À l’occasion du 40e anniversaire de la loi du 13 juillet 1983, l’AJFP a rencontré Anicet Le Pors, ministre de la Fonction publique de 1981 à 1984 et conseiller d’État honoraire. Le «père fondateur» du statut général évoque pour nous la genèse de la loi et les attaques dont le statut a rapidement fait l’objet. Il revient égale- ment sur la pérennité du statut et sur sa modernité ain- si que sur les enjeux actuels auxquels est confrontée la fonction publique.

AJFP : La loi du 13 juillet 1983 célèbre actuellement ses 40 ans. Quel regard général posez-vous sur l’évolution de la fonction publique ces dernières décennies ?

Anicet Le Pors : Il convient de replacer cette évolution dans le très long terme. Trois tendances lourdes, pluriséculaires, peuvent être dégagées qui conditionnent encore aujourd’hui l’évolution dans les dernières décennies. Une extension des administrations de l’État et des autres collectivités publiques. Une socialisation des moyens et des financements publics. Une maturation de principes et de concepts : intérêt général, services publics, fonction publique. Malgré le « tournant néolibéral » ayant entraîné une « politique de la rigueur » à partir du printemps,1983, le nombre de fonctionnaires ou assimilés est passé de 1 million en 1946, exclusivement de l’État, a aujourd’hui 5,7 millions couvrant les services de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers. Durant cette période, la fonction publique a dû faire face à un très fort développement des besoins sociaux, à une véritable révolution, informationnelle, au changement considérable intervenu dans les contextes nationaux et internationaux, aux problèmes posés par le changement climatique, etc. En dépit des défaillances de l’action publique, de l’insuffisance des moyens, les collectifs de base des services publics ont su relever les défis posés par les différentes crises et notamment en dernier lieu la crise sanitaire. Dès lors, la fonction publique et le statut général des fonctionnaires sont devenus de véritables enjeux de société, de civilisation.
Quelles motivations ont donné naissance à un statut commun à l’ensemble des agents publics titulaires au début des années quatre-vingt ?
Lors de l’alternance politique, dès 1981, le président de la République, François Mitterrand, ayant fait de la décentralisation une priorité, chargea le ministre de l’Intérieur Gaston Defferre d’élaborer un projet de loi en ce sens. L’avant-projet dont j’eus connaissance prévoyait bien un renforcement des garanties statutaires pour les agents publics des collectivités territoriales, mais en renvoyant leurs réformes au code des communes dans lequel elles étaient jusque-là insérées. Craignant alors l’instauration d’une fonction publique à deux vitesses, j’intervins à l’Assemblée nationale lors de la présentation du projet le 27 juillet 1981 soit un mois après mon entrée au gouvernement et je fis la proposition suivante :« la mise en place pour les personnels locaux d’un statut calqué sur celui de la fonction publique de l’État, c’est-à-dire sur le statut général des fonctionnaires. Il y a donc la une importante œuvre législative à prévoir, dont le champ d’application couvrira l’ensemble de la fonction publique nationale et locale. »[1]. Après débat, le premier ministre Pierre Mauroy validât cette démarche d’unification statutaire.
L’élaboration du statut composé de quatre lois dura près de cinq ans. On peut considérer aujourd’hui qu’il est le résultat de quatre choix. Celui de la conception du fonctionnaire-citoyen par opposition à celle du fonctionnaire-sujet qui avait prévalu pendant un siècle et demi antérieurement, c’est un héritage du statut de 1946. Le choix du système de la carrière conférant au fonctionnaire la propriété de son grade, garantie de son indépendance contre le système de l’emploi le liant excessivement à un métier. Le choix d’un juste équilibre entre unité et diversité, donnant lieu à la construction d’une fonction publique « à trois versants ». Le choix de trois principes ancrés dans notre histoire : égalité, indépendance, responsabilité.
À quels obstacles avez-vous dû alors faire face
Une fois tranchées les questions de l’orientation statutaire et de l’architecture d’ensemble du nouveau statut, les obstacles ont pu être aisément franchis. Au terme d’une négociation longue et approfondie, les organisations syndicales soutinrent unanimement le projet. Les maires et leurs associations manifestèrent des craintes que ce nouvel encadrement statutaire réduisit leurs prérogatives ; aujourd’hui, ils soutiennent majoritairement e statut. L’opposition parlementaire, fut discrète, faute de « grain à moudre ». Si le premier ministre Pierre Mauroy apporta son aide constante à la réforme, le président de la République, François Mitterrand, s’en désintéressa largement. Il ne découvrit en réalité le travail accompli que lors du passage en conseil des ministres, à l’automne 1985, du projet de loi sur le titre IV du statut relatif à la fonction publique hospitalière. Imprégné sans doute de l’idéologie néolibérale à laquelle il s’était rallié, il critiqua vivement ces lois trop lourdes qui, selon lui, pèsent sur l’administration. Mais c’était trop tard [2]…
En dépit des attaques que le statut a rapidement subies, il demeure encore 40 ans après ? Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Parce qu’il est un outil essentiel d’une société soucieuse de l’intérêt général, le statut s’oppose naturellement aux tenants d’une société de marché. Ces derniers préféreront toujours le recours à la panoplie d’instruments du « droit souple » (charte de bonne conduite, code de déontologie, contractualisation, etc.) plutôt que la régulation par le droit positif concourant à une certaine démarchandisation des rapports sociaux. En 40 ans, le statut a subi de nombreuses attaques frontales. dont je ne donne ici que quelques repères : en 1987, la loi Galland relative à la fonction publique territoriale change pour le symbole les corps en cadres et ressuscite le système des « reçus-collés » dans les concours ; en 2003, le rapport annuel du Conseil d’État préconise de faire du contrat une « source autonome du droit de la fonction publique » ; en 2007 le président Sarkozy, se prononce en faveur de contrats de droit privé négociés de gré à gré ; en 2008, le livre blanc Silicani oppose le contrat à la loi, le métier à la fonction, la performance individuelle à l’efficacité sociale ; enfin, la loi dite de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 débouche sur une tout autre conception de la fonction publique. Par ailleurs, des centaines de modifications du statut, souvent des dénaturations, sont intervenues, tendant à provoquer un véritable « mitage » du texte. S’il a été profondément défiguré, le statut a résisté à tout cela. J’y vois deux raisons : d’une part, la solide architecture juridique de la fonction publique « à trois versants », d’autre part, cet ensemble statutaire a été fondé sur des principes générés par l’histoire nationale que je viens de rappeler.
Le statut, longtemps conçu comme un élément de protection des agents, est à présent présenté par certains comme synonyme de rigidité. Comment expliquer ce changement d’appréhension ?
Ce n’est pas nouveau. La question de la plus ou moins grande rigidité du statut mériterait un débat. Mais ceux qui l’évoquent n’avancent jamais de justification concrète de leur critique. On peut observer trois types de comportements à cet égard. D’abord, celui des partisans de l’économie néolibérale adversaires résolus de toute réglementation, encadrant leurs actions et qu’i ne s’embarrassent pas d’apporter la preuve de ce qu’ils avancent. Il y a ensuite ceux qui, par facilité ou intérêt préfèrent recourir à des agents contractuels plutôt que de recruter des fonctionnaires. Il y a enfin ceux qui confondent règles statutaires et actes de gestion administrative. En fait, ce sont les auteurs des attaques que je viens de rappeler, qui, introduisant et développant de l’hétérogénéité dans les dispositions statutaires ont nui à la comparabilité des situations et par la fête obstacle, à la mobilité érigée en 1983 au rang de garantie fondamentale des fonctionnaires.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que le statut général est
désormais inapproprié face aux enjeux actuels ?
C’est Emmanuel Macron qui le premier a qualifié d’ « inapproprié » le statut[3], sans pour autant analyser sérieusement la réalité de la fonction publique et la nécessité de son évolution. Or, c’est cela qui permet de faire face aux enjeux de notre époque. La réalité de la fonction publique, c’est d’abord l’expression d’un travail collectif. On ne peut réaliser une réforme pertinente de la fonction publique sans le soutien des fonctionnaires et de leurs organisations syndicales représentatives. C’est pourquoi le statut de 1983 a introduit le droit à la négociation de ses organisations, droit largement méconnus depuis la fin des années 1980. Dans les crises, les collectifs de base ont fait la preuve de leur esprit de responsabilité et de leur capacité d’initiative dans le cadre de services publics. C’est aussi une réalité structurelle, impliquant une juste évaluation des qualifications et leur organisation au sein de catégories, corps, statuts particuliers assortis de grilles indiciaires correspondantes. C’est seulement sur cette base que peut être mise en place une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences tenant compte des évolutions technologiques et de celles des besoins de la population, et conduites, dans le cadre d’une planification démocratique, les transitions sociale, institutionnelle, climatique, numérique, énergétique et d’autres qui vont s’imposer. C’est aussi une réalité de long terme, qui ne peut être traitée dans la seule référence au principe de l’annualité budgétaire. C’est l’instrument par excellence du collectif, du structurel et du prospectif.
La conception de la fonction publique qui se dégage de la dernière loi majeure en la matière, la loi du 6 août 2019, est éloignée de celle des statuts de 1946 et 1981. De quels écueils cette loi est-elle selon vous porteuse ?
Il s’agit, en effet, d’une tout autre conception de la fonction publique, une dérive vers une fonction publique d’emploi, voire une généralisation du spoil system américain. Les attaques contre le statut évoquées précédemment ont été accompagnés d’une succession d’actions publiques, pernicieuses car toutes motivées par la volonté de réduire les financements nécessaires aux services publics et souvent élaborées avec le concours d’organismes privés tels que les sociétés Mac Kinsey et Cap Gemini comme l’a révélé un récent rapport du Sénat. Il s’agit notamment de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en 2006, de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) en 2008, de la Modernisation de l’action publique (MAP) en 2013, du Comité action publique 22 (CAP 22) en 2017. Aucune de ces opérations n’avait de bases rationnelles, scientifiques. Le gouvernement n’a pas osé publier un rapport attendu début 2018 de CAP 22 en raison de son caractère trop ostensiblement affiché par l’idéologie managérial du privé. CAP 22 fut donc un leurre. Mais si la démarche annoncée fut chaotique, la stratégie, elle, était clair. Elle a consisté au début du précédent quinquennat à parachever une réforme néolibérale du code du travail pour faire de l’entreprise privée la référence sociale majeure valable pour le public comme pour le privé, puis à supprimer le statut des cheminots, ce qui ouvrit la voie à la remise en cause du statut général des fonctionnaires par la loi du 6 août 2019. On peut résumer cette dernière par ces trois caractéristiques dominantes : un alignement du public sur le privé, un recrutement massif de contractuels, un renforcement du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif. Sur de telles bases, on peut craindre : une confusion des finalités de l’action publique entre intérêt général et intérêts particuliers, une multiplication des conflits d’intérêts, une captation de l’action publique par les puissances financières dominantes.
Quel regard portez-vous sur le code général de la fonction publique, dont la partie législative est entrée en vigueur en mars 2022 ?

L’éminent juristes du droit administratif, mon ami Guy Braibant, qui présida la Commission nationale de codification disait malicieusement : « La codification, s’effectue à droit constant, mais il n’est pas interdit de la faire à droit intelligent constant ». Il voulait dire par-là que si le codificateur doit respecter strictement le sens des dispositions législatives ou réglementaires qu’il codifie, il peut dans le choix des mots ou l’agencement des règles, apporter des modifications qui éclairent leur compréhension. Il n’ignorait pas les risques alors encourus, si ces modifications dépassaient la marge d’ajustements raisonnables. Partisan moi-même de la codification des textes, chaque fois que cela est possible et utile, je me suis réjouis d’être appelé à rapporter devant l’assemblée générale du conseil d’État pour la dernière fois dans ma carrière au sein de la juridiction sur la codification de la partie législative du code de la route. Mon rapport à la codification est moins satisfaisant s’agissant de la fonction publique. Dans les derniers jours de l’élaboration de la loi du 13 juillet 1983, a surgi la proposition d’une codification générale de cette loi et de celles à venir sur les trois versants de la fonction publique. Cette proposition a soulevé la colère des organisations syndical.es qui ont cru y voir la substitution de la notion de statut par celle de code. Je me suis opposé moi-même à cette manœuvre de dernière minute qui n’a pas abouti. Avec la codification des quatre lois statutaires de 1983–1986, la question est plus sérieuse et peut discréditer la notion même de codification. D’abord parce qu’elle s’applique à une matière devenue très hétérogène par l’ampleur des dénaturations intervenues depuis 1983 ; un assainissement préalable aurait été nécessaire, impossible dans les conditions politiques actuelles. Ensuite, parce que le réaménagement peut cacher des arrière-pensées, par exemple au début du code surgit le thème du dialogue social, alors que toutes les organisations syndicales se plaignent de sa déficience. Enfin, parce qu’il se dégage de cette codification qu’elle est réalisée davantage dans un esprit de direction des ressources humaines, plutôt que d’affirmation des droits et obligations des fonctionnaires et de l’équilibre à établir entre l’unité et la diversité des fonctions publiques correspondant aux trois versants.
Quel est selon vous le principal levier pour lutter contre cette crise d’attractivité ?
Il fut un temps, dans ma Bretagne d’origine, où parlant d’un fonctionnaire, on disait qu’il avait de la chance et l’honneur de travailler « sous l’État ». On n’entend plus cela, mais je pense néanmoins qu’il en reste quelque chose dans la culture populaire. L’attractivité des emplois occupés par les fonctionnaires doit s’apprécier aujourd’hui dans un contexte de crise de société aux multiples dimensions où les fonctionnaires ont souvent été en première ligne. Au cours des dernières décennies, ils ont été souvent dénigrés, l’insuffisance de leur rémunération a nourri chez eux le sentiment d’un déclassement social, le manque de moyens et la dégradation des conditions de travail ont pu les faire douter de leur utilité. Et ils ont fait savoir tout cela. Comment s’étonner dans ces conditions de la faible attractivité des emplois occupés par ces fonctionnaires ? Le statut ne figure pas parmi les causes de cette situation, mais si son évolution conduisait à un recrutement massif de contractuels, la garantie d’emploi qu’il assure en serait évidemment réduite et la situation aggravée. En réalité, si elle n’est pas la seule, la faiblesse des rémunérations apparaît comme la cause principale de l’inatractivité des emplois de la fonction publique. Il ne s’agit pas d’une question statutaire, mais d’un problème politique, dont la solution dépend de la seule volonté du gouvernement. Il est aussi parfois avancé que l’individualisation des traitements par la rémunération au mérite permettrait à chacun de tenter sa chance et serait par-là un facteur d’attractivité. Mais déjà aujourd’hui le mérite peut être récompensé par la promotion interne, et si cette reconnaissance devait être traitée par des primes, la conséquence serai sans doute une division des collectifs de travail. Le nouveau management public (NMP) n’est pas non plus la solution, il a échoué partout, entraînant dans son fiasco, l’École nationale d’administration (ENA) qui prétendait en être le temple. Si, avec le relèvement substantiel des traitements des fonctionnaires, les moyens attribués aux administrations étaient fortement accrus cela serait de nature à renforcer les liens de la nation et de sa fonction publique et l’engagement des citoyens dans le service public.
Comment le syndicaliste que vous avez été observe la récente réforme du dialogue social dans la fonction publique ?
J’ai effectivement siégé au sein des commissions administratives paritaires (CAP), qui examinaient la situation individuelles des agents (recrutement, affectation, promotion, discipline, etc.) et dans les comités techniques paritaires (CTP) qui étaient saisis de problèmes relatifs à la gestion des services. L’une de mes premières décisions comme ministre a été de demander aux administrations de faire vivre plus intensément ces organismes qui, bien que de caractère seulement consultatif, étaient de véritables lieux de concertation, entre représentants de l’administration et du personnel. Malheureusement, ils ont perdu toute signification par la réduction progressive puis la suppression du paritarisme et de leurs compétences. La loi de transformation de 2019 a réduit au strict, minimum les lieux de contacts entre les décideurs administratifs et les organisations syndicales ou les représentants du personnel. Les lignes directrices de gestion prévues par la loi soulignent le caractère vertical de la prise de décision administrative. Je crois bon de rappeler que le statut de 1983 a bénéficié du soutien de l’ensemble des organisations syndicales après une très longue période de négociation approfondie, sans que l’on évoque à aucun moment la nécessité d’un dialogue social puisqu’il avait lieu effectivement. Aujourd’hui, on parle d’autant plus de dialogue social, qu’il n’y a pas de dialogue social.
Sur quels terrains prioritaires devrait aujourd’hui se développer le dialogue social dans la fonction publique ? Aucun des grands thèmes de société actuels ne saurait a priori être écarté s’il convient de se garder des modes et des idéologies de substitution qui prospèrent. Par ailleurs, il importe de considérer que la fonction publique n’appartenant pas aux fonctionnaires mais à la nation tout entière, les accords collectifs internes ne sauraient s’imposer à la loi. C’est donc sur le champ statutaire que doivent être ouverts les chantiers prioritaires. Ils sont, à mon avis, de trois ordres. Théorique d’abord. De nombreux travaux ont fait fructifier l’héritage de l’école du service public de Bordeaux à la fin du XIXe siècle, mais avec l’évolution technologique et l’expansion diversifiée des besoins dans un contexte social élargi, une mise à jour serait sans doute utile. J’ai évoqué à plusieurs reprises la notion d’efficacité sociale qui identifie le service public multidimensionnel par rapport à la performance individuelle et l’objectif de rentabilité unidimensionnelle de l’entreprise privée, il reste à rendre le concept opérationnel. Juridique ensuite. La mobilité est devenue une garanties statutaire fondamentale, la responsabilité est au cœur de la conception du fonctionnaire-citoyen, ces principes familiers auraient besoin d’une explicitation en droit. Méthodologique enfin. Il s’agit notamment d’une refonte générale du système des grilles indiciaires presque inchangées depuis des décennies ; c’est la condition pour mettre au point une véritable gestion prévisionnelle programmée des effectifs et des compétences donnant toute sa portée au calcul économique et sa place à la démocratie par le dialogue social. Ce n’est pas seulement l’affaire de l’administration, c’est celle aussi de l’ensemble des fonctionnaires et de leurs organisations.
En quoi le siècle actuel pourrait être l’« âge d’or » du service public, pour reprendre une expression de votre livre La fonction publique du xxie siècle ?
Nous sommes sortis d’un XXe siècle, que l’on peut qualifier de prométhéen, dominé par de grandes idéologies messianiques : la théorie néoclassique pour les libéraux, le réformisme redistributif pour les socio-démocrates, le marxisme pour les communistes. Elles se sont affaissées à la fin du siècle, laissant place à une réaction néolibérale hostile à toute réglementation susceptible de faire obstacle à la domination de l’économie de marché. Certains ont cru pouvoir déduire de cette évolution la fin de l’histoire, d’autres ont théoriser sur le chaos ou le déclin. La complexité de la situation actuelle s’accompagne d’une perte de repères. La multiplicité des crises environnementale, sanitaire, sociale, financière, numérique, etc. ont bien le caractère d’une mutation à l’œuvre. Mais notre époque est aussi celle de la prise de conscience par les peuples de l’unité de destin du genre humain. C’est celle du développement des interdépendances, des coopérations, des solidarités, des progrès scientifiques, de l’affirmation de valeurs universelles, idées qui se condensent, en France, dans le concept de services public. Loin de disparaître dans les crises du néolibéralisme, la nécessité du recours aux services publics s’est affirmée, sous forme du développement de l’intervention de l’État et des collectivités publiques, par l’augmentation des financements rendus indispensable pour garantir la cohésion sociale et une satisfaction minimale des besoins fondamentaux, comme construction intellectuelle susceptible de compenser l’affaissement idéologique de ce début de XXIe siècle, une loi de nécessité capable d’ouvrir effectivement un « nouvel âge d’or du service public.
Dans cette perspective, la fonction publique dont les effectifs représentent, dans notre pays, les quatre cinquièmes de l’ensemble des effectifs des services publics. Au service de l’intérêt général, elle en couvre toutes les composantes régaliennes et non régaliennes : souveraineté, santé, éducation, sécurité, recherche, assistance sociale, aménagement du territoire, droits Individuels et collectifs, etc. Grâce au statut général des fonctionnaires, modernité inscrite dans l’histoire, fondé sur des principes républicains, il garantit les conditions d’une administration neutre, intègre, et efficace. Pour autant, la fonction publique ne peut, à elle seule, résoudre les problèmes posés par les crises diverses, il lui faut en tout état de cause, le soutien d’une volonté politique de promotion et des moyens appropriés. Deux conditions qui lui font cruellement défaut aujourd’hui.
[1] JO des débats de l’Assemblée nationale, le 28 juillet 1981 p. 321-322.
[2] Anicet, Le Pors et Gérard Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Paris, Editions de l’Atelier, 2e édition, p. 75, 2021.
[3] Le Point, 31 août 2017