieur ne résument pas la fonction publique. Par leur géométrie rigoureuse de la ligne et du cercle, carrière et tour diffusent l’image immuable d’une fonction publique figée sur ses schémas classiques. En réalité, il faut conserver les valeurs du service public et imaginer en permanence les formules adaptées aux nécessités du temps. La fonction publique peut être recrutée, gérée, réglementée de différentes façons. Elle doit rester politiquement neutre, légaliste et efficace dans la mise en œuvre des objectifs politiques.

           III. L’impératif de valeurs reste plus fort que jamais

Pourquoi 150 ans après les Etudes administratives de VIVIEN restent d’actualité ? parce qu’une exacte théorie de l’agent de la chose publique et des valeurs qu’il est chargé d’incarner est consubstantiel à la forme juridique de l’Etat organisé.

Pourquoi la question du fonctionnaire, en France et en Europe prend elle toujours autant d’espace dans le débat public ? Parce que le fonctionnaire est le garant de l’égalité des citoyens, et du respect des droits de l’intéressé. On ne choisit pas son fonctionnaire comme on choisit son notaire ou son libraire.

Pourquoi malgré les déchirements sémantiques, le « service public » ne meurt pas comme Lazare ? Parce qu’une société complexe ne peut se survivre sans quelques services collectifs admis de tous et sollicité par chacun.

Bien sûr, le Pouvoir administratif est honni, vilipendé et caricaturé.

Bien sûr, les technocrates doivent littéralement être remis  à leur place, mais leur rôle, tout autant que leur place, est indispensable.

Nous aurons à inventer un nouveau fonctionnaire qui se reconstruira en prouvant son utilité ni plus ni moins que les institutions elles mêmes qui sont mortelles. En dégageant l’essentiel de l’accessoire : ainsi « alors même qu’aucune règle ni aucun principe n’interdit de prévoir que certains fonctionnaires puissent être recrutés sans concours, il incombe à l’autorité compétente de ne procéder au recrutement de fonctionnaires qu’après avoir précisé les modalités selon lesquelles les aptitudes candidats seront examinées et, s’étant conformée à ces modalités, de ne fonder sa décision de nomination que sur les vertus, talents et capacités des intéressés à remplir leurs missions, au regard de la nature du service public considéré… » : par cette récente décision de la section du contentieux du Conseil d’Etat[19], celui-ci montre bien – à propos d’une « loi de pays » de Polynésie française-   la différence entre le principe constant : « selon les vertus et les talents en tenant compte de la nature du service » et le contingent relatif à la nature du procédé pour assurer l’égalité des citoyens devant les emplois publics.

Il faudra à cette nouvelle fonction publique, évaluation, résultats exprimés, imagination,  adaptation, multiactivité (ainsi le double exercice comme juge et professeur, policier et juge, assistant social et financier, médecin et enseignant.

Le nouveau fonctionnaire sera empreint de quatre qualités assises sur des valeurs :

– L’obéissance éclairée et exigeante qui réserve le droit de retrait, a fortiori, le droit de désobéir aux circonstances particulièrement exigeantes,

 – L’indépendance d’esprit dans toutes les fonctions d’appréciation individualisée : respect de la loi et de la hiérarchie dans les lignes directrices mais possibilité d’appréciation en fonction des critères objectifs

– L’initiative pour répondre aux besoins et non aux formulaires, la capacité d’adapter le service aux situations différentes,

– L’autorité qui implique de proscrire la procrastination et d’oser la décision jusque dans l’usage de la force publique quand elle est strictement nécessaire.

– Le sens du dialogue social[20] réel et non seulement pour la représentation de ce dialogue. La modification des articles 12 et 15 de la loi de 1983 par les articles 3 et 2 de la loi du 5 juillet 2010 sur la promotion des permanents syndicaux et la prise en compte des compétences « acquises dans l’exercice d’un mandat syndical » est un de ces signes discrets des concessions faites, non sans raison, aux organisations syndicales.

 Ajoutons l’invention intelligente de l’avant projet de loi  de mai 2013 sur « l’exemplarité des employeurs publics ». l’obligation déontologique ne pèse pas seulement sur le salarié mais doit peser sur le supérieur (c’était l’innovation du décret du 16 mars 1986 sur la déontologie de la police nationale) et plus généralement sur l’employeur. Si l’Etat n’est pas une institution, a fortiori une entreprise, comme les autres, il doit être aussi spécifique dans l’excellence de ses fonctions de « patron » et d’employeur. Comme l’écrit la Cour des comptes fin mai 2013, il faut gérer les personnels publics autrement[21]. Et cette nouvelle gestion est compatible avec la garantie de l’essentiel, ces principes et ces valeurs, si l’on applique le statut non dans les modalités techniques spécialisées mais dans son esprit d’égalité, de neutralité et d’efficacité au service du pays.

 

                                                          *          *

Pour le prochain anniversaire, dans 30 ans, en 2043, le mot de « fonctionnaire » a été supprimé par la norme européenne de 2028. L’article 4 de la loi de 1984 sur la « situation légale et réglementaire » n’est plus invoqué que dans les cours d’histoire du droit ». Tous les européens, pour tous les métiers ,y compris police et justice, peuvent, sous la seule condition de maîtrise de la langue, servir dans n’importe lequel des pays membres[22]. La réserve des « attributions non séparables de l’exercice de la souveraineté » est levée, la souveraineté est progressivement devenue européenne.

En Europe, les 50 régions disposent du pouvoir de recruter et d’organiser la carrière de leurs « collaborateurs ». Le droit à mobilité européenne est ouvert pour tous et pour  les cadres, c’est un devoir puisqu’ils doivent avoir exercé dans 3 régions  de deux ensembles linguistiques pour accéder aux postes de responsabilité et dans 4 régions de trois ensembles linguistiques pour servir à Brux-Berl. ou B2, la nouvelle capitale européenne en deux sites. Les cadres d’entreprises sont tenus à « servir » 5 ans au cours de la carrière dans des postes administratifs ;

 La police essentiellement électronique est anonyme et autoprotégée, ne dit plus « vous êtes cerné » mais seulement « vous êtes filmé ».

Les professeurs dispensent leurs enseignement en cours mais surtout sur le net, un comité des sages « revoit » en direct tel ou tel cours, un forum de discussions permet au professeur de dialoguer avec, non seulement ses étudiants, mais aussi tout autre enseignant ou chercheur sur ce qu’il vient de proposer en cours.

 Car les services publics sont progressivement devenus des téléservices qui dispensent des conseils et tentent des interventions à distance : téléenseignement, nous l’avons vu mais aussi télémédecine, télésurveillance et téléjugement par vidéo.

 L’unité de temps est la décennie, la garantie d’emploi n’est prévue que pour 10 ans, à l’issue desquelles, le changement est possible.

 Magistrats, policiers, agents du fisc et inspecteurs sont nommés et gérés par un CIE, « conseil des indépendances efficaces » qui veille à ce que, pour les métiers sensibles, l’indépendance serve l’efficacité et que l’efficacité respecte l’indépendance.

Les ministères ont été pour la plupart supprimés, à commencer par le ministère de l’intérieur, comme le suggérait, dès 1910, dans le pouvoir administratif  H.CHARDON. Le pouvoir politique est exercé par « les  onze[23] », un collectif d’élus responsables devant le pays, qui fixent des objectifs aux unités de prestation de services (UPS)  et aux organes d’administration (OA) dont les chefs rendent compte tous les trimestres à deux, au moins, des onze.

Après bien des débats, les conditions de rémunération ont été rapprochées du secteur concurrentiel mais le statut n’a pas été totalement abrogé. Il réunit encore les dispositions spécifiques dont l’agent public a besoin pour susciter confiance et reconnaissance dans sa mission. Et parmi elles, la légalité et  l’intérêt général.

 Et l’original de la loi votée du 13 juillet 1983 est pieusement exposée sous vitrine blindée au musée des « onze ».


[1] N°117, Voir notamment l’article de J.RICHARD sur  « quelles perspectives pour la fonction publique de l’Etat en France, trois raisons pour hâter le changement ».

[2] CC 5 octobre 2012   n°278-QPC.

[3] Avis AG du 18 novembre 1993 n°355255.

[4] Avis section de l’intérieur 21 septembre 1972 n°309354..

[5] Cdt n°6 de la décision du CC 29 décembre 1994 n°351 DC aux Grands arrêts du Conseil constitutionnel.

[6] CC 14 janvier 1983 n°82-153 DC, CC 21 février 1992 n°92-305 DC à propos de l’intégration dans le corps judiciaire.

[7] Pour la violation du principe : CC 29 juillet 1991 n°91-297 DC.

[8] Avis section des finances 29 septembre 1987 n°342578

[9] Jacques CAILLOSSE « le juge administratif et la question de l’efficacité » RDP n°1 janvier 2013 p.27.

[10] Avec les protections nécessaires des citoyens, comme des fonctionnaires eux-mêmes (cf l’article 18 de la loi de 1983 modifié par l’article 29 de la loi du 3 août 2009, sur le contrôle de la CNIL sur le dossier informatisé du fonctionnaire).

[11] Avis AG 17 mai 1973  n°310715

[12] Ordonnance n°2005-901 du 2 août 2005 en application de la loi n°2005-846 du 26 juillet 2005..

[13] Voir le n°415 de la revue des anciens élèves de l’ENA en octobre 2011 : « les nouveaux défis du management » où le directeur général de la fonction publique écrit (« le management dans la fonction publique ») après les dirigeants de la Poste et d’Accenture et avant le dirigeant  de « GE transportation intellligent  Control systems » et un professeur  de stratégie à la « Skema Business School ».

[14] Et la Cour des comptes demande plus de prise en compte du mérite pour les professeurs dans son rapport de mai 2013 « gérer les enseignants autrement » p.85.

[15] Cf AJFP février 2012 « l’interdiction du cumul d’activités dans le secteur public : un principe malmené » Sophie Richard-Misrai. Dans son avis  de sections de l’intérieur et de la défense du 16 juin 1987, le Conseil d’Etat estimait que l’animation non occasionnelle d’émissions radiophoniques ou télévisée « est incompatible avec l’exercice d’une fonction publique ». Les choses peuvent changer si l’avant projet de loi sur la déontologie des fonctionnaires arrêté en mai 2013 était voté : ses articles 6 et suivants réaffirment avec force l’exclusivité des fonctions publiques des fonctionnaires.

[16] CC 15 mars 2012 n°2012-650 DC.

[17] Ce droit n’existait que dans des conditions très rares après une disponibilité en cas de renoncement à demande de réintégration : Avis section des finances 7 octobre 1980 n°  327476.

[18] International Herald Tribune 24 mai 2013 par Chrystia Freeland. L’auteur met en lumière les limites de la pensée technocratique pour  fonder une politique.

[19] CE 8 mars 2013 syndicat des cadres de la foncton publique n°355788.

[20] Dans la ligne de la loi n°2010-751 du 5 juillet 2010.

[21] Cour des comptes « gérer les enseignants autrement » mai 2013. Le ministre de la fonction publique…n’a pas répondu à ce rapport…Mais la réponse du ministre de l’éducation nationale est intéressante pour mesurer l’écart entre le juge contrôleur et le gestionnaire aux prises avec ses  « 800.000 enseignants pour former plus de 12 millions d’élèves ».

[22] Les articles 5 et 5 bis de la loi de 1983 ont été abrogés depuis longtemps pour permettre le recrutement dans les emplois publics de ressortissants européens sans restriction. Et la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique apparaît d’une autre époque.

[23] Si l’on sort du langage romanesque de Pierre Michon, ce terme se lit comme « un gouvernement concentré sur les fonctions principales de l’Etat ».

 

3 commentaires sur “Christian Vigouroux ; « 30 ans après la loi du 13 juillet 1983 »

  1. Bonjour,

    Pour avancer le discours, pourrais-je lancer sur votre blog un débat qui porte le titre: Laïcité, l’opium du peuple… français?

    Bien à vous,

    DC

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  2. j ai été radié des cadres en 2002 pour perte des droit civiques pour 2 ans j ai toucher les allocation chomage payer par la mairie pendant 2 ans je voudrait savoir si je peut réclamer une prime de licenciment si oui a qui car le maire n a pas voulu me réintégrer malgler que j ai récupérer mes droit civiques merci a l avance cordialement

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  3. L’article est remarquables , mais on aimerait que les « nouvelles priorités » soient analysées avec plus de rigueur, il est difficile de tirer de ce paragraphe une idée générale.
    Merci

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