Le droit d’asile, miroir de la citoyenneté

UTL de Chateaugiron (Ile-et-Vilaine) –  3 février 2020

La question de l’étranger est présente dans toutes les dimensions de la citoyenneté. Dans ses valeurs puisque l’intérêt général se définit sur la base de la communauté nationale ; le principe d’égalité détermine le modèle d‘intégration ; la responsabilité se fonde sur le principe de laïcité. Dans son exercice et les moyens prévus à cet effet ; les droits et obligations du sujet de droit ; la démocratie locale et la capacité à intervenir dans les décisions de proximité ; les institutions et la représentation populaire. Dans sa dynamique qui s’exprime aujourd’hui dans une crise de civilisation une « métamorphose » selon le mot d’Edgard Morin, et conduit à s’interroger sur la nature de la mondialisation et le genre humain comme sujet de droit permettant d’évoquer la perspective d’une citoyenneté mondiale.

Audience du 23 septembre 2013 à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA)

sous la présidence de l’ancien ministre Anicet Le Pors

Le Figaro 21 octobre 2013- (photo Marc Chaumeil-Divergence)

e droit d’asile se situe dans toutes les interfaces de ces thèmes. Les réponses apportées au fil du temps au problème de l’immigration ont beaucoup varié. La question plus spécifique de l’asile a donné lieu, selon les pays, à des conceptions diverses et la France a pu, en raison de sa longue expérience en ce domaine, servir de référence (Patrie des droits de l’homme, Terre d’asile). Pour éclairer les problèmes d’aujourd’hui il est donc utile de revenir sur l’émergence et l’évolution du droit d’asile dans notre pays et son insertion dans une réglementation internationale de plus en plus déterminante. Le développement des flux migratoires est un problème mondial irréversible.

Dans ces conditions, on peut poser la question de manière simple : « Que doit faire le citoyen d’ici quand un citoyen d’ailleurs frappe à sa porte ? Et réciproquement ».

« Hospitalité signifie le droit qu’a un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas être traité en ennemi par ce dernier […], le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la surface de la Terre, laquelle étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint à supporter malgré tout leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre. Cependant, ce droit à l’hospitalité, c’est-à-dire le droit accordé aux nouveaux arrivants étrangers, ne s’étend pas au-delà des conditions de la possibilité d’essayer d’établir des relations avec les premiers habitants. C’est de cette manière que les continents éloignés peuvent établir entre eux des relations pacifiques, qui peuvent finir par être légalisées. »

Emmanuel Kant

Pour la paix perpétuelle, 1795

1. Vue d’ensemble sur l’asile dans le monde et en France

De fortes inégalités de protection dans le monde

Relevons tout d’abord que les flux migratoires Sud-Nord sont du même ordre de grandeur que les flux Nord-Sud ; les caractéristiques de ces populations sont évidemment très différentes. Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR) a comptabilisé, début 2019, quelque 70,6 millions de personnes « déracinées » sous contrainte. Parmi elles, le HCR évalue à 25,9 millions le nombre de réfugiés. 85% des réfugiés viennent de pays en développement. 57% sont originaires de trois pays  Syrie, Pakistan, Sud-Soudan. 67% des réfugiés se trouvaient en Afrique et en Asie, seulement 17% en Europe, 16 % dans les Amériques et le reste du monde. A cela il faut ajouter 3,5 millions de demandeurs d’asile et 5,5 millions de Palestiniens assistés par l’UNRWA, une autre organisation des Nations Unies. On doit aussi déduire quelques centaines de milliers de réfugiés qui chaque année  retournent dans leur pays. Les principaux pays d’accueil sont : la Turquie 3,7 millions), le Pakistan 1,4, l’Ouganda 1,1. On compte 10 millions d’apatrides.

Il y a 10 à 12% d’immigrés dans la population française contre, par exemple, 16% en Suède ou 28% en Australie. Il n’y a pas de nombre optmal de population étrangère dans un pays. Mais l’asile ne représente qu’environ 6% des titres de séjour accordés. En 2019, la France a délivré 277 000 titres de séjour se répartissant, selon les catégories suivantes : économique 38 800, familiale 88 800, étudiants 91 500, humanitaire (incluant l’asile) 38 200 et divers  19 700.

Survol historique

De tous temps les peuples ont pratiqué l’asile, mais selon des motifs et des modalités très divers. En France, l’Église en a eu le monopole pendant tout le Moyen Âge. Elle accueillait qui elle voulait dans les lieux placés sous son autorité et pouvait frapper d’excommunication le monarque qui violait ces dépendances. Par l’Édit de Villers-Cotterêts de 1539 François 1er a mis fin à ce monopole. Par la suite la monarchie s’est montrée peu favorable à l’asile.

La Révolution française va initier la réputation de la « France terre d’asile » par l’article 2 de la Déclaration des droits de 1789 qui appelle à la résistance à l’oppression, mais surtout par les rédactions de la constitution de 1793 qui, outre qu’elle décrète le droit à l’insurrection, s’exprime ainsi sur l’asile : « Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » (art. 118) « il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » (art. 120). Le XIX° siècle sera accueillant en France (Frédéric Chopin, Heinrich Heine). Le XX° siècle pourra être considéré comme le siècle des réfugiés concernant successivement les Arméniens, les Russes, les Allemands, les Espagnols, les Juifs. Des instruments juridiques internationaux vont alors se mettre en place dans l’entre-deux guerres mais surtout après la seconde guerre mondiale : le droit d’asile figure à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le HCR est créé en 1950, la Convention de Genève adoptée le 28 juillet 1951, ne concerne à l’origine que les réfugiés  antérieurs à son adoption ; elle deviendra de portée générale par le Protocole de New York adopté en 1967.

 En France, en raison de la crise économique et des séquelles de la guerre, des sentiments xénophobes se développeront. Elle accueillera néanmoins 1 million de demandeurs d’asile à la fin des années 1930 (pour une population de 38 millions d’habitants), mais l’État français se déshonorera en livrant nombre d’entre eux à l’occupant nazi. La France ne ratifiera qu’avec retard les conventions internationales. Par la loi du 25 juillet 1952 elle créera l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission de recours des réfugiés (CRR) qui deviendra la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en 2008.

 À grands traits on peut caractériser l’évolution historique du droit d’asile en disant que l’on est passé, d’une part de la désignation d’un lieu à la protection de la personne et, d’autre part, d’un droit discrétionnaire à une protection nationale mais surtout internationale.

Les déterminants des politiques migratoires en France depuis 1945

Après la seconde guerre mondiale, c’est l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui a fixé le cadre juridique des conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Maintes fois modifiée elle a néanmoins été largement admise et les étrangers accueillis en période de croissance soutenue jusqu’aux années 1970, malgré les évènements dramatiques associés à la décolonisation. Une régression de l’accueil a lieu ensuite en raison du ralentissement de l’activité économique[1]. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a conduit, jusqu’en 1993, à des régularisations de séjour assez importantes au cours des premières années de la période, puis à des mesures coercitives de renvoi tandis que prenait naissance une politique intergouvernementale de l’asile au niveau européen[2].

Se développe ensuite, de 1993 à 1997 une politique coercitive vis-à-vis des étrangers, tandis que s’engage un transfert de compétences accompagné d’une harmonisation des politiques d’asile au niveau européen dans le cadre des accords Schengen du 14 juin 1995. La cohabitation de 1997 à 2002 enregistre des modifications juridiques substantielles sans pour autant modifier beaucoup la situation dans l’immédiat : traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, loi Chevènement du 11 mai 1998, Charte des droits fondamentaux adoptée au sommet de Nice le 27 décembre 2000.

De 2002 à 2012 se développe une politique sécuritaire à partir des lois de novembre-décembre 2003 anticipent des directives européennes jusqu’à la récente loi de transposition du 29 juillet 2015. L’influence de l’Union européenne est croissante dans la perspective d’un régime d’asile européen commun (Règlement Dublin II en 2003 réformant la convention Dublin de 1990, plusieurs directives successives dites « qualification », « procédure », « retour », directives du « paquet asile » en 2009). Les mouvements migratoires massifs observés en Europe depuis 2014 et les réactions très contrastées des pays de l’Union européenne témoignent de la précarité du dispositif. Sur l’ensemble de la période on peu distinguer trois phases au niveau européen: relations intergouvernementales (1945-1993), efforts d’harmonisation (1994-2002), recherche d’un régime commun (depuis 20.

 Il résulte de tout cela que les politiques migratoires suivies dépendent essentiellement de trois facteurs : le niveau d’activité économique, l’influence croissante de l’Union européenne, l’orientation politique du gouvernement en place selon le clivage droite-gauche.

2. Les conceptions de l’asile

Concepts et catégories

Il convient tout d’abord de ne pas confondre le demandeur d’asile et le réfugié. L’asile correspond à une situation de fait en même temps qu’il est un terme générique couvrant toute la matière. La qualité de réfugié est un statut juridique. La pratique de l’asile montre qu’il est erroné de distinguer radicalement les demandeurs d’asile et les migrants économiques. Tous les demandeurs d’asile au titre de l’un des critères requis par les textes juridiques, ont aussi des raisons économiques : comment imaginer qu’un étranger persécuté dans son pays puisse y obtenir un emploi et y mener une vie normale ? Et il existe des exploitations économiques qui relèvent de la persécution ; l’esclavage existe toujours en Mauritanie, par exemple et la vente d’êtres humains a été pratiquée récemment en Lybie.

Le droit d’asile permet de distinguer plusieurs catégories de bénéficiaires : l’asile constitutionnel prévu par la constitution, l’asile des réfugiés relevant du mandat du Haut commissariat des réfugiés des Nations Unies (HCR), l’asile des réfugiés au sens de la Convention de Genève (dont je parlerai dans un instant), l’asile au titre de l’unité de famille, la protection subsidiaire, la protection temporaire,  les asiles discrétionnaire et de fait. Le mot migrant, lui, n’a pas de signification juridique particulière.  

C’est l’article 1er de la Convention de Genève qui définit le plus clairement la qualité de réfugié : « Le terme « réfugié » s applique à toute personne qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social, ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays … ». Se trouvent ainsi combinés un élément subjectif (craignant) et un élément objectif (avec raison). La crainte de persécution doit être actuelle, personnelle et d’une certaine gravité. La qualité de réfugié est « reconnue », c’est-à-dire qu’elle a un caractère rétroactif. L’État qui reconnaît substitue sa protection à celle de l’État de nationalité. Les principales catégories de réfugiés ont été reprises par l’article 711-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elles peuvent s’analyser de la manière suivante en distinguant deux sources.

La source de l’asile constitutionnel  ouvre droit à la reconnaissance de la qualité de réfugié bien que, comme d’autres catégories mentionnées ci-dessus, il ne soit pas expressément retenu par la Convention de Genève, mais est l’écho des dispositions de la constitution de 1793 précédemment évoquées et que l’on retrouve sous forme du 4° alinéa du Préambule de la constitution de 1946 : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Au surplus, a été ajouté à la constitution un article 53-1 aux termes duquel, nonobstant les accords passés avec d’autres pays européens en matière d’asile, «  … même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ».  Bref, la France accorde l’asile a qui elle veut.

La source de l’asile dit conventionnel par référence à la Convention de Genève couvre la plupart des situations par les motifs qu’il retient.

Les opinions politiques peuvent être celles de l’opposition au pouvoir en place, avoir un caractère ouvertement militant ou résulter d’une simple imputation. Des motifs de conscience peuvent être reconnus à ce titre. Ex : Turquie, Syrie, Égypte.

L’appartenance à une minorité nationale ou ethnique est souvent la conséquence des découpages arbitraires de l’histoire, notamment à la suite de la décolonisation ou de l’effondrement de l’empire soviétique. La persécution pour ce motif peut se traduire par le bannissement, la spoliation, la purification ethnique. Ex : Côte d’Ivoire, Kosovo, Kurdes.

Le motif de confession religieuse englobe tout à la fois l’appartenance à une religion interdite, à une secte, voire aux partisans de la laïcité ou aux agnostiques ou aux athées. Ex : Chrétiens du Moyen-Orientt, Ouigours, Falungong.

L’appartenance à un certain groupe social vise des caractéristiques communes identifiant ce groupe et le caractère transgressif de cet état. Il s’agit souvent de l’homosexualité dans les pays où elle est condamnée. Ex : parents refusant l’excision, albinos, homosexuels.

Les auteurs de persécution considérés sont soit les autorités étatiques du pays d’origine ou, à défaut, de résidence habituelle. Il peut s’agir aussi d’organisations paraétatiques (partis, milices) ; ou encore d’autorités de fait installées de manière stable.

Les restrictions à l’asile

Depuis 2003 existe un autre type de protection relevant du droit d’asile : la protection subsidiaire qui est instruite comme les demandes d’asile par reconnaissance de la qualité de réfugié. Elle a remplacé la protection dite territoriale dont l’attribution dépendait discrétionnairement du ministère de l ‘Intérieur. Cette protection donne à son « bénéficiaire » ( qui n’est donc pas reconnu comme « réfugié ») un titre de séjour renouvelable de un an, porté récemment à quatre ans, au lieu de dix ans pour le réfugié. Ses motifs se situent en dehors des motifs de la Convention de Genève et concernent : des menaces graves contre la vie, des traitements inhumains ou dégradants, des menaces directes et individuelles concernant un civil en situation de violence généralisée.

L’asile interne est une autre forme de restriction : le demandeur d’asile devrait pouvoir se retrouver en sécurité dans une partie de son pays non concernée par les persécutions avant de demander asile à un pays étranger. Le conseil constitutionnel a encadré cette solution en exigeant que les conditions de vie dans la partie sécurisée permettent une vie normale (emploi, logement). Or la ligne de partage des zones est incertaine comme souvent la situation géopolitique de l’ensemble du pays. Enfin les États, en principe, ne reconnaissent que les États.

Par ailleurs, l’Union européenne avait décidé d’établir une liste de pays d’origine sûrs (POS) conduisant à une procédure accélérée en cas de demandeurs d’asile ayant la nationalité de ces pays, mais elle n’y est pas parvenue en raison des désaccords entre pays membres. Certains pays ont alors décidé d’établir la leur, dont la France sous la responsabilité de l’OFPRA. Cette liste a été régulièrement contestée par le Conseil d’État et les juges de l’asile n’en tiennent généralement pas compte dans leur appréciation tout comme la situation d’asile interne.

Les refus de l’asile

Outre le rejet à l’issue de la procédure, la qualité de réfugié peut être remise en cause de manière prétorienne, notamment dans le cas de fraude ou de changement de situation individuelle (naturalisation dans un pays tiers).

La qualité de réfugié peut aussi être retirée si les conditions du pays d’origine qui avaient été à la base de la reconnaissance ont cessé à l’occasion, par exemple, d’un changement de politique ou de régime. Néanmoins, les craintes peuvent persister, soit en raison de l’action de factions subsistantes de l’ancien pouvoir persécuteur, soit du fait de traumatismes physiques ou psychiques qui ne permettent pas au réfugié de retourner dans son pays sans conséquences graves. Ex : républicains espagnols, magistrat tunisien

La qualité de réfugié peut enfin être refusée par la voie de l’exclusion lorsqu’il y a « de sérieuses raisons de penser » que le demandeur s’est lui-même rendu coupables de crime contre la paix, d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité, d’un crime grave de doit commun ou d’actes contraires aux buts et principes des Nations Unies. Le paradoxe est que si les « séreuses raisons de penser » ne sont pas reconnues comme suffisantes pour l’exclure, la situation de l’intéressé étant néanmoins grave, il a toutes les chances de se voir reconnu comme réfugié. Exclu, il ne sera pas expulsé mais mis en résidence surveillée.

3. Un système « à bout de souffle » ?

Procédure et garanties

La procédure du droit d’asile est organisée dans la plupart des pays en deux phases. Une phase administrative se dédouble en une séquence   d’admission au séjour pour vérifier que la demande n’est pas « manifestement infondée », elle a lieu en France en zone d’attente ; puis une séquence de dépôt de la demande d’asile à l’OFPRA, établissement public qui instruit cette demande, prend sa décision et en cas d’accord assure la protection administrative et juridique du réfugié. La deuxième phase (pour les déboutés) est juridictionnelle auprès de la CNDA instance de recours contre les décisions de rejet de la demande par l’OFPRA ; il existe ensuite une possibilité (très limitée)  de pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. On retrouve ces quatre séquences dans la plupart des pays. Les possibilités d’intervention du HCR aux différents niveaux sont très variables. En France, la formation de jugement collégiale classique est composée d’un président, conseiller d’État, membre de la Cour des comptes, président de tribunal administratif, d’un assesseur nommé par le Vice-président du Conseil d’État et d’un assesseur nommé par le HCR sur avis conforme du Vice-président du Conseil d’État, caractéristique singulière dans notre État de droit et, semble-t-il,  dans le monde.

C’est un véritable « parcours du combattant » que doit effectuer le demandeur d’asile pour tenter de faire aboutir son projet. Le maintien en zone d’attente pour vérifier si sa demande n’est pas « manifestement infondée » peut durer jusqu’à 26 jours.  Il dispose ensuite d’un visa de 8 jours pour retirer un dossier de demande en préfecture (en réalité l’attente est beaucoup plus longue). Il doit déposer son dossier en français à l’OFPRA dans un délai de 21 jours. Il reçoit alors une autorisation provisoire de séjour (APS) de 3 mois renouvelable. L’OFPRA entendra le demandeur et statuera dans un délai moyen de 6 mois (3 mois dans la perspective de 2 mois selon le directeur de l’OFPRA). En cas de rejet de la demande l’intéressé pourra exercer un recours devant la CNDA dans le délai d’un mois suivant la notification du rejet de sa demande. La juridiction statuera dans un délai moyen de 5 mois en 2017. Le pourvoi en cassation est de portée réduite. Pour le demandeur d’asile, il s’agit donc d’une procédure à délais courts, difficile dans la constitution du dossier en français, coûteuse, avec des relations parfois compliquées devant les administrations concernées.

Des garanties couvrent le demandeur d’asile et le réfugié. S’agissant du demandeur, l’article 33 de la Convention de Genève pose tout d’abord, le principe de non refoulement de l’étranger sur le territoire d’accueil. Après le dépôt de sa demande, l’intéressé reçoit donc une autorisation provisoire de séjour (APS) de trois mois renouvelable. Il peut être hébergé dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) où il touche, au titre de l’aide sociale, sous conditions de ressources, l’allocation temporaire d’attente (ATA). Il reçoit une allocation pour la couverture de ses besoins individuels. Sauf exceptions, la situation de l’emploi lui était opposable s’il souhaitait travailler ; depuis 2018 il le peut au bout de quatre mois. Il bénéficie de la couverture médicale universelle (CMU) ou de l’aide médicale d’État (AME) s’il est entré irrégulièremen. Reconnu refugié, il bénéficie de droits et de garanties prévus d’une part par la Convention de Genève, d’autre part par la   législation interne du pays d’accueil. En France, ces droits sont proches de ceux des nationaux, à l’exception du droit au travail qui connaît des restrictions (accès à la fonction publique, par exemple) et du droit de vote. Outre l’effet suspensif de toute décision de renvoi durant la procédure (sous réserve de la situation spécifique de l’outre-mer), des garanties sont prévues en cas de renvoi (nécessité d’une décision de justice, pas de renvoi vers un pays à risques).

Des évolutions contrastées

Structures et procédure : Le système a connu cependant une évolution structurelle plutôt positive au cours des quinze dernières années. En 2005, le CESEDA a remplacé l’ordonnance de 1945. La CRR est devenue la CNDA en janvier 2008 et sa gestion a été placée sous l’autorité du Conseil d’État l’année suivante échappant ainsi au non sens de la gestion administrative, budgétaire et statutaire de l’OFPRA l’organisme dont elle est chargée de réviser les décisions. L’aide juridictionnelle a été attribuée sans condition de régularité de séjour à compter du 1er décembre 2008. La loi du 29 juillet 2015 et un décret du 16 octobre 2015 ont notamment institué une  procédure d’audience avec juge unique. Une réorganisation interne par arrêté du vice-président du Conseil d’État a créé 3 sections regroupant 11 chambres présidées par des présidents permanents. A été identifiée aussi la procédure devant une Grande chambre (sections réunies).

Statistiques : En 2018, la France a enregistré 122 700 demandes d’asile soit une progression de +22% par rapport à 2017 en progression depuis 2014. À l’inverse de la tendance à la baisse (-13%) observée par la plupart des pays européens, en baisse après le pic de 2015-2016. Elle se situe en deuxième position derrière l’Allemagne. La demande provient principalement, d’Afghanistan, d’Albanie et de Géorgie, de Guinée et de Côte d’Ivoire. Nombre des demandeurs en France sont des « dublinés ». Le nombre de protections accordées progresse et atteint 38% des demandes ( trois quarts directement à l’OFPRA, un quart après recours devant la CNDA. Il y a aussi une hausse des reconduites à la frontière.

Le droit : L’évolution jurisprudentielle est de plus en plus restrictive sous l’influence de l’Union européenne guidée par des préoccupations de contrôle des flux et de sécurisation. Étaient déjà d’origine européenne : la protection subsidiaire, la procédure Dublin II (le pays responsable de l’instruction de la demande est le pays d’entrée dans l’espace Schengen),  la liste des pays d’origine sûrs, l’allongement des durées de rétention (jusqu’à présent de 45 jours en France au maximum), de la durée d’interdiction de séjour, le développement de  l’externalisation, etc.  Le gouvernement français a souvent anticipé ces dispositions. En revanche, les juridictions européennes ont joué un rôle plutôt positif. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) reçoit les requêtes en interprétation. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille au respect des droits dans le traitement de l’asile. Elle a donné des définitions et des interprétations. Le Conseil constitutionnel, de son côté, dans plusieurs décisions, a rappelé un certain nombre de principes : affirmation de la souveraineté nationale, respect des droits de la défense, plénitude des garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs.

Le droit positif a été marqué par une évolution confirmant la primauté des préoccupations de contrôle des flux et de sécurité sur la protection des réfugiés. La loi du 29 juillet 2015 (loi Cazeneuve) prévoyait quelques dispositions positives : assistance d’un conseil pendant l’entretien à l’OFPRA, caractère suspensif de la reconduite même en procédure accélérée ; toutefois elle prévoyait aussi un raccourcissement des délais d’instruction et l’élargissement du recours au juge unique. La loi Colomb du 10 septembre 2018 comporte quelques ponts positifs précédemment soulignés concernant la protection subsidiaire, l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail, la possibilité pour un mineur reconnu réfugié d’être rejoint pas ses ascendants directs et ses frères et soeuirs mais elle comporte de nombreuses dispositions aggravant les aspects sécuritaires : réduction à six mois des délais d’instruction globaux, réduction de 120 à 90 jours du délai de dépôt de la demande d’asile après l’arrivée, allongement de 45 à90 jours du délai maximum en centre de rétention, etc.

Pour une « révolution culturelle » de l’asile

L’asile pose la question des relations qui peuvent être établies entre le citoyen d’ici et le citoyen d’ailleurs qui lui demande protection à défaut de pouvoir bénéficier de celle de son pays d’origine dont il a la nationalité, en raison des craintes de persécution qui seraient les siennes s’il devait y séjourner. Cette rencontre forme leurs citoyennetés respectives, mais leurs situations ne sont pas égales : l’accueillant est en position dominante en tant qu’occupant du lieu d’accueil sollicité sur lequel il exerce sa souveraineté. C’est cependant à lui qu’incombe la responsabilité de donner sens à son hospitalité, d’établir des règles de droit qui en permettent la mise en œuvre dans un cadre national et de contribuer à l’établissement d’un régime d’asile commun au plan international et mondial puisque la question se place désormais principalement à ce niveau.

Le fonctionnaire de l’OFPRA comme le juge et les rapporteurs de la CNDA doivent posséder de sérieuses compétences tant en matière de droit d’asile que de connaissances géopolitiques. Mais cela n’est pas suffisant, ils doivent aussi s’interroger en permanence sur leur responsabilité de citoyen dans les décisions qu’ils prennent d’accorder ou de refuser l’asile. Pour le juge notamment, il y a là une question culturelle et éthique qui implique que la clarté soit faite sur (au moins) trois questions.

* S’agit-il simplement d’appliquer le droit ou de rendre la justice ? Le droit positif n’est qu’un instrument et, en matière d’asile, l’appréciation des faits concourt de manière déterminante à la formation de l’intime conviction du juge laquelle est décisive. La décision est rendue « au nom du Peuple français » ce qui investit le juge d’une parcelle de souveraineté nationale faiblement susceptible d’être contestée. Or le juge admet difficilement qu’il dépend de lui même malgré les efforts qu’éventuellement il peut faire pour objectiver sincèrement ses décisions. Il dépend de son éducation, de sa religion ou de sa philosophie, de ses engagements éventuels, de ses intérêts personnels, des circonstances, de ses fréquentations, etc. I : est courant que certains juges parmi les plus sévères se défendent en disant « j’applique le droit ! » ce qui est généralement le cas. Mais, pour autant, ils ne rendent pas nécessairement la justice et n’encourent aucune sanction.

* La preuve de la persécution est-elle exigible ? Aucun texte national ou international ne prévoit la nécessité de la preuve à la charge du demandeur d’asile. Le Guide des procédures du HCR met l’accent sur la crédibilité et la cohérence d’ensemble du récit qui doit servir de base à la formation de l’intime conviction du juge. La procédure du jugement doit donc avoir pour objectif d’être un réducteur d’incertitude quand bien même ne peut être complètement réduit le doute qui subsiste. Si celui-ci n’est pas trop important il doit bénéficier au demandeur. Le juge doit donc être capable d’évaluer sa propre subjectivité comme celle du demandeur dans l’appréhension des craintes de persécution.

* Quelle est la portée des contradictions voire du mensonge affectant la demande d’asile ? Face aux obstacles de toute nature élevés devant le demandeur d’asile dans le parcours qu’il doit effectuer, il n’est pas étonnant que celui-ci tente de lever ses difficultés en adaptant son comportement : il peut s’être confié au départ à un rédacteur occasionnel en français qui a pu prendre quelque liberté avec son récit voire même le remplacer par un autre; par la suite le demandeur introduira des différences qui ne manqueront pas de lui être opposées ; les repères en vigueur dans sa vie antérieure ne sont pas ceux qui lui sont désormais utiles (composition familiale, coutumes, calendrier); il peut souhaiter améliorer son argumentation en prenant quelque liberté avec la réalité, etc. Un comportement de « débusqueur de mensonge » aura vite fait d’invalider un discours en soulevant une seule contradiction alors que c’est la crédibilité d’ensemble qui doit être retenue. Au mythe du « réfugié menteur » (on a même pu parler de « peuple menteur ») on peut opposer celui du « juge bien pensant ».

La qualité du jugement en matière d’asile requiert donc une citoyenneté éprouvée du juge, ce qui n’est pas toujours le cas. D’où de fortes disparités dans les taux d’accord d’asile selon les présidences des formations de jugement, même si l’écart révélé par la statistique de ces disparités semble s’être réduite. En tout état de cause, d’importantes réformes pourraient être introduites dans la réglementation nationale. Leur inventaire devrait être le résultat du travail des parties concernées, mais on peut néanmoins avancer, à titre d’exemple : le rattachement de l’OFPRA au Premier ministre ; l’alignement du délai de recours devant la CNDA sur celui de  droit commun de la juridiction administrative, soit deux mois ; la limitation stricte du champ des jugements par voie d’ordonnances ; le maintien corrélatif des formations de jugement collégiales ; la suppression de la liste des pays d’origine sûrs ; la suppression de la notion d’asile interne ; l’alignement de la durée du titre de séjour de la protection subsidiaire (actuellement de quatre ans) sur celle des réfugiés reconnus (dix ans), etc.

Enfin, en raison de son histoire et de sa tradition ancienne, la France est légitime à faire des propositions d’évolution de la réglementation internationale, tant au niveau européen que mondial, le contexte ayant beaucoup changé depuis la Convention de Genève de 1951 et même du protocole de New York de 1967. Il ne s’agirait pas de modifier ces dispositions consacrées, mais de les compléter en tenant compte notamment du fait que les deux-tiers des réfugiés se trouvent en Afrique et en Asie ; que la reconnaissance ou la place de la protection subsidiaire et d’autres formes d’asile (climatique, temporaire …) doivent être révisés ; que le rôle du HCR doit être accru ; que les droits et les garanties juridiques doivent être consolidés, que soient le cas échéant normalisées les notions de pays d’origine sûrs, d’asile interne, de pays de transit, de la catégorie spécifique des réfugiés palestiniens, etc. Toutes ces questions, et d’autres éventuellement devant faire l’objet d’une concertation internationale. Le XXe siècle avait été qualifié de « siècle des réfugiés », le XXIe siècle pourrait être celui de l’ « avènement du genre humain » comme sujet de droit, sur la base du même principe d’égalité des femmes et des hommes, citoyennes et citoyens du monde.


[1] Rapport interministériel sous la direction de A. Le Pors, Immigration et développement économique et social, La documentation française, 1975. Ce rapport qui s’appuyait sur les modèles mathématiques macroéconomiques  alors utilisés contestait les affirmations officielles concernant le rôle des étrangers concernant l’emploi, le budget social et la balance des paiements de la nation.

[2] On notera la création du Haut Conseil à l’intégration en 1990 dont l’auteur de ces lignes sera membre jusqu’en juin 1993, démissionnant alors pour ne pas  cautionner les lois Pasqua sur la nationalité.

Droit d’asile et Citoyenneté

UTL de Paimpol (Côtes d’Armor) – 3 octobre 2019

DROIT D’ASILE, MIROIR DE LA CITOYENNETÉ

a question de l’étranger est présente dans toutes les dimensions de la citoyenneté. Dans ses valeurs puisque l’intérêt général se définit sur la base de la communauté nationale ; le principe d’égalité détermine le modèle d‘intégration ; la responsabilité se fonde sur le principe de laïcité. Dans son exercice et les moyens prévus à cet effet ; les droits et obligations du sujet de droit ; la démocratie locale et la capacité à intervenir dans les décisions de proximité ; les institutions et la représentation populaire. Dans sa dynamique qui s’exprime aujourd’hui dans une crise de civilisation une « métamorphose » selon le mot d’Edgard Morin, et conduit à s’interroger sur la nature de la mondialisation et le genre humain comme sujet de droit permettant d’évoquer la perspective d’une citoyenneté mondiale.

Le droit d’asile se situe dans toutes les interfaces de ces thèmes. Les réponses apportées au fil du temps au problème de l’immigration ont beaucoup varié. La question plus spécifique de l’asile a donné lieu, selon les pays, à des conceptions diverses et la France a pu, en raison de sa longue expérience en ce domaine, servir de référence (Patrie des droits de l’homme, Terre d’asile). Pour éclairer les problèmes d’aujourd’hui il est donc utile de revenir sur l’émergence et l’évolution du droit d’asile dans notre pays et son insertion dans une réglementation internationale de plus en plus déterminante. Le développement des flux migratoires est un problème mondial irréversible.

Dans ces conditions, on peut poser la question de manière simple : « Que doit faire le citoyen d’ici quand un citoyen d’ailleurs frappe à sa porte ? Et réciproquement ».

« Hospitalité signifie le droit qu’a un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas être traité en ennemi par ce dernier […], le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la surface de la Terre, laquelle étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint à supporter malgré tout leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre. Cependant, ce droit à l’hospitalité, c’est-à-dire le droit accordé aux nouveaux arrivants étrangers, ne s’étend pas au-delà des conditions de la possibilité d’essayer d’établir des relations avec les premiers habitants. C’est de cette manière que les continents éloignés peuvent établir entre eux des relations pacifiques, qui peuvent finir par être légalisées. »

Emmanuel Kant

Pour la paix perpétuelle, 1795

1. Vue d’ensemble sur l’asile dans le monde et en France

De fortes inégalités de protection dans le monde

Relevons tout d’abord que les flux migratoires Sud-Nord sont du même ordre de grandeur que les flux Nord-Sud ; les caractéristiques de ces populations sont évidemment très différentes. Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR) a comptabilisé, début 2018, quelque 68, 5 millions de personnes « déracinées » sous contrainte. Parmi elles, le HCR évalue à 25,4 millions le nombre de réfugiés. 85% des réfugiés viennent de pays en développement. 57% sont originaires du Soudan, d ‘Afghanistan, de Syrie. 67% des réfugiés se trouvaient en Afrique et en Asie, seulement 17% en Europe, 16 % dans les Amériques et le reste du monde. A cela il faut ajouter 3,1 millions de demandeurs d’asile et plus de 5 millions de Palestiniens assistés par l’UNRWA, une autre organisation des Nations Unies. On doit aussi déduire quelques centaines de milliers de réfugiés qui chaque année  retournent dans leur pays. Les principaux pays d’accueil sont : la Turquie (3,5 millions), l’Ouganda, le Pakistan, le Liban, l’Iran (ces derniers autour d’1 million). On compte 10 millions d’apatrides.

Il y a 10 à 12% d’immigrés dans la population française contre, par exemple, 16% en Suède ou 28% en Australie. Il n’y a pas de nombre optmal de population étrangère dans un pays. Mais l’asile ne représente qu’environ 6% des titres de séjour accordés. En 2018, la France a délivré 255 500 titres de séjour se répartissant, selon les catégories suivantes : économique 35 600, familiale 89 200, étudiants 82 600, humanitaire (incluant l’asile) 33 800 et divers  15 300.

Survol historique

De tous temps les peuples ont pratiqué l’asile, mais selon des motifs et des modalités très divers. En France, l’Église en a eu le monopole pendant tout le Moyen Âge. Elle accueillait qui elle voulait dans les lieux placés sous son autorité et pouvait frapper d’excommunication le monarque qui violait ces dépendances. Par l’Édit de Villers-Cotterêts de 1539 François 1er a mis fin à ce monopole. Par la suite la monarchie s’est montrée peu favorable à l’asile.

La Révolution française va initier la réputation de la « France terre d’asile » par l’article 2 de la Déclaration des droits de 1789 qui appelle à la résistance à l’oppression, mais surtout par les rédactions de la constitution de 1793 qui, outre qu’elle décrète le droit à l’insurrection, s’exprime ainsi sur l’asile : « Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » (art. 118) « il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » (art. 120). Le XIX° siècle sera accueillant en France (Frédéric Chopin, Heinrich Heine). Le XX° siècle pourra être considéré comme le siècle des réfugiés concernant successivement les Arméniens, les Russes, les Allemands, les Espagnols, les Juifs. Des instruments juridiques internationaux vont alors se mettre en place dans l’entre-deux guerres mais surtout après la seconde guerre mondiale : le droit d’asile figure à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le HCR est créé en 1950, la Convention de Genève adoptée le 28 juillet 1951, ne concerne à l’origine que les réfugiés  antérieurs à son adoption ; elle deviendra de portée générale par le Protocole de New York adopté en 1967.

 En France, en raison de la crise économique et des séquelles de la guerre, des sentiments xénophobes se développeront. Elle accueillera néanmoins 1 million de demandeurs d’asile à la fin des années 1930 (pour une population de 38 millions d’habitants), mais l’État français se déshonorera en livrant nombre d’entre eux à l’occupant nazi. La France ne ratifiera qu’avec retard les conventions internationales. Par la loi du 25 juillet 1952 elle créera l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission de recours des réfugiés (CRR) qui deviendra la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en 2008.

 À grands traits on peut caractériser l’évolution historique du droit d’asile en disant que l’on est passé, d’une part de la désignation d’un lieu à la protection de la personne et, d’autre part, d’un droit discrétionnaire à une protection nationale mais surtout internationale.

Les déterminants des politiques migratoires en France depuis 1945

Après la seconde guerre mondiale, c’est l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui a fixé le cadre juridique des conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Maintes fois modifiée elle a néanmoins été largement admise et les étrangers accueillis en période de croissance soutenue jusqu’aux années 1970, malgré les évènements dramatiques associés à la décolonisation. Une régression de l’accueil a lieu ensuite en raison du ralentissement de l’activité économique[1]. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a conduit, jusqu’en 1993, à des régularisations de séjour assez importantes au cours des premières années de la période, puis à des mesures coercitives de renvoi tandis que prenait naissance une politique intergouvernementale de l’asile au niveau européen[2].

Se développe ensuite, de 1993 à 1997 une politique coercitive vis-à-vis des étrangers, tandis que s’engage un transfert de compétences accompagné d’une harmonisation des politiques d’asile au niveau européen dans le cadre des accords Schengen du 14 juin 1995. La cohabitation de 1997 à 2002 enregistre des modifications juridiques substantielles sans pour autant modifier beaucoup la situation dans l’immédiat : traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, loi Chevènement du 11 mai 1998, Charte des droits fondamentaux adoptée au sommet de Nice le 27 décembre 2000.

De 2002 à 2012 se développe une politique sécuritaire à partir des lois de novembre-décembre 2003 anticipent des directives européennes jusqu’à la récente loi de transposition du 29 juillet 2015. L’influence de l’Union européenne est croissante dans la perspective d’un régime d’asile européen commun (Règlement Dublin II en 2003 réformant la convention Dublin de 1990, plusieurs directives successives dites « qualification », « procédure », « retour », directives du « paquet asile » en 2009). Les mouvements migratoires massifs observés en Europe depuis 2014 et les réactions très contrastées des pays de l’Union européenne témoignent de la précarité du dispositif. Sur l’ensemble de la période on peu distinguer trois phases au niveau européen: relations intergouvernementales (1945-1993), efforts d’harmonisation (1994-2002), recherche d’un régime commun (depuis 20.

 Il résulte de tout cela que les politiques migratoires suivies dépendent essentiellement de trois facteurs : le niveau d’activité économique, l’influence croissante de l’Union européenne, l’orientation politique du gouvernement en place selon le clivage droite-gauche.

2. Les conceptions de l’asile

Concepts et catégories

Il convient tout d’abord de ne pas confondre le demandeur d’asile et le réfugié. L’asile correspond à une situation de fait en même temps qu’il est un terme générique couvrant toute la matière. La qualité de réfugié est un statut juridique. La pratique de l’asile montre qu’il est erroné de distinguer radicalement les demandeurs d’asile et les migrants économiques. Tous les demandeurs d’asile au titre de l’un des critères requis par les textes juridiques, ont aussi des raisons économiques : comment imaginer qu’un étranger persécuté dans son pays puisse y obtenir un emploi et y mener une vie normale ? Et il existe des exploitations économiques qui relèvent de la persécution ; l’esclavage existe toujours en Mauritanie, par exemple et la vente d’êtres humains a été pratiquée récemment en Lybie.

Le droit d’asile permet de distinguer plusieurs catégories de bénéficiaires : l’asile constitutionnel prévu par la constitution, l’asile des réfugiés relevant du mandat du Haut commissariat des réfugiés des Nations Unies (HCR), l’asile des réfugiés au sens de la Convention de Genève (dont je parlerai dans un instant), l’asile au titre de l’unité de famille, la protection subsidiaire, la protection temporaire,  les asiles discrétionnaire et de fait. Le mot migrant, lui, n’a pas de signification juridique particulière.  

C’est l’article 1er de la Convention de Genève qui définit le plus clairement la qualité de réfugié : « Le terme « réfugié » s applique à toute personne qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social, ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays … ». Se trouvent ainsi combinés un élément subjectif (craignant) et un élément objectif (avec raison). La crainte de persécution doit être actuelle, personnelle et d’une certaine gravité. La qualité de réfugié est « reconnue », c’est-à-dire qu’elle a un caractère rétroactif. L’État qui reconnaît substitue sa protection à celle de l’État de nationalité. Les principales catégories de réfugiés ont été reprises par l’article 711-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elles peuvent s’analyser de la manière suivante en distinguant deux sources.

La source de l’asile constitutionnel  ouvre droit à la reconnaissance de la qualité de réfugié bien que, comme d’autres catégories mentionnées ci-dessus, il ne soit pas expressément retenu par la Convention de Genève, mais est l’écho des dispositions de la constitution de 1793 précédemment évoquées et que l’on retrouve sous forme du 4° alinéa du Préambule de la constitution de 1946 : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Au surplus, a été ajouté à la constitution un article 53-1 aux termes duquel, nonobstant les accords passés avec d’autres pays européens en matière d’asile, «  … même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ».  Bref, la France accorde l’asile a qui elle veut.

La source de l’asile dit conventionnel par référence à la Convention de Genève couvre la plupart des situations par les motifs qu’il retient.

Les opinions politiques peuvent être celles de l’opposition au pouvoir en place, avoir un caractère ouvertement militant ou résulter d’une simple imputation. Des motifs de conscience peuvent être reconnus à ce titre. Ex : Turquie, Syrie, Égypte.

L’appartenance à une minorité nationale ou ethnique est souvent la conséquence des découpages arbitraires de l’histoire, notamment à la suite de la décolonisation ou de l’effondrement de l’empire soviétique. La persécution pour ce motif peut se traduire par le bannissement, la spoliation, la purification ethnique. Ex : Côte d’Ivoire, Kosovo, Kurdes.

Le motif de confession religieuse englobe tout à la fois l’appartenance à une religion interdite, à une secte, voire aux partisans de la laïcité ou aux agnostiques ou aux athées. Ex : Chrétiens du Moyen-Orientt, Ouigours, Falungong.

L’appartenance à un certain groupe social vise des caractéristiques communes identifiant ce groupe et le caractère transgressif de cet état. Il s’agit souvent de l’homosexualité dans les pays où elle est condamnée. Ex : parents refusant l’excision, albinos, homosexuels.

Les auteurs de persécution considérés sont soit les autorités étatiques du pays d’origine ou, à défaut, de résidence habituelle. Il peut s’agir aussi d’organisations paraétatiques (partis, milices) ; ou encore d’autorités de fait installées de manière stable.

Les restrictions à l’asile

Depuis 2003 existe un autre type de protection relevant du droit d’asile : la protection subsidiaire qui est instruite comme les demandes d’asile par reconnaissance de la qualité de réfugié. Elle a remplacé la protection dite territoriale dont l’attribution dépendait discrétionnairement du ministère de l ‘Intérieur. Cette protection donne à son « bénéficiaire » ( qui n’est donc pas reconnu comme « réfugié ») un titre de séjour renouvelable de un an, porté récemment à quatre ans, au lieu de dix ans pour le réfugié. Ses motifs se situent en dehors des motifs de la Convention de Genève et concernent : des menaces graves contre la vie, des traitements inhumains ou dégradants, des menaces directes et individuelles concernant un civil en situation de violence généralisée.

L’asile interne est une autre forme de restriction : le demandeur d’asile devrait pouvoir se retrouver en sécurité dans une partie de son pays non concernée par les persécutions avant de demander asile à un pays étranger. Le conseil constitutionnel a encadré cette solution en exigeant que les conditions de vie dans la partie sécurisée permettent une vie normale (emploi, logement). Or la ligne de partage des zones est incertaine comme souvent la situation géopolitique de l’ensemble du pays. Enfin les États, en principe, ne reconnaissent que les États.

Par ailleurs, l’Union européenne avait décidé d’établir une liste de pays d’origine sûrs (POS) conduisant à une procédure accélérée en cas de demandeurs d’asile ayant la nationalité de ces pays, mais elle n’y est pas parvenue en raison des désaccords entre pays membres. Certains pays ont alors décidé d’établir la leur, dont la France sous la responsabilité de l’OFPRA. Cette liste a été régulièrement contestée par le Conseil d’État et les juges de l’asile n’en tiennent généralement pas compte dans leur appréciation tout comme la situation d’asile interne.

Les refus de l’asile

Outre le rejet à l’issue de la procédure, la qualité de réfugié peut être remise en cause de manière prétorienne, notamment dans le cas de fraude ou de changement de situation individuelle (naturalisation dans un pays tiers).

La qualité de réfugié peut aussi être retirée si les conditions du pays d’origine qui avaient été à la base de la reconnaissance ont cessé à l’occasion, par exemple, d’un changement de politique ou de régime. Néanmoins, les craintes peuvent persister, soit en raison de l’action de factions subsistantes de l’ancien pouvoir persécuteur, soit du fait de traumatismes physiques ou psychiques qui ne permettent pas au réfugié de retourner dans son pays sans conséquences graves. Ex : républicains espagnols, magistrat tunisien

La qualité de réfugié peut enfin être refusée par la voie de l’exclusion lorsqu’il y a « de sérieuses raisons de penser » que le demandeur s’est lui-même rendu coupables de crime contre la paix, d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité, d’un crime grave de doit commun ou d’actes contraires aux buts et principes des Nations Unies. Le paradoxe est que si les « séreuses raisons de penser » ne sont pas reconnues comme suffisantes pour l’exclure, la situation de l’intéressé étant néanmoins grave, il a toutes les chances de se voir reconnu comme réfugié. Exclu, il ne sera pas expulsé mais mis en résidence surveillée.

3. Un système « à bout de souffle » ?

Procédure et garanties

La procédure du droit d’asile est organisée dans la plupart des pays en deux phases. Une phase administrative se dédouble en une séquence   d’admission au séjour pour vérifier que la demande n’est pas « manifestement infondée », elle a lieu en France en zone d’attente ; puis une séquence de dépôt de la demande d’asile à l’OFPRA, établissement public qui instruit cette demande, prend sa décision et en cas d’accord assure la protection administrative et juridique du réfugié. La deuxième phase (pour les déboutés) est juridictionnelle auprès de la CNDA instance de recours contre les décisions de rejet de la demande par l’OFPRA ; il existe ensuite une possibilité (très limitée)  de pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. On retrouve ces quatre séquences dans la plupart des pays. Les possibilités d’intervention du HCR aux différents niveaux sont très variables. En France, la formation de jugement collégiale classique est composée d’un président, conseiller d’État, membre de la Cour des comptes, président de tribunal administratif, d’un assesseur nommé par le Vice-président du Conseil d’État et d’un assesseur nommé par le HCR sur avis conforme du Vice-président du Conseil d’État, caractéristique singulière dans notre État de droit et, semble-t-il,  dans le monde.

C’est un véritable « parcours du combattant » que doit effectuer le demandeur d’asile pour tenter de faire aboutir son projet. Le maintien en zone d’attente pour vérifier si sa demande n’est pas « manifestement infondée » peut durer jusqu’à 26 jours.  Il dispose ensuite d’un visa de 8 jours pour retirer un dossier de demande en préfecture (en réalité l’attente est beaucoup plus longue). Il doit déposer son dossier en français à l’OFPRA dans un délai de 21 jours. Il reçoit alors une autorisation provisoire de séjour (APS) de 3 mois renouvelable. L’OFPRA entendra le demandeur et statuera dans un délai moyen de 6 mois (3 mois dans la perspective de 2 mois selon le directeur de l’OFPRA). En cas de rejet de la demande l’intéressé pourra exercer un recours devant la CNDA dans le délai d’un mois suivant la notification du rejet de sa demande. La juridiction statuera dans un délai moyen de 5 mois en 2017. Le pourvoi en cassation est de portée réduite. Pour le demandeur d’asile, il s’agit donc d’une procédure à délais courts, difficile dans la constitution du dossier en français, coûteuse, avec des relations parfois compliquées devant les administrations concernées.

Des garanties couvrent le demandeur d’asile et le réfugié. S’agissant du demandeur, l’article 33 de la Convention de Genève pose tout d’abord, le principe de non refoulement de l’étranger sur le territoire d’accueil. Après le dépôt de sa demande, l’intéressé reçoit donc une autorisation provisoire de séjour (APS) de trois mois renouvelable. Il peut être hébergé dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) où il touche, au titre de l’aide sociale, sous conditions de ressources, l’allocation temporaire d’attente (ATA). Il reçoit une allocation pour la couverture de ses besoins individuels. Sauf exceptions, la situation de l’emploi lui était opposable s’il souhaitait travailler ; depuis 2018 il le peut au bout de quatre mois. Il bénéficie de la couverture médicale universelle (CMU) ou de l’aide médicale d’État (AME) s’il est entré irrégulièremen. Reconnu refugié, il bénéficie de droits et de garanties prévus d’une part par la Convention de Genève, d’autre part par la   législation interne du pays d’accueil. En France, ces droits sont proches de ceux des nationaux, à l’exception du droit au travail qui connaît des restrictions (accès à la fonction publique, par exemple) et du droit de vote. Outre l’effet suspensif de toute décision de renvoi durant la procédure (sous réserve de la situation spécifique de l’outre-mer), des garanties sont prévues en cas de renvoi (nécessité d’une décision de justice, pas de renvoi vers un pays à risques).

Des évolutions contrastées

Structures et procédure : Le système a connu cependant une évolution structurelle plutôt positive au cours des quinze dernières années. En 2005, le CESEDA a remplacé l’ordonnance de 1945. La CRR est devenue la CNDA en janvier 2008 et sa gestion a été placée sous l’autorité du Conseil d’État l’année suivante échappant ainsi au non sens de la gestion administrative, budgétaire et statutaire de l’OFPRA l’organisme dont elle est chargée de réviser les décisions. L’aide juridictionnelle a été attribuée sans condition de régularité de séjour à compter du 1er décembre 2008. La loi du 29 juillet 2015 et un décret du 16 octobre 2015 ont notamment institué une  procédure d’audience avec juge unique. Une réorganisation interne par arrêté du vice-président du Conseil d’État a créé 3 sections regroupant 11 chambres présidées par des présidents permanents. A été identifiée aussi la procédure devant une Grande chambre (sections réunies).

Statistiques : En 2018, la France a enregistré 122 700 demandes d’asile soit une progression de +22% par rapport à 2017 en progression depuis 2014. À l’inverse de la tendance à la baisse (-13%) observée par la plupart des pays européens, en baisse après le pic de 2015-2016. Elle se situe en deuxième position derrière l’Allemagne. La demande provient principalement, d’Afghanistan, d’Albanie et de Géorgie, de Guinée et de Côte d’Ivoire. Nombre des demandeurs en France sont des « dublinés ». Le nombre de protections accordées progresse et atteint 36% des demandes (27% directement à l’OFPRA, 9% après recours devant la CNDA. Il y a aussi une hausse des reconduites à la frontière.

Le droit : L’évolution jurisprudentielle est de plus en plus restrictive sous l’influence de l’Union européenne guidée par des préoccupations de contrôle des flux et de sécurisation. Étaient déjà d’origine européenne : la protection subsidiaire, la procédure Dublin II (le pays responsable de l’instruction de la demande est le pays d’entrée dans l’espace Schengen),  la liste des pays d’origine sûrs, l’allongement des durées de rétention (jusqu’à présent de 45 jours en France au maximum), de la durée d’interdiction de séjour, le développement de  l’externalisation, etc.  Le gouvernement français a souvent anticipé ces dispositions. En revanche, les juridictions européennes ont joué un rôle plutôt positif. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) reçoit les requêtes en interprétation. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille au respect des droits dans le traitement de l’asile. Elle a donné des définitions et des interprétations. Le Conseil constitutionnel, de son côté, dans plusieurs décisions, a rappelé un certain nombre de principes : affirmation de la souveraineté nationale, respect des droits de la défense, plénitude des garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs.

Le droit positif a été marqué par une évolution confirmant la primauté des préoccupations de contrôle des flux et de sécurité sur la protection des réfugiés. La loi du 29 juillet 2015 (loi Cazeneuve) prévoyait quelques dispositions positives : assistance d’un conseil pendant l’entretien à l’OFPRA, caractère suspensif de la reconduite même en procédure accélérée ; toutefois elle prévoyait aussi un raccourcissement des délais d’instruction et l’élargissement du recours au juge unique. La loi Colomb du 10 septembre 2018 comporte quelques ponts positifs précédemment soulignés concernant la protection subsidiaire, l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail, la possibilité pour un mineur reconnu réfugié d’être rejoint pas ses ascendants directs et ses frères et soeuirs mais elle comporte de nombreuses dispositions aggravant les aspects sécuritaires : réduction à six mois des délais d’instruction globaux, réduction de 120 à 90 jours du délai de dépôt de la demande d’asile après l’arrivée, allongement de 45 à90 jours du délai maximum en centre de rétention, etc.

Pour une « révolution culturelle » de l’asile

L’asile pose la question des relations qui peuvent être établies entre le citoyen d’ici et le citoyen d’ailleurs qui lui demande protection à défaut de pouvoir bénéficier de celle de son pays d’origine dont il a la nationalité, en raison des craintes de persécution qui seraient les siennes s’il devait y séjourner. Cette rencontre forme leurs citoyennetés respectives, mais leurs situations ne sont pas égales : l’accueillant est en position dominante en tant qu’occupant du lieu d’accueil sollicité sur lequel il exerce sa souveraineté. C’est cependant à lui qu’incombe la responsabilité de donner sens à son hospitalité, d’établir des règles de droit qui en permettent la mise en œuvre dans un cadre national et de contribuer à l’établissement d’un régime d’asile commun au plan international et mondial puisque la question se place désormais principalement à ce niveau.

Le fonctionnaire de l’OFPRA comme le juge et les rapporteurs de la CNDA doivent posséder de sérieuses compétences tant en matière de droit d’asile que de connaissances géopolitiques. Mais cela n’est pas suffisant, ils doivent aussi s’interroger en permanence sur leur responsabilité de citoyen dans les décisions qu’ils prennent d’accorder ou de refuser l’asile. Pour le juge notamment, il y a là une question culturelle et éthique qui implique que la clarté soit faite sur (au moins) trois questions.

* S’agit-il simplement d’appliquer le droit ou de rendre la justice ? Le droit positif n’est qu’un instrument et, en matière d’asile, l’appréciation des faits concourt de manière déterminante à la formation de l’intime conviction du juge laquelle est décisive. La décision est rendue « au nom du Peuple français » ce qui investit le juge d’une parcelle de souveraineté nationale faiblement susceptible d’être contestée. Or le juge admet difficilement qu’il dépend de lui même malgré les efforts qu’éventuellement il peut faire pour objectiver sincèrement ses décisions. Il dépend de son éducation, de sa religion ou de sa philosophie, de ses engagements éventuels, de ses intérêts personnels, des circonstances, de ses fréquentations, etc. I : est courant que certains juges parmi les plus sévères se défendent en disant « j’applique le droit ! » ce qui est généralement le cas. Mais, pour autant, ils ne rendent pas nécessairement la justice et n’encourent aucune sanction.

* La preuve de la persécution est-elle exigible ? Aucun texte national ou international ne prévoit la nécessité de la preuve à la charge du demandeur d’asile. Le Guide des procédures du HCR met l’accent sur la crédibilité et la cohérence d’ensemble du récit qui doit servir de base à la formation de l’intime conviction du juge. La procédure du jugement doit donc avoir pour objectif d’être un réducteur d’incertitude quand bien même ne peut être complètement réduit le doute qui subsiste. Si celui-ci n’est pas trop important il doit bénéficier au demandeur. Le juge doit donc être capable d’évaluer sa propre subjectivité comme celle du demandeur dans l’appréhension des craintes de persécution.

* Quelle est la portée des contradictions voire du mensonge affectant la demande d’asile ? Face aux obstacles de toute nature élevés devant le demandeur d’asile dans le parcours qu’il doit effectuer, il n’est pas étonnant que celui-ci tente de lever ses difficultés en adaptant son comportement : il peut s’être confié au départ à un rédacteur occasionnel en français qui a pu prendre quelque liberté avec son récit voire même le remplacer par un autre; par la suite le demandeur introduira des différences qui ne manqueront pas de lui être opposées ; les repères en vigueur dans sa vie antérieure ne sont pas ceux qui lui sont désormais utiles (composition familiale, coutumes, calendrier); il peut souhaiter améliorer son argumentation en prenant quelque liberté avec la réalité, etc. Un comportement de « débusqueur de mensonge » aura vite fait d’invalider un discours en soulevant une seule contradiction alors que c’est la crédibilité d’ensemble qui doit être retenue. Au mythe du « réfugié menteur » (on a même pu parler de « peuple menteur ») on peut opposer celui du « juge bien pensant ».

La qualité du jugement en matière d’asile requiert donc une citoyenneté éprouvée du juge, ce qui n’est pas toujours le cas. D’où de fortes disparités dans les taux d’accord d’asile selon les présidences des formations de jugement, même si l’écart révélé par la statistique de ces disparités semble s’être réduite. En tout état de cause, d’importantes réformes pourraient être introduites dans la réglementation nationale. Leur inventaire devrait être le résultat du travail des parties concernées, mais on peut néanmoins avancer, à titre d’exemple : le rattachement de l’OFPRA au Premier ministre ; l’alignement du délai de recours devant la CNDA sur celui de  droit commun de la juridiction administrative, soit deux mois ; la limitation stricte du champ des jugements par voie d’ordonnances ; le maintien corrélatif des formations de jugement collégiales ; la suppression de la liste des pays d’origine sûrs ; la suppression de la notion d’asile interne ; l’alignement de la durée du titre de séjour de la protection subsidiaire (actuellement de quatre ans) sur celle des réfugiés reconnus (dix ans), etc.

Enfin, en raison de son histoire et de sa tradition ancienne, la France est légitime à faire des propositions d’évolution de la réglementation internationale, tant au niveau européen que mondial, le contexte ayant beaucoup changé depuis la Convention de Genève de 1951 et même du protocole de New York de 1967. Il ne s’agirait pas de modifier ces dispositions consacrées, mais de les compléter en tenant compte notamment du fait que les deux-tiers des réfugiés se trouvent en Afrique et en Asie ; que la reconnaissance ou la place de la protection subsidiaire et d’autres formes d’asile (climatique, temporaire …) doivent être révisés ; que le rôle du HCR doit être accru ; que les droits et les garanties juridiques doivent être consolidés, que soient le cas échéant normalisées les notions de pays d’origine sûrs, d’asile interne, de pays de transit, de la catégorie spécifique des réfugiés palestiniens, etc. Toutes ces questions, et d’autres éventuellement devant faire l’objet d’une concertation internationale. Le XXe siècle avait été qualifié de « siècle des réfugiés », le XXIe siècle pourrait être celui de l’ « avènement du genre humain » comme sujet de droit, sur la base du même principe d’égalité des femmes et des hommes, citoyennes et citoyens du monde.


[1] Rapport interministériel sous la direction de A. Le Pors, Immigration et développement économique et social, La documentation française, 1975. Ce rapport qui s’appuyait sur les modèles mathématiques macroéconomiques  alors utilisés contestait les affirmations officielles concernant le rôle des étrangers concernant l’emploi, le budget social et la balance des paiements de la nation.

[2] On notera la création du Haut Conseil à l’intégration en 1990 dont l’auteur de ces lignes sera membre jusqu’en juin 1993, démissionnant alors pour ne pas  cautionner les lois Pasqua sur la nationalité.

Le droit d’asile – UTL du Pays bigouden – 26 février 2019

 

Penmarc’h, le 26 février 2019

 

LE DROIT D’ASILE, MIROIR DE LA CITOYENNETÉ

 

La question de l’étranger est présente dans toutes les dimensions de la citoyenneté. Dans ses valeurs puisque l’intérêt général se définit sur la base de la communauté nationale ; le principe d’égalité détermine le modèle d‘intégration ; la responsabilité se fonde sur le principe de laïcité. Dans son exercice et les moyens prévus à cet effet ; les droits et obligations du sujet de droit ; la démocratie locale et la capacité à intervenir dans les décisions de proximité ; les institutions et la représentation populaire. Dans sa dynamique qui s’exprime aujourd’hui dans une crise de civilisation une « métamorphose » selon le mot d’Edgard Morin, et conduit à s’interroger sur la nature de la mondialisation et le genre humain comme sujet de droit permettant d’évoquer la perspective d’une citoyenneté mondiale.

Le droit d’asile se situe dans toutes les interfaces de ces thèmes. Les réponses apportées au fil du temps au problème de l’immigration ont beaucoup varié. La question plus spécifique de l’asile a donné lieu, selon les pays, à des conceptions diverses et la France a pu, en raison de sa longue expérience en ce domaine, servir de référence (Patrie des droits de l’homme, Terre d’asile). Pour éclairer les problèmes d’aujourd’hui il est donc utile de revenir sur l’émergence et l’évolution du droit d’asile dans notre pays et son insertion dans une réglementation internationale de plus en plus déterminante. Le développement des flux migratoires est un problème mondial irréversible.

Dans ces conditions, on peut poser la question de manière simple : « Que doit faire le citoyen d’ici quand un citoyen d’ailleurs frappe à sa porte ? Et réciproquement ».

*****

« Hospitalité signifie le droit qu’a un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas être traité en ennemi par ce dernier […], le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la surface de la Terre, laquelle étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint à supporter malgré tout leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre. Cependant, ce droit à l’hospitalité, c’est-à-dire le droit accordé aux nouveaux arrivants étrangers, ne s’étend pas au-delà des conditions de la possibilité d’essayer d’établir des relations avec les premiers habitants. C’est de cette manière que les continents éloignés peuvent établir entre eux des relations pacifiques, qui peuvent finir par être légalisées. »

Emmanuel Kant

Pour la paix perpétuelle, 1795

****

Audience du 20 octobre 2013

 

1.Vue d’ensemble sur l’asile dans le monde et en France

De fortes inégalités de protection dans le monde

Relevons tout d’abord que les flux migratoires Sud-Nord sont du même ordre de grandeur que les flux Nord-Sud ; les caractéristiques de ces populations sont évidemment très différentes. Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR) a comptabilisé, début 2018, quelque 68, 5 millions de personnes « déracinées » sous contrainte. Parmi elles, le HCR évalue à 25,4 millions le nombre de réfugiés. 85% des réfugiés viennent de pays en développement. 57% sont originaires du Soudan, d ‘Afghanistan, de Syrie. 67% des réfugiés se trouvaient en Afrique et en Asie, seulement 17% en Europe, 16 % dans les Amériques et le reste du monde. A cela il faut ajouter 3,1 millions de demandeurs d’asile et plus de 5 millions de Palestiniens assistés par l’UNRWA, une autre organisation des Nations Unies. On doit aussi déduire quelques centaines de milliers de réfugiés qui chaque année retournent dans leur pays. Les principaux pays d’accueil sont : la Turquie (3,5 millions), l’Ouganda, le Pakistan, le Liban, l’Iran (ces derniers autour d’1 million). On compte 10 millions d’apatrides.

Il y a 10 à 12% d’immigrés dans la population française contre, par exemple, 16% en Suède ou 28% en Australie. Il n’y a pas de nombre optmale de population étrangère dans un pays. Mais l’asile ne représente qu’environ 6% des titres de séjour accordés. En 2018, la France a délivré 255 500 titres de séjour se répartissant, selon les catégories suivantes : économique 35 600, familiale 89 200, étudiants 82 600, humanitaire (incluant l’asile) 33 800 et divers 15 300.

Survol historique

De tous temps les peuples ont pratiqué l’asile, mais selon des motifs et des modalités très divers. En France, l’Église en a eu le monopole pendant tout le Moyen Âge. Elle accueillait qui elle voulait dans les lieux placés sous son autorité et pouvait frapper d’excommunication le monarque qui violait ces dépendances. Par l’Édit de Villers-Cotterêts de 1539 François 1er a mis fin à ce monopole. Par la suite la monarchie s’est montrée peu favorable à l’asile.

La Révolution française va initier la réputation de la « France terre d’asile » par l’article 2 de la Déclaration des droits de 1789 qui appelle à la résistance à l’oppression, mais surtout par les rédactions de la constitution de 1793 qui, outre qu’elle décrète le droit à l’insurrection, s’exprime ainsi sur l’asile : « Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » (art. 118) « il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » (art. 120). Le XIX° siècle sera accueillant en France (Frédéric Chopin, Heinrich Heine). Le XX° siècle pourra être considéré comme le siècle des réfugiés concernant successivement les Arméniens, les Russes, les Allemands, les Espagnols, les Juifs. Des instruments juridiques internationaux vont alors se mettre en place dans l’entre-deux guerres mais surtout après la seconde guerre mondiale : le droit d’asile figure à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le HCR est créé en 1950, la Convention de Genève adoptée le 28 juillet 1951, ne concerne à l’origine que les réfugiés antérieurs à son adoption ; elle deviendra de portée générale par le Protocole de New York adopté en 1967.

En France, en raison de la crise économique et des séquelles de la guerre, des sentiments xénophobes se développeront. Elle accueillera néanmoins 1 million de demandeurs d’asile à la fin des années 1930 (pour une population de 38 millions d’habitants), mais l’État français se déshonorera en livrant nombre d’entre eux à l’occupant nazi. La France ne ratifiera qu’avec retard les conventions internationales. Par la loi du 25 juillet 1952 elle créera l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission de recours des réfugiés (CRR) qui deviendra la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en 2008.

À grands traits on peut caractériser l’évolution historique du droit d’asile en disant que l’on est passé, d’une part de la désignation d’un lieu à la protection de la personne et, d’autre part, d’un droit discrétionnaire à une protection nationale mais surtout internationale.

Les déterminants des politiques migratoires en France depuis 1945

Après la seconde guerre mondiale, c’est l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui a fixé le cadre juridique des conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Maintes fois modifiée elle a néanmoins été largement admise et les étrangers accueillis en période de croissance soutenue jusqu’aux années 1970, malgré les évènements dramatiques associés à la décolonisation. Une régression de l’accueil a lieu ensuite en raison du ralentissement de l’activité économique[1]. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a conduit, jusqu’en 1993, à des régularisations de séjour assez importantes au cours des premières années de la période, puis à des mesures coercitives de renvoi tandis que prenait naissance une politique intergouvernementale de l’asile au niveau européen[2].

Se développe ensuite, de 1993 à 1997 une politique coercitive vis-à-vis des étrangers, tandis que s’engage un transfert de compétences accompagné d’une harmonisation des politiques d’asile au niveau européen dans le cadre des accords Schengen du 14 juin 1995. La cohabitation de 1997 à 2002 enregistre des modifications juridiques substantielles sans pour autant modifier beaucoup la situation dans l’immédiat : traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, loi Chevènement du 11 mai 1998, Charte des droits fondamentaux adoptée au sommet de Nice le 27 décembre 2000.

De 2002 à 2012 se développe une politique sécuritaire à partir des lois de novembre-décembre 2003 anticipent des directives européennes jusqu’à la récente loi de transposition du 29 juillet 2015. L’influence de l’Union européenne est croissante dans la perspective d’un régime d’asile européen commun (Règlement Dublin II en 2003 réformant la convention Dublin de 1990, plusieurs directives successives dites « qualification », « procédure », « retour », directives du « paquet asile » en 2009). Les mouvements migratoires massifs observés en Europe depuis 2014 et les réactions très contrastées des pays de l’Union européenne témoignent de la précarité du dispositif. Sur l’ensemble de la période on peu distinguer trois phases au niveau européen: relations intergouvernementales, efforts d’harmonisation, recherche d’un régime commun.

Il résulte de tout cela que les politiques migratoires suivies dépendent essentiellement de trois facteurs : le niveau d’activité économique, l’influence croissante de l’Union européenne, l’orientation politique du gouvernement en place selon le clivage droite-gauchE.

 

2. Les conceptions de l’asile

Concepts et catégories

Il convient tout d’abord de ne pas confondre le demandeur d’asile et le réfugié. L’asile correspond à une situation de fait en même temps qu’il est un terme générique couvrant toute la matière. La qualité de réfugié est un statut juridique. La pratique de l’asile montre qu’il est erroné de distinguer radicalement les demandeurs d’asile et les migrants économiques. Tous les demandeurs d’asile au titre de l’un des critères requis par les textes juridiques, ont aussi des raisons économiques : comment imaginer qu’un étranger persécuté dans son pays puisse y obtenir un emploi et y mener une vie normale ? Et il existe des exploitations économiques qui relèvent de la persécution ; l’esclavage existe toujours en Mauritanie, par exemple et la vente d’êtres humains a été pratiquée récemment en Lybie.

Le droit d’asile permet de distinguer plusieurs catégories de bénéficiaires : l’asile constitutionnel prévu par la constitution, l’asile des réfugiés relevant du mandat du Haut commissariat des réfugiés des Nations Unies (HCR), l’asile des réfugiés au sens de la Convention de Genève (dont je parlerai dans un instant), l’asile au titre de l’unité de famille, la protection subsidiaire, la protection temporaire, les asiles discrétionnaire et de fait. Le mot migrant, lui, n’a pas de signification juridique particulière.

C’est l’article 1er de la Convention de Genève qui définit le plus clairement la qualité de réfugié : « Le terme « réfugié » s applique à toute personne qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social, ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays … ». Se trouvent ainsi combinés un élément subjectif (craignant) et un élément objectif (avec raison). La crainte de persécution doit être actuelle, personnelle et d’une certaine gravité. La qualité de réfugié est « reconnue », c’est-à-dire qu’elle a un caractère rétroactif. L’État qui reconnaît substitue sa protection à celle de l’État de nationalité. Les principales catégories de réfugiés ont été reprises par l’article 711-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elles peuvent s’analyser de la manière suivante en distinguant deux sources.

La source de l’asile constitutionnel ouvre droit à la reconnaissance de la qualité de réfugié bien que, comme d’autres catégories mentionnées ci-dessus, il ne soit pas expressément retenu par la Convention de Genève, mais est l’écho des dispositions de la constitution de 1793 précédemment évoquées et que l’on retrouve sous forme du 4° alinéa du Préambule de la constitution de 1946 : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Au surplus, a été ajouté à la constitution un article 53-1 aux termes duquel, nonobstant les accords passés avec d’autres pays européens en matière d’asile, «  … même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ». Bref, la France accorde l’asile a qui elle veut.

La source de l’asile dit conventionnel par référence à la Convention de Genève couvre la plupart des situations par les motifs qu’il retient.

Les opinions politiques peuvent être celles de l’opposition au pouvoir en place, avoir un caractère ouvertement militant ou résulter d’une simple imputation. Des motifs de conscience peuvent être reconnus à ce titre. Ex : Turquie, Syrie, Égypte.

 L’appartenance à une minorité nationale ou ethnique est souvent la conséquence des découpages arbitraires de l’histoire, notamment à la suite de la décolonisation ou de l’effondrement de l’empire soviétique. La persécution pour ce motif peut se traduire par le bannissement, la spoliation, la purification ethnique. Ex : Côte d’Ivoire, Kosovo, Kurdes.

Le motif de confession religieuse englobe tout à la fois l’appartenance à une religion interdite, à une secte, voire aux partisans de la laïcité ou aux agnostiques ou aux athées. Ex : Chrétiens du Moyen-Priznt, Ouigours, Falungong.

L’appartenance à un certain groupe social vise des caractéristiques communes identifiant ce groupe et le caractère transgressif de cet état. Il s’agit souvent de l’homosexualité dans les pays où elle est condamnée. Ex : parents refusant l’excision, albinos, homosexuels.

Les auteurs de persécution considérés sont soit les autorités étatiques du pays d’origine ou, à défaut, de résidence habituelle. Il peut s’agir aussi d’organisations paraétatiques (partis, milices) ; ou encore d’autorités de fait installées de manière stable.

Les restrictions à l’asile

Depuis 2003 existe un autre type de protection relevant du droit d’asile : la protection subsidiaire qui est instruite comme les demandes d’asile par reconnaissance de la qualité de réfugié. Elle a remplacé la protection dite territoriale dont l’attribution dépendait discrétionnairement du ministère de l ‘Intérieur. Cette protection donne à son « bénéficiaire » ( qui n’est donc pas reconnu comme « réfugié ») un titre de séjour renouvelable de un an, porté récemment à quatre ans, au lieu de dix ans pour le réfugié. Ses motifs se situent en dehors des motifs de la Convention de Genève et concernent : des menaces graves contre la vie, des traitements inhumains ou dégradants, des menaces directes et individuelles concernant un civil en situation de violence généralisée.

L’asile interne est une autre forme de restriction : le demandeur d’asile devrait pouvoir se retrouver en sécurité dans une partie de son pays non concernée par les persécutions avant de demander asile à un pays étranger. Le conseil constitutionnel a encadré cette solution en exigeant que les conditions de vie dans la partie sécurisée permettent une vie normale (emploi, logement). Or la ligne de partage des zones est incertaine comme souvent la situation géopolitique de l’ensemble du pays.

Par ailleurs, l’Union européenne avait décidé d’établir une liste de pays d’origine sûrs (POS) conduisant à une procédure accélérée en cas de demandeurs d’asile ayant la nationalité de ces pays, mais elle n’y est pas parvenue en raison des désaccords entre pays membres. Certains pays ont alors décidé d’établir la leur, dont la France sous la responsabilité de l’OFPRA. Cette liste a été régulièrement contestée par le Conseil d’État et les juges de l’asile n’en tiennent généralement pas compte dans leur appréciation tout comme la situation d’asile interne.

Les refus de l’asile

Outre le rejet à l’issue de la procédure, la qualité de réfugié peut être remise en cause de manière prétorienne, notamment dans le cas de fraude ou de changement de situation individuelle (naturalisation dans un pays tiers).

La qualité de réfugié peut aussi être retirée si les conditions du pays d’origine qui avaient été à la base de la reconnaissance ont cessé à l’occasion, par exemple, d’un changement de politique ou de régime. Néanmoins, les craintes peuvent persister, soit en raison de l’action de factions subsistantes de l’ancien pouvoir persécuteur, soit du fait de traumatismes physiques ou psychiques qui ne permettent pas au réfugié de retourner dans son pays sans conséquences graves. Ex : républicains espagnols, magistrat tunisien

La qualité de réfugié peut enfin être refusée par la voie de l’exclusion lorsqu’il y a « de sérieuses raisons de penser » que le demandeur s’est lui-même rendu coupables de crime contre la paix, d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité, d’un crime grave de doit commun ou d’actes contraires aux buts et principes des Nations Unies. Le paradoxe est que si les « séreuses raisons de penser » ne sont pas reconnues comme suffisantes pour l’exclure, la situation de l’intéressé étant néanmoins grave, il a toutes les chances de se voir reconnu comme réfugié. Exclu, il ne sera pas expulsé mais mis en résidence surveillée.

 

3. Un système « à bout de souffle » ?

Procédure et garanties

La procédure du droit d’asile est organisée dans la plupart des pays en deux phases. Une phase administrative se dédouble en une séquence   d’admission au séjour pour vérifier que la demande n’est pas « manifestement infondée », elle a lieu en France en zone d’attente ; puis une séquence de dépôt de la demande d’asile à l’OFPRA, établissement public qui instruit cette demande, prend sa décision et en cas d’accord assure la protection administrative et juridique du réfugié. La deuxième phase (pour les déboutés) est juridictionnelle auprès de la CNDA instance de recours contre les décisions de rejet de la demande par l’OFPRA ; il existe ensuite une possibilité (très limitée) de pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. On retrouve ces quatre séquences dans la plupart des pays. Les possibilités d’intervention du HCR aux différents niveaux sont très variables. En France, la formation de jugement collégiale classique est composée d’un président, conseiller d’État, membre de la Cour des comptes, président de tribunal administratif, d’un assesseur nommé par le Vice-président du Conseil d’État et d’un assesseur nommé par le HCR sur avis conforme du Vice-président du Conseil d’État, caractéristique singulière dans notre État de droit et, semble-t-il, dans le monde.

C’est un véritable « parcours du combattant » que doit effectuer le demandeur d’asile pour tenter de faire aboutir son projet. Le maintien en zone d’attente pour vérifier si sa demande n’est pas « manifestement infondée » peut durer jusqu’à 26 jours. Il dispose ensuite d’un visa de 8 jours pour retirer un dossier de demande en préfecture (en réalité l’attente est beaucoup plus longue). Il doit déposer son dossier en français à l’OFPRA dans un délai de 21 jours. Il reçoit alors une autorisation provisoire de séjour (APS) de 3 mois renouvelable. L’OFPRA entendra le demandeur et statuera dans un délai moyen de 6 mois (3 mois dans la perspective de 2 mois selon le directeur de l’OFPRA). En cas de rejet de la demande l’intéressé pourra exercer un recours devant la CNDA dans le délai d’un mois (réduit à quinze jours en 2018) suivant la notification du rejet de sa demande. La juridiction statuera dans un délai moyen de 5 mois en 2017. Le pourvoi en cassation est de portée réduite. Pour le demandeur d’asile, il s’agit donc d’une procédure à délais courts, difficile dans la constitution du dossier en français, coûteuse, avec des relations parfois compliquées devant les administrations concernées.

Des garanties couvrent le demandeur d’asile et le réfugié. S’agissant du demandeur, l’article 33 de la Convention de Genève pose tout d’abord, le principe de non refoulement de l’étranger sur le territoire d’accueil. Après le dépôt de sa demande, l’intéressé reçoit donc une autorisation provisoire de séjour (APS) de trois mois renouvelable. Il peut être hébergé dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) où il touche, au titre de l’aide sociale, sous conditions de ressources, l’allocation temporaire d’attente (ATA). Il reçoit une allocation pour la couverture de ses besoins individuels. Sauf exceptions, la situation de l’emploi lui était opposable s’il souhaitait travailler ; depuis 2018 il le peut au bout de quatre mois. Il bénéficie de la couverture médicale universelle (CMU) ou de l’aide médicale d’État (AME) s’il est entré irrégulièrement. Sauf exceptions le droit au travail lui est opposable. Reconnu refugié, il bénéficie de droits et de garanties prévus d’une part par la Convention de Genève, d’autre part par la  législation interne du pays d’accueil. En France, ces droits sont proches de ceux des nationaux, à l’exception du droit au travail qui connaît des restrictions (accès à la fonction publique, par exemple) et du droit de vote. Outre l’effet suspensif de toute décision de renvoi durant la procédure (sous réserve de la situation spécifique de l’outre-mer), des garanties sont prévues en cas de renvoi (nécessité d’une décision de justice, pas de renvoi vers un pays à risques).

Des évolutions contrastées

Structures et procédure : Le système a connu cependant une évolution structurelle plutôt positive au cours des dix dernières années. En 2005, le CESEDA a remplacé l’ordonnance de 1945. La CRR est devenue la CNDA en janvier 2008 et sa gestion a été placée sous l’autorité du Conseil d’État l’année suivante échappant ainsi au non sens de la gestion administrative, budgétaire et statutaire de l’OFPRA l’organisme dont elle est chargée de réviser les décisions. L’aide juridictionnelle a été attribuée sans condition de régularité de séjour à compter du 1er décembre 2008. La loi du 29 juillet 2015 et un décret du 16 octobre 2015 ont notamment institué une procédure d’audience avec juge unique. Une réorganisation interne par arrêté du vice-président du Conseil d’État a créé 3 sections regroupant 11 chambres présidées par des présidents permanents. A été identifiée aussi la procédure devant une Grande chambre (sections réunies).

Statistiques : En 2018, la France a enregistré 122 700 demandes d’asile soit une progression de +22% par rapport à 2017 en progression depuis 2014. À l’inverse de la tendance à la baisse (-13%) observée par la plupart des pays européens, en baisse après le pic de 2015-2016. Elle se situe en deuxième position derrière l’Allemagne. La demande provient principalement, d’Afghanistan, d’Albanie et de Géorgie, de Guinée et de Côte d’Ivoire. Nombre des demandeurs en France sont des « dublinés ». Le nombre de protections accordées progresse et atteint 36% des demandes (27% directement à l’OFPRA, 9% après recours devant la CNDA. Il y a aussi une hausse des reconduites à la frontière.

 Le droit : L’évolution jurisprudentielle est de plus en plus restrictive sous l’influence de l’Union européenne guidée par des préoccupations de contrôle des flux et de sécurisation. Étaient déjà d’origine européenne : la protection subsidiaire, la procédure Dublin II (le pays responsable de l’instruction de la demande est le pays d’entrée dans l’espace Schengen), la liste des pays d’origine sûrs, l’allongement des durées de rétention (actuellement de 45 jours en France au maximum), de la durée d’interdiction de séjour, le développement de l’externalisation, etc. Le gouvernement français a souvent anticipé ces dispositions. En revanche, les juridictions européennes ont joué un rôle plutôt positif. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) reçoit les requêtes en interprétation. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille au respect des droits dans le traitement de l’asile. Elle a donné des définitions et des interprétations. Le Conseil constitutionnel, de son côté, dans plusieurs décisions, a rappelé un certain nombre de principes : affirmation de la souveraineté nationale, respect des droits de la défense, plénitude des garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs.

Le droit positif a été marqué par une évolution confirmant la primauté des préoccupations de contrôle des flux et de sécurité sur la protection des réfugiés. La loi du 29 juillet 2015 prévoyait quelques dispositions positives : assistance d’un conseil pendant l’entretien à l’OFPRA, caractère suspensif de la reconduite même en procédure accélérée ; toutefois elle prévoyait aussi un raccourcissement des délais d’instruction et l’élargissement du recours au juge unique. La loi Colomb du 10 septembre 2018 comporte quelques ponts positifs précédemment soulignés concernant la protection subsidiaire et l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail, mais elle comporte de nombreuses dispositions aggravant les aspects sécuritaires : réduction à six mois des délais d’instruction globaux, allongement de 45 à90 jours du délai maximum en centre de rétention, etc.

Pour une « révolution culturelle » de l’asile

L’asile pose la question des relations qui peuvent être établies entre le citoyen d’ici et le citoyen d’ailleurs qui lui demande protection à défaut de pouvoir bénéficier de celle de son pays d’origine en raison des craintes de persécution qui seraient les siennes s’il devait y séjourner. Cette rencontre forme leurs citoyennetés respectives, mais leurs situations ne sont pas égales : l’accueillant est en position dominante en tant qu’occupant du lieu d’accueil sollicité sur lequel il exerce sa souveraineté. C’est cependant à lui qu’incombe la responsabilité de donner sens à son hospitalité, d’établir des règles de droit qui en permettent la mise en œuvre dans un cadre national et de contribuer à l’établissement d’un régime d’asile commun au plan international et mondial puisque la question se place désormais principalement à ce niveau.

Le fonctionnaire de l’OFPRA comme le juge et les rapporteurs de la CNDA doivent posséder de sérieuses compétences tant en matière de droit d’asile que de connaissances géopolitiques. Mais cela n’est pas suffisant, ils doivent aussi s’interroger en permanence sur leur responsabilité de citoyen dans les décisions qu’ils prennent d’accorder ou de refuser l’asile. Pour le juge notamment, il y a là une question culturelle et éthique qui implique que la clarté soit faite sur (au moins) trois questions.

* S’agit-il simplement d’appliquer le droit ou de rendre la justice ? Le droit positif n’est qu’un instrument et, en matière d’asile, l’appréciation des faits concourt de manière déterminante à la formation de l’intime conviction du juge laquelle est décisive. La décision est rendue « au nom du Peuple français » ce qui investit le juge d’une parcelle de souveraineté nationale faiblement susceptible d’être contestée. Or le juge admet difficilement qu’il dépend de lui même malgré les efforts qu’éventuellement il peut faire pour objectiver sincèrement ses décisions. Il dépend de son éducation, de sa religion ou de sa philosophie, de ses engagements éventuels, de ses intérêts personnels, des circonstances, de ses fréquentations, etc.

* La preuve de la persécution est-elle exigible ? Aucun texte national ou international ne prévoit la nécessité de la preuve à la charge du demandeur d’asile. Le Guide des procédures du HCR met l’accent sur la crédibilité et la cohérence d’ensemble du récit qui doit servir de base à la formation de l’intime conviction du juge. La procédure du jugement doit donc avoir pour objectif d’être un réducteur d’incertitude quand bien même ne peut être complètement réduit le doute qui subsiste. Si celui-ci n’est pas trop important il doit bénéficier au demandeur. Le juge doit donc être capable d’évaluer sa propre subjectivité comme celle du demandeur dans l’appréhension des craintes de persécution.

* Quelle est la portée des contradictions voire du mensonge affectant la demande d’asile ? Face aux obstacles de toute nature élevés devant le demandeur d’asile dans le parcours qu’il doit effectuer, il n’est pas étonnant que celui-ci tente de lever ses difficultés en adaptant son comportement : il peut s’être confié au départ à un rédacteur occasionnel en français qui a pu prendre quelque liberté avec son récit voire même le remplacer par un autre; par la suite le demandeur introduira des différences qui ne manqueront pas de lui être opposées ; les repères en vigueur dans sa vie antérieure ne sont pas ceux qui lui sont désormais utiles (composition familiale, coutumes, calendrier); il peut souhaiter améliorer son argumentation en prenant quelque liberté avec la réalité, etc. Un comportement de « débusqueur de mensonge » aura vite fait d’invalider un discours en soulevant une seule contradiction alors que c’est la crédibilité d’ensemble qui doit être retenue. Au mythe du « réfugié menteur » on peut opposer celui du « juge bien pensant ».

La qualité du jugement en matière d’asile requiert donc une citoyenneté éprouvée du juge, ce qui n’est pas toujours le cas. D’où de fortes disparités dans les taux d’accord d’asile selon les présidences des formations de jugement, même si l’écart révélé par la statistique de ces disparités semble s’être réduite En tout état de cause, d’importantes réformes pourraient être introduites dans la réglementation nationale. Leur inventaire devrait être le résultat du travail des parties concernées, mais on peut néanmoins avancer, à titre d’exemple : le rattachement de l’OFPRA au Premier ministre ; l’alignement du délai de recours devant la CNDA sur celui de droit commun de la juridiction administrative, soit deux mois ; la limitation stricte du champ des jugements par voie d’ordonnances ; le maintien corrélatif des formations de jugement collégiales ; la suppression de la liste des pays d’origine sûrs ; la suppression de la notion d’asile interne ; l’alignement de la durée du titre de séjour de la protection subsidiaire (actuellement de quatre ans) sur celle des réfugiés reconnus (dix ans), etc.

Enfin, en raison de son histoire et de sa tradition ancienne, la France est légitime à faire des propositions d’évolution de la réglementation internationale, tant au niveau européen que mondial, le contexte ayant beaucoup changé depuis la Convention de Genève de 1951 et même du protocole de New York de 1967. Il ne s’agirait pas de modifier ces dispositions consacrées, mais de les compléter en tenant compte notamment du fait que les deux-tiers des réfugiés se trouvent en Afrique et en Asie ; que la reconnaissance ou la place de la protection subsidiaire et d’autres formes d’asile (climatique, temporaire …) doivent être révisés ; que le rôle du HCR doit être accru ; que les droits et les garanties juridiques doivent être consolidés, que soient le cas échéant normalisées les notions de pays d’origine sûrs, d’asile interne, de pays de transit, de la catégorie spécifique des réfugiés palestiniens, etc. Toutes ces questions, et d’autres éventuellement devant faire l’objet d’une concertation internationale. Le XXe siècle avait été qualifié de « siècle des réfugiés », le XXIe siècle pourrait être celui de l’ « avènement du genre humain » comme sujet de droit, sur la base du principe d’égalité des femmes et des hommes, citoyennes et citoyens du monde.

[1] Rapport interministériel sous la direction de A. Le Pors, Immigration et développement économique et social, La documentation française, 1975. Ce rapport qui s’appuyait sur les modèles mathématiques macroéconomiques alors utilisés contestait les affirmations officielles concernant le rôle des étrangers concernant l’emploi, le budget social et la balance des paiements de la nation.

[2] On notera la création du Haut Conseil à l’intégration en 1990 dont l’auteur de ces lignes sera membre jusqu’en juin 1993, démissionnant alors pour ne pas cautionner les lois Pasqua sur la nationalité.

« Val-de-Marne : les avocats en colère – Le Parisien, 1er décembre 2018

 

La rentrée du barreau a eu lieu vendredi dans un contexte de grève contre le projet de réforme de la justice.

Palais de justice de Créteil, ce vendredi après-midi. « Ceci n’est pas un robot ». Voilà ce qui était inscrit sur le masque des membres du Conseil de l’ordre. LP/Denis Courtine

C’est un barreau qui sait « gronder », et qui en a fait la démonstration vendredi. Les avocats du Val-de-Marne ont fait leur rentrée solennelle dans un contexte de protestation contre le projet de réforme de la justice.

« En ce moment il faut gronder », a expliqué dans une salle de cour d’assises remplie de robes noires dont celle de l’avocat Henri Leclerc, invité d’honneur, la bâtonnière Pascale Taelman.

« Lorsque le gouvernement projettera de supprimer les juges par des plateformes en tout genre, le barreau saura faire entendre sa voix », a-t-elle annoncé au sujet des inquiétudes liées notamment à la « dématérialisation » des procédures judiciaires, dénonçant des réformes qui ne seraient « envisagées que sous l’angle budgétaire ».

 

Manifestation lundi

 

Et de rappeler le « véritable attachement » à une « justice de qualité » des avocats, ceux qui restent « quand il n’y a plus personne », ont rappelé les avocats et secrétaires de la conférence Paul Louveau et Caroline Thévenin qui ont joué un vrai spectacle pour faire passer leur message.

La problématique des box vitrés, « des cages de verre sorties de nulle part » a également été longuement abordée. « Nous ne nous habituons pas à cette situation », a expliqué Pascale Taelman, souhaitant à ce barreau sur ce sujet et d’autres « qu’il se révolte toujours, car c’est l’essence même de l’avocat ».

de g. à d. : M° Henri Leclerc, M° Pascale Taelman, Anicet Le Pors

Comme dans d’autres tribunaux, leur grève pendant plusieurs jours a conduit au renvoi d’audiences. Cette grève a depuis été levée, mais le barreau appelle désormais à une manifestation lundi matin sur les marches du Palais. »

Le droit d’asile, miroir de la citoyenneté – Nanterre, 15 mars 2018 – UTL de Douarnenez, 22 février 2018 – Municipalité de Châteauponsac (Haute-Vienne), 31 janvier 2018 – Université du Temps Libre de Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine); 14 décembre 2017

La question de l’étranger est présente dans toutes les dimensions de la citoyenneté. Dans ses valeurs puisque l’intérêt général se définit sur la base de la communauté nationale, que le principe d’égalité détermine le modèle d‘intégration, que la responsabilité se fonde sur le principe de laïcité. Dans son exercice et les moyens prévus à cet effet : les droits et obligations du sujet de droit, la démocratie locale et la capacité à intervenir dans les décisions de proximité, les institutions et la représentation populaire. Dans sa dynamique qui s’exprime aujourd’hui dans une crise de civilisation une « métamorphose » selon le mot d’Edgard Morin, et conduit à s’interroger sur la nature de la mondialisation et le genre humain comme sujet de droit.

Le droit d’asile se situe dans toutes les interfaces de ces thèmes. Les réponses apportées au fil du temps au problème de l’immigration ont beaucoup varié. La question plus spécifique de l’asile a donné lieu, selon les pays, à des conceptions diverses et la France a pu, en raison de sa longue expérience en ce domaine, servir de référence. Pour éclairer les problèmes d’aujourd’hui il est donc utile de revenir sur l’émergence et l’évolution du droit d’asile dans notre pays et son insertion dans une réglementation internationale de plus en plus déterminante. Le développement des lux migratoires est un problème mondial irréversible.

 

« Hospitalité signifie le droit qu’a un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas être traité en ennemi par ce dernier […], le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la surface de la Terre, laquelle étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint à supporter malgré tout leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre. Cependant, ce droit à l’hospitalité, c’est-à-dire le droit accordé aux nouveaux arrivants étrangers, ne s’étend pas au-delà des conditions de la possibilité d’essayer d’établir des relations avec les premiers habitants. C’est de cette manière que les continents éloignés peuvent établir entre eux des relations pacifiques, qui peuvent finir par être légalisées. »

 Emmanuel Kant

Pour la paix perpétuelle, 1795

 

  1. Vue d’ensemble sur l’asile dans le monde et en France

De fortes inégalités de protection dans le monde

Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR) a comptabilisé en fin 2016 quelque 65, 6 millions de personnes déplacées sous contrainte (dont 40,5 en interne). Parmi elles, le HCR évalue à 22,5 millions le nombre de réfugiés, dont 17,2 sous mandat UNHCR. 55% des réfugiés sont originaires de Syrie, d’Afghanistan et du Sud Soudan. En 2016, 67% des réfugiés se trouvaient en Afrique et en Asie, seulement 17% en Europe, 16 % dans les Amériques. A cela il faut ajouter 2,8 demandeurs d’asile et noter l’existence de 5,3 millions de Palestiniens assistés par l’UNRWA, une autre organisation des Nations Unies. On a compté 552 000 retours .La Turquie a accueilli 2,9 millions de personnes devant le Pakistan, le Liban et l’Iran. L’Allemagne a enregistré 440 000 nouvelles demandes d’asile devant les États Unis, la Turquie, la France et la Grèce. On a enregistré 75 000 mineurs isolés. 1,5 millions de décisions ont été prises dont 0,9 million de reconnaisse du statut de réfugié ; ils provenaient principalement de Syrie, d’Afghanistan, et du Pakistan. L’Allemagne a accueilli 567 000 personnes en 2016 ; six pays, dont la Russie, on vu leur accueil diminuer.

En 2016, la France protégeait quelque 228 000 personnes. En 2015 elle se situait avec 225 000 personnes derrière l’Allemagne 387 000, à égalité avec les États Unis 273 000. Le Royaume Uni en protège 123 000, l’Italie 118 000, la Grèce 30 000, la Suède 169 000 ; mais rapporté au nombre d’habitants, la France protège quatre fois moins que ce dernier pays.

L’attribution des titres de séjour en France

L’asile ne représente qu’environ 6% des titres de séjour accordés. En 2016, la France a délivré 228 000 titres de séjour se répartissant, selon les catégories suivantes : économique 23 000, familiale 89 000, étudiants 73 000, humanitaire (incluant l’asile) 29 000 et divers 15 000.

Survol historique

 De tous temps les peuples ont pratiqué l’asile, mais selon des motifs et des modalités très divers. En France, l’Église en a eu le monopole pendant tout le Moyen Âge. Elle accueillait qui elle voulait dans les lieux placés sous son autorité et pouvait frapper d’excommunication le monarque qui violait ces dépendances. Par l’Édit de Villers-Cotterêts de 1539 François 1er a mis fin à ce monopole. Par la suite la monarchie s’est montrée peu favorable à l’asile

La Révolution française va initier la réputation de la « France terre d’asile » par l’article 2 de la Déclaration des droits de 1789 qui appelle à la résistance à l’oppression, mais surtout par les rédactions de la constitution de 1793 qui, outre qu’elle décrète le droit à l’insurrection, s’exprime ainsi sur l’asile : « Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » (art. 118) « il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » (art. 120). Le XIX° siècle sera accueillant en France (Frédéric Chopin, Heinrich Heine). Le XX° siècle pourra être considéré comme le siècle des réfugiés concernant successivement les Arméniens, les Russes, les Allemands, les Espagnols, les Juifs. Des instruments juridiques internationaux vont alors se mettre en place dans l’entre deux guerres mais surtout après la seconde guerre mondiale : le droit d’asile figure à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le HCR est créé en 1950, la Convention de Genève adoptée le 28 juillet 1951, ne concerne à l’origine que les réfugiés antérieurs à son adoption ; elle deviendra de portée générale par le Protocole de New York adopté en 1967.

En France, en raison de la crise économique et des séquelles de la guerre, des sentiments xénophobes se développeront. Elle accueillera néanmoins 1 million de demandeurs d’asile à la fin des années 1930 (pour une population de 38 millions d’habitants), mais l’État français se déshonorera en livrant nombre d’entre eux à l’occupant nazi. La France ne ratifiera qu’avec retard les conventions internationales. Par la loi du 25 juillet 1952 elle créera l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission de recours des réfugiés (CRR) qui deviendra la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en 2008.

À grands traits on peut caractériser l’évolution historique du droit d’asile en disant que l’on est passé, d’une part de la désignation d’un lieu à la protection de la personne et, d’autre part, d’un droit discrétionnaire à une protection nationale mais surtout internationale.

 Les déterminants des politiques migratoires en France depuis 1945

Après la seconde guerre mondiale, c’est l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui a fixé le cadre juridique des conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Maintes fois modifiée elle a néanmoins été largement admise et les étrangers accueillis en période de croissance soutenue jusqu’aux années 1970, malgré les évènements dramatiques associés à la décolonisation. Une régression de l’accueil a lieu ensuite en raison du ralentissement de l’activité économique[1]. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a conduit, jusqu’en 1993, à des régularisations de séjour assez importantes au cours des premières années de la période, puis à des mesures coercitives de renvoi tandis que prenait naissance une politique intergouvernementale de l’asile au niveau européen[2].

Se développe ensuite, de 1993 à 1997 une politique coercitive vis-à-vis des étrangers tandis que s’engage un transfert de compétences accompagné d’une harmonisation des politiques d’asile au niveau européen dans le cadre des accords Schengen du 14 juin 1995. La cohabitation de 1997 à 2002 enregistre des modifications juridiques substantielles sans pour autant modifier beaucoup la situation dans l’immédiat : traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, loi Chevènement du 11 mai 1998, Charte des droits fondamentaux adoptée au sommet de Nice le 27 décembre 2000.

De 2002 à 2012 se développe une politique sécuritaire à partir des lois de novembre-décembre 2003 anticipent des directives européennes jusqu’à la récente loi de transposition du 29 juillet 2015. L’influence de l’Union européenne est croissante dans la perspective d’un régime d’asile européen commun (Règlement Dublin II en 2003 réformant la convention Dublin de 1990, plusieurs directives successives dites « qualification », « procédure », « retour », directives du « paquet asile » en 2009). Les mouvements migratoires massifs observés en Europe depuis 2014 et les réactions très contrastées des pays de l’Union européenne témoignent de la précarité du dispositif.

Il résulte de tout cela que les politiques migratoires suivies dépendent essentiellement de trois facteurs : le niveau d’activité économique, l’influence croissante de l’Union européenne, l’orientation politique du gouvernement en place.

 

  1. Les conceptions de l’asile

Concepts et catégories

Il convient tout d’abord de ne pas confondre le demandeur d’asile et le réfugié. L’asile correspond à une situation de fait en même temps qu’il est un terme générique couvrant toute la matière. La qualité de réfugié est un statut juridique. La pratique de l’asile montre qu’il est erroné de distinguer radicalement les demandeurs d’asile et les migrants économiques. Tous les demandeurs d’asile au titre de l’un des critères requis par les textes juridiques, ont aussi des raisons économiques : comment imaginer qu’un étranger persécuté dans son pays puisse y obtenir un emploi et y mener une vie normale ? Et il existe des exploitations économiques qui relèvent de la persécution ; l’esclavage existe toujours en Mauritanie, par exemple.

Le droit d’asile permet de distinguer plusieurs catégories de bénéficiaires : l’asile constitutionnel prévu par la constitution, l’asile des réfugiés relevant du mandat du Haut commissariat des réfugiés des Nations Unies (HCR), l’asile des réfugiés au sens de la Convention de Genève (dont je parlerai dans un instant), l’asile au titre de l’unité de famille, la protection subsidiaire, la protection temporaire, les asiles discrétionnaire et de fait. Le mot migrant, lui, n’a pas de signification juridique particulière.

C’est l’article 1er de la Convention de Genève qui définit le plus clairement la qualité de réfugié : « Le terme « réfugié » s applique à toute personne qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social, ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays … ». Se trouvent ainsi combinés un élément subjectif (craignant) et un élément objectif (avec raison). La crainte de persécution doit être actuelle, personnelle et d’une certaine gravité. La qualité de réfugié est « reconnue », c’est-à-dire qu’elle a un caractère rétroactif. L’État qui reconnaît substitue sa protection à celle de l’État de nationalité. Les principales catégories de réfugiés ont été reprises par l’article 711-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elles peuvent s’analyser de la manière suivante en distinguant deux sources.

La source de l’asile constitutionnel ouvre droit à la reconnaissance de la qualité de réfugié bien que, comme d’autres catégories mentionnées ci-après il ne soit pas expressément mentionné par la Convention de Genève, mais est l’écho des dispositions de la constitution de 1793 précédemment mentionnées et que l’on retrouve sous forme du 4° alinéa du Préambule de la constitution de 1946 : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Au surplus, a été ajouté à la constitution un article 53-1 aux termes duquel, nonobstant les accords passés avec d’autre pays européens en matière d’asile, «  … même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ». Bref, la France accorde l’asile a qui elle veut.

La source de l’asile dit conventionnel par référence à la Convention de Genève couvre la plupart des situations par les motifs qu’il retient.

Les opinions politiques peuvent être celles de l’opposition au pouvoir en place, avoir un caractère ouvertement militant ou résulter d’une simple imputation. Des motifs de conscience peuvent être reconnus à ce titre.

L’appartenance à une minorité nationale ou ethnique est souvent la conséquence des découpages arbitraires de l’histoire, notamment à la suite de la décolonisation ou de l’effondrement de l’empire soviétique. La persécution pour ce motif peut se traduire par le bannissement, la spoliation, la purification ethnique.

Le motif de confession religieuse englobe tout à la fois l’appartenance à une religion interdite, à une secte, voire aux partisans de la laïcité ou aux agnostiques ou aux athées.

L’appartenance à un certain groupe social vise des caractéristiques communes identifiant ce groupe et le caractère transgressif de cet état. Il s’agit souvent de l’homosexualité dans les pays où elle est condamnée.

Les auteurs de persécution considérés sont soit les autorités étatiques du pays d’origine ou, à défaut, de résidence habituelle. Il peut s’agir aussi d’organisations paraétatiques (partis, milices) ; ou encore d’autorités de fait installées de manière stable.

Les restrictions à l’asile

Depuis 2003 existe un autre type de protection relevant du droit d’asile : la protection subsidiaire qui est instruite comme les demandes d’asile par reconnaissance de la qualité de réfugié. Elle a remplacé la protection dite territoriale dont l’attribution dépendait discrétionnairement du ministère de l ‘Intérieur. Cette protection donne à son « bénéficiaire » ( qui n’est donc pas reconnu comme « réfugié ») un titre de séjour renouvelable de un an, au lieu de dix ans pour le réfugié. Ses motifs se situent en dehors des motifs de la Convention de Genève et concernent : des menaces graves contre la vie, des traitements inhumains ou dégradants, des menaces directes et individuelles concernant un civil en situation de violence généralisée.

Le HCR a introduit la notion d’asile interne : le demandeur d’asile devrait pouvoir se retrouver en sécurité dans une partie de son pays non concernée par les persécutions. Le conseil constitutionnel a encadré cette solution en exigeant que les conditions de vie dans la partie sécurisée permettent une vie normale (emploi, logement).

L’Union européenne avait décidé d’établir une liste de pays d’origine sûrs (POS) conduisant à une procédure accélérée en cas de demandeurs d’asile ayant la nationalité de ces pays, mais elle n’y est pas parvenue en raison des désaccords entre pays membres. Certains pays ont alors décidé d’établir la leur, dont la France sous la responsabilité de l’OFPRA. Cette liste est régulièrement contestée par le Conseil d’État et les juges de l’asile n’en tiennent généralement pas compte dans leur appréciation.

Les refus de l’asile

Outre le rejet à l’issue de la procédure, la qualité de réfugié peut être remise en cause de manière prétorienne, notamment dans le cas de fraude ou de changement de situation individuelle (naturalisation dans un pays tiers).

La qualité de réfugié peut aussi être retirée si les conditions du pays d’origine qui avaient été à la base de la reconnaissance ont cessé à l’occasion, par exemple, d’un changement de politique ou de régime. Néanmoins, les craintes peuvent persister, soit en raison de l’action de factions subsistantes de l’ancien pouvoir persécuteur, soit du fait de traumatismes physiques ou psychiques qui ne permettent pas au réfugié de retourner dans son pays sans conséquences graves.

La qualité de réfugié peut enfin être refusée par la voie de l’exclusion lorsqu’il y a de sérieuses raisons de penser que le demandeur s’est lui-même rendu coupables de crime contre la paix, d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité, d’un crime grave de doit commun ou d’actes contraires aux buts et principes des Nations Unies. Le paradoxe est que si les « séreuses raisons de penser » ne sont pas reconnues comme suffisantes pour l’exclure, la situation de l’intéressé étant néanmoins grave, il a toutes les chances de se voir reconnu comme réfugié.

 

  1. Un système « à bout de souffle » ?

 Procédure et garanties

La procédure du droit d’asile est organisée dans la plupart des pays en deux phases. Une phase administrative se dédouble en une séquence   d’admission au séjour pour vérifier que la demande n’est pas « manifestement infondée », elle a lieu en France en zone d’attente ; puis une séquence de dépôt de la demande d’asile à l’OFPRA, établissement public qui instruit cette demande, prend sa décision et en cas d’accord assure la protection administrative et juridique du réfugié. La deuxième phase (pour les déboutés) est juridictionnelle auprès de la CNDA instance de recours contre les décisions de rejet de la demande par l’OFPRA ; il existe ensuite une possibilité (très limitée) de pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. On retrouve ces quatre séquences dans la plupart des pays. Les possibilités d’intervention du HCR aux différents niveaux sont très variables. En France, la formation de jugement collégiale classique est composée d’un président, conseiller d’État, membre de la Cour des comptes, président de tribunal administrati, d’un assesseur nommé par le Vice-président du Conseil d’État et d’un assesseur nommé par le HCR sur avis conforme du Vice-président du Conseil d’État, caractéristique singulière dans notre État de droit et dans le monde.

C’est un véritable « parcours du combattant » que doit effectuer le demandeur d’asile pour tenter de faire aboutir son projet. Le maintien en zone d’attente pour vérifier si sa demande n’est pas « manifestement infondée » peut durer jusqu’à 26 jours. Il dispose ensuite d’un visa de 8 jours pour retirer un dossier de demande en préfecture. Il doit déposer son dossier en français à l’OFPRA dans un délai de 21 jours. Il reçoit alors une autorisation provisoire de séjour (APS) de 3 mois renouvelable. L’OFPRA entendra le demandeur et statuera dans un délai moyen de 6 mois. En cas de rejet de la demande l’intéressé pourra exercer un recours devant la CNDA dans le délai d’un mois suivant la notification du rejet de sa demande. La juridiction statuera dans un délai moyen de 7 mois en 2016. Le pourvoi en cassation est de portée réduite. Pour le demandeur d’asile, il s’agit donc d’une procédure à délais courts, difficile dans la constitution du dossier en français, coûteuse, avec des relations parfois compliquées devant les administrations concernées.

Des garanties couvrent le demandeur d’asile et le réfugié. S’agissant du demandeur, l’article 33 de la Convention de Genève pose tout d’abord, le principe de non refoulement de l’étranger sur le territoire d’accueil. Après le dépôt de sa demande, l’intéressé reçoit donc une autorisation provisoire de séjour (APS) de trois mois renouvelable. Il peut être hébergé dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) où il touche, au titre de l’aide sociale, sous conditions de ressources, l’allocation temporaire d’attente (ATA) qui remplace l’allocation sociale globale (ASG) pendant toute la procédure : à défaut de cet hébergement, il touche une allocation pour demandeur d’asile (ADA). Sauf exceptions, la situation de l’emploi lui est opposable s’il souhaite travailler Il bénéficie de la couverture médicale universelle (CMU) ou de l’aide médicale d’État (AME) s’il est entré irrégulièrement. Sauf exceptions le droit au travail lui est opposable. Reconnu refugié, celui-ci bénéfcie de droits et de garanties prévus d’une part par la Convention de Genève, d’autre part par la  législation interne du pays d’accueil. En France, ces droits sont proches de ceux des nationaux, à l’exception du droit au travail qui connaît des restrictions (accès à la fonction publique, par exemple) et du droit de vote. Outre l’effet suspensif de toute décision de renvoi durant la procédure (sous réserve de la situation spécifique de l’outre-mer), des garanties sont prévues en cas de renvoi (nécessité d’une décision de justice, pas de renvoi vers un pays à risques).

Des évolutions contrastées

Structures : Le système a connu cependant une évolution structurelle plutôt positive au cours des dix dernières années. En 2005, le CESEDA a remplacé l’ordonnance de 1945. La CRR est devenue la CNDA en janvier 2008 et sa gestion a été placée sous l’autorité du Conseil d’État l’année suivante échappant ainsi au non sens de la gestion administrative, budgétaire et statutaire de l’OFPRA l’organisme dont elle est chargée de réviser les décisions. L’aide juridictionnelle a été attribuée sans condition de régularité de séjour à compter du 1er décembre 2008. La loi du 29 juillet 2015 et un décret du 16 octobre 2015 ont notamment institué une procédure d’audience avec juge unique. Une réorganisation interne par arrêté du vice-président du Conseil d’État a créé 3 sections regroupant 11 chambres présidées par des présidents permanents. A été identifiée aussi la procédure devant une Grande chambre (sections réunies).

Statistiques : On rappellera qu’’en 2011, la France était encore la première destination en Europe des demandeurs d’asile. Sa situation a fortement régressé au cours des dernières années. Cette régression est particulièrement forte si on rapporte les demandes à la population des pays. En 2015, au sein des pays développés, l’UNHCR faisait état de 421 000 demandes d’asile en Allemagne, 286 000 aux États Unis, 157 000 en Suède, 63 000 en France, 60 000 en Italie, 46 000 au Royaume Uni, 26 000 en Grèce. La France accueille donc environ un demandeur d’asile pour mille habitants contre 17/1 000 pour la Suède

En 2016, en France, on a accueilli globalement, 85 726 demandes (14 435 mineurs accompagnants et 7525 demandes de réexamens inclus – soit 63 935 sans ces catégories). L’OFPRA a pris 89 910 décisions et la CNDA 35 878. Pour un total de 36 553 protections accordées dont 9 547 protections subsidiaires, nombre le plus élevé de son histoire ; le taux d’admission global (apporté aux 63 935 demandés précitées) est de 38,1 % (28, 8 % pour l’OFPRA, 9,3% pour la CNDA soit pour cette dernière un quart du total des protections accotdées). La protection subsidiaire représente 26,1 % des protections totales. La CNDA a pris 42 958 décisions en 2016, 76 ;5% en audience et 23,7 % par ordonnances ‘dont 20,8% en ordonnances dites « nouvelles » (absence de moyen en réponse à la motivation de l’OFPRA). Le taux de renvois s’est élevé à 21,7%%. Le taux de recours devant la CNDA s’est élevé à 81,1%, avec un taux d’assistance d’avocat de 85% dont plus de la moitié au titre de l’aide juridictionnelle. Sur 647 pourvois devant le Conseil d’État (dont 14 de l’OFPRA) 16 ont censuré la juridiction et renvoyé l’affaire devant elle. 96, % des demandes d’aide judiciaire sont admises. Dans l’ ensemble de ses agents, la CNDA compte 55 % de catégories A (dont les 2/3 de contractuels : 67 %).

Jurisprudence : L’évolution jurisprudentielle est de plus en plus restrictive sous l’influence de l’Union européenne guidée par des préoccupations de contrôle des flux et de sécurisation. Étaient déjà d’origine européenne : la protection subsidiaire, la procédure Dublin II (le pays responsable de l’instruction de la demande est le pays d’entrée dans l’espace Schengen), la liste des pays d’origine sûrs, l’allongement des durées de rétention (actuellement de 45 jours en France au maximum), de la durée d’interdiction de séjour, le développement de l’externalisation, etc. Le gouvernement français a souvent anticipé ces dispositions. En revanche, les juridictions européennes ont joué un rôle plutôt positif. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) reçoit les requêtes en interprétation. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille au respect des droits dans le traitement de l’asile. Elle a donné des définitions et des interprétations. Le Conseil constitutionnel, de son côté, dans plusieurs décisions, a rappelé un certain nombre de principes : affirmation de la souveraineté nationale, respect des droits de la défense, plénitude des garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs.

La loi du 29 juillet 2015 a effectué la transposition en droit interne de directives européennes. Elle traduit une tonalité plus soucieuse de protection que celle qui se manifestait durant le quinquennat précédent. Une claire distinction est maintenue entre le droit d’asile et le droit des étrangers. On peut retenir comme avancées significatives : l’assistance au demandeur d’un conseil lors de l’entretien à l’OFPRA  (873 en 2016 dont 35 % d’avocats) ; le caractère suspensif du recours en procédure accélérée ; le développement rapide des capacités d’hébergement des centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA). Toutefois, on peut émettre des réserves concernant la décentralisation des résidences des demandeurs d’asile sur le territoire national sous peine de suppression des allocations en cas de refus. ; l’extension des demandes irrecevables ; le raccourcissement des délais à 4 mois devant l’OFPRA et 5 mois devant la CNDA est souhaitable sous la condition que des moyens suffisants soient accordés à ces deux instances pour leur permettre une instruction approfondie de chacune des demandes d’asile ; la limitation à 5 semaines du délai d’instruction et de jugement par la CNDA en cas de procédure accélérée n’est pas compatible avec la tenue de formations de jugement collégiales, en tout état de cause le recours élargi au juge unique est fort critiquable. Cette loi est ainsi apparue insuffisante pour répondre aussi bien aux problèmes de l’heure qu’aux nécessités de la mondialisation en ce domaine. Dans le même esprit, on peut regretter que les autorités publiques françaises n’aient pas adopté sous le précédent quinquennat une attitude plus conforme à la tradition de « la France terre d’asile » rappelée ci-dessus.

Au cours de l’été 2017 (conseil des ministres du 12 juillet 2017) a été formulé par le Premier ministre un plan migrants qui ne comporte pas de réforme importante. Il reprend des propositions de l’Union européenne : renforcer le rôle de garde-frontière de l’agence Frontex, développer les hot spots, accélérer le renvoi des « dublinés » vers le pays de leur arrivée. Le gouvernement reprend par ailleurs les propositions de ses prédécesseurs : réduction du délai global de décision à six mois, créations de nouvelles places d’accueil, élargissement de la durée maximale en centre de rétention. Il promet une large concertation sur ces sujets. On peut encore relever le double langage de l’exécutif réservant les déclarations humanistes au Président de la République (sommet de Bruxelles du 23 juin 2017) et les paroles sécuritaires au ministre de l’Intérieur, tous deux étant cependant favorables à un renvoi massif des demandeurs d’asile déboutés.


***********

Éléments du projet de loi « asile-immigration »

Points positifs (selon les appréciations dominantes des associations de soutien aux demandeurs d’asile)

– protection subsidiaire : titre de séjour porté de 1 an à 4 ans.

– autorisation de travail accordée au bout de 4  mois au lieu de 9 mois .

– titres de séjour accordé aux parents et collatéraux de mineurs reconnus réfugiés.

– création de deux  cartes de séjour aux étudiants après leurs études (recherche d’emploi avérée, projet de création d’entreprise)

 Points négatifs

– délai de dépôt de la demande inférieur à 90 jours après l’admission sur le territoire.

– délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile) CNDA après notification du rejet de la demande par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ramené de 1 mois à 15 jours (contre 2 mois pour les recours de droit commun devant les juridictions administratives).

– délai total de décision (OFPRA + CNDA) : objectif de passer de 11 mois actuellement à 6 mois.

– délai de rétention en centre avant expulsion porté de 45 jours à 90 jours (remise en liberté au-delà).

– création d’un délit de passage de frontière non autorisé.

– retour interdit en France pendant 3 ans  (RTF) pouvant être ajouté à l’obligation de quitter le territoire (OQTF)  dans certains cas (refus de photo, refus d’empreintes génitales ;..).

– possibilité de garde à vue d’identification de 24 heures.

– introduction dans la loi de la légitimation de la  circulaire Colomb sur le tri dans les centres d’hébergement.

– sanctions pénales alourdies pour les sans-papiers

– recours non suspensif devant la CNDA de reconduite à la frontière pour les renvois dans les pays considérés d’origine sûrs (POS).

***********

Pour une « révolution culturelle » de l’asile

L’asile pose la question des relations qui peuvent être établies entre le citoyen d’ici et le citoyen d’ailleurs qui lui demande protection à défaut de pouvoir bénéficier de celle de son pays d’origine en raison des craintes de persécution qui seraient les siennes s’il devait y séjourner. Cette rencontre forme leurs citoyennetés respectives, mais leurs situations ne sont pas égales : l’accueillant est en position dominante en tant qu’occupant du lieu d’accueil sollicité sur lequel il exerce sa souveraineté. C’est cependant à lui qu’incombe la responsabilité de donner sens à son hospitalité, d’établir des règles de droit qui en permettent la mise en œuvre dans un cadre national et de contribuer à l’établissement d’un régime d’asile commun au plan international et mondial puisque la question se place désormais principalement à ce niveau.

Le fonctionnaire de l’OFPRA comme le juge et les rapporteurs de la CNDA doivent posséder de sérieuses compétences tant en matière de droit d’asile que de connaissances géopolitiques. Mais cela n’est pas suffisant, ils doivent aussi s’interroger en permanence sur leur responsabilité de citoyen dans les décisions qu’ils prennent d’accorder ou de refuser l’asile. Pour le juge notamment, il y a là une question culturelle qui implique que la clarté soit faite sur (au moins) trois questions.

* S’agit-il simplement d’appliquer le droit ou de rendre la justice ? Le droit positif n’est qu’un instrument et, en matière d’asile, l’appréciation des faits concourt de manière déterminante à la formation de l’intime conviction du juge laquelle est décisive. La décision est rendue « au nom du Peuple français » ce qui investit le juge d’une parcelle de souveraineté nationale faiblement susceptible d’être contestée. Or le juge admet difficilement qu’il dépend de lui même malgré les efforts qu’éventuellement il peut faire pour objectiver sincèrement ses décisions. Il dépend de son éducation, de sa religion ou de sa philosophie, de ses engagements éventuels, de ses intérêts personnels, des circonstances, etc.

* La preuve de la persécution est-elle exigible ? Aucun texte national ou international ne prévoit la nécessité de la preuve à la charge du demandeur d’asile. Le Guide des procédures du HCR met l’accent sur la crédibilité et la cohérence d’ensemble du récit qui doit servir de base à la formation de l’intime conviction du juge. La procédure du jugement doit donc avoir pour objectif d’être un réducteur d’incertitude quand bien même ne peut être complètement réduit le doute qui subsiste. Si celui-ci n’est pas trop important il doit bénéficier au demandeur. Le juge doit donc être capable d’évaluer sa propre subjectivité comme celle du demandeur dans l’appréhension des craintes de persécution.

* Quelle est la portée des contradictions voire du mensonge affectant la demande d’asile ? Face aux obstacles de toute nature élevés devant le demandeur d’asile dans le parcours qu’il doit effectuer, il n’est pas étonnant que celui-ci tente de lever ses difficultés en adaptant son comportement : il peut s’être confié au départ à un rédacteur occasionnel en français qui a pu prendre quelque liberté avec son récit; rectifiant par la suite le demandeur introduira des différences qui ne manqueront pas de lui être opposées; les repères en vigueur dans sa vie antérieure ne sont pas ceux qui lui sont désormais utiles (composition familiale, coutumes, calendrier) ; il peut souhaiter améliorer son argumentation en prenant quelque liberté avec la réalité, etc. Un comportement de « débusqueur de mensonge » aura vite fait d’invalider un discours en soulevant une contradiction alors que c’est la crédibilité d’ensemble qui doit être retenue. Au mythe du « réfugié menteur » on peut opposer celui du « juge bien pensant ».

La qualité du jugement en matière d’asile requiert donc une citoyenneté éprouvée du juge, ce qui n’est pas toujours le cas. D’où de fortes disparités dans les taux d’accord d’asile selon les présidences des formations de jugement, même si l’écart révélé par la statistique de ces disparités semble s’être réduit. En tout état de cause, d’importantes réformes pourraient être introduites dans la réglementation nationale. Leur inventaire devrait être le résultat du travail des parties concernées, mais on peut néanmoins avancer, à titre d’exemple : le rattachement de l’OFPRA au Premier ministre ; l’alignement du délai de recours devant la CNDA sur celui de droit commun de la juridiction administrative, soit deux mois ; la limitation stricte du champ des jugements par voie d’ordonnances ; le maintien corrélatif des formations de jugement collégiales, ; la suppression de la liste des pays d’origine sûrs ; la suppression de la notion d’asile interne ; l’alignement de la durée du titre de séjour de la protection subsidiaire (actuellement un an) sur celle des réfugiés reconnus (dix ans), etc.

Enfin, en raison de son histoire et de sa tradition ancienne, la France est légitime à faire des propositions d’évolution de la réglementation internationale, tant au niveau européen que mondial, le contexte ayant beaucoup changé depuis la Convention de Genève de 1951 et même du protocole de New York de 1967. Il ne s’agirait pas de modifier ces dispositions consacrées, mais de les compléter en tenant compte notamment du fait que les deux-tiers des réfugiés se trouvent en Afrique et en Asie ; que la reconnaissance ou la place de la protection subsidiaire et d’autres formes d’asile (climatique, temporaire …) doivent être révisés ; que le rôle du HCR doit être accru ; que les droits et les garanties juridiques doivent être consolidés, que soient le cas échéant normalisées les notions de pays d’origine sûrs, d’asile interne, de pays de transit, etc. Toutes ces questions, et d’autres éventuellement devant faire l’objet d’une concertation internationale. Le XXe siècle avait été qualifié de « siècle des réfugiés », le XXIe siècle pourrait être celui de l’ « avènement du genre humain » comme sujet de droit, sur la base du principe d’égalité des femmes et des hommes, citoyennes et citoyens du monde.

 

[1] Rapport interministériel sous la direction de A. Le Pors, Immigration et développement économique et social, La documentation française, 1975. Ce rapport qui s’appuyait sur les modèles mathématiques macroéconomiques alors utilisés contestait les affirmations officielles concernant le rôle des étrangers concernant l’emploi, le budget social et la balance des paiements de la nation.

[2] On notera la création du Haut Conseil à l’intégration en 1990 dont l’auteur de ces lignes sera membre jusqu’en juin 1993, démissionnant alors pour ne pas cautionner les lois Pasqua sur la nationalité.

« Persécutés au pays, déboutés en France » -Rapport du Centre Primo Lévi – 2016

Réfugiés. Cour Nationale du Droit d'Asile.

Préface

« LE DROIT D’ASILE EST LE MIROIR DE LA CITOYENETE »

La Convention de Genève du 28 juillet 1951 qui est la référence internationale du droit d’asile considère que la qualité de « réfugié » doit être reconnue à toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social, de sa nationalité oui de ses opinions politiques ». L’appréciation de ces critères conduisant à une décision rendue « au Nom du Peuple français » doit donc se faire selon deux dimensions, l’une subjective (« craignant » ), l’autre objective (« avec raison ») et tous les acteurs du processus conduisant à la décision ont vocation à donner leur avis. C’est donc à bon droit que ce rapport du Centre Primo Lévi apporte une sa contribution à l’approfondissement d’une question difficile.

La nécessaire conjonction des efforts des intervenants doit prendre en compte leurs différences d’approches : le temps du praticien médical n’est pas celui du fonctionnaire et du juge, la qualification de la persécution peut différer entre eux, le moment de leur diagnostic et leur poids dans la décision finale ne sont pas les mêmes, et pourtant nul ne peut contester que leur coopération soit nécessaire au rendu d’une bonne justice, au devoir d’hospitalité, au respect de la personne du citoyen venu d’ailleurs qui demande protection au citoyen d’ici, lui-même interpelé par cette rencontre avec l’étranger en souffrance. Le droit d’asile est le miroir de la citoyenneté.

Juge de l’asile

Le médecin, s’il a pleine compétence pour apprécier l’état physique et psychique du demandeur d’asile, du réfugié ou du débouté ne peut s’engager qu’avec prudence dans l’appréciation des faits invoqués et des règles de droit. De son côté, le juge ne peut prétendre rendre correctement la justice s’il considère que, parce qu’il est investi d’une parcelle de souveraineté nationale, son jugement ne souffre pas la critique. Il n’a pas à exiger la preuve de la persécution car aucun texte n’institue cette obligation. Le droit, si important qu’il soit, n’est qu’un instrument au service de la justice et ne saurait dispenser le juge de s’interroger sur sa responsabilité personnelle de citoyen, déterminé par son éducation, sa philosophie, des engagements. Enfin, il doit refuser de se comporter en « débusqueur de mensonges » face aux inévitables contradictions que l’on rencontre dans tous les dossiers. Il ne doit pas être en repos constatant que, même dans les cas les plus bienveillants, le juge crée aujourd’hui plus de clandestins qu’il ne reconnaît de réfugiés.

Il revient enfin à tous les intervenants dans la procédure de s’interroger sur un droit qui a beaucoup dérivé depuis sa mise en place au lendemain de la seconde guerre mondiale d’une vocation à la protection du migrant vers des dispositions marquées de plus en plus par des motifs de sécurité, de contrôle des flux, quand ce n’est pas de refoulement. D’où le grand intérêt qu’il convient d’accorder aux recommandations de ce rapport comme base commune de réflexion et de proposition.Copie de Droit-d-asile2-Couverture

Anicet Le Pors

Ancien ministre – Conseiller d’État honoraire

Ancien président des formations de jugement

de la

Cour nationale du droit d’asile (CNDA)

Membre du Comité de soutien du Centre Primo Lévi

 

Université du temps libre de St-Renan (Finistère) – 27 septembre 2016

LE DROIT D’ASILE, MIROIR DE LA CITOYENNETE

Compte rendu de Jean Le Bot

Retraité de la fonction publique

 

A découvrir la file d’attente, à l’entrée de l’espace Culturel de Saint-Renan, ce mardi 27 septembre 2016, on pouvait se douter de l’intérêt suscité par la conférence proposée par l’UTL de l’Iroise.image

Le talent connu du conférencier, ancien ministre de la Fonction Publique, conseiller d’État honoraire, promu cette année même au grade prestigieux de commandeur de la Légion d’honneur, et sa notoriété nationale mais encore plus locale ( Lannilis et Plouguerneau, berceaux de sa famille sont tout proches) motivaient à eux seuls cet attrait. S’y ajoutait, cependant, le thème choisi, Le Droit d’Asile, miroir de la citoyenneté, tant l’actualité quotidienne regorgeait d’informations et de questionnements sur le sort des réfugiés, sur les dramatiques images véhiculées par la télévision. Peut-être aussi, remontant d’un passé séculaire, le souvenir, voire la survivance d’une pratique ancestrale, bien ancrée en Bretagne, celle de l’hospitalité, n’était-elle pas étrangère à cette attirance. L’existence de lieux d’asile et de refuge, dans le Finistère particulièrement, est bien révélée par la sémantique des noms de villages où ce droit était exercé, les Minihy (Menec’h ty, maison des moines, monastère). Ainsi, parmi les lieux d’asile recensés grâce aux recherches et études locales, il est attesté l’existence d’un Minihy dans la paroisse de Plouvien, les seigneurs de Kernazret, implantés à Loc Brévalaire, accolant même à leur titre le nom de Du Refuge. A Logonna-Daoulas, un village a conservé le nom de Clemenehy, rémanence d’un asile où n’importe qui pouvait trouver refuge quels que soient les crimes ou délits reprochés.

DSC_5088_cr

Après la projection d’extraits d’un film L’Asile de droit, mettant en scène des cas concrets de la procédure difficile et du véritable parcours du combattant que connaissent les immigrants pour se voir reconnaître le statut de réfugiés, Monsieur Anicet LE PORS entamait son exposé par un extrait d’un ouvrage du philosophe Emmanuel KANT, prônant dès 1795, la nécessaire recherche d’une Paix perpétuelle entre les continents, sur le fondement de l’hospitalité, «le droit qu’à un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas être traité en ennemi par ce dernier».

Évoquant plus particulièrement la situation en France, le conférencier rappelait que sur une douzaine de millions de réfugiés dans le monde (la très grande majorité en Afrique et en Asie), les demandeurs d’asile représentent environ dix pour cent. Pour sa part, la France, en 2013, avait accordé un peu plus de 200 000 titres de séjour, dont 11 400 au titre de l’asile.

Un rapide survol historique confirmait que durant le Moyen-Âge, l’Église s’était attribuée le monopole de l’asile, et que le roi François 1er par son Édit de Villers-Cotterêts en 1539 avait mis fin à ce monopole au profit de la monarchie, peu favorable cependant à l’asile. C’est la Révolution française qui va donner à la France la réputation de Terre d’asile, consacrée dans la Constitution de 1793, instituant le droit d’asile «aux étrangers bannis de leur patrie pour cause de liberté». Le XXème siècle, siècle des réfugiés, procèdera à la mise en place des instruments juridiques permettant l’établissement de conventions internationales, notamment la Convention de Genève adoptée le 28 juillet 1950, ratifiée par la France, qui créera l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), puis la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Au terme de cette évolution, l’on est passé de la désignation d’un lieu (en Bretagne, par exemple, les Minihy) à la protection de la personne; d’un droit discrétionnaire du monarque à une protection nationale puis internationale.

Après la Seconde guerre mondiale l’ordonnance du 2 novembre 1945 a fixé le cadre juridique des conditions d’entrée et de séjour en France. L’arrivée de la Gauche au pouvoir en 1981 a conduit à des régularisations de séjour assez importantes, après une régression de l’accueil en raison du ralentissement de l’activité économique. Puis, au niveau européen les Accords de Schengen du 14 juin 1995 ont favorisé une harmonisation des politiques d’asile. Récemment la loi de transposition du 29 juillet 2015 a permis de toiletter les mesures antérieures, pour parvenir à une réduction des délais de procédure, en accroissant les moyens de l’OFPRA et en mettant la CNDA au cœur du dispositif contentieux.

Ces diverses dispositions permettent de distinguer deux concepts, celui de la qualité de réfugié qui correspond à un statut juridique, tandis que l’asile correspond à une situation de fait qui comporte diverses catégories, à titre d’exemples :

l’asile constitutionnel, l’asile au titre de l’unité de famille, la protection temporaire, la protection subsidiaire, les asiles discrétionnaires et de fait …

C’est l’article 1er de la Convention de Genève qui définit la qualité de réfugié, en l’attribuant à toute personne craignant avec raison d’être persécutée dans son pays d’origine, notamment pour ses opinions politiques, son appartenance à une minorité ethnique, sa confession religieuse ou son appartenance à un groupe social à caractère transgressif (p. ex. homosexualité).

A ces catégories, s’ajoute depuis 2003 la protection subsidiaire pour les personnes victimes de menaces graves contre la vie, de traitements inhumains, de menaces directes en situation de violence généralisée.

Il arrive, toutefois, que l’asile soit refusé par voie d’exclusion lorsqu’il y a de sérieuses raisons de penser que le demandeur s’est rendu coupable de crimes contre la paix, contre l’humanité, d’un crime de guerre ou d’un grave crime de droit commun; la difficulté étant d’apprécier si ces raisons sont suffisantes. Les cas de fraude ou de changement politique dans le pays d’origine peuvent aussi mettre un terme au titre de séjour de dix ans accordé à un réfugié.

La procédure du droit d’asile comporte une phase administrative, éventuellement suivie d’une phase juridictionnelle en cas de recours contre une décision de rejet.`

Sur le plan pécuniaire, le demandeur de droit d’asile bénéficie d’un certain nombre de garanties : un hébergement en centre d’accueil, une allocation temporaire d’attente, une allocation sociale globale, la couverture médicale universelle (ou l’aide médicale d’État s’il est entré irrégulièrement), ainsi que l’aide judiciaire depuis le 1er décembre 2008.

On note que l’évolution jurisprudentielle est de plus en plus restrictive, en raison des préoccupations de contrôle des flux et de sécurisation.

Ces préoccupations accroissent les difficultés des fonctionnaires (dans la phase administrative) comme des juges, tenus de posséder de sérieuses compétences juridiques et géopolitiques, afin de se forger l’intime conviction qui justifiera leur décision, dans l’appréciation des craintes de persécution avancées par le demandeur. Ils se trouvent, parfois, confrontés aux risques de mensonge ou de contradictions susceptibles d’affecter toute demande d’asile. Partant, de fortes disparités apparaissent dans la qualité et la portée des jugements.

En conclusion, le conférencier estime qu’on pourrait qualifier le XXI ème siècle «d’avènement du genre humain comme sujet de droit, sur la base du principe d’égalité des femmes et des hommes, citoyennes et citoyens du monde».

Mais au sortir de la salle, on s’interroge. Au-delà de l’aspect juridique du problème des réfugiés, et de son évolution structurelle plutôt positive, qu’en est-il, deux cents ans après l’essai philosophique d’Emmanuel KANT, de sa chimère d’une marche de l’humanité Vers la paix perpétuelle ? Avec lucidité, n’en mesurait-il pas lui-même les limites :

… «Si notre fin en ce qui concerne sa réalisation, demeure toujours un vœu pieux, nous ne nous trompons certainement pas en admettant la maxime d’y travailler sans relâche, puisqu’elle est un devoir

WP_20160927_14_36_44_Pro

DSC_5099r

Église réformée du 8e arrondissement de Paris – 31 mai 2016

Le droit d’asile

(Résumé)

croix-huguenoteweb600-225x300
Croix huguenote

Quelle attitude le citoyen d’ici doit-il adopter face au citoyen d’ailleurs qui frappe à sa porte et lui demande protection? La France a eu longtemps une réputation de « pays des droits de l’homme » en même temps que de « terre d’asile ». Qu’en est-il aujourd’hui face aux centaines de milliers de migrants qui affluent en Europe ? Le droit d’asile fixe au plan international les règles qui conduisent à la reconnaissance de la qualité de réfugiés. Mais au-delà doivent être pris en compte des aspects humanitaires et politiques : le XXIe siècle sera-t-il celui des réfugiés ?*

Pour répondre correctement à ces questions il convient tout d’abord de faire l’état des lieux sur l’asile dans le monde et en France et s’interroger sur les comportements qui ont été déterminants de l’asile au cours de l’histoire et notamment des dernières décennies. Le droit d’asile qui relevait jusqu’à la seconde guerre mondiale des prérogatives de chaque pays est devenu international avec l’adoption de la Convention de Genève de 1951, ratifiée aujourd’hui par la très grande majorité des pays. Cette convention évoque les craintes de persécutions politiques, religieuses, ethniques, nationales et autres qui justifient l’asile accordé par un pays à un étranger qui le demande. À l’asile sont associés des droits et des obligations pour son bénéficiaire et il est temporaire. Face aux récents évènements concernant l’accueil des étrangers, beaucoup disent que le système actuel est « à bout de souffle » ; qu’en est-il en réalité ? La question n’est pas seulement juridique elle touche à tous les aspects de la vie en société et à la citoyenneté. Car si le pays d’accueil apporte au réfugié celui-ci interpelle aussi le citoyen d’ici et participe à sa formation et à l’évolution des mentalités. C’est en ce sens que l’on peut dire que le droit d’asile est le miroir de la citoyenneté.

P1010605
Croix huguenote

*Conférence d’Anicet Le Pors, ancien ministre, conseiller d’État honoraire, auteur en 1976 du rapport interministériel Immigration et développent économique et social ; membre du Haut Conseil à l’intégration (1990-1993) ; président des formations de jugement de la Cour nationale du droit d’asile (2000-2014). Auteur des deux « Que sais-je ? » (PUF) sur La citoyenneté et Le droit d’asile.

4-PUF_LEPOR_2011_01_L148Copie de Droit-d-asile2-Couverture

Université du Temps Libre de Loudéac – 25 avril 2016

LE DROIT D’ASILE MIROIR DE LA CITOYENNETÉ

 La question de l’étranger est présente dans toutes les dimensions de la citoyennetéDans ses valeurs puisque l’intérêt général se définit sur la base de la communauté nationale, que le principe d’égalité détermine le modèle d‘intégration, que la responsabilité se fonde sur le principe de laïcité. Dans son exercice et les moyens prévus à cet effet : les droits et obligations du sujet de droit, la démocratie locale et la capacité à intervenir dans les décisions de proximité, les institutions et la représentation populaire. Dans sa dynamique qui s’exprime aujourd’hui dans une crise de civilisation et conduit à s’interroger sur la nature de la mondialisation et le genre humain comme sujet de droit.

Le droit d’asile se situe dans toutes les interfaces de ces thèmes. Les réponses apportées au fil du temps au problème de l’immigration ont beaucoup varié. La question plus spécifique de l’asile a donné lieu, selon les pays, à des conceptions diverses et la France a pu, en raison de sa longue expérience en ce domaine, servir de référence. Pour éclairer les problèmes d’aujourd’hui il est donc utile de revenir sur l’émergence et la réalité du droit d’asile dans notre pays et son insertion dans une réglementation internationale de plus en plus déterminante. Le développement des lux migratoires est un problème mondial irréversible.

« Hospitalité signifie le droit qu’a un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas être traité en ennemi par ce dernier […], le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la surface de la Terre, laquelle étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint à supporter malgré tout leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre. Cependant, ce droit à l’hospitalité, c’est-à-dire le droit accordé aux nouveaux arrivants étrangers, ne s’étend pas au-delà des conditions de la possibilité d’essayer d’établir des relations avec les premiers habitants. C’est de cette manière que les continents éloignés peuvent établir entre eux des relations pacifiques, qui peuvent finir par être légalisées. »

Emmanuel Kant

Pour la paix perpétuelle, 1795

 Réfugiés. Cour Nationale du Droit d'Asile.

1. Vue d’ensemble sur l’asile dans le monde et en France

De fortes inégalités de protection dans le monde

Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR) a comptabilisé au cours des dernières années de 10 à 12 millions de réfugiés dans le monde et 1,1 million de demandeurs d’asile. En 2013, 77 % d’entre eux se trouvaient en Afrique et en Asie, 15% en Europe et 8% dans les Amériques. La France en protégeait 232 000, derrière l’Allemagne 572 000, les États Unis 264 000, le Royaume Uni 126 000, la Suède 114 000 ; mais rapporté au nombre d’habitants, la France protège trois fois moins que ce dernier pays.

L’attribution des titres de séjour en France

L’asile ne représente qu’environ 6% des titres de séjour accordés. En 2013, la France a délivré 204 000 titres de séjour se répartissant, selon les catégories suivantes : économique 17 800, familiale 93 100, étudiants 62 600, humanitaire 17 400 dont 11 400 au titre de l’asile.

Survol historique

De tous temps les peuples ont pratiqué l’asile, mais selon des motifs et des modalités très divers. En France, l’Église en a eu le monopole pendant tout le Moyen Âge. Elle accueillait qui elle voulait dans les lieux placés sous son autorité et pouvait frapper d’excommunication le monarque qui violait ces dépendances. Par l’Édit de Villers-Cotterêts de 1539 François 1er a mis fin à ce monopole. Par la suite la monarchie s’est montrée peu favorable à l’asile. La Révolution française va initier la réputation de la « France terre d’asile » par l’article 2 de la Déclaration des droits de 1789 qui appelle à la résistance à l’oppression, mais surtout par les rédactions de la constitution de 1793 qui outre qu’elle décrète le droit à l’insurrection s’exprime ainsi sur l’asile : « Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » (art. 118) « il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » (art. 120). Le XIX° siècle sera accueillant en France (Frédéric Chopin, Heinrich Heine). Le XX° siècle pourra être considéré comme le siècle des réfugiés concernant successivement les Arméniens, les Russes, les Allemands, les Espagnols, les Juifs. Des instruments juridiques internationaux vont alors se mettre en place dans l’entre deux guerres mais surtout après la seconde guerre mondiale : le droit d’asile figure à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le HCR est créé en 1950, la Convention de Genève est adoptée le 28 juillet 1951, ne concernant à l’origine que les réfugiés antérieurs à son adoption elle sera de portée générale par le Protocole de New York de 1967. En France, en raison de la crise et des séquelles de la guerre, des sentiments xénophobes se développeront, elle accueillera néanmoins 1 millions de demandeurs d’asile à la fin des années 1930 (pour une population de 38 millions d’habitants), mais l’État français se déshonorera en livrant nombre d’entre eux à l’occupant nazi. La France ne ratifiera qu’avec retard les conventions internationales. Par la loi du 25 juillet 1952 elle créera l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission de recours des réfugiés (CRR) qui deviendra la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en 2008. À grands traits on peut caractériser l’évolution historique du droit d’asile en disant que l’on est passé, d’une part de la désignation d’un lieu à la protection de la personne et, d’autre part, d’un droit discrétionnaire à une protection nationale mais surtout internationale.

Les déterminants des politiques migratoires en France depuis 1945

Après la seconde guerre mondiale, c’est l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui a fixé le cadre juridique des conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Maintes fois modifiée elle a néanmoins été largement admise et les étrangers accueillis en période de croissance soutenue jusqu’aux années 1970, malgré les évènements dramatiques associés à la décolonisation. Une régression de l’accueil a lieu ensuite en raison du ralentissement de l’activité économique[1]. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a conduit, jusqu’en 1993, à des régularisations de séjour assez importantes au cours des premières années de la période, puis à des mesures coercitives de renvoi tandis que prenait naissance une politique intergouvernementale de l’asile au niveau européen[2]. Se développe ensuite, de 1993 à 1997 une politique coercitive vis-à-vis des étrangers tandis que s’engage un transfert de compétences, une harmonisation des politiques d’asile au niveau européen dans le cadre des accords Schengen du 14 juin 1995. La cohabitation de 1997 à 2002 enregistre des modifications juridiques substantielles sans pour autant modifier beaucoup la situation dans l’immédiat : traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, loi Chevènement du 11 mai 1998, Charte des droits fondamentaux adoptée au sommet de Nice le 27 décembre 2000. De 2002 à 2012 se développe une politique sécuritaire à partir des lois de novembre-décembre 2003 anticipent des directives européennes jusqu’à la récente loi de transposition du 29 juillet 2015. L’influence de l’Union européenne est croissante dans la perspective d’un régime d’asile européen commun (Règlement Dublin II en 2003, plusieurs directives successives dites « qualification », « procédure », « retour », directives du « paquet asile » en 2009). Il résulte de tout cela que les politiques migratoires suivies dépendent essentiellement de trois facteurs : le niveau d’activité économique, l’influence croissante de l’Union européenne, l’orientation politique du gouvernement en place.

2. Les conceptions de l’asile

quel-droit-d-asile,M250483Concepts et catégories

Il convient tout d’abord de ne pas confondre le demandeur d’asile et le réfugié. L’asile correspond à une situation de fait en même temps qu’il est un terme générique couvrant toute la matière. La qualité de réfugié est un statut juridique. La pratique de l’asile montre qu’il est erroné de distinguer radicalement les demandeurs d’asile et les migrants économiques. Tous les demandeurs d’asile au titre de l’un des critères énoncés précédemment ont aussi des raisons économiques : comment imaginer qu’un étranger persécuté dans son pays puisse y obtenir un emploi et y mener une vie normale ? Et il existe des exploitations économiques qui relèvent de la persécution ; l’esclavage existe toujours en Mauritanie, par exemple.

Le droit d’asile permet de distinguer plusieurs catégories : l’asile constitutionnel, l’asile des réfugiés relevant du mandat du Haut commissariat des réfugiés des Nations Unies (HCR), l’asile des réfugiés au sens de la Convention de Genève, l’asile au titre de l’unité de famille, la protection subsidiaire, la protection temporaire, les asiles discrétionnaire et de fait. Le mot migrant, lui, n’a pas de signification juridique particulière.

C’est l’article 1er de la Convention de Genève qui définit le plus clairement la qualité de réfugié : « Le terme « réfugié » s applique à toute personne qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social, ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays … ». Se trouvent ainsi combinés un élément subjectif (craignant) et un élément objectif (avec raison). La crainte de persécution doit être actuelle, personnelle et d’une certaine gravité. La qualité de réfugié est « reconnue », c’est-à-dire qu’elle a un caractère rétroactif. L’État qui reconnaît substitue sa protection à celle de l’État de nationalité. Les principales catégories de réfugiés ont été reprises par l’article 711-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elles peuvent s’analyser de la manière suivante.

L’asile constitutionnel ouvre droit à la reconnaissance de la qualité de réfugié bien que, comme d’autres catégories mentionnées ci-après il ne soit pas expressément mentionné par la Convention de Genève, mais est l’écho des dispositions de la constitution de 1793 précédemment mentionnées et que l’on retrouve sous forme du 4° alinéa du Préambule de la constitution de 1946 : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Au surplus, a été ajouté à la constitution un article 53-1 aux termes duquel, nonobstant les accords passés avec d’autre pays européens en matière d’asile, «  … même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ». Bref, la France accorde l’asile a qui elle veut.

L’asile dit conventionnel par référence à la Convention de Genève couvre la plupart des situations par les motifs qu’il retient.

Les opinions politiques peuvent être celles de l’opposition au pouvoir en place, avoir un caractère ouvertement militant ou résulter d’une simple imputation. Des motifs de conscience peuvent être reconnus à ce titre.

’appartenance à une minorité nationale ou ethnique est souvent la conséquence des découpages arbitraires de l’histoire, notamment à la suite de la décolonisation ou de l’effondrement de l’empire soviétique. La persécution pour ce motif peut se traduire par le bannissement, la spoliation, la purification ethnique.

Le motif de confession religieuse englobe tout à la fois l’appartenance à une religion interdite, à une secte, voire aux partisans de la laïcité ou aux agnostiques ou aux athées.

L’appartenance à un certain groupe social vise des caractéristiques communes identifiant ce groupe et le caractère transgressif de cet état. Il s’agit souvent de l’homosexualité dans les pays où elle est condamnée.

Les auteurs de persécution considérés sont soit les autorités étatiques du pays d’origine ou, à défaut, de résidence habituelle. Il peut s’agir aussi d’organisations paraétatiques (partis, milices) ; ou encore d’autorités de fait installées de manière stable.

es restrictions à l’asile

Depuis 2003 existe un autre type de protection relevant du droit d’asile : la protection subsidiaire qui est instruite comme les demandes d’asile par reconnaissance de la qualité de réfugié. Elle a remplacé la protection dite territoriale dont l’attribution dépendait discrétionnairement du ministère de l ‘Intérieur. Cette protection donne à son « bénéficiaire » ( qui n’est donc pas reconnu comme « réfugié ») un titre de séjour renouvelable de un an. Ses motifs se situent en dehors des motifs de la Convention de Genève et concernent : des menaces graves contre la vie, des traitements inhumains ou dégradants, des menaces directes et individuelles concernant un civil en situation de violence généralisée.

Le HCR a introduit la notion d’asile interne : le demandeur d’asile devrait pouvoir se retrouver en sécurité dans une partie de son pays non concernée par les persécutions. Le conseil constitutionnel a encadré cette solution en exigeant que les conditions de vie dans la partie sécurisée permettent une vie normale (emploi, logement).

L’Union européenne avait décidé d’établir une liste de pays d’origine sûrs (POS) conduisant à une procédure accélérée en cas de demandeurs d’asile ayant la nationalité de ces pays, mais elle n’y est pas parvenue en raison des désaccords entre pays membres. Certains pays ont alors décidé d’établir la leur, dont la France sous la responsabilité de l’OFPRA. Cette liste est régulièrement contestée par le Conseil d’État et les juges de l’asile n’en tiennent généralement pas compte.

Les refus de l’asile

utre le rejet à l’issue d’une procédure normale, l’asile peut être refusé par la voie de l’exclusion lorsqu’il y a de sérieuses raisons de penser que le demandeur s’est lui-même rendu coupables de crime contre la paix, d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité, d’un crime grave de doit commun ou d’actes contraires aux buts et principes des Nations Unies. Le paradoxe est que si les « séreuses raisons de penser » ne sont pas reconnues comme suffisantes, la situation de l’intéressé étant néanmoins grave, il a toutes les chances de se voir reconnu comme réfugié.

Le titre de séjour, de dix ans pour un réfugié, peut être retiré si les conditions qui l’avaient justifié cessent, en cas de changement politique intervenu dans le pays d’origine notamment, sauf conséquences graves persistantes sur l’état physique ou psychique de la personne.

Il peut aussi y avoir remise en cause prétorienne dans le cas de fraude ou de changement de situation individuelle.

 

3. Un système « à bout de souffle » ?

Copie de Droit-d-asile2-CouvertureProcédure et garanties

La procédure du droit d’asile est organisée dans la plupart des pays en deux phases. Une phase administrative se dédouble en une séquence   d’admission au séjour pour vérifier que la demande n’est pas « manifestement infondée », elle a lieu en France en zone d’attente ; puis une séquence de dépôt de la demande d’asile à l’OFPRA, établissement public qui instruit cette demande, prend sa décision et en cas d’accord assure la protection administrative et juridique du réfugié. La deuxième phase est juridictionnelle auprès de la CNDA instance de recours contre les décisions de rejet de la demande par l’OFPRA ; il existe ensuite une possibilité (très limitée) de pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. On retrouve ces quatre séquences dans la plupart des pays. Les possibilités d’intervention du HCR aux différents niveaux sont très variables.

C’est un véritable « parcours du combattant » que doit effectuer le demandeur d’asile pour tenter de faire aboutir son projet. La retenue en zone d’attente pour vérifier si sa demande n’est pas « manifestement infondée » peut durer jusqu’à 26 jours. Il dispose ensuite d’un visa de 8 jours pour retirer un dossier de demande en préfecture. Il doit déposer son dossier en français à l’OFPRA dans un délai de 21 jours. Il reçoit alors une autorisation provisoire de séjour de 3 mois renouvelable. L’OFPRA entendra le demandeur et statuera dans un délai moyen de 5 mois. En cas de rejet de la demande l’intéressé pourra exercer un recours devant la CNDA dans le délai d’un mois suivant la notification du rejet de sa demande. La juridiction statuera dans un délai moyen de l’ordre de 6 mois. Le pourvoi en cassation est réduit et incertain. Pour le demandeur d’asile, il s’agit donc d’une procédure à délais courts, difficile dans la constitution du dossier en français, coûteuse, avec des relations parfois difficiles devant les administrations concernées.

Des garanties couvrent le demandeur d’asile et le réfugié. S’agissant du demandeur, l’article 33 de la Convention de Genève pose tout d’abord, le principe de non refoulement de l’étranger sur le territoire d’accueil. Après le dépôt de sa demande, l’intéressé reçoit une autorisation provisoire de séjour (APS) de trois mois renouvelable. Il peut être hébergé dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) pendant toute la procédure ; à défaut il touche une allocation temporaire d’attente (ATA). Il reçoit une allocation sociale globale (ASG). Il bénéficie de la couverture médicale universelle (CMU) ou de l’aide médicale d’État s’il est entré irrégulièrement. Sauf exceptions le droit au travail lui est opposable.Reconnu refugié, celui-ci bénéficie de droits et de garanties prévus d’une part par la Convention de Genève, d’autre part par la législation interne du pays d’accueil. En France, ces droits sont proches de ceux des nationaux, à l’exception du droit au travail qui connaît des restrictions (accès à la fonction publique, par exemple) et du droit de vote. Outre l’effet suspensif de toute décision de renvoi durant la procédure, des garanties sont prévues en cas de renvoi (nécessité d’une décision de justice, pas de renvoi vers un pays à risques).

Des évolutions contrastées

Le système a connu cependant une évolution structurelle plutôt positive au cours des dix dernières années. En 2005, le CESEDA a remplacé l’ordonnance de 1945. La CRR est devenue la CNDA en janvier 2008 et sa gestion a été placée sous l’autorité du Conseil d’État l’année suivante échappant ainsi au non sens de la gestion administrative, budgétaire et statutaire de l’OFPRA l’organisme dont elle est chargée de réviser les décisions. L’aide judiciaire a été attribuée sans condition de régularité de séjour à compter du 1er décembre 2008.

n 2015, la France a délivré 26 700 protections, en hausse de 27% par rapport à 2014. Selon l’OFPRA le taux de protection passe de 28% en 2014 à 31,5% en 2015, 24,7% par l’OFPRA, 7,5% par la CNDA. 79 914 demandes ont été enregistrées (+ 23,3%) en croissance notamment de Syrie (+ 64%), du Soudan (+ 184%), d’Irak (+ 254%)., d’Afghanistan (+ 349%), mais aussi du Kosovo et d’Haïti. 97% des demandeurs Syriens se sont vu accorder une protection, depuis 2011, plus de 10 000 ont bénéficié d’une protection.

Ces données valables pour l’année 2015 sont partielles les rapports de l’OFPRA, de la CNDA et du HCR n’ayant pas encore été toutes publiées pour cette année. Sur les années précédentes, on rappellera que, jusqu’en 2011, la France était la première destination en Europe mais qu’elle a donc singulièrement régressé. En 2013, les procédures accélérées, moins protectrices, se sont élevées à 26%. La protection subsidiaire a représenté 20% des accords. 22 % des décisions de la CNDA ont été prises par voie d’ordonnances, sans audience devant une formation collégiale de jugement, dont 16% pour insuffisance de réponse à la motivation de l’OFPRA. En 2014, la CNDA a rendu 37 300 recours et renvoyé 24% des affaires. 90% des affaires ont été jugées avec l’assistance d’un avocat dont 54% au titre de l’aide judiciaire.

L’évolution jurisprudentielle est de plus en plus restrictive sous l’influence de l’Union européenne guidée par des préoccupations de contrôle des flux et de sécurisation. Étaient déjà d’origine européenne : la protection subsidiaire, la procédure Dublin II (le pays responsable de l’instruction de la demande est le pays d’entrée dans l’espace Schengen), l’asile interne, la liste des POS, l’allongement des durées de rétention, de la durée d’interdiction de séjour, le développement de l’externalisation, etc. Le gouvernement français a souvent anticipé ces dispositions. Les juridictions européennes ont joué un rôle plutôt positif. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) reçoit les requêtes en interprétation. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille au respect des droits dans le traitement de l’asile. Elle a donné des définitions et des interprétations. Le Conseil constitutionnel, de son côté, dans plusieurs décisions, a rappelé un certain nombre de principes : affirmation de la souveraineté nationale, respect des droits de la défense, plénitude des garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs.

La loi du 29 juillet 2015 a effectué la transposition en droit interne de directives européennes. Elle traduit une tonalité plus soucieuse de protection que celle qui se manifestait durant le quinquennat précédent. Une claire distinction est maintenue entre le droit d’asile et le droit des étrangers. On peut retenir comme avancées significatives : l’assistance au demandeur d’un conseil lors de l’entretien à l’OFPRA ; le caractère suspensif du recours en procédure accélérée ; le développement rapide des capacités d’hébergement des Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA). Toutefois, on peut émettre des réserves concernant la décentralisation des résidences des demandeurs d’asile sur le territoire national sous peine de suppression des allocations en cas de refus. ; le raccourcissement des délais à 4 mois devant l’OFPRA et 5 mois devant la CNDA est souhaitable sous la condition que des moyens suffisants soient accordés à ces deux instances pour leur permettre une instruction approfondie de chacune des demandes d’asile ; la limitation à 5 semaines du délai d’instruction et de jugement par la CNDA en cas de procédure accélérée n’est pas compatible avec la tenue de formations de jugement collégiales, en tout état de cause le recours élargi au juge unique est fort critiquable. Cette loi apparaît donc insuffisante pour répondre aussi bien aux problèmes de l’heure qu’aux nécessités de la mondialisation en ce domaine. Dans le même esprit, on peut regretter que les autorités publiques françaises n’aient pas adopté une attitude plus conforme à la tradition de « la France terre d’asile » rappelée ci-dessus.

Pour une « révolution culturelle » de l’asile

L’asile pose la question des relations qui peuvent être établies entre le citoyen d’ici et le citoyen d’ailleurs qui lui demande protection à défaut de pouvoir bénéficier de celle de son pays d’origine en raison des craintes de persécution qui seraient les siennes s’il devait y séjourner. Cette rencontre forme leurs citoyennetés respectives, mais leurs situations ne sont pas égales : l’accueillant est en position dominante en tant qu’occupant du lieu d’accueil sollicité. C’est cependant à lui qu’incombe la responsabilité de donner sens à son hospitalité, d’établir des règles de droit qui en permettent la mise en œuvre dans un cadre national et de contribuer à l’établissement d’un régime d’asile commun au plan international et mondial puisque la question se place désormais principalement à ce niveau.

Le fonctionnaire de l’OFPRA comme le juge de la CNDA doivent posséder de sérieuses compétences tant en matière de droit d’asile que de connaissances géopolitiques. Mais cela n’est pas suffisant, ils doivent aussi s’interroger en permanence sur leur responsabilité de citoyen dans les décisions qu’ils prennent d’accorder ou de refuser l’asile. Pour le juge notamment, il y a là une question culturelle qui implique que la clarté soit faite sur trois questions.

S’agit-il simplement d’appliquer le droit ou de rendre la justice ? Le droit positif n’est qu’un instrument et, en matière d’asile, l’appréciation des faits concourt de manière déterminante à la formation de l’intime conviction du juge laquelle est décisive. La décision est rendue « au nom du Peuple français » ce qui investit le juge d’une parcelle de souveraineté nationale faiblement susceptible d’être contestée. Or le juge admet difficilement qu’il dépend de lui même malgré les efforts qu’éventuellement il peut faire pour objectiver sincèrement ses décisions. Il dépend de son éducation, de sa religion ou de sa philosophie, de ses engagements, de ses intérêts personnels, des circonstances, etc.

La preuve de la persécution est-elle exigible ? Aucun texte national ou international ne prévoit la nécessité de la preuve à la charge du demandeur d’asile. Le Guide des procédures du HCR met l’accent sur la crédibilité et la cohérence d’ensemble du récit qui doit servir de base à la formation de l’intime conviction du juge. La procédure du jugement doit donc avoir pour objectif d’être un réducteur d’incertitude quand bien même ne peut être complètement réduit le doute qui subsiste. Si celui-ci n’est pas trop important il doit bénéficier au demandeur. Le juge doit donc être capable d’évaluer sa propre subjectivité comme celle du demandeur dans l’appréhension de ses craintes de persécution.

Quelle est la portée des contradictions voire du mensonge affectant la demande d’asile ? Face aux obstacles de toute nature élevés devant le demandeur d’asile dans le parcours qu’il doit effectuer il n’est pas étonnant que celui-ci tente de lever ses difficultés en adaptant son comportement : il peut s’être remis au départ à un rédacteur occasionnel en français qui a pu prendre quelque liberté avec son récit ; rectifiant par la suite le demandeur introduira des différences qui ne manqueront pas de lui être opposées ; les repères en vigueur dans sa vie antérieure ne sont pas ceux qui lui sont désormais utiles (composition familiale, coutumes, calendrier) ; il peut souhaiter améliorer son argumentation en prenant quelque liberté avec la réalité, etc. Un comportement de « débusqueur de mensonge » aura vite fait d’invalider un discours en soulevant une contradiction alors que c’est la crédibilité d’ensemble qui doit être retenue. Au mythe du « réfugié menteur » on peut opposer celui du « juge bien pensant ».

La qualité du jugement en matière d’asile requiert donc une citoyenneté éprouvée du juge, ce qui n’est pas toujours le cas. D’où de fortes disparités dans les taux d’accord d’asile selon les présidences des formations de jugement, même si l’écart révélé par la statistique de ces disparités semble s’être réduit. En tout état de cause, d’importantes réformes pourraient être introduites dans la réglementation nationale. Leur inventaire devrait être le résultat du travail des parties concernées, mais on peut néanmoins avancer, à titre d’exemple : le rattachement de l’OFPRA au Premier ministre ; l’alignement du délai de recours devant la CNDA sur celui de droit commun dans la juridiction administrative, soit deux mois ; la limitation stricte du champ des jugements par voie d’ordonnances ; le maintien corrélatif des formations de jugement collégiales, ; la suppression de la liste des POS ; la suppression de la notion d’asile interne ; l’alignement de la durée du titre de séjour de la protection subsidiaire (actuellement un an) sur celle des réfugiés reconnus (dix ans), etc.

Enfin, en raison de son histoire et de sa tradition ancienne, la France est légitime à faire des propositions d’évolution de la réglementation internationale, tant au niveau européen que mondial, le contexte ayant beaucoup changé depuis la Convention de Genève de 1951 et même du protocole de New York de 1967. Il ne s’agirait pas de modifier ces dispositions consacrées, mais de les compléter en tenant compte notamment du fait que plus des trois quarts des réfugiés se trouvent en Afrique et en Asie ; que la reconnaissance ou la place de la protection subsidiaire et d’autres formes d’asile (climatique, temporaire …) doivent être révisés ; que le rôle du HCR doit être accru ; que les droits et les garanties juridiques doivent être consolidés, que soient le cas échéant normalisées les notions de pays d’origine sûrs, d’asile interne, de pays de transit, etc. Toutes ces questions, et d’autres éventuellement devant faire l’objet d’une concertation internationale. Le XXe siècle avait été qualifié de « siècle des réfugiés », le XXIe siècle pourrait être celui de l’ « avènement du genre humain » comme sujet de droit, sur la base du principe d’égalité des femmes et des hommes, citoyennes et citoyens du monde.

 

[1] Rapport interministériel sous la direction de A. Le Pors, Immigration et développement économique et social, La documentation française, 1975. Ce rapport qui s’appuyait sur les modèles mathématiques alors utilisés contestait les affirmations officielles concernant le rôle des étrangers concernant l’emploi, le budget social et la balance des paiements de la nation.

2] On notera la création du Haut Conseil à l’intégration en 1993 dont l’auteur de ces lignes sera membre jusqu’en juin 1993 démissionnant alors pour ne pas cautionner les lois Pasqua sur la nationalité.