Les services publics et l’UE

Constitutionnaliser les services publics en France

Développer des réseaux de services publics en Europe

Il existe en France une culture du service public  théorisée dès la fin du XIXe siècle et un modèle social mise en place à la Libération dans l’esprit du programme du conseil national de la Résistance. Cela a conduit, par exemple, à la création de la Sécurité sociale  fondée sur le principe d’une couverture égalitaire des besoins de Santé pour la protection sanitaire de toute la population et d’un statut général des fonctionnaires les protégeant des pressions de toute nature, conditions d’une administration moderne et intègre. Dans les crises que nous avons connues au cours des dernières décennies et malgré les atteintes et les dénaturations qu’ils ont subies, les services publics ont rempli leur rôle au nom de l’intérêt général. Les crises ont particulièrement révélé l’esprit d’initiative et la compétence des collectifs de travail qui ont su  faire face aux difficultés créées notamment par l’impréparation des gouvernants et les stratégies des grands groupes industriels et financiers des secteurs concernés.  Dans l’ensemble des pays de l’Union européenne on observe une vive croissance des besoins fondamentaux, beaucoup plus importante que celle des moyens budgétaires qui sont affectés à leur satisfaction. Le constat de cette écart croissant a pour conséquence, d’une part un mécontentement et une perte de confiance de la population dans les services publics et, d’autres par l’ouverture d’opportunités lucratives pour le  secteur privé.  Ce constat fait en France vaut aussi pour la plupart des autres pays de l’Union européenne. 

Le néolibéralisme, système dans lequel l’Union européenne s’est installé depuis le début des années 1980 est fondée sur le principe de la concurrence ce qui entraîne la suppression de toutes les contraintes aux lois du marché notamment celles qu’impose le service public au nom de l’intérêt général. Les mots « service public » ne » sont utilisés qu’une seule fois dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne au bénéfice d’une notion plus vague de service d’intérêt général.  Mais si les exigences du principe de concurrence ne cessent d’être rappelée par les textes, la jurisprudence du droit européen a dû faire des concessions par la reconnaissance des missions d’intérêt général. Ainsi, au motif de la nécessaire cohésion politique et sociale, une place croissante a été reconnu  aux missions d’intérêt général sous la pression d’une satisfaction minimal des besoins fondamentaux, condition du maintien au pouvoir politique des puissances économiques et financières qui l’occupent. Il est donc possible de repousser les limites de l’exploitation néolibérale par la solidarité et l’action de toutes les forces du travail et de la création de l’Union.  Au-delà et de façon plus structurelle et organique, on pourrait  développer, secteur par secteur des réseaux des services publics des différents pays de l’Union.  Cette réalisation serait à la fois conforme à la rationalité économique, à la visibilité des services publics, aux droits des usagers, aux relations des peupleses européens et, par-là, à la démocratie.

En ce qui concerne spécifiquement la France,  les deux propositions suivantes pourraient être avancées :

Premièrement, vu la place occupée dans la vie nationale par les services publics et leur rôle essentiel pourle respect de notre souveraineté, les services publics doivent faire l’objet d’articles dans le corps même de la constitution. Les traités européens consacre d’ailleurs eux-mêmes de très nombreuses disposition au service d’intérêt général.

Deuxièmement, le champ du secteur public, définie comme regroupement de l’ensemble des propriétés publiques, doit être reconsidéré et élargie dans les secteurs répondant notamment à l’exigence posée par le point 9 du préambule de la constitution de 1946 qui fait partie du bloc de constitutionnalité en vigueur et sinon lequel tout bien, tout entreprise dont l’exploitation a ou acquiert le caractère d’un service public doit devenir propriétés de la collectivité. Les traités européens ne sauraient leur faire obstacle puisque l’article 345 du traité sur le fonctionnement de l’Union dispose que : « les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres. »

Le statut général vu de Guyancourt

Municipalité de Guyancourt : Il y a 40 ans, vous étiez à l’initiative de lois fondatrices pour le statut des fonctionnaires. Qu’est-ce qu’elles ont changé concrètement pour les agents des collectivités territoriales ?

Anicet Le Pors :Quand  autrefois, ont demandé         à un agent territorial quelle était sa situation professionnelle, il répondait souvent, un peu gêné, « je suis assimilé fonctionnaire ». Les territoriaux ne bénéficiaient que de garanties statutaires limitées inscrites dans le code des communes. Il s’agissait d’une fonction publique sans véritable identité, désordonnée, humiliée. Les lois de 1983-1984 ont créé une  fonction publique territoriale (FPT), cohérente et dynamique dans le cadre d’un statut général  reconnaissant à égalité ses trois versants : État, collectivités territoriales, établissements publics hospitaliers. La FPT est celle qui s’est  le plus développée  en 40 ans. Ses effectifs atteignent aujourd’hui près de 2 millions d’agents. Elle s’est dotée de structures  de gestion performantes.  En situation de crise, elle a encouragé la concertation entre élus, fonctionnaires, usagers. Les agents inscrivent désormais leur vie professionnelle dans des cadres et des filières définis. Je veux aussi rappeler que la réforme statutaire des années 1980 a été soutenues par l’ensemble des organisations syndicales, et qu’aujourd’hui les élus ont reconnu que le statut de la fonction publique territoriale constitue  pour eux une sécurité juridique.

  G : E n mars 2022, le code général de la Fonction Publique est entré en vigueur et a réaffirmé le statut de la Fonction Publique. Malgré tout, quels sont les dangers qui pèsent encore sur lui ?

.LP : codification s’effectuant à droit constant n’a pas modifié le contenu du statut dans l’état où il se trouvait au moment où elle a été réalisée. Or, cet état était le résultat de centaines de modifications statutaires, intervenues au cours des quatre dernières décennies, souvent des dénaturations conséquences des attaques frontales ou de multiples modifications ponctuelles du statut. Il est dans la nature même du statut d’être attaqué car il tend à sortir l’activité des services publics des lois du marché dont l’objectif est la rentabilité financière, tandis que la finalité des services publics est la satisfaction des besoins sociaux, la poursuite de l’intérêt général. Mais en réunissant sur chaque question, les dispositions des différentes fonctions publiques, la codification renforce aussi l’unité de réflexion, de revendication et d’action des fonctionnaires. Dans l’immédiat, le danger réside dans la mise en œuvre de la loi du 6 août 2019, dite de transformation de la fonction publique qui prévoit un alignement du public sur le privé, une augmentation du recrutement de contractuels sur des emplois permanents et un renforcement du pouvoir discrétionnaire des exécutifs. Au risque d’entraîner une confusion, des finalités privées et publiques, une multiplication des conflits d’intérêts, une captation des actions publiques par les pouvoirs financiers

G : Comment, selon vous, a évolué la Fonction Publique Territoriale et quelles actions mettriez-vous en place si vous étiez ministre de la Fonction Publique aujourd’hui ?

A.LP : La question ne se pose pas dans la situation politique actuelle. Sur  le fond, on ne peut réformer de manière démocratique et efficace la fonction publique qu’en partant de sa réalité. D’abord, la fonction publique est l’expression d’un effort collectif. Un large soutien des fonctionnaires est indispensable, et il convient de restaurer le droit de négociation de leurs organisations syndicales plutôt que de bavarder sur le dialogue social qui n’existe véritablement pas aujourd’hui. Ensuite, il faut reconnaître le caractère structurel de la fonction publique. Cela doit conduire à une révision des catégories de qualifications et des grilles indiciaires afin de tenir compte, notamment de l’évolution des besoins sociaux en expansion et des progrès techniques et scientifiques. Enfin, l’avenir de la fonction publique ne peut s’analyser que sur le long, voire le très long terme, ce qui disqualifie une gestion dominée par le principe de l’annualité budgétaire. Il faut donc mettre en place une planification des besoins sociaux fondamentaux pour en déduire les moyens pertinent pour les satisfaire