Autour d’une  » Passion commune « 

de  Jacques Marsaud*

Hôtel de Ville de Saint-Denis, le 5 décembre 2019

Cette rencontre est une contribution à la journée d’action nationale de ce jour.  S’agissant du service public,  je ne pense pas qu’il faille parler de Passion commune, le livre de Jacques Marsaud, comme le feraient les marchands et les financiers, c’es- à-dire « ici et maintenant », mais le situer dans une perspective historique et symbolique. Jacques peut, en effet, être regardé comme témoin de l’aboutissement d’une évolution de plusieurs siècles.

Une longue marche

 Il y avait au Moyen Âge une fonction publique locale et des agents à son service. En 1294, sous Philippe Le Bel on mentionne un statut de « tambour public ». Mais ensuite sous la monarchie absolue c’est la fonction publique de l’État qui conduira l’évolution plaçant la fonction publique territoriale dans une position subordonnée. Et ce n’est qu’en 1889 par l’arrêt Cadot que le Conseil d’État admettant sa compétence concernant les agents communaux les reconnaitra comme agents publics.  Ils resteront cependant déclassés par rapport aux fonctionnaires de l’État. Au point, par exemple, que la loi de finances du 31 décembre 1937 interdira aux élus de servir à leurs agents des rémunérations supérieures à celles de leurs homologues de l’État, disposition humiliante comme d’autres qui faisaient dire aux communaux jusqu’aux années 1970  lorsqu’ils étaient questionnés sur  leur situation professionnelle qu’ils étaient « assimilés fonctionnaires ». Aujourd’hui, Jacques Marsaud, comme il est dit sur la 4e de couverture du livre est « une figure de référence de l’administration des collectivités territoriales ».

 Il faut avoir conscience du chemin parcouru du tambour public à l’administrateur Jacques, au plus haut niveau dans la hiérarchie administrative au moment où ceux qui nous gouvernent voudraient nous faire rebrousse ce chemin de l’histoire en s’en prenant plus particulièrement à la fonction publique territoriale. Ils s’efforcent de contourner le principe constitutionnel de libre administration et considèrent que la fonction publique territoriale étant le « maillon faible » de  la construction statutaire – notamment en raison de l’importance du recrutement de contractuels qui y est pratiqué et de sa création relativement récente – elle doit être la cible principale de la remise en cause du statut. Mais c’est méconnaitre l’existence de tendances lourdes qui se sont manifestées dans l’histoire longue : sécularisation du pouvoir politique, expansion administrative, socialisation des financements sociaux, maturation des principes d’intérêt généra et de service public. Il reste que la régression néolibérale à laquelle on assiste depuis le début des années 1980, si elle s’inscrit contre ces tendances, ne les met pas fondamentalement en cause.

La fonction publique territoriale comme cible

Pour comprendre quel est l’enjeu, à la connaissance duquel Passion commune apporte une contribution, il peut être utile de revenir sur l’histoire plus récente, car la fonction publique territoriale a joué un rôle déterminant dans la construction statutaire actuelle. En effet, l’une des toute premières priorités de François Mitterrand élu Président de la République le 10 mai 1981 était de faire adopter une loi de décentralisation dont il avait confié le soin à sin ministre de l’Intérieur Gaston Defferre, maire de Marseille. Dans l’article 1er de ce projet (qui deviendra la loi du 2 mars 1982) étaient prévues des garanties statutaires renforcées pour les agents des collectivités territoriales, mais en se bornant à élargir les dispositions qui se trouvaient déjà dans le livre IV du code des communes. Dès lors, nommé ministre de la Fonction publique, j’y ai vu la perspective d’affirmation d’un système de fonction publique liant l’agent public étroitement à son métier et présentant, par là, moins de garanties que le statut général des fonctionnaires de l’État, avec le risque, à terme, d’un alignement de tous vers le bas. C’est pourquoi je suis intervenu le 27 juillet 1981 à l’Assemblée nationale, soit un mois  après mon entrée au gouvernement pour dire qu’il ne pouvait y avoir deux types de fonctions publiques et de fonctionnaires en France et que tous devaient bénéficier du système le plus protecteur, celui des fonctionnaires de l’État.

Passant sur les péripéties – en ajoutant cependant que le raisonnement a été étendu un peu plus tard aux agents des établissements publics hospitaliers et de recherche –  je peux résumer en disant que l’architecture statutaire actuelle résulte de quatre choix. Premièrement, le choix de la conception du fonctionnaire-citoyen contre celle du fonctionnaire-sujet qui avait prévalu pendant tout le XIXe  siècle et la première moitié du XXe   ; c’était l’héritage du statut de 1946 dont les communaux avaient été écartés. Deuxièmement,  le système de la carrière, assurant la garantie de l’emploi tout au long de la vie professionnelle, contre celui de l’emploi, ou plutôt du métier. Troisièmement, la fixation d’un équilibre entre les principes constitutionnels d’unité de la République et de libre administration des collectivités territoriales donnant naissance à une fonction publique unifiée mais « à trois versants ». Quatrièmement, l’établissement du dispositif sur des principes ancrés dans l’histoire : égalité, indépendance, responsabilité. D’où les quatre lois constitutives du statut général (Droits et obligations 12 juillet 1983, État 11 janvier 1984, territoriaux 26 janvier 1984, hospitaliers 9 janvier 1986).

C’est l’arrière-plan de Passion commune qui témoigne, d’une part de la solidité de l’édifice juridique en dépit de nombreuses attaques frontales du statut et de centaines de dénaturations législatives (225 en 30 ans dont 84 sur la loi relative à la fonction publique territoriale) pendant ses 36 ans d’existence ; d’autre part, de son adaptabilité, car comment accuser de rigidité un statut aussi souvent modifié et toujours debout. Ces qualités valent aussi pour chaque fonctionnaire comme en a témoigné Jacques Marsaud dont la carrière rapportée par le livre justifie que la mobilité ait été érigée dans le statut au rang de garantie fondamentale des fonctionnaires. Je considère ainsi qu’il n’y a pas lieu de changer de modèle et qu’il faut plus que jamais défendre une conception française de fonction publique en phase avec l’évolution de la société. Pour autant, la politique actuelle de l’exécutif doit être combattue car c’est une véritable régression de notre conception française de la fonction publique alors que les enjeux actuels appellent sa modernisation.

Régression ou modernisation

Les partisans du néolibéralisme, c’est-à-dire de l’extension de la loi du marché, de l’idéologie managériale à toute la société, de l’alignement du public sur le privé. Ils n’ont jamais désarmé dans la contestation  du statut général des fonctionnaires, s’efforçant de revenir à la situation antérieure au statut fondateur de  1946, a fortiori du statut fédérateur de  1983. La démarche d’Emmanuel Macron est chaotique mais sa stratégie est claire. Démarche chaotique, d’une part parce qu’elle s’inscrit dans la suite des offensives antérieures : loi Galland de 1987, rapport annuel du Conseil d’État de 2003, discours Sarkozy de 2007, livre blanc de Silicani de 2008, ainsi que les multiples dénaturations précédemment évoquées. D’autre part, du fait de l’opération dite CAP22 présentée en octobre 2017comme une machiné de guerre contre le service public, mais qui n’était qu’un leurre, le gouvernement sachant parfaitement ce qu’il voulait faire.

La loi du 6 août 2019 le confirme avec : recrutement massif de contractuels à tous niveaux, réduction des compétences des organismes de négociation, ruptures conventionnelles, plans de départs, rémunération dites au mérite, etc. Tout cela accompagné de discours formels sur la déontologie, le dialogue social et d’une importante bureaucratie (notamment au moins 50 renvois à des décrets en Conseil d’État). Les conséquences en sont : une confusion des finalités publiques et privées, un risque accru de conflits d’intérêts, une dégradation de l’éthique républicaine. Cette réforme est réalisée face à une contestation générale, notamment l’opposition de l’ensemble des syndicats de la fonction publique. Le gouvernement se heurte aussi au front des associations des élis locaux et je partage l’appréciation de M. Philippe Laurent, secrétaire général de l’Association des maires de France et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale qui considère qu’il peut être fait échec à la réforme passée en force si les maires refusent de recruter par la voie des contrats. Elle tourne le dos à la conception française républicaine de la fonction publique.

La modernité doit prendre appui sur trois axes. D’abord, la conception selon laquelle la fonction publique est le résultat d’un effort collectif ce qui implique le rétablissement d’un droit effectif de négociation aux organisations syndicales, l’assainissement de la situation actuelle ouvrant la voie à une codification, le choix de la loi contre le contrat, de la fonction contre le métier, de l’efficacité sociale contre la performance individuelle.

 Ensuite, la conception structurelle de la fonction publique qui devrait conduire à un reclassement global des grilles indiciaires intégrant l’élévation des qualifications et permettant une nouvelle gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences. Il convient aussi indispensable d’ouvrir des chantiers de modernisation concernant l’égalité femmes–hommes, la révolution informationnelle, l’ensemble du système de formation, les relations internationales.

Enfin, s’impose au-delà des discours infondés sur la fin de l’histoire, une vision de la fonction publique à long terme réhabilitant l’histoire, la pensée rationnelle, l’éthique républicaine  et dégageant la fonction publique de l’emprise de l’annualité budgétaire  (sortir de comptes publics et de Bercy !). Il faut approfondir de nouveaux thèmes de réflexion (propriété et secteur publics, statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé, efficacité sociale), par là, faire du XXIe   siècle l’âge d’or du service public, notre Passion commune. Cela dit, dans l’immédiat, comme le pouvoir en place je pense que la bataille de la transformation de la fonction publique se gagnera ou se perdra dans la fonction publique territoriale. C’est l’affaire des citoyens, des fonctionnaires et de leurs syndicats et des élus.

Passion commune, Éditions de l’Atelier, 2019.

* Jacques Marsaud a été successivement  un des responsables de la mairie de Saint-Pierre-des- Corps, directeur général des services de Noisy-le-Sec, pois de la mairie de Saint-Denis, directeur général adjoint de la RATP, directeur général des services du département du Val –de-Marne, puis de la communauté d’agglomération Plaine Commune. Il est devenu, au fil de ses responsabilités, une figure de référence des l’administration des collectivités territoriales.

à gauche Jacques Marsaud l'auteur, à droite Stéphane Peu 
député de la 2°circonscription du 93

L’impératif communal

Magazine de l’ANECR

La commune est la base de l’aménagement du territoire et de la démocratie locale. Pour autant son rôle ne prend sens et son importance ne se révèle véritablement qu’en liaison avec les autres niveaux d’organisation. En France, celle-ci a été mise en place par la création du département en 1790, la loi municipale de 1884 et la reconnaissance de la région comme collectivité territoriale en 1982. Les débats sur l’aménagement territorial ont toujours été éminemment politiques. Dans le contexte actuel on peut distinguer six niveaux d’aménagement. Trois sont à dominante politique : la commune, le département et la nation ; trois sont à dominante économique : l’intercommunalité, la région et l’Union européenne. Or, en démocratie, le politique doit l’emporter sur l’économique. La commune se trouve ainsi désignée comme point de départ de toute politique d’aménagement du territoire, conception que l’on doit préférer à celle, hors sol, de réforme des collectivités locales.

La loi de décentralisation du 2 mars 1982, dite loi Defferre,  avait été regardée comme une priorité par le gouvernement d’union de la gauche d’alors, consécutivement à l’alternance politique qui avait porté François Mitterrand à la présidence de la République. Elle a été considérée comme un acte important de modernisation du pays et soutenue par l’Association nationale des élus communistes et républicains (ANECR). Elle prévoyant notamment l’élaboration d’un statut de l’élu, des garanties statutaires renforcées pour les agents publics (essentiellement les communaux), des possibilités d’intervention élargies pour les citoyens sur les affaires communales. Cette loi a aussi décidé le transfert de l’exécutif départemental du préfet au conseil général, imposé au préfet le contrôle de légalité a posteriori. Toutes ces promesses de l’Acte Ier de la décentralisation n’ont pas été honorées.L’Acte II (loi constitutionnelle du 28 mars 2003) a affirmé  l’organisation décentralisée de la République et en a tiré des conséquences, mais elles n’ont été que de faible portée.

Ce dispositif va être bouleversé sur la base d’un discours du président  Nicolas Sarkozy prononcé le 20 octobre 2009 à St-Dizier dans lequel li déclare vouloir privilégier « les pôles et les réseaux » plutôt que « les frontières et les circonscriptions ». C’est clairement abandonner le cadre national comme champ d’aménagement des territoires et remplacer les collectivités existantes par des centres de décision associés à des réseaux affranchis de toute contrainte géographique. C’est le point de départ d’une inversion des priorités politiques évoquées précédemment au profit d’un nombre limité de métropoles (les pôles) et d’une réorganisation autoritaire des champs départementaux et communaux dans des régions agrandies et des intercommunalités imposées (les réseaux). Tout cela étant pensé dans le cadre d’un projet d’Union européenne fédérale. Le département est ainsi disqualifié et les communes invitées à la discipline.

Les métropoles sont donc appelées à concentrer tous les moyens de la puissance : l’autorité politique, les activités économiques majeures, les financements, les moyens de la recherche, les médias, les élites, etc. Les préfets de région sont appelés à devenir de véritables gouverneurs de province. Cette réforme est installée sur un fond d’austérité organisée qui pèsera sur les départements périphériques auxquels il ne restera plus qu’à organiser entre eux et dans leurs communes respectives la péréquation de la pénurie. Pour contourner l’obstacle du principe de libre administration des collectivités territoriales (art. 72 de la constitution), Emmanuel Macron a engagé une forte réduction des dotations de l’État et assigné aux collectivités locales une réduction drastique de leurs dépenses, au risque d’un alourdissement de la fiscalité locale. Amorcé en 2010, l’Acte III de la décentralisation apparaît ainsi, dans une grande confusion, comme le contraire de la politique de décentralisation engagée en 1982.

Mais pour le pouvoir actuel il y a loin de la coupe aux lèvres. La crise sociale s’est déclenchée en raison notamment de la régression des services publics de proximité, assignant ainsi des limites aux politiques creusant les inégalités et méconnaissant l’avis des populations. Celles-ci ont témoigné leur soutien aux élus et aux fonctionnaires des services déconcentrés et décentralisés. Toutes les associations d’élus ont fait front commun pour revendiquer une nouvelle loi de décentralisation. Les communaux ne se considèrent plus comme les « assimilés fonctionnaires » qu’ils disaient être avant 1983, mais comme des fonctionnaires à part entière dont la place s’est considérablement accrue dans la population active. L’action conjointe des citoyennes et des citoyens et, en leur sein, des élus et des fonctionnaires est la promesse d’une politique d’aménagement du territoire démocratique, efficace et moderne.

Réforme territoriale – Hommes et Libertés -LDH – décembre 2015

Réforme territoriale : continuité plutôt que rupture 

 Si la réforme territoriale modifie l’organisation traditionnelle en créant la « métropole », en donnant du poids à la région, à l’intercommunalité et en retirant aux communes et aux départements, la pression financière sur les collectivités s’intensifie et la modernisation de l’action publique tarde à se concrétiser.

Anicet LE PORS, conseiller d’Etat honoraire, ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives (1981-1984)

Réforme Territoriale en FranceLes débats autour des thèmes de l’aménagement du territoire ou des réformes territoriales ont toujours été éminemment politiques. On se souvient que c’est l’échec du référendum sur la création des régions qui entraîna la démission du général de Gaulle, le 28 avril 1969. Depuis, la réforme territoriale a été rythmée par trois actes, dont le dernier a été initié par Nicolas Sarkozy, avec la loi du 16 décembre 2010. Il est poursuivi par François Hollande par le moyen de plusieurs lois, ce qui rend particulièrement difficile une vue d’ensemble des réformes.

Le président de la République Nicolas Sarkozy disait, en 2009 (1), vouloir privilégier « les pôles et les réseaux » plutôt que « les frontières et les circonscriptions ». Pour remettre en cause l’organisation traditionnelle, il évoquait l’image du « mille-feuilles ». Cette démarche met en cause l’organisation qui se structure sur la base de six niveaux ayant une influence déterminante sur l’aménagement du territoire : la commune, la communauté de communes (ou intercommunalité), le département, la région, la nation et l’Europe. Or, trois de ces niveaux sont à dominante politique (la commune, le département et la nation), les autres sont à dominante économique. En démocratie, le choix qui s’impose est celui de la supériorité du politique sur l’économique. C’est ce choix qui est contesté par la réforme en cours.

La métropole en est l’instrument principal, c’est le « pôle » annoncé. Quatorze métropoles seront en place au 1er janvier 2016. La loi du 27 janvier 2014 les a dotées de compétences très larges. Elles reçoivent les compétences jusque-là dévolues aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Elles récupèrent également les compétences des communes membres : développement économique, aménagement de l’espace, politiques locales de l’habitat et de la ville, gestion de services d’intérêt collectif et de protection de l’environnement. Mais c’est sans doute la vocation, qui leur est assignée, de promotion internationale du territoire dans le « réseau » européen qui caractérise le mieux la spécificité de cette nouvelle entité.

organisation bouleversée par la réforme

41zU3fpSWEL._SL500_AA300_La loi du 15 janvier 2015 a délimité treize nouvelles régions par agrégation de quinze des vingt-deux anciennes régions. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE) en a précisé les compétences. La clause générale de compétence des départements et des régions est supprimée. La région affirme son rôle important en matière de développement économique, notamment de soutien aux PME. Il revient à la région d’élaborer un Schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII), fixant les orientations régionales pour cinq ans. Elle est également chargée de rédiger un Schéma régional d’aménagement durable du territoire (SRADDT), portant en particulier sur des orientations d’aménagement, la mobilité, la lutte contre la pollution de l’air, la valorisation de l’énergie, le logement et la gestion des déchets. Les compétences des départements en matière de transport doivent être transférées aux régions dans les dix-huit mois, le département restant responsable de la voirie. La loi tend également à renforcer les intercommunalités, témoignant ainsi de l’affinité région/intercommunalité. La Corse deviendra collectivité, avec statut particulier, en 2018.

La complémentarité métropole-région-intercommunalité est évidente, elle conduit à un profond bouleversement des structures existantes, notamment des communes, spécialement les communes rurales. Les foyers de démocratie que représentent les trente-six mille communes sont affaiblis au profit d’un pouvoir technocratique siégeant dans les métropoles en liaison avec le préfet de région, qui devient un véritable gouverneur. On peut craindre, avec un recul de la démocratie locale, un accroissement de la bureaucratie. Le maintien des compétences des communes apparaît ainsi comme une condition de la démocratie locale. Si la nécessité d’une juste et efficace répartition des compétences entre les niveaux d’administration est souhaitable, cela n’entraîne pas nécessairement la suppression de la clause de compétence générale, la solution pouvant être recherchée dans l’application d’une subsidiarité démocratique respectueuse tout à la fois des principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales et celui d’unité et d’indivisibilité de la République.

Les collectivités face à l’austérité financière

es collectivités territoriales jouent un rôle important dans les investissements publics et le fonctionnement des services publics de proximité. Elles assurent 73 % de l’investissement public et n’émargent que pour 10 % dans l’endettement public. Les gouvernements n’ont eu de cesse de transférer des compétences de l’Etat aux collectivités territoriales, en s’engageant à transférer également les financements correspondants, au nom de leur autonomie financière. Ce qui a été rarement le cas, les collectivités étant, de ce fait, appelées à supporter une part croissante des politiques d’austérité.

La situation est aggravée par le projet de réduire de onze milliards d’euros les dotations de l’Etat aux collectivités, de 2015 à 2017. Les élus de toutes tendances ont protesté et manifesté mais ils doivent se résoudre à restreindre leurs dépenses, principalement celles d’investissement, puis celles de fonctionnement ; beaucoup envisageant également une hausse de la fiscalité locale. La suppression de la taxe professionnelle en 2010 et son remplacement par la contribution économique territoriale (CET), dont une partie est basée sur le foncier des entreprises et une autre sur leur valeur ajoutée, ne garantit pas pour autant un financement pérenne des collectivités. La réforme peut s’analyser comme un transfert global favorable aux entreprises, au détriment des ménages. Le système de financement des collectivités territoriales est devenu si complexe qu’il manque de visibilité, ce qui contribue à accentuer les inégalités entre les collectivités. On peut également s’inquiéter pour la fonction sociale du département, affaibli par les politiques engagées. Ainsi, le financement du revenu de solidarité active (RSA) n’est que très partiellement couvert par l’Etat, alors que le nombre de bénéficiaires croît ; l’Etat devra financer les déficits avant, vraisemblablement, de recentraliser son financement.

Des mesures qui ajoutent à la confusion

4-PUF_LEPOR_2011_01_L148Les restrictions financières locales portent également sur les crédits des services déconcentrés soumis aux politiques publiques de l’Etat. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et la révision générale des politiques publiques (RGPP), ou le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, ont eu des conséquences négatives sur la satisfaction des besoins sociaux et le fonctionnement des services publics locaux. Les collectivités territoriales ont ainsi subi la pression combinée des réductions de crédits décentralisés et déconcentrés. Dans ces circonstances, elles ont pu constituer des contrepouvoirs pour contenir les politiques d’austérité qui ont permis, par exemple, de ne pas subir les suppressions d’emplois à l’instar de celles enregistrées dans les services de l’Etat.

A partir de 2012, sous le thème de la modernisation de l’action publique, de nouveaux instruments ont été mis en place, sans résultats convaincants. Ses objectifs sont classiques : réforme de l’Etat, réduction de la dépense publique, motivation des agents, simplification des relations avec les usagers, etc. Dans ce contexte assez confus, on voit mal comment pourrait être mise en œuvre une politique de péréquation verticale (de l’Etat vers les collectivités locales) et horizontale (des collectivités entre elles), afin de résoudre les inégalités territoriales, faute, également, d’une véritable politique d’aménagement du territoire, la logique de développement des métropoles se référant à un espace plus européen que national.

Un service public affaibli

La multiplicité des réformes intervenues depuis une trentaine d’années a eu des conséquences sur l’organisation des services et les conditions de travail et de vie des personnels. La création des métropoles, la définition de nouvelles régions, les incertitudes sur l’avenir des départements, les réaménagements incessants entre communes et intercommunalités vont entretenir un contexte défavorable tant à l’efficacité du service public qu’à la sérénité et la satisfaction des fonctionnaires, dans l’accomplissement de leurs missions.

L’évolution statutaire des fonctionnaires des services extérieurs des ministères et des collectivités territoriales fait partie de la réforme territoriale. Le statut des fonctionnaires de 1983 a intégré les agents publics territoriaux et hospitaliers dans une fonction publique unifiée à « trois versants ». En trente ans, ce statut a fait l’objet de deux cent vingt-cinq modifications législatives, la fonction publique territoriale ayant été la plus réformée, quatre-vingt fois, apparaissant ainsi comme le « maillon faible » d’une architecture juridique qui, cependant, n’a pas été remise en cause dans son ensemble. Mais elle a pu, dans le même temps, être considérée comme « l’avant-garde » de la fonction publique à venir, à la fois en raison de ses qualités propres que de la part de ceux qui souhaitent revenir à un système d’emploi fondé sur la notion de métier. Le gouvernement actuel, acquis à la conception française de la fonction publique, répugne néanmoins à revenir sur les dénaturations apportées au statut, et refuse, pour des raisons d’austérité, de s’engager dans des chantiers de transformations structurelles qui seraient de nature à ouvrir des perspectives à une fonction publique du XXIe siècle (2).

Une rationalisation encore en projet

D’une manière générale, l’influence croissante des règles du marché et de l’idéologie managériale, traduite dans le service public par la promotion du « new public management », a eu pour conséquence de priver les collectivités publiques des outils de rationalisation qui avaient accompagné les décennies d’économie administrée de l’après-guerre. Après la suppression du Commissariat général du plan (CGP) et de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) dans sa vocation originelle, la RGPP a supprimé la plupart des organismes de prévision et d’expertise publics (3). Dans la réforme en cours, il a été annoncé que les directions locales des ministères seraient réduites à huit, dans les régions, et à trois, dans les départements. Il va de soi que les restrictions des dotations affecteront en priorité les crédits d’étude. La création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP, rebaptisé France stratégie), et l’instance de modernisation de l’action publique (MAP) ont pu laisser envisager une réorientation en faveur de la rationalisation de l’action publique. Elle n’a pas été suivie, pour le moment, de résultats probants.

Le risque encouru par l’évolution actuelle de la réforme territoriale est celui d’une régression de la démocratie et d’un affaiblissement des services publics, dont les segments les plus rentables pourraient être convoités par le secteur privé à l’occasion de la mise en place des métropoles, ce qui constituera également un terrain favorable à la contractualisation des personnels, dans la perspective de la mise en extinction du statut général des fonctionnaires. Seule la convergence des actions des usagers, des fonctionnaires et des élus peut empêcher cette dérive.

(1) Discours prononcé à Saint-Dizier, le 20 octobre.

(2) A. Le Pors et G. Aschieri, La Fonction publique du XXIe siècle, Editions de l’atelier, 2015.

(3) Conseil national d’évaluation, Haut conseil du secteur public, de la coopération internationale, réintégration de la direction de la Prévision au sein de la direction du Trésor, etc.

Continuité territoriale

 

La réforme territoriale initiée par Nicolas Sarkozy en 2009-2010 à été reprise sous le vocable inchangé d’Acte III par François Hollande dans un esprit et selon des modalités indifférenciés.

Rappelons que le cadre de l’organisation territoriale de la France a été mis en place par la création des départements en 1790, la loi municipale de 1884 et la reconnaissance de la région comme collectivité territoriale en 1982. Les débats autour des thèmes de l’aménagement du territoire ou des réformes territoriales ont toujours été éminemment politiques. On se souvient que c’est l’échec du référendum sur la création des régions qui entraina la démission du généra l de Gaulle le 28 avril 1969. Depuis, la réforme territoriale a été rythmée par trois actes.

L’Acte I est consécutif à l’alternance de 1981. Il a été formalisé par la loi du 2 mars 1982 qui a réalisé notamment le transfert de l’exécutif départemental du préfet au conseil général, imposé le contrôle de légalité a posteriori du préfet, annoncé un statut de l’élu et des garanties statutaires renforcées pour les agents publics des collectivités.

L’Acte II est marqué par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République qui modifie la constitution en ce sens. Elle institue un référendum local pouvant être décisionnel, élargit le droit de pétition, prévoit l’autonomie financière des collectivités avec transferts de compétences et la possibilité d’une expérimentation législative encadrée.

L’Acte III a été initié par Nicolas Sarkozy avec la loi du 16 décembre 2010. Il est poursuivi par François Hollande par le moyen de plusieurs lois, ce qui rend particulièrement difficile une vue d’ensemble des réformes.

 Une organisation bouleversée

Réforme Territoriale en FranceDans un discours prononcé à St-Dizier le 20 octobre 2009, le Président de la République Nicolas Sarkozy disait vouloir privilégier les « pôles et les réseaux » plutôt que les « frontières et les circonscriptions ». Pour remettre en cause l’organisation traditionnelle, il évoquait l’image du « mille-feuilles », largement reprise ensuite. Cette démarche met en cause l’organisation traditionnelle qui se structure sur la base de six niveaux ayant en réalité une influence déterminante sur l’aménagement du territoire : la commune, la communauté de communes (ou intercommunalité), le département, la région, la nation et l’Europe. Or, trois de ces niveaux sont à dominante politique (la commune, le département et la nation), les autres sont à dominante économique. En démocratie le choix qui s’impose est celui de la supériorité du politique sur l’économique. C’est ce choix qui est contesté par la réforme en cours.

La métropole en est l’instrument principal, c’est le « pôle » annoncé. 14 métropoles seront en place au 1er janvier 2016. La loi du 27 janvier 2014 les a dotées de compétences très larges. Elles reçoivent les compétences jusque-là dévolues aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Elles récupèrent également les compétences des communes membres : développement économique, aménagement de l’espace, politiques locales de l’habitat et de la ville, la gestion de services d’intérêt collectif et de protection de l’environnement. Mais c’est sans doute la vocation qui leur est assignée de promotion internationale du territoire dans le « réseau » européen qui caractérise le mieux la spécificité de cette nouvelle entité.

La loi du 15 janvier 2015 a délimité 13 nouvelles régions par agrégation de 15 des 22 anciennes régions. La loi du 7 août 2015 portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRE) en a précisé les compétences. La clause générale de compétence des départements et des régions a été supprimée. La région affirme son rôle important en matière de développement économique, notamment de soutien aux PME. Il revient à la région d’élaborer un Schéma Régional de Développement Économique, d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII), fixant les orientations régionales pour cinq ans. Elle est également chargée de rédiger un Schéma Régional d’Aménagement Durable du Territoire (SRADDT) portant en particulier sur : des orientations d’aménagement, la mobilité, la lutte contre la pollution de l’air, la valorisation de l’énergie, le logement et la gestion des déchets. Les compétences des départements en matière de transport doivent être transférées aux régions dans les dix-huit mois, le département restant responsable de la voirie. La loi tend également à renforcer les intercommunalités, témoignant ainsi de l’affinité région/intercommunalité. La Corse deviendra collectivité avec statut particulier en 2018.`

La complémentarité métropole-région-intercommunalité est évidente, elle conduit à un profond bouleversement des structures existantes, notamment l’existence des communes, spécialement les communes rurales. Les foyers de démocratie que représentent les 36 000 communes sont affaiblis au profit d’un pouvoir technocratique siégeant dans les métropoles en liaison avec le préfet de région qui devient un véritable gouverneur. On peut craindre avec un recul de la démocratie locale un accroissement de la bureaucratie. Le maintient des compétences des communes apparaît ainsi comme une condition de la démocratie locale. Si la nécessité d’une juste et efficace répartition des compétences entre les niveaux d’administration est souhaitable, cela n’entraine pas nécessairement la suppression de la clause de compétence générale, la solution pouvant être recherchée dans l’application d’une subsidiarité démocratique respectueuse tout à la fois des principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales et celui d’unité et d’indivisibilité de la République.Escaro

Une austérité financière

Les collectivités territoriales jouent un rôle important dans les investissements publics et le fonctionnement des services publics de proximité. Elles assurent 73% de l’investissement public et n’émargent que pour 10% dans l’endettement public. Au cours des dernières décennies, les gouvernements n’ont eu de cesse de transférer des compétences de l’État aux collectivités territoriales en s’engageant à transférer également les financements correspondants au nom de l’autonomie financière des collectivités, condition indispensable du respect du principe de libre administration posé par l’article 72 de la constitution. Ce qui a été rarement le cas, les collectivités étant de ce fait appelées à supporter une part croissante des politiques d’austérité.

La situation est aggravée par le projet de réduire de 11 milliards d’euros les dotations de l’État aux collectivités de 2015 à 2017. Les élus de toutes tendances ont protesté et manifesté mais ils doivent se résoudre à restreindre leurs dépenses, principalement celles d’investissement, puis celles de fonctionnement ; beaucoup envisageant également une hausse de la fiscalité locale. La suppression de la taxe professionnelle en 2010 et son remplacement par la contribution économique territoriale (CET) dont une partie est basée sur le foncier des entreprises et une autre sur leur valeur ajoutée ne garantit pas pour autant un financement pérenne des collectivité. La réforme peut s’analyser comme un transfert global favorable aux entreprises au détriment des ménages. Le système de financement des collectivités territoriales est devenu si complexe qu’il manque de visibilité, ce qui contribue à accentuer les inégalités entre les collectivités[1]. On peut également nourrir quelque inquiétude concernant la fonction sociale du département affaibli par les politiques engagées. Ainsi, le financement du Revenu de solidarité active (RSA) n’est que très partiellement couvert par l’État alors que le nombre de bénéficiaires croit ; l’État devra financer les déficits avant, vraisemblablement, re-centraliser son financement.

es restrictions financières locales portent également sur les crédits des services déconcentrés soumis aux politiques publiques de l’État. La Loi Organique relatives aux Lois de Finances (LOLF) et la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) ou le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ont eu des conséquences négatives sur la satisfaction des besoins sociaux et le fonctionnement des services publics locaux. Les collectivités territoriales ont ainsi subi la pression combinée des réductions de crédits décentralisés et déconcentrés. Dans ces circonstances ces collectivités ont pu constituer des contrepouvoirs pour contenir les politiques d’austérité qui ont permis, par exemple, de ne pas subir les suppressions d’emplois à l’instar de celles enregistrées dans les services de l’État.

À partir de 2012, sous le thème de la modernisation de l’action publique de nouveaux instruments ont été mis en place, sans donner pour le moment des résultats convaincants. Ses objectifs sont classiques : réforme de l’État, réduction de la dépense publique, motivation des agents, simplification des relations avec les usagers, etc. Dans ce contexte assez confus on voit mal comment pourrait être mise en œuvre une politique de péréquation verticale ‘(de l’État vers les collectivités locales) et horizontale (des collectivités entre elles) afin de résoudre les inégalités territoriales, faute également d’une véritable politique d’aménagement du territoire, la logique de développement des métropoles se référant à un espace plus européen que national.

Un service public affaibli

La multiplicité des réformes intervenues depuis une trentaine d’années a eu des conséquences sur l’organisation des services et les conditions de travail et de vie des personnels. La création des métropoles, la définition de nouvelles régions, les incertitudes sur l’avenir des départements, les réaménagements incessants entre communes et intercommunalités vont entretenir un contexte défavorable tant à l’efficacité du service public qu’à la sérénité des fonctionnaires et, partant, à leur dynamisme et à leur satisfaction dans l’accomplissement de leurs missions.

L’évolution statutaire des fonctionnaires des services extérieurs des ministères et des collectivités territoriales fait partie de la réforme territoriale. Le statut des fonctionnaires de 1983 a intégré les agents publics territoriaux et hospitaliers dans une fonction publique unifiée « à trois versants ». En trente ans, ce statut a fait l’objet de 225 modifications législatives, la fonction publique territoriales ayant été la plus réformée, 80 fois, apparaissant ainsi comme le ‘ « maillon faible » d’une architecture juridique qui, cependant, n’a pas été remise en cause dans son ensemble. Mais elle a pu, dans le même temps être considérée comme l’ « avant-garde » de la fonction publique à venir à la fois en raison de ses qualités propres, que de la part de ceux qui souhaitent revenir à un système d’emploi fondé sur la notion de métier. Le gouvernement actuel, acquis à la conception française de la fonction publique, répugne néanmoins à revenir sur les dénaturations apportées au statut, et refuse, pour des raisons d’austérité, de s’engager dans des chantiers de transformations structurelles qui seraient de nature à ouvrir des perspectives à une fonction publique du XXIe siècle[2].

D’une manière générale, l’influence croissante des règles du marché et de l’idéologie managériale traduite dans le service public par la promotion du New public management a eu pour conséquence de priver les collectivités publiques des outils de rationalisation qui avaient accompagné les décennies d’économie administrée de l’après guerre. Après la suppression du Commissariat Général du Plan (CGP) et de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) dans sa vocation originelle, la RGPP a supprimé la plupart des organismes de prévision et d’expertise publics (Conseil national d’évaluation, Haut conseil du secteur public, de la coopération internationale, réintégration de la direction de la Prévision au sein de la direction du Trésor, etc.). Dans la réforme en cours il a été annoncé que les directions locales des ministères seraient réduites à huit dans les régions et à trois dans les départements[3]. Il va de soi que les restrictions des dotations affecteront en priorité les crédits d’étude. La création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP rebaptisé France Stratégie) et l’instance de Modernisation de l’Action Publique (MAP) ont pu laisser envisager une réorientation en faveur de la rationalisation de l’action publique. Elle n’a pas été suivie, pour le moment, de résultats probants.

41zU3fpSWEL._SL500_AA300_Le risque encouru par l’évolution actuelle de la réforme territoriale est celui d’une régression de la démocratie et d’un affaiblissement des services publics dont les segments les plus rentables pourraient être convoités par le secteur privé à l’occasion de la mise en place des métropoles, ce qui constituera également un terrain favorable à la contractualisation des personnel dans la perspective de la mise en extinction du statut général des fonctionnaires. Seule la convergence des actions des usagers, des fonctionnaires et des élus peut empêcher cette dérive.

[1] La Dotation globale de fonctionnement (DGF) est la principale source de financement des colletivités territoriales pal l’État. Elle s’élèvera à 32,9 Mds d’euros en 2016 (dont 19 Mds pour les communes, contre plus de 36 Mds en 2015) et pourrait faire l’objet d’une réforme en … 2017.

[2] A. Le Pors et G. Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Éditions de l’Atelier, 2015.

[3] Le 31 juillet 2015 a annoncé de nouvelles répartitions des services déconcentrés de l’État. Ainsi, pour la région Aquitaine-Lilousin- Poitou Charentes, Bordeaux accueillerait 4 DR, Poitiers 1 et Limoges 1.

La réforme territoriale, la réforme des collectivités territoriales, la réforme de l’État – UGFF-CGT / FSP-CGT – Bobigny, le 10 mars 2015

Réforme territoriale, réforme de l’État : quelles analyses partagées 
(résumé)

Réforme Territoriale en France
Publié par « Acteurs publics »

 En introduction, je me limiterai à évoquer des questions susceptibles de cadrer notre sujet.

En premier lieu, on peut souligner qu’il s’agit d’n débat confus et mal préparé. C’est un ensemble disparate de lois : après la loi de décembre 2010, un projet divisé en trois lois, la première votée en janvier 2014 sur les métropoles, la deuxième sur les régions, divisée en deux : les 13 régions et le projet NOTRE, plus une loi à venir sur les communes et les intercommunalités. A cela il faut ajouter les lois de finance, celle sur le mode de scrutin (positive pour la parité), sur la fonction publique.

A ce désordre s’ajoute une instabilité caractérisée par le sort fait au département notamment. Le découpage régional a été bricolé. L’état des lieux est invraisemblable. Il n’y a pas eu de concertation, ni d’étude d’impact digne de ce nom. Cela a permis des mensonges sur les économies qui auraient été réalisées par la réforme.

En deuxième lieu, on est passé de l’aménagement du territoire aux réformes structurelles des collectivités publiques, État et collectivités territoriales ; elles sont marquées par la primauté de l’économique sur le politique. Autrefois la DATAR était l’instrument de l’aménagement du territoire. Elle a connu de nombreuses vicissitudes. Actuellement l’aménagement du territoire est surtout confiné au niveau régional par le projet NOTRE.

Le sens a été donné par le discours de N. Sarkozy à St-Dizier le 20 octobre 2009 disant préférer « les pôles et les réseaux » aux « circonscriptions et aux frontières », dénonçant le « mille-feuilles » territorial. En réalité il y a six niveaux décisifs, trois sont politiques : commune, département, nation, trois sont à dominante économique : intercommunalité, région Europe. En démocratie, le politique doit l’emporter sur l’économique.

En troisième lieu, il y a déstabilisation des structures avec opacité dans la répartition des compétences. L’exemple le plus caractéristique est celui du département supprimé, puis rétabli, et maintenant maintenu seulement dans les départements ruraux. Outre l’existence concurrente des métropoles, on a prévu une Conférence territoriale de l’action publique, un Pacte de gouvernance, ou encore des Conseils de territoire pour la proximité dans le cadre du Grand Paris.

t aussi s’interroger sur le nouveau rôle des préfets, notamment du préfet de région.

a clause de compétence générale a été remise en cause, restaurée puis actuellement supprimée dans le cadre du débat sur NOTRE. Néanmoins, la volonté de spécialisation et de chef de file est permanente. La région pourrait se voir transférer les collèges et les transports ; les interco seraient renforcées en dimensions et compétences,

En quatrième lieu, la politique de financement des collectivités territoriales se traduit par un alourdissement de la charge pesant sur les ménages et l’affaiblissement des services publics. Il y a d’abord réduction des financements déconcentrés. Une réduction de 11 Mds sur 2015-2017est prévue (sur un total de 50 Mds de réduction de la dépense publique). La MAP (modernisation de l’action publique) qui a succédé à la RGPP est sans effet.

Il y a simultanément alourdissement des difficultés de financement décentralisé nourrissant l’enchaînement : alourdissement de la fiscalité locale sur les ménages, transfert des crédits de rémunérations et de fonctionnement sur un minimum d’investissement, privatisation, contractualisation, risque de clientélisme. La CET (contribution économique territoriale) se substituant à la TP (taxe professionnelle) ne garantit pas un financement pérenne. S’en suivra un affaiblissement des services publics et des limitations aux péréquations.

En cinquième lieu, la FPT (fonction publique territoriale) subit comme l’ensemble de la fonction publique les effets de l’austérité mais elle occupe une place stratégique dans son évolution. Sur les 225 modifications statutaires législatives enregistrées en 30 ans, 84 relèvent de la FPT. La loi Galland du 13 juillet 1987 en a constitué la principale atteinte. Elle a ainsi pu être considérée comme le « maillon faible » du statut. Elle a aussi été présentée comme l’ « avant-garde » de la fonction publique, contradictoirement par les partisans de la fonction publique d’emploi, mais aussi par ceux qui considèrent qu’elle a pu constituer un contrepouvoir face à l’austérité, ainsi qu’en raison de ses potentialités.

La politique gouvernementale, si elle est caractérisée par une nouvelle tonalité est aussi sans ambition, sans courage pour remettre en cause les dénaturations de la droite (effet de cliquet). Elle remplace la mise en place de chantiers structurels par des débats de diversion (déontologie, dialogue social, qualité de vie au travail, valeurs, etc.).

Au-delà il est nécessaire d’engager un débat sur un statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé, comme sur la propriété publique en relation avec les besoins et la gestion.

En sixième lieu, la réforme de l’État dont on parle n’est le plus souvent qu’une réforme administrative. Elle ne remet pas en cause un système institutionnel et administratif anti-démocratique. Le gouvernement actuel est dans l’incapacité de réformer les institutions : quatre lois constitutionnelles sont pendantes et deux promesses ne seront pas tenues (vote des étrangers et loi de 1905).

Il n’y a pas de retour à une politique de rationalité. La MAP est sans effet. Le CGSP (Commissariat général à la stratégie et à la prospective, aujourd’hui France Stratégie). On ne sait ce que deviendra la représentation déconcentrée précédemment envisagée (8 représentations ministérielles dans les régions, 3 dans les départements).

En septième lieu, des conditions existent pourtant pour faire du XXI° siècle l’ « âge d’or du service public. Nous sommes dans une crise financière et de civilisation à la sortie d’un siècle « prométhéen ». La métamorphose (Edgar Morin) suppose la lucidité pour avancer (« Pendant la mue… »).

La mondialisation entraine de nouvelles exigences : interdépendances, coopérations, solidarités accrues aussi bien en supra qu’en infra-national. Le XXI° siècle peut être ainsi l’ « âge d’or » du service public dont les fonctionnaires seraient à l’avant-garde de la mutation.

Un modèle solidaire d’avenir face à la concurrence ? – La Mutuelle Nationale Territoriale (MNT) – Assemblée générale, Lille, 27 juin 2014

30 ans de statut et de protection sociale de la FPT

C’est une bonne idée d’avoir jumelé les commémorations  du 5O° anniversaire de la Mutuelle Nationale Territoriale (MNT) et du 30° anniversaire du Statut Général des Fonctionnaires (SGF). Il s’agit là d’entités distinctes mais qui doivent faire face à des problèmes de même nature. Comme les organisateurs que je remercie de m’avoir invité me l’ont demandé je parlerai surtout du SGF en évoquant ensuite quelques questions qui m’ont été suggérées par le texte de présentation du colloque.

1. La création du Statut des fonctionnaires territoriaux

Le SGF dans version d’origine est le résultat d’une succession de choix clairs.

L’histoire pluriséculaire de la Fonction publique est celle de la confrontation de deux lignes de forces : l’une dominée par le principe hiérarchique qui a prévalu pendant le XIX° siècle, la première moitié du XX° siècle et qui se manifeste encore partiellement ; l’autre visant au développement des droits, garanties et obligations du fonctionnaire, à l’affirmation de sa responsabilité individuelle. La première logique débouche sur la conception du fonctionnaire sujet, la seconde sur celle du fonctionnaire citoyen. Entre 1981 et 1984 nous avons choisi la seconde.

La priorité donnée en 1981 par le Président de la République François Mitterrand à la décentralisation a conduit à choisir la nature du renforcement des garanties statutaires à accorder aux agents publics territoriaux jusque là régis par le Livre IV du code des communes, dans le cadre d’une fonction publique dite « d’emploi ». Dès le 27 juillet 1981, à l’Assemblée nationale, je me suis prononcé pour une fonction publique « de carrière » dans la Fonction publique territoriale (FPT) plus protectrice qui était le système en vigueur dans la Fonction publique de l’État (FPE).

Il a fallu choisir ensuite un équilibre satisfaisant entre l’affirmation de  l’unité du nouvel ensemble (intégrant ultérieurement la Fonction publique hospitalière, FPH) et le respect de la diversité des fonctions. La solution retenue a été celle d’un ensemble législatif unifié pour une fonction publique « à trois versants ». Le Titre 1er en facteur commun pour réunir les droits et obligations de l’ensemble des fonctionnaires. Les titres suivants pour chacune des trois fonctions publiques : Titre II pour la FPE, Titre III pour la FPT, titre IV pour la FPH.

Enfin, la question se posait de savoir ce qui garantirait le mieux la cohérence et, par là, la pérennité, de cette architecture. Fallait-il mettre l’accent sur le droit positif ou sur les principes. Le choix fait a été celui de ne pas inscrire valeurs et principes dans le statut lui-même mais de les affirmer fortement en les ancrant dans l’histoire  pour souligner l’aboutissement d’une gestation sur le long terme de la conception française de fonction publique. Trois principes ont été retenus : le principe d’égalité fondé sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dont on déduit que c’est par concours que l’on accède aux emplois publics ; le principe d’indépendance tiré de la loi de 1834 sur l’état des officiers instituant la séparation du grade et de l’emploi ; le principe de responsabilité se référant à l’article 15 de la Déclaration des droits : l’agent public doitrendre compte de l’accomplissement de sa mission à la société.

2. Ce qu’est devenu le statut aujourd’hui

Un premier constat s’impose : le statut est toujours débout, ce qui constitue une preuve de sa solidité. Le statut de 1946 a duré 13 ans, celui de 1959 24 ans, le présent statut 30 ans.

Mais le SGF n’est pas resté en l’état : on compte au 31.3.2014, 225 modifications législatives : 30 pour le Titre 1er, 50 pour le Titre II, 84 pour le Titre III celui de la FPT) et 61 pour le Titre IV. Peu de textes de cette ampleur ont fait preuve d’une telle adaptabilité, ce qui infirme les critiques habituelles sur la prétendue rigidité du SGF. Toutefois si certaines des modifications sont pertinentes, beaucoup sont des dénaturations du SGF.

41zU3fpSWEL._SY445_Dans cette évolution la FPT est donc celle qui a connu le plus de modifications ce qui a permis parfois de la considérer comme le « maillon faible » de l’ensemble. Cela est aussi justifié par la loi du 13 juillet 1987 dite loi Galland qui a réintroduit le recrutement sur liste d’aptitude et, par là, l’injuste système dit des « reçus-collés » et changé les corps en cadre ce qui a obscurcit la comparabilité des FPE et FPT et freine, par là, la mobilité, garantie fondamentale.

D’autres, à l’inverse, ont soutenu que la FPT pourrait être l’ « avant-garde » de la fonction publique. La FPT dispose de nombreux atouts à cet effet : sa jeunesse, la proximité des besoins, la diversité des activités.  Il faut aussi tenir compte du fait que les élus ont souvent constitués des contre-pouvoirs aux politiques centrales d’austérité ou de décentralisation contestées.

L’important n’est pas ces qualifications, mais de définir des voies d’évolution pour l’ensemble le fa fonction publique. Cela suppose en préalable un assainissement de la situation en abrogeant les mesures de dénaturation, notamment celles introduites par la loi Galland. La place sera nette ensuite pour mettre en perspective des chantiers structurels : une véritable gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, une traduction juridique plus satisfaisante de la garantie fondamentale de mobilité, une meilleure circonscription de la place des contractuels, une organisation des bi- ou multi-carrières, une promotion effective des femmes aux emplois supérieurs et d’encadrement des fonctions publiques. Mais dans tous ces domaines on doit déplorer le manque d’ambition du pouvoir politique actuel.

3. Rapports entre statut et système mutualiste

Je voudrais rappeler tout d’abord que, dans l’esprit du Conseil National de la Résistance (CNR) a été créée la Sécurité sociale et que celle-ci l’a été non avec le statut d’une administration, mais sous une forme mutualiste qui a semblé plus appropriée à la protection sociale ; c’est une justification d’ensemble du mouvement mutualiste. Mais ensuite, on observe un double « dérapage » : le développement du caractère de complémentarité des mutuelles à la suite de la défaillance du principal, de l’État ; ensuite, l’extension d’un secteur mutualiste complémentaire privé qui soumet l’ensemble du mouvement mutualiste aux règles de la concurrence, une concurrence de plus en plus vive comme vous en faites le constat.

Cela dit, me fondant sur le court texte de présentation du programme que vous avez retenu, je ferai trois observations.

En premier lieu, vous indiquez que  «  aujourd’hui le statut n’est plus le modèle exclusif  de l’organisation politico-administrative des collectivités locales ». Mais il ne l’a jamais été. Le SGF a toujours renvoyé la législation sur la protection sociale à des dispositions législatives spécifiques en 1946 (art. 140), en 1959, en 1984. Par ailleurs la décentralisation s’est inscrite dans les lois définissant les Actes successifs. On ne saurait donc déduire des évolutions du statut aucune relation causale entre les deux domaines, largement disjoints.

En deuxième lieu, vous indiquez encore que « la protection sociale est, en outre, malheureusement devenue un marché économique parmi les plus capitalistiques où cohabitent des acteurs motivés par le gain financier et des opérateurs historiques qui défendent un modèle solidaire ». Je partage également ce point de vue ; pour autant, je ne regarde pas l’état de concurrence comme l’horizon indépassable du statut ou de la mutuelle. On retrouve là le débat plus général entre la loi et le contrat. Le SGF est aussi menacé par la concurrence du contrat ; cela é été le cas en 2003 quand le rapport annuel du Conseil d’État a proposé que le contrat devienne une « source autonome du droit de la fonction publique » ; cela a encore été le cas dans le cadre de la « Révolution culturelle » proclamée par Nicolas Sarkozy en septembre 1989, et préconisant la mise sur le même plan que le concours,  de « contrats de droit privé négociés de gré à gré ». L’opération a heureusement échoué car, dans la crise, le service public a unanimement été reconnu comme un puissant « amortisseur social ». La concurrence menace donc conjointement statut et mutuelle, mais l’on ne doit pas voir là une fatalité.

En troisième et dernier lieu, je suis cependant convaincu que statut et mutuelle relèvent d’une même éthique, celle d’une « dé-marchandisation » des rapports sociaux, qui tendent peut être à l’avènement d’une « nouvelle civilisation » pour le XXI° siècle.

 

La fonction publique territotiale – Localtis.info, 24 janvier 2014

Anicet Le Pors : il y a 30 ans, une loi fondatrice pour la territoriale

A.LP-1984
Anicet Le Pors en 1984
© AFP

Le statut de la fonction publique territoriale a trente ans : c’est le 26 janvier 1984 qu’a été promulguée la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. Cette loi traite de l’ensemble des règles régissant la carrière des agents des collectivités. C’est elle qui a renforcé leurs droits, qui a fait d’eux des fonctionnaires au même titre que ceux de l’Etat. Alors ministre du gouvernement Mauroy, Anicet Le Pors fut l’instigateur de ce « big-bang ». Agé de 82 ans aujourd’hui, il revient pour Localtis sur les mois clefs au cours desquels la fonction publique moderne a pris corps. Et livre son sentiment sur les évolutions qu’elle a connues depuis.

Localtis : Quelle était la situation de la fonction publique territoriale au moment où vous avez initié les lois statutaires ?

Anicet Le Pors : En 1983, les collectivités employaient 800.000 agents, dont une forte proportion de non-titulaires, classés en 130 emplois types, plus un nombre indéterminé d’emplois spécifiques créés par les communes. L’ensemble était très désordonné et fortement hétérogène. La mobilité y était très faible. Il s’agissait d’une fonction publique d’emploi. Cela signifie que le lauréat d’un concours n’était pas certain d’être nommé. Et que s’il avait la chance d’être nommé, il n’était pas sûr de faire carrière. En effet, si l’emploi qu’il occupait était supprimé, il pouvait être licencié. Les agents des collectivités avaient des droits bien inférieurs à ceux reconnus aux fonctionnaires de l’Etat. En vertu du système dit de la « carrière », ces derniers – et seulement ceux-ci – bénéficiaient de la garantie de leur emploi.

Quelle a été votre contribution à la loi du 26 janvier 1984 ?

Avec René Bidouze, mon directeur de cabinet, un ancien dirigeant syndical et un grand technicien de la fonction publique, nous avions une idée précise de ce que nous voulions faire pour la fonction publique de l’Etat. Nous n’avions pas l’intention de nous occuper dans l’immédiat de la territoriale. Mais la priorité donnée par François Mitterrand au projet de loi de décentralisation, qui allait devenir la loi du 2 mars 1982, nous a conduits à nous pencher très vite sur le sujet. En effet, à côté de la fonction publique de l’Etat, allait se créer une fonction publique dont on ne connaissait encore ni l’esprit, ni les principes sur lesquels elle serait fondée. Très vite, le ministre de l’Intérieur en charge des collectivités territoriales, Gaston Defferre, fut décidé à inscrire à l’article premier du projet de loi que des lois détermineraient « les garanties statutaires accordées aux personnels des collectivités territoriales ». Il nous sembla qu’il ambitionnait d’améliorer le Livre IV du Code des communes, sans sortir du cadre de la fonction publique d’emploi. Etant maire de Marseille, Gaston Defferre ne connaissait que ce modèle et une telle option devait lui sembler évidente. Avec mon entourage, j’ai mesuré à ce moment-là le grand danger qu’il existât, à côté de celle de l’Etat, une fonction publique dont les effectifs seraient importants et susceptibles de croître. Et, surtout, dont l’esprit et les modalités seraient tout à fait différents ! Le risque était réel de voir la fonction publique de l’Etat perdre petit à petit ses qualités pour ressembler à la territoriale, c’est-à-dire une fonction publique d’emploi.

Quelle fut votre réaction ?

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Gaston Defferre, Anicet Le Pors, René Bidouze et Olivier Schrameck à l’assemblée nationale le 27 juillet 1981

 J’ai alors demandé au Premier ministre d’intervenir dès l’ouverture du débat à l’Assemblée nationale sur le projet de loi de décentralisation, après le ministre de l’Intérieur, le 27 juillet 1981, soit à peine plus d’un mois après notre entrée en fonction. J’y ai défendu l’idée d’une fonction publique de carrière pour tous, ce qui m’a permis de prendre date. Après plusieurs réunions interministérielles, le Premier ministre arbitra en faveur de la position que je défendais. Pierre Mauroy était pourtant maire de Lille. De fait, il aurait pu être sensible aux réticences des maires vis-à-vis des nouvelles dispositions statutaires, soupçonnées de renforcer le pouvoir central. Mais, en tant que professeur de l’enseignement technique, il avait été fonctionnaire. De plus, il avait exercé des responsabilités syndicales à la Fédération de l’Education nationale. C’est sans doute cela qui, chez lui, a fait pencher la balance en faveur d’une fonction publique de carrière. L’arbitrage de Pierre Mauroy n’a évidemment pas plu à Gaston Defferre. Mais dès lors, nous avons pu faire le choix d’affirmer l’unité de la fonction publique, dans le respect de sa diversité.

C’est l’idée d’une architecture d’un statut général unifié, articulé en quatre titres pour une fonction publique « à trois versants »…

J’ai estimé que l’unité devait être assurée moins par la norme juridique que par l’invocation de principes républicains, fondés sur notre tradition culturelle, historique, politique de l’intérêt général et du service public. Essentiellement trois principes. D’abord, le principe d’égalité, par référence à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Nous en avons déduit que c’est par la voie du concours que l’on accède aux emplois publics. Le deuxième principe est celui de l’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du pouvoir politique. Il est associé à la séparation du grade et de l’emploi, caractéristique du système de la carrière. Il s’agissait de la généralisation d’une conception ancienne, mais qui, jusque-là, ne figurait pas expressément dans le statut. Une loi de 1834 sur l’état des officiers disposait en effet que « si le grade appartient à l’officier, l’emploi appartient au roi ». Le dernier principe est celui de responsabilité, qui trouve sa source dans l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Cette conception du fonctionnaire-citoyen s’opposait à celle du fonctionnaire-sujet, survivance de la domination du principe hiérarchique.
Ces principes sont le fondement du statut de la fonction publique, qui, comme vous le rappelez, se décline en quatre titres : le premier a trait aux droits et obligations des fonctionnaires, le deuxième à la fonction publique de l’Etat (c’est la loi du 11 janvier 1984), tandis que les troisième et quatrième titres (lois du 26 janvier 1984 et du 9 janvier 1986) concernent respectivement la fonction publique territoriale et l’hospitalière. On relèvera que la loi sur la fonction publique territoriale a été publiée le même mois que le texte sur les agents de l’Etat. Nous aurions pu arriver plus vite à une publication de la loi concernant l’Etat. Mais, le Premier ministre nous avait demandé de retarder nos travaux. L’idée était de manifester la proximité des fonctions publiques de l’Etat et territoriale.

Avez-vous rencontré d’importantes résistances dans la préparation des réformes, puis lors de l’examen parlementaire ?

Il y eut une très grande concertation. Nous avons été un peu surpris de voir les agents territoriaux être relativement perplexes dans un premier temps. Ils ne comprenaient pas toujours où nous voulions les emmener. Les syndicats ont fait preuve d’hésitations, puis ils ont été acquis à la réforme et l’ont soutenue de plus en plus vigoureusement. Ce fut différent avec les élus, qui ont été très suspicieux vis-à-vis de nos projets. Ils ont vite compris qu’en tant qu’employeurs, ils n’auraient plus les mêmes libertés qu’avant. Côté politique, à l’Assemblée nationale, Jacques Toubon et Philippe Séguin sont ceux qui, dans l’opposition, ont croisé le fer. Ils m’ont accusé de vouloir faire un « statut communiste », puis « socialiste ». Ce à quoi j’ai répondu que, dans la droite ligne de la conception française de la fonction publique, nous construisions un statut républicain. Après quelque temps, leurs critiques ne se sont plus différenciées des remarques que pouvaient faire n’importe quel parlementaire de gauche. J’ai pensé à un moment pouvoir obtenir un vote unanime sur les textes de lois. Mais la droite éprouvait encore le ressentiment né de sa défaite à l’élection présidentielle.

Le conflit né en juillet 1981 avec le ministre de l’Intérieur a-t-il perduré ?

J’ai été quelque temps en bisbille avec Gaston Defferre, de même que mon cabinet avec le sien. Cela eut une fin. Ce qui intéressait avant tout le ministre de l’Intérieur, c’était d’organiser les transferts des exécutifs des départements des mains des préfets vers celles des présidents élus. De plus, par leurs fonctions au sein du cabinet du ministre de l’Intérieur, Eric Giuily et Olivier Schrameck étaient naturellement conduits à prendre en compte l’intérêt des élus locaux. Il n’en restait pas moins qu’ils étaient imprégnés d’une culture de fonctionnaires de l’Etat. De plus, ils étaient, tous deux, conseillers d’Etat. Or, le Conseil d’Etat était depuis longtemps favorable à une fonction publique de carrière.SGF-recto3-207x300

Quelle fut l’attitude du président de la République ?

François Mitterrand ne s’est pas beaucoup intéressé au dossier. Ce fut pour moi une très grande chance. On connaît son sentiment sur la réforme par le témoignage qu’en a livré Jacques Fournier*, secrétaire général du gouvernement à cette période. Lors du Conseil des ministres du 29 mai 1985, François Mitterrand s’est interrogé à haute voix sur l’utilité de l’ensemble législatif concernant le statut de la fonction publique. « À mon sens ce n’est pas ce que nous avons fait de mieux », a-il dit. En évoquant une « rigidité qui peut devenir insupportable » et des « solutions discutables ». « On ne peut plus recruter un fossoyeur dans une commune sans procéder à un concours », ajouta-t-il. Avant de conclure : « Je ne suis pas sûr, en définitive, que ces lois aient longue vie ». Ce trentième anniversaire témoigne de son erreur de jugement.

Quelles avancées représentent les lois statutaires du 13 juillet 1983 et du 26 janvier 1984 pour les agents des collectivités ?

Elles ont marqué un progrès tant dans l’ordre de la clarification de l’organisation de la FPT que dans celle de l’amélioration des conditions matérielles et morales des agents publics des collectivités territoriales. Ceux-ci ont tout d’abord bénéficié des avancées du statut des fonctionnaires de l’État définies en 1946 et réformées par l’ordonnance du 4 février 1959 : distinction des catégories A, B, C, corps et statuts particuliers, régime spécial de protection sociale et de retraite, droit syndical, organismes paritaires, etc. Ils se sont vu également reconnaître les nouveaux droits expressément introduits en 1983 dans le titre 1er pour tous les fonctionnaires : droit de négociation reconnu aux organisations syndicales, droit à la formation permanente, à l’information, droit de grève, liberté d’opinion, la mobilité reconnue garantie fondamentale, etc. Cette loi du 13 juillet 1983 a fait des agents territoriaux des fonctionnaires, sur un même pied d’égalité que les autres. On a tourné le dos à la loi de finances du 31 décembre 1937, qui interdisait aux communes de dépasser les rémunérations versées aux fonctionnaires de l’Etat pour des fonctions équivalentes. On peut parler de dignité restaurée.

Avec la première cohabitation, la majorité de droite n’a pas tardé à revenir sur la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

Cette tentative s’est concrétisée par la loi du 13 juillet 1987, dite « loi Galland », qui, en substance, a réintroduit des éléments de fonction publique d’emploi dans l’ensemble du statut général. Le texte a ainsi rétabli, dans la fonction publique territoriale, la liste d’aptitude au lieu du classement par ordre de mérite du concours. Ce fut donc le retour du système des « reçus-collés ». Par ailleurs, il a remplacé les corps par des cadres d’emploi. La comparabilité des deux fonctions publiques en est affectée et, par là, la garantie de mobilité de l’article 14 du titre I du statut général. Enfin, la réforme a notamment encouragé le recours aux contractuels. En conclusion, cette réforme a profondément dénaturé le titre III du statut général des fonctionnaires relatif à la fonction publique territoriale. La même approche libérale a inspiré plus tard le rapport annuel du Conseil d’État de 2003 sur le rapport de Marcel Pochard – « Perspectives pour la fonction publique » – et le Livre blanc de Jean-Ludovic Silicani d’avril 2008.

Le statut général de la fonction publique a finalement résisté à toutes ces « attaques ». Avez-vous encore des inquiétudes ?

41zU3fpSWEL._SY445_Pascal Renaud, chef de service à la Direction générale de l’administration et de la fonction publique, estimait, début 2010, à 210 le nombre de modifications législatives et à plus de 300 le nombre de modifications réglementaires apportées au statut général depuis 1983. Malgré tout, le statut général est encore debout aujourd’hui. Pour moi, ce n’est pas tant pour des raisons juridiques que parce qu’il correspond à une conception très ancienne de la fonction publique, qui a émergé lentement au cours du XIXe siècle, puis dans la première moitié du XXe siècle. Si, un jour, une remise en cause se produisait, je pense qu’elle serait liée à la fonction publique territoriale. J’ai toujours, en effet, considéré qu’elle était « le maillon faible » de la construction statutaire. Dans ma bouche, ce mot n’a rien de péjoratif. Je veux dire que la culture qu’on y trouve est très différente. Par exemple, la relation entre le fonctionnaire territorial et l’autorité qui a le pouvoir de nomination se distingue nettement de celle qui existe entre le fonctionnaire d’Etat et son chef de service. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la fonction publique territoriale est la voie qu’affectionnent ceux qui souhaitent le retour à une fonction publique d’emploi, composée majoritairement de contractuels. Olivier Schrameck fait partie de ceux-là. Dans La Gazette des communes du 26 janvier 2009, il préconisait : la fonction publique territoriale « à l’avant-garde » de celle de l’Etat.

Quelles sont, selon vous, les deux ou trois grandes questions qu’il faudrait traiter en priorité dans le champ de la fonction publique territoriale ?

La suppression de la notion de cadres d’emploi au profit de celle de corps est souhaitable. D’autant que cela ne coûterait rien. La seconde grande question à traiter est celle de la mobilité. C’est un sujet qui n’a jamais obtenu une réponse satisfaisante. J’avais pris le soin de préciser dans le titre I du statut général que la mobilité est une garantie fondamentale et non une obligation. Mais nous n’avons pas trouvé les instruments adéquats. Mes successeurs n’y sont pas parvenus non plus. Un autre chantier qu’il serait opportun de lancer est celui de la gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences. Cela consisterait à prévoir, par exemple, le nombre de professeur des écoles dont on aura besoin à cinq, dix et même vingt ans. La possibilité pour les agents de changer de fonctions, au cours d’une carrière dont la durée est amenée à croître, est un sujet sur lequel il faudra aussi travailler. Mieux circonscrire les possibilités de recours aux contractuels, dont beaucoup sont indûment recrutés sur des emplois permanents, est une voie d’amélioration indispensable. Enfin, il faudrait favoriser plus largement l’égalité d’accès des hommes et des femmes aux emplois d’encadrement supérieur des fonctions publiques.

Dans son rapport au Premier ministre de novembre 2013, Bernard Pêcheur a préconisé la mise en place de « cadres trans-fonctions publiques ayant vocation à réunir, en les fusionnant, les corps ou cadres d’emploi qui, bien que relevant de fonctions publiques différentes, correspondent aux mêmes professions ». Il cite en exemple les psychologues et les agents des bibliothèques. Que pensez-vous de cette proposition ?

Si l’homogénéité des cadres professionnels communs est suffisante, je ne suis pas contre. La psychologie, pour ne reprendre que cet exemple, ne prend pas une coloration différente quand elle est exercée dans une collectivité locale. Donc, pourquoi pas. Mais cela pourrait poser des problèmes de gestion. Il faut, ainsi, arriver à déterminer l’autorité de tutelle des agents.

Propos recueillis par Thomas Beurey

*Jacques Fournier, Itinéraire d’un fonctionnaire engagé, Dalloz, 2008.

http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/Page/AccueilLocaltis

Acte III de la décentralisation : où en est-on ? – Séminaire de la FSU, le 10 décembre 2013

Continuité ou rupture ?

ob_32b49ab2df05b7dd48548c4d10bad3bc_debat-anRépondre à la question : où en est-on de la politique du gouvernement en matière de décentralisation sous le nom de l’Acte III n’est pas facile puisque c’est aujourd’hui même que l’Assemblée nationale entreprend, en séance publique, la discussion en deuxième lecture du projet que lui a soumis le gouvernement et qui porte essentiellement sur les métropoles avec focalisation dur le Grand Paris.

Durant sa campagne électorale, François Hollande avait mis l’accent sur la contractualisation. Le projet de mis au point  à l’automne 2012 était très complexe, il a finalement été divisé en trois : métropoles et grandes villes, région chef de file économique, solidarités territoriales des communes et des départements. Se pose ainsi la question du champ à considérer, plusieurs lois étant concernées  au delà de l’héritage Sarkozy : les trois projets de lois résultant du découpage, la loi sur les modes de scrutin, les lois de finances, les lois sur les fonctions publiques. Le premier projet de loi a été déposé au Sénat dit de « modernisation de l’action publique territoriale et de l’affirmation des métropoles ».

Il convient toutefois d’effectuer quelques rappels historiques au préalable.

Les premiers textes d’aménagement territorial datent de la  fin XIX° siècle : ils concernent le département et la commune, en les conservant sous la tutelle du préfet et des services de l’État.  La déconcentration est préférée à la décentralisation. Il faut aussi évoquer le  référendum du 28 avril 1969 qui portait sur la région et la réforme du Sénat et qui entraina la chute du général de Gaulle. On distingue sommairement les trois actes suivants.

Acte I : engagé par la loi Defferre du 2 mars 1982 il a institué : le contrôle a posteriori du préfet, le recours a postériori au tribunal administratif et à la chambre régionale des comptes, institué la région en collectivité territoriale, transféré l’exécutif du préfet au département, opéré un redéploiement des compétences et des ressources, prévu un statut de l’élu et des garanties aux agents publics des collectivités territoriales.

 – Acte II : constitué par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, dite loi Raffarin, elle a introduit : le référendum local pouvant être décisionnel, un droit de pétition élargi, l’autonomie financière des collectivités,  l’expérimentation législative sous conditions, de nouveaux transferts.

 Acte III : il a été initié par Nicolas Sarkozy (loi 16.12.2010). Il recherche une banalisation de l’aménagement du territoire français ; cette démarche a sans doute eu une influence sur le changement de majorité au Sénat à l’automne 2012.  François Hollande ne change pas l’appellation de l’entreprise : l’acte III.

Dans ces conditions la question se pose : continuité ou rupture ? On organisera l’analyse en trois volets : structures et compétences,, financement décentralisés et déconcentrés, statuts et réformes administratives.

1. Une organisation bouleversée

 Les structures

*** Sarkozy « pôles et réseaux » contre « frontières et circonscriptions » (St-Dizier, 20.10.2009) – « mille-feuilles » contre six niveaux (dominante économique : intercommunalité, région, Europe ; politique : commune, département, nation) – création de métropoles et pôles métropolitains – institution du conseiller territorial (contre parité, pour bipolarisation, perte de proximité) – rôle éminent du préfet de région.

 Principale novation : la création d’une « Conférence territoriale  de l’action publique» (CTAP), avec représentants des collectivités, des métropoles, de l’État.

 La CTAP définira un schéma de développement et un pacte de gouvernance (redéploiement à la carte et sanctions contre les récalcitrants). Interviendra le pilotage de la Banque publique d’investissement. Marylise Lebranchu parle plutôt de quatre-quarts que de millefeuille. Les PLU seront de la compétence des  communautés de communes. Les élections des conseillers généraux-départementaux se feront par binômes homme-femme pour les élections au conseil général. Le seuil de l’élection à la proportionnelle des municipales serait fixé  à 1000hbts. Il y aurait fléchage pour les élections aux intercommunalités. Le seuil pour la constitution des métropoles serait fixé à 400000 hbts.

Le Sénat avait profondément modifié le projet de loi, relativisant notamment le rôle de la CTAP et de son pacte de gouvernance, limité à des débats et des avis. Fin novembre en deuxième lecture, l’Assemblée nationale (commission) a confirmé la création d’un Haut Conseil des Territoire présidé par le Premier ministre, rétabli les prérogatives de la CTAP mais sans prévoir de sanction à l’égard des communes qui ne s’associeraient pas aux décisions de la CTAP, donné une définition complexe du Grand Paris essentiellement constitué de Paris et de la petite couronne.

Les compétences

*** Compétences spécifiques des départements et des régions mais avec possibilité de chefs de file – larges possibilités de conventionnement des métropoles – regroupements de collectivités sous l’autorité des préfets – le préfet de région-gouverneur.

On réaffirme le principe de l’absence de tutelle d’une collectivité sur une autre, mais il y a possibilité de désordre et d’inégalité dans le cadre de fonctionnement de la CTAP.

Les conséquences et les principes d’action

Affaiblissement des structures territoriales traditionnelles (notamment des communes rurales)  et de la démocratie locale au profit des regroupements, des métropoles et des préfets . On peut craindre un risque de bureaucratie.

Il convient d’agir pour le maintien de 36 000 communes, lieux de démocratie. La difficulté est de concilier les principes de l’indivisibilité de la République, celui de libre administration et de subsidiarité. Cette problématique doit être placée dans le cadre d’une réflexion institutionnelle.

2. Des financements propres compromis

Restrictions sur la dépense publique décentralisée

*** Sous Sarkozy : important transfert de charges financières des entreprises vers les ménages et une incertitude à terme sur le financement des collectivités  (compensation de la suppression de la taxe professionnelle) – création d’une contribution économique territoriale se subdivisant en taxes sur foncier et la valeur ajoutée – les collectivités réalisent  73% de l’investissement public et ne sont responsables que de 10% de l’endettement – financements croisés modestes.

Le gouvernement a annoncé une réduction des dotations aux collectivités de 4,5 milliards en 2014-2015. Les fonds propres continueront à représenter une part importante des financements. Il y a difficulté a concilier principe de libre administration et égalité des collectivités. A souligner l’importance des départements dans le service des prestations sociales, mais il y a de  fortes inégalités entre eux.

Restrictions sur la dépense publique déconcentrée

*** La politique du précédent quinquennat s’est caractérisée par la LOLF et la RGPP (374 mesures, 133 programmes, 620 actions, non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a eu pour effet de réduire les financements déconcentrés

La Modernisation de l’action publique (MAP) prend la suite avec pour objectifs : réforme de l’État, réduction de la dépense publique, motivation des agents, simplification des relations avec les usagers. Des évènements (challenge des administrations 2020) sont envisagés. Le CIMAP du 2 avril à enjoint à tous les ministères d’élaborer leurs programmes de MAP.

Conséquences et principes d’action

Les possibilités des services publics seront atteintes par la combinaison des restrictions financières déconcentrées et décentralisées et les réformes structurelles prévues.

Il faut instaurer une péréquations verticale et horizontale pour la solidarité nationale et des collectivités territoriales entre elles, entreprendre la  réhabilitation de la rationalisation des politiques publiques, remettre en cause la dérive managériale et son vocabulaire associé. Se pose la question du rôle du secteur public et de la propriété publique (pôle public, nationalisations, appropriation sociale).

3. Des acquis statutaires et des pratiques administratives remis en cause

La fonction publique territoriale « maillon faible »

*** la « révolution culturelle » de Sarkozy (IRA de Nantes le 19.9.2009)  – création de la FPT en 1983-84 – loi Galland du 13.7.1987 – rapports Pochard et Silicani – le service public « amortisseur social » dans la crise.

Avec le nouveau président de la République le contexte est plus favorable, mais il reste incertain. Un projet de loi sur la déontologie et une certaine rénovation statutaire a été présentée en conseil des ministres le 17 juillet pour marquer le 30° anniversaire du statut, après un colloque le 13 juillet. Un autre projet de loi est en perspective en liaison avec la  mission Pêcheur sur la réforme de la gestion administrative des fonctionnaires et les perspectives d’évolution de la fonction publique. D’une manière générale il n’y a pas de retour significatif sur les régressions de la droite et on doit relever un manque d’ambition. Toutefois, le contexte d’action apparaît  plus favorable.

Le rapport Pêcheur, remis au Premier ministre début novembre présente des points d’appuis positifs : il réaffirme notamment  les principes sur lesquels avait été établi le statut de 1983-1984-1986, il reconnaît la perte de pouvoir d’achat des fonctionnaires au cours des dernières années considérant qu’une limite est atteinte, il exprime une volonté de programmation à moyen terme dans plusieurs domaines (indemnités, durée du travail, rémunérations, etc.), il propose une gestion coordonnée des trois fonctions publiques grâce au conseil supérieur commun aux trois fonctions publiques. Malheureusement, en particulier, il ne revient pas sur les 210 « transformations souterraines » (Christian Vigouroux) ayant porté atteinte au statut originel, il donne excessivement dans la mode déontologique, fait des proposition très complexes à réaliser des recrutements et déroulements de carrières, il valide le recours aux contractuels de manière excessive, etc.

Des réformes administratives hypothétiques

*** Dans la période antérieure il y avait assujettissement de l’appareil d’État au marché – démantèlement de l’administration rationalisante (CGP, DATAE, CNE, HCEP, etc.) – au plan local, les directions représentant les ministères devaient être réduites au maximum à huit dans les régions et trois dans les départements.

Il y a retour partiel sur cette orientation : création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) à la mission floue et contraire à l’orientation générale.

Conséquences et principes d’act

Il y a un risque de recul de la démocratie locale, régression des services publics dont les segments les plus rentables risquent d’être accaparés par le secteur privé avec réduction corrélative des effectifs statutaires et un recours accrus à la contractualisation accompagné d’un  développement du clientélisme et un risque accru de corruption. Un projet de loi sur la simplification des relations administrations-citoyens est prévu.

Il faut poursuivre la défense des valeurs et des principes républicains forgés par l’histoire. Il convient de revenir sur toutes les régressions introduites dans le statut par la droite, de promouvoir des revendications structurelles (gestion prévisionnelle, multi-carrières, mobilité, etc.). On doit également s’intéresser à l’élaboration d’un statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé. Des réformes administratives doivent également être engagées : codification, rationalisation, efficacité des structures gouvernementales. Le XXI° siècle peut et doit être l’« âge d’or » du service public. A cette fin, il convient de veiller à une étroite convergence des actions de la population, des élus et des fonctionnaires.

Acte III de la décentralisation : continuité ou rupture ?

Colloque de la Convergence nationale de défense des services publics – Bourse du travail de Paris, 22 juin 2013

La France s’est traditionnellement dotée d’une organisation centralisée. Pour administrer le territoire, elle a généralement préféré la déconcentration à la décentralisation. Les premières lois datent de la fin du XIX° siècle et concernent, d’une part le département et le conseil général, d’autre part le maire et le conseil municipal dans la commune. Leurs compétences sont limitées ; ces collectivités territoriales sont en fait placées sous la tutelle des préfets et des services de l’État. Après l’échec du référendum de de Gaulle du 28 avril 1969 qui se proposait de réformer la région et le Sénat, la situation change à partir de l’alternance de 1981 et la priorité donnée par François Mitterrand à la décentralisation qui conduit depuis à distinguer trois actes successifs.

Acte I : engagé par la Loi Defferre du 2 mars 1982. Elle est marquée par trois réformes principales : suppression de la tutelle du préfet dont le contrôle intervient a postériori par les moyens du tribunal administratif et de la chambre régionale des comptes ; transfert de l’exécutif du département du préfet au conseil général ; élévation de la région au rang de collectivité territoriale de plein exercice. Les compétences et l’allocation des ressources sont redéployées entre l’État et les collectivités. La loi prévoyait aussi l’élaboration d’un statut de l’élu et de nouvelles garanties statutaires pour les agents, ce qui aboutit à la loi du 26 janvier 1984 créant la fonction publique territoriale.

Acte II : c’est le fait de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, dite loi Raffarin. Elle porte sur : la démocratie locale directe (référendum pouvant être décisionnel dans certains cas, droit de pétition), l’autonomie financière des collectivités territoriales, le statut des collectivités d’outre-mer. L’expérimentation législative est introduite sous certaines conditions. Les termes région et décentralisation sont introduits dans la constitution. La loi prévoit de nouveaux transferts de compétences et de ressources (ATOS, formation professionnelle, transports ferroviaires régionaux). Les résultats décevants conduisent à envisager un nouvel acte.

Acte III : il avait été initié par Nicolas Sarkozy dans le cadre de ses entreprises de « banalisation » de la France (Maecel Gauchet, Le Débat, Gallimard, septembre-octobre 2010). Elle avait été mise en œuvre par la loi du 16 décembre 2010, essentiellement d’orientation. Cette politique n’a pas été sans conséquence sur le changement de majorité au Sénat en 2011.

Le projet est repris par François Hollande qui l’avait annoncé durant sa campagne, mettant l’accent sur la contractualisation qui a fait l’objet d’un rapport officiel en remis en janvier 2013.

 Le projet extrêmement complexe transmis au Conseil d’État (175 pages pour une centaine d’articles) a finalement été divisé en trois parties pour des raisons de prudence dans la perspective des élections municipales de 2014 : 1/ Les métropoles et les grandes villes : les PLU seraient confiés aux intercommunalités (Conseil des ministres du 10 avril 2013). 2/ Les régions qui seraient promues « chef de file » économique, chargées des questions d’apprentissage, d’aide européennes et aux entreprises. 3/ Les solidarités territoriales précisant le statut des communes, intercommunalités et départements. Une conférence territoriale serait chargée d’assurer la cohérence d’ensemble. L’exposé des motifs de ces projets est d’une extrême généralité.

Mais l’analyse ne saurait être circonscrite au champ défini par ces trois projets de lois de décentralisation. Les modes d’élections départementales, municipales, aux communautés de communes font l’objet d’un texte législatif séparé. Les aspects financiers seront principalement traités par les lois de finances. Quant aux personnels travaillant dans les collectivités territoriales et appartenant aux trois fonctions publiques, ils feront sans doute l’objet de réformes spécifiques. Dès lors – en rappelant que l’Acte III a été initié par Nicolas Sarkozy – l’analyse, à ce stade, doit être menée avec une certaine réserve.

Toutefois on peut poser dès maintenant la question: continuité ou rupture ?

1. Structures et compétences

 Les structures

 (en italique, l’ Acte III tel que mis en œuvre par N. Sarkozy)

*** La réforme Sarkozy préconisait, pour freiner les délocalisations de s’appuyer sur les « pôles et les réseaux » plutôt que sur les « frontières et les circonscriptions » (St-Dizier, 20.10.2009). Il utilisait l’image du mille-feuilles alors qu’il n’y a que six niveaux significatifs : trois politiques (commune, département, nation) qui doivent dominer trois économiques (intercommunalité, région, Europe) et non l’inverse. La création des métropoles et des pôles métropolitains avaient le même effet de déstabilisateur des collectivités existantes . Des conseillers territoriaux devaient être mis en place en 2014 aux effets négatifs : réduction du nombre, parité contrariée, bipolarisation.

Un projet de loi devait être présenté au Parlement à l’automne 2012. Selon le Gouvernement, il ne s’agissait pas d’un « grand soir » des territoires. Le projet rencontre l’hostilité des élus. Les régions étaient chargées de l’économie et de l’innovation ; les départements de la cohésion sociale ; les communes et communautés de commines gardaient leurs prérogatives. La novation était la création d’une « Conférence territoriale  de l’action publique» (CTAP – représentants de la région, des départements, des communes et communautés de communes, de l’État et des métropoles) présidée par la région et chargée de l’élaboration du schéma de développement économique et d’. La CTAP pourrait opérer une redistribution des compétences mettant en œuvre une décentralisation « à la carte ». Le PLU serrait de la responsabilité de la communauté de communes. Par ailleurs, des « binômes » homme-femme avec  scrutin majoritaire et cantons redécoupés seront introduits aux élections au conseil départemental qui pourrait être reportées à 2015 (pas de proportionnelle, bipolarisation). Pour les municipales relèvement du seuil de proportionnelle à 1000 habitants. On procèdera à un fléchage pour les intercommunalités. Les métropoles seront définies pour villes de plus de 400 000 habitants. Le projet a du faire face à des problèmes de gouvernance à Paris et Marseille, à l’absence d’avis donné par le président du conseil de la Région Rhône-Alpes, à l’échec du référendum en Alsace. Les particularismes ont occulté l’intérêt général et l’unité de la République.

 En première lecture la commission des lois du Sénat a profondément modifié le premier projet de loi du gouvernement en réduisant considérablement les prérogatives de la CTAP : son rôle se réduirait à rendre des avis et à des débats sur des sujets d’intérêts locaux ; le pacte de gouvernance serait transformé par le gouvernement en convention. Si la compétence générale des collectivités territoriales est rétablie, les métropoles se voient confirmées avec des compétences larges renforcées, leur seuil de création est cependant  relevé à 450 000 habitants ce qui pourra en réduire le nombre (Paris, Lyon, Marseille, Nice), ces dernières connaissent une élaboration chaotiques. L’automaticité de création et d’adhésion aux métropoles est supprimée.

 Les compétences

 *** Les départements et les régions auraient eu des compétences spécifiques mais avec possibilité de transferts et de désignation de « chef de file ». Les métropoles (établissements publics d’un seul tenant) concurrencraient les collectivités constitutionnellement reconnues. Possibilité dé regroupement de ces collectivités. Pas de compétence générale des métropoles mais de larges capacités de conventionnement. Compétence importante des préfets dans la définition des schémas et regroupements. Le préfet de région-gouverneur.

Est réaffirmé le principe qu’il n’y a pas de tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre, ce qui aura lieu inévitablement mais dans le désordre au sein de la CTAP.

 Les conséquences et les principes d’action

 *** Affaiblissement des structures territoriales traditionnelles (notamment communes rurales)  et de la démocratie locale au profit des regroupements, des métropoles et des préfets. Deux principes républicains doivent être rappelés : l’unité de la République qui implique que c’est au niveau national que se définit l’intérêt général (condamnation par voie de conséquence de l’expérimentation à conséquences législatives) ; le principe de libre administration des collectivités territoriales posé par l’article 72 de la constitution. Ajoutons-y un principe de subsidiarité démocratique qui doit se traduire par le renforcement des pouvoirs d’intervention des citoyens eux-mêmes. Cette situation et ces perspectives invitent à replacer la question de la réforme territoriale dans le cadre d’une réflexion sur les institutions.

2. Financements décentralisés et déconcentrés

 Le financement public décentralisé

 *** La réforme Sarkozy se traduisait par un important transfert financier des entreprises (presque toutes bénéficiaires)  vers les ménages et une incertitude à terme sur le financement des collectivités territoriales (pas de compensation de la suppression de la taxe professionnelle). La réforme prévoyait  la création d’une contribution économique territoriale se subdivisant en taxes sur les bases foncières (communes et intercommunalités) et sur le valeur ajoutée (départements et régions). La Cour des comptes a critiqué le non transfert des financements des compétences décentralisées ce qui pèse sur la satisfaction des besoins publics. Les collectivités territoriales assurent 73 % de l’investissement public et ne sont responsables que de 10 + de l’endettement. Les financements croisés ne représentent que 6 à 12 % des deux-tiers des financements spécifiques.

 Les textes actuels ne prévoient aucun nouveau financement. Le gouvernement a annoncé une réduction des dotations aux collectivités territoriales  de 4,5 milliards en 2014-2015. La part de l’État a beaucoup baissé en 10 ans dans le financement des prestations sociales au niveau départemental. Il est, en tout état de cause, difficulté de concilier le principe d’égalité et la libre administration des collectivités territoriales pose par l’article 72 de la constitution.En 2003, on avait prévu que les fonds propres devaient représenter une part « déterminante » des financement ; le conseil constitutionnel a imposé une part « importante ».Les départements jouent un rôle essentiel dans le service des prestations sociales (petite enfance, handicapés, RSA …). 3,5 millions de personnes en sont allocataires. À cet égard il existe de fortes inégalités entre départements. Péréquation (égalité difficile (libre administration). La part de l’État ne cesse de régresser.

 Le financement public déconcentré

*** La LOLF et la RGPP (37 missions, 133 programmes, 620 actions, non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite – 2007-2012) ont eu pour effet de réduire les financements déconcentrés.

 La Modernisation de l’action publique (MAP) prend la suite de la RGPP. Pour le moment c’est une coquille vide avec comme objectifs : la réforme de l’État, la réduction de la dépense publique, la motivation des agents, la simplification des relations avec les usagers ; on y inclut des évènements (challenge des administrations 2020). Le premier  « projet de loi », a été déposé au Sénat, sous l’intitulé de « modernisation de l’action publique territoriale et de l’affirmation des métropoles ». Le CIMAP du 2 avril  a enjoint à tous les ministères d’élaborer leurs programmes de MAP

Conséquences et principes d’action

*** Les services publics étaient  atteints par la combinaison des restrictions financières déconcentrées et décentralisées et les réformes structurelles prévues.

La réduction des financements décentralisés et déconcentrés aura pour conséquences : l’affaiblissement des service publics, l’accaparement des plus rentables par le privé, la réduction des effectifs titulaires, le recrutement de contractuels, le clientélisme et la corruption. Une réforme des finances des collectivités territoriales est nécessaire ; elle doit assurer à travers des mécanismes de péréquations verticale et horizontale une véritable solidarité des collectivités territoriales pour qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle essentiel dans le fonctionnement démocratique du pays. Il ressort de ce qui précède que cela implique aussi une réhabilitation de la rationalité dans la conduite des affaires publiques, une remise en cause de la dérive managériale qui marque parfois la conduite de certains élus et du vocabulaire associé. Plus généralement, on doit évoquer aussi le rôle du secteur public industriel et financier et la question de la propriété publique (pôle public, nationalisations, appropriation sociale).

3. Question statutaire et réforme administrative

La fonction publique

 *** Nicolas Sarkozy avait eu l’ambition d’une « révolution culturelle » dans la fonction publique (Nantes, 19.9.2009). Les agents publics des collectivités territoriales étaient devenus fonctionnaires en 1983 donc on célèbre cette année le 30° anniversaire. La fonction publique sortait d’une histoire humiliante, mais elle est apparue dès le départ comme le « maillon faible » de la construction statutaire de 1983-1984-1986. Des atteintes graves l’ont dénaturée largement (loi Galland du 13.7.1987). L’entreprise sarkozyste préparée par les rapports Pochard (2003) et Silicani (2008) a échoué en raison de la crise de 2007-2008 qui a souligné le rôle d’ « amortisseur social » du service public. Les gouvernement de gauche accédant au pouvoir n’ont jamais remis en cause les atteintes portées par la droite au statut général des fonctionnaires.

C’est sur le terrain statutaire sans doute que le contraste est le plus accentué entre l’objectif de démantèlement du statut général par Nicolas Sarkozy et les prévisions de réformes que le gouvernement semble envisager.  Les réformes actuellement envisagées et qui doivent déboucher sur un projet de loi début juillet 2013 sont de caractère technique et souvent peu claires. Elles portent sur la déontologie et évoque les valeurs du fonctionnaire mais souvent par leurs contraintes ; on ne revient pas sur les mesures régressives de la droite (réduction de l’interpénétration public-privé, mais pas de retour sur la loi Galland). De nombreuses mesures de rénovation statutaires sont proposées mais elles sont marginales et ne constituent pas un ensemble cohérent. Une telle stratégie manque d’ambition mais ne remet pas en cause l’édifice statutaire des fonctions publiques.

 Les réformes administratives

*** L’assujettissement de l’appareil d’État au marché a été activement mené. Le démantèlement de l’administration de rationalisation et de contrôle de la dépense publique a fait l’objet de nombreuses réformes au cours des dernières années (CGP, DATAR, CNE, HCEP, etc.). Au plan local, les directions représentant les ministères devaient être réduites au maximum à huit dans les régions et trois dans les départements

Le pouvoir actuel semble vouloir revenir partiellement sur cette orientation, notamment par la création qui se veut sans doute emblématique du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Mais la mission de ce dernier reste floue et contraire à la démarche générale du pouvoir.

Conséquences et principes d’action

*** Si la politique initiée par Nicolas Sarkozy devait être continuée, les conséquences seraient graves : recul de la démocratie locale, régression des services publics dont les segments les plus rentables seraient accaparés par le secteur privé, réduction corrélative des effectifs statutaires et recours accrus à la contractualisation, développement du clientélisme et risque accru de corruption.

La politique actuelle concernant la fonction publique présente quelques garanties. Celle relative aux réformes administratives est pratiquement inexistante en dehors des conséquences évoquées de la politique de décentralisation de l’Acte III.

 La défense des valeurs et des principes républicains forgés par l’histoire doit être rappelé. Le préalable à toute proposition dans la fonction publique consisterait à revenir sur toutes les régressions introduites dans le statut par la droite (type loi Galland). Des revendications structurelles sont néanmoins nécessaires (gestion prévisionnelle, multi-carrière, mobilité, etc.). Cela doit être combiné avec l’élaboration d’un statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé. En matière de réformes administratives, les efforts de modernisation doivent être développés sur un terrain pratique dans la perspective d’un changement des mentalités. Elles doivent aussi progresser sur le terrain juridique (codification) et économique (rationalisation). Elles doivent concourir à la clarification et à l’efficacité des structures gouvernementales. Le XXI° siècle peut et doit être l’ « âge d’or » du service public.

Une autre réforme territoriale est nécessaire et possible tant en ce qui concerne les questions de structures, de compétences, de financements que de garanties statutaires des fonctionnaires territoriaux et de réformes administratives. Cela suppose une étroite convergence des actions de la population, des élus et des fonctionnaires.

 

 

Service public, travail et démocratie – CGT Communauté urbaine de Strasbourg, 17 janvier 2012

SERVICE PUBLIC, FONCTION PUBLIQUE, ENJEUX POLITIQUES

Que le service public et sa partie centrale la fonction publique soient un enjeu ne souffre guère de discussion L’article 20 de la constitution n’énonce-t-il pas : « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration … ». Le texte laisse penser que l’administration n’est qu’un instrument passif entre les mains du pouvoir exécutif et, par là, que la formule s’appliquerait aux fonctionnaires eux-mêmes, ce que confirmait bien Michel Debré dans les années 1950 en déclarant : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait. » C’est la conception du fonctionnaire sujet. Nous savons bien que la réalité est bien plus complexe et que les fonctionnaires, propriétaires de leur grade ont une existence propre et que, si le principe hiérarchique a longtemps prévalu, il ne saurait ignorer que les agents du service public sont aussi des citoyens qui ont le droit et le devoir de se forger une idée sur la conception du service public qui regroupe leurs missions.

Cette nature contradictoire du service public n’est pas une question nouvelle. Je voudrais donc tout d’abord montrer comment les principes qui régissent le service public et la fonction publique en France sont issus de notre histoire. Puis caractériser l’offensive dont ils sont l’objet au cours de la dernière période. Enfin, m’interroger sur la contre-offensive possible et nécessaire.

I. DES PRINCIPES ISSUS DE NOTRE HISTOIRE

Sur la plupart des thèmes participant du débat politique actuel – la réforme des collectivités territoriales, par exemple -sont évoqués l’intérêt général, le service public, la fonction publique, idées qui se sont forgées au cours des siècles : création du Conseil d’État du Roi sous Philippe Le Bel à la fin du XIIIème siècle, apparition des intendants au XVème sciècle et des Ponts et Chaussées au XVIIème, articles 1er et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, École française du service public à la fin du XIXème , les services publics dans le programme du CNR, le statut général des fonctionnaires en 1946. Ces notions se sont incarnées dans des personnages historiques importants : de Richelieu à de Gaule.

1.1. L’intérêt général

Les économistes néo-classiques ne sont parvenus à définir qu’un « optimum social », préférence révélée des consommateurs. Le citoyen ne se réduit pas au consommateur ni à au producteur.

Le juge administratif a considéré que c’était au pouvoir politique de le définir dans un débat démocratique. Il en a fait cependant usage, mais de façon subsidiaire dans l’application du principe d’égalité. Il a identifié des activités relevant de l’intérêt général.

Il siège dans les notions de déclaration d’utilité publique, d’ordre public. Les « actions positives » doivent être proportionnées à la différence des situations ou à l’intérêt général invoqué qui ne doit pas porter une atteinte excessive aux intérêtes privés.

L’intérêt général, comme l’État réputé en être le garant, est donc bien un champ contradictoire et non consensuel. Le mouvement social est-il en mesure de s’y investir pleinement ?

1.2. Le service public

Une notion simple à l’origine : une mission d’intérêt général, une personne morale de droit public, un droit et un juge administratifs ; la couverture par l’impôt et non par les prix ; la reconnaissance de prérogatives de service public.

Une notion devenue complexe : interpénétration public-privé (régie, concession, délégation), hétérogénéité croissante, développement du secteur associatif. Le contrat le dispute à la loi.

La contradiction s’exacerbe dans le cadre de l’Union européenne dont les critères sont essentiellement économiques (« éonomie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée »). Le service public est ignoré (sauf art. 93 du traité sur le foncyionnement de l’Union européenne, TUE), définition des SIEG et des SIG et, plus récemment, des SNSIG Protocole n°26 du TFUE). La jurisprudence de la CJCE tend cependant à faire une place aux acticités d’intérêt général ; le régime de la propriété n’est pas préjugé (art. 345). L’attachement aux services publics a joué un rôle important dans le rejet du traité constitutionnel le 29 mai 2005.

Peut-on envisager un renforcement des services publics avec une propriété publique affaiblie ?

1.3. La fonction publique

Création ancienne d’une administration centralisée. Le principe hiérarchique est longtemps dominant. Création de règles jurisprudentielles et rejet de la notion de « statut carcan » par les syndicats pendant la première moitié du XXème siècle. Premier statut de 1941 sous Vichy. La loi du 19 octobre 1946, premier statut démocratique. Redistribution législatif-réglementaire en 1959.

L’élaboration du statut actuel en 1981-1986 : les 3 principes d’égalité, d’indépendance, de responsabilité. La conception du fonctionnaire-citoyen. Une fonction publique à « trois versants » (FPE, FPT, FPH).

Montée en puissance des personnels sous statut : 200 000 fonctionnaires début XXème siècle, 1 million en 1946, 2,1 millions en 1981, 5,3 millions aujourd’hui. 146 articles législatifs en 1946, 57 en 1959. La codification en cours comporterait 1 600 articles législatifs et 6 000 articles réglementaires. Le statut actuel connaît la plus grande longévité (29 ans pour le Titre I) contre la prévision de F. Mitterrand en 1986.

Quelle affirmation de la spécificité du service public ? Le fonctionnaire est-il un citoyen, un salarié comme les autres ?

II. UNE OFFENSIVE SANS PRÉCÉDENT

Selon Marcel Gauchet, la stratégie du sarkozysme c’est la « banalisation » de la France. La France, une somme d’ « anomalies » : le modèle d’intégration, la laïcité, le service public, les collectivités territoriales, le droit d’asile, etc.

Le « pragmatisme destructeur » contre l’ « ardente obligation ». L’ « identité nationale » comme contre-feu.

2.1. La réduction de la dépense publique

La France n’est pas sur-administrée (93 agents publics pour 1 000 habitants), les fonctionnaires ne sont pas une charge excessive pour les finances publiques.(les rémunérations représentent 12,8 % du PIB, en baisse, toutes fonctions publiques confondues).

Des précédents : la commission de la Hache dans les années 1950, la RCB, la LOLF (34 missions, 132 programmes, 620 actions) et sa « fongibilité asymétrique ».

La RGPP : non remplacement d’un fonctionnaire sur deux ; plus de 300 mesures administratives, pas de concertation. Le démantèlement de l’ « administration rationalisante : DATAR, CGP, CNE, HCEP, HCCI, CIRA, DP, CECRSP, INSEE, A de F, etc.

Primauté à la « main invisible » sur la « main visible ». La loi du marché ou celle de la volonté publique ?

2.2. Démantèlement des services publics et de la fonction publique

Une spécificité française : une fonction publique de 5,3 millions, environ 6 millions avec les entreprises et organismes publics (un quart de la population active). Un môle de résistance au marché et à la contractualisation.

L’attaque n’a pas commencé acec Sarkozy : loi Galland du 13 juillet 1987 ; suppression de la 3ème voie d’accès à l’ÉNA, de la loi sur droit de grève de 19 octobre 1982). Changement de statuts de La Poste et France Télécom en 1990 (P. Quilès), d’Air France en 1998 (J-C. Gayssot), rapport du Conseil d’État 2003 préconisant la contractualisation comme « source autonome du droit » de la fonction publique. Atteintes sectorielles par les lois de modernisation du 2 février 2007 et sur la mobilité du 3 août 2009.

La « révolution culturelle » dans la fonction publique annoncée par Nicolas Sarkozy le 19 septembre 2007. Il diligente le Livre Blanc de J-L. Silicani (contrat contre loi, métier contre fonction, performance individuelle contre efficacité sociale). La crise révélatrice du rôle d’ « amortisseur social » du service public (emploi, pouvoir d’achat, protection sociale et retraites, éthique). Dans les conditions nouvelles, le « Grand soir statutaire » n’aura pas lieu, mais le cap est maintenu et les atteintes se poursuivront.

Les gouvernements de gauche ne reviennent pas sur les atteintes de la droite. Qu’en serait-il dans une hypothèse de retour au pouvoir de la gauche en 2012 ?

2.3. La réforme des collectivités territoriales

La justification par la compétition internationale (St-Dizier, le 20 octobre 2009). Priorité aux « pôles et aux réseaux » sur les « circonscriptions et les frontières ».

Pas de « mille-feuilles » mais 2 triptyques : commune-département-nation (politique) contre agglomération-région-Europe (économique). Trois décisions majeures : les conseillers territoriaux, les métropoles, la suppression de la taxe foncière

Des conséquences très déstabilisatrices vont s’ensuivre. En premier lieu, une détérioration de la situation matérielle et morale des fonctionnaires : effectifs, contractualisation, clientélisme. Propositions de loi Gorge (le contrat comme modalité de droit commun, le statut comme exception), et Poisson (marchandisation des emplois public-privé). En deuxième lieu, l’affaiblissement des services publics déconcentrés (8 directions dans les régions, 2 à 3 dans les départements) comme conséquence de la RGPP, se combinant avec l’affaiblissement des services publics décentralisés. En troisième lieu, la présidentialisation accrue avec le rôle dévolu aux préfets et spécialement au préfet de région véritable proconsul (carte des regroupements de communes, périmètre des métropoles, conventions départements-régions).

La voie d’une autre réforme des collectivités territoriales est possible : articulation des niveaux, principes d’unité de la République et de libre administration des collectivités territoriales. Récusation de l’idéologie managériale proposée aux élus dans la gestion des affaires publiques et du vocabulaire qui l’accompagne.

La convergence : fonctionnaires, élus, opinion populaire, difficilement réalisée dans le passé est-elle envisageable aujourd’hui ?

III. OUVRIR DES PERSPECTIVES

Défendre les services publics, mais surtout inscrire leur promotion dans une perspective. Ne pas se contenter de discours généraux.

3.1. Se positionner sur les valeurs et principes

Le pouvoir ne néglige pas les valeurs : 75 des 146 pages du Livre Blanc Silicani y sont consacrées sans qu’il en tire les conséquences.

Réaffirmer les valeurs et principes de l’intérêt général, sur le service public, de la fonction publique, précédemment évoqués. Il faut évoquer aussi l’unité et l’indivisibilité de la République et la libre administration des collectivités territoriales.

Le peuple français doit se réapproprier l’histoire, la science, la morale.

Il y a aujourd’hui un considérable déficit idéologique. Comment le combler ?

3.2. Faire des propositions constructives à tous niveaux

Ce pouvoir peut être tenu en échec : de la révolution culturelle, de la suppression du classement se sortie des écoles de la fonction publique ; critique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux par Philippe Séguin. Dissensions sur la taxe professionnelle, l’élection des conseillers territoriaux. Promesse aventureuse de titularisation des contractuels …

Faire des propositions concernant le service public et la fonction publique : par exemple reclassement indiciaire, réduction de la contractualisation, double carrière, conditions de mobilité, dialogue social, égalité hommes-femmes, etc.

Plus généralement, réhabiliter, dans le cadre d’une « économie des besoins », la planification, les nationalisations, les institutions.

Souligner le rôle des « États généraux du service public » et des nombreuses initiatives de défense des services publics.

Mais aussi pour un « statut des travailleurs salariés du secteur privé » (cf . Robert Castel, Ph. Cotis, position de la CGT). Il convient de favoriser la convergence organisée dans l’action avec le statut général des fonctionnaires. Les conceptions sont loin d’être convergentes sur le sujet.

3.3. Le service public « valeur universelle » ?

La montée de l’ « en commun » : valeurs universelles, protection de l’écosystème mondial, propriété des ressources du sol et du sous-sol, des produits alimentaires, projets industriels internationaux, mondialisation de services, des échanges, de la culture, du droit, etc.

La prise de conscience de l’unité de destin du genre humain caractéristique majeure du moment historique : « Terre-Patrie », le « Tout-Monde », « Patrimoine commun de l’humanité », « Biens à destination universelle », etc.

Le service public, valeur universelle. La contribution de la conception et de l’expérience française. Le XXIème siècle « âge d’or » du service public ?