Rendre la justice du droit d’asile – l’Humanité, 19 février

«Il faut une culture humaniste pour rendre la justice»

 

Entretien réalisé par Marie Barbier

 

Ancien ministre de la Fonction publique et conseiller d’État honoraire, Anicet Le Pors est, depuis 2000, président de section à la Cour nationale du droit d’asile. Dans son dernier livre, il raconte sa fonction de « juge de l’asile » (éd. M. Houdiard, 2010).

Quelle est votre vision du droit d’asile ?

Anicet Le Pors. La France a une tradition de terre d’asile, dont l’expression la plus forte se trouve dans la Constitution de 1793 : « Le peuple français (…) donne l’asile aux combattants de la liberté, il le refuse aux tyrans. » On retrouve cette notion dans la Constitution de 1946, où toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur le territoire de la République. Enfin, l’article 53-1 de la Constitution précise que la France garde le droit d’accueillir qui elle veut sur son sol.

Comment travaillez-vous à la CNDA ?

Anicet Le Pors. Nous recevons un courrier chez nous qui nous annonce les séances à venir, treize dans une demi-journée, en général un mois avant. Je connais alors le nom du requérant, son âge, sa nationalité, le nom de son avocat et pas beaucoup plus ! Je me renseigne alors pour savoir la situation de ces pays. Ces recours exigent une connaissance parfaite de la situation géopolitique puisque nous jugeons sur les craintes de persécutions. J’arrive à l’audience avec une fiche plus ou moins détaillée par affaire avec les questions que je vais poser pendant la séance. Une fois qu’on a fini la séance publique, il y a un délibéré. On reprend les affaires une par une et on se prononce sur chacune. La qualité de réfugié doit être reconnue à toute personne « craignant avec raison d’être persécutée ». Comment appliquez-vous cela ? Anicet Le Pors. Il y a tout dans ces mots. « Craignant » donne la dimension subjective à appréhender. On peut même penser qu’en fonction de l’état psychologique du demandeur, on peut donner ou refuser l’asile. « Avec raison » montre qu’il faut malgré tout se référer à une base objective : la situation du pays et l’État de droit dans lequel on juge. Le résultat de l’appréciation résulte de la combinaison de ces deux dimensions, subjective et objective.

Comment savoir si le demandeur face à vous dit la vérité ?

Anicet Le Pors. Trois questions caractérisent le comportement du juge. D’abord, doit-il appliquer le droit ou rendre la justice ? Le droit est un instrument. La culture et le contexte jouent nécessairement dans le rendu de la justice. Si on ne sait pas que Chopin, Garibaldi ou Marie Curie ont été accueillis en France, on applique bêtement les règles de droit. Deuxième question : la preuve de la crainte de persécution est-elle nécessaire ? Aucun texte ne la demande. Le guide du HCR précise que, in fine, le doute doit bénéficier au demandeur. Cela renvoie à l’intime conviction du juge. Troisième question : que faire vis-à-vis du mensonge ? Je défends l’idée qu’il est inévitable. Face à des obstacles de plus en plus élevés, il est normal que le demandeur d’asile y réponde par un ajustement de sa demande. Cela va d’un dossier quelque peu enjolivé, jusqu’à la fabrication complète du récit. Ce mensonge doit être replacé dans la crédibilité de l’ensemble. Ce n’est pas parce des erreurs révèlent un mensonge que cela affecte tout le récit. Tout est une question de dosage…

Quelles seraient les priorités d’une réforme de l’asile en France, selon vous ?

Anicet Le Pors. Le premier niveau de réflexion doit être philosophique et politique : quelle attitude adopter vis-à-vis des étrangers qui frappent à notre porte ? Le citoyen d’ici forge sa citoyenneté en décidant ce qu’il fait des citoyens d’ailleurs. Ensuite, il y aurait beaucoup à faire qui ne coûterait pas très cher : supprimer les listes de pays d’origine sûrs, permettre aux avocats d’intervenir plus tôt… Mais j’ai des doutes sur la volonté du gouvernement de réformer le droit d’asile.

Quand il était candidat, François Hollande avait proposé de ramener la durée du traitement des dossiers à six mois (il est aujourd’hui d’environ 15 mois). Qu’en pensez-vous ?

Anicet Le Pors. Jacques Chirac avait dit pareil, ça n’est pas possible. Quand l’Ofpra rejette une demande, la personne a un mois pour déposer son recours alors que le délai pour les autres juridictions est de deux mois, ce n’est pas juste. Je suis pour revenir à un délai de droit commun de deux mois. Ensuite, la personne peut demander l’aide juridictionnelle, il faut le temps d’étudier le dossier, au minimum un mois. Ensuite il faut convoquer les avocats, le requérant, que le rapporteur travaille son rapport, que le président l’étudie, etc. on est déjà à six mois, sans compter l’Ofpra. En serrant tout, on pourrait peut-être arriver à un an, mais moins ça n’est pas possible.

La version courte de cet entretien a été publié dans l’Humanité du 19 février 2013

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Reportage à la Cour nationale du droit d’asile : Au tribunal des réfugiés, ils jouent leur dernier recours

Sur la « base commune » du 36° congrès du PCF

36e congrès du PCF  réuni du 7 au 10 février : ou comment exister. Le parti a accumulé les enjolivures. La discussion a porté sur une « base commune » qui, précise-t-on, n’est pas un programme mais un « Humanifeste » pour un « communisme de nouvelle génération » faisant le « choix de l’humain ». Apollinaire est appelé en renfort : « Il est grand temps de rallumer les étoiles … ». Une réunion préparatoire antérieure s’était gravement penchée sur la féminisation des noms : faut-il écrire « élus » et « élues » ou bien « élu-e-s » ; c’est cette dernière solution, de massacre de la langue, qui a été finalement retenue. Dans un flot de généralités ampoulées, je me suis efforcé de repérer mes centres d’intérêt : la sécurisation de l’emploi, l’asile, les institutions, la propriété publique, la laïcité, le socialisme et le communisme.

En écho à la revendication de la CGT d’un « nouveau statut du travail salarié », sinon de ma proposition « pour un statut des travailleurs salariés du secteur privé », on peut lire  « Chaque travailleur disposerait d’un socle de droits individuels garantis collectivement opposable  à tout employeur … ». Positif, mais quel est le mode de ce « collectivement » ? La loi ou le contrat ?

J’ai cherché en vain quelque chose sur l’asile, voire sur l’immigration. Seulement : « Nous sommes pour une citoyenneté de résidence et nous défendons le droit de vote des étrangers vivant dans notre pays ». C’est vraiment court et cela laisse place à toutes les traductions démagogiques.

La position du PCF sur les institutions n’a pas changé : il est pour une VIe République ; mais encore ? « Une VIe  République où l’exercice de la démocratie ne consistera pas à abdiquer son pouvoir de citoyenne ou de citoyen. La nouvelle constitution devra être élaborée dans un vaste débat et soumise à un référendum ». Puis le texte se prononce en faveur d’une rupture avec le présidentialisme, contre le cumul des mandats en nombre et en durée, pour la délibération collective, la proportionnelle, la parité, l’initiative populaire des lois, contre la professionnalisation de la politique, pour un  statut de l’élu et une vraie démocratie locale. Le propos est d’une grande généralité et on ne saura pas quelles institutions garantira la souveraineté nationale et populaire – notamment dans le cadre de l’Union européenne -, on ne saura pas grand chose sur les moyens de la démocratie directe et notamment sur la place du référendum, le régime parlementaire n’est pas évoqué en tant que tel et n’est pas caractérisé, l’élection du président de la République au suffrage universel n’est pas contestée, l’articulation entre institutions nationales et supranationales est inexistante, il n’y a pas de véritable projet constitutionnel garant d’une conception cohérente des institutions françaises.

En matière de propriété publique, on est loin de la focalisation sur le « seuil minimum de nationalisation » des années 1970-1980. On ne saurait écarter un renouvellement de la pensée sur le sujet, mais dans la « base commune » on est réduit au minimum : «  Notre exigence de démocratie rend nécessaire l’accès de toutes et tous aux savoirs. Nous proposons une véritable démocratie économique et sociale  qui renforcera le droit du travail, instaurera l’exercice de nouveaux droits et pouvoirs, pour les salarié-e-s dans les entreprises et transformera les structures juridiques qui fondent aujourd’hui la propriété du capital et son pouvoir absolu, en s’appuyant sur des formes diverses de propriété publique et sociale.». Puis, plus loin : « Nous voulons, sous de multiples formes, engager un grand mouvement d’appropriation sociale (entreprises et pôles publics, coopératives, SCOP …). Vague, le mot nationalisation n’est cité à aucun moment, sans explication.

La rédaction sur la laïcité commence par une mise en garde : « Ainsi nous refusons la conception qui ferait de la laïcité un principe de stigmatisation et d’exclusion. Nous refusons aussi cette conception qui ferait de l’espace public un lieu aseptisé où l’on ne s’efforcerait que d’être semblables aux autres, les convictions des individus étant refoulés dans une « sphère privée ».  Outre la maladresse qui consiste à dire d’abord ce que la laïcité n’est pas, en défensive dans une situation où la laïcité subit des remises en causes qui semblent ignorées des rédacteurs, il faut relever la confusion faite entre égalité juridique des citoyens et singularité de la personne, traitant de façon péjorative la « sphère privée ». Le texte poursuit : « c’est là qu’elle (la laïcité) doit tisser la toile des valeurs communes qu’il faut sans cesse continuer. Nous voulons porter une vision de la laïcité, qui garantisse la liberté de conscience ; l’égalité des droits et l’indépendance de l’l’État à l’égard de toute religion, de toute autorité hormis la souveraineté populaire. Aussi nous nous opposons à tous les intégrismes qui instrumentalisent les religions à des fins politiques qui portent atteintes aux libertés et à la dignité humaine, en particulier à la dignité des femmes ».  Confusion là encore entre indépendance et neutralité de l’État. Le texte reste dans l’état d’esprit de la contribution remise par Marie-George Buffet à la commission Stasi en 2003 sur le thème de la « laïcité ouverte », dans le même temps où Nicolas Sarkozy optait pour une « laïcité positive ».

Reste le sort fait au socialisme et au communisme puisque le texte se veut plus un acte de sens qu’un projet ou un programme. Pour le socialisme c’est simple : il est récusé puisque le mot n’est utilisé qu’au passé à propos de « Marx et les penseurs du socialisme », c’est-à-dire au XIXe siècle, ou par rapport à « l’effondrement des premières tentatives de ruptures avec le capitalisme du XXe  siècle se réclamant du socialisme» ; le concept est donc regardé comme archaïque ou définitivement disqualifié puisqu’il n’est évoqué nulle part ailleurs. Le communisme fait l’objet d’une tentative de définition bien embrouillée et bien peu convaincante : « nous nommons communisme l’incessant mouvement démocratique d’appropriation citoyenne du monde et de partage des avoirs, des savoirs et des pouvoirs qui enverra aux oubliettes l’ancien régime du capitalisme et  fera grandir l’humain dans l’humanité ». Difficile de faire plus inconsistant.

Il y a un moment pour dire : « Le roi est nu ».