Municipalité de Guyancourt : Il y a 40 ans, vous étiez à l’initiative de lois fondatrices pour le statut des fonctionnaires. Qu’est-ce qu’elles ont changé concrètement pour les agents des collectivités territoriales ?
Anicet Le Pors :Quand autrefois, ont demandé à un agent territorial quelle était sa situation professionnelle, il répondait souvent, un peu gêné, « je suis assimilé fonctionnaire ». Les territoriaux ne bénéficiaient que de garanties statutaires limitées inscrites dans le code des communes. Il s’agissait d’une fonction publique sans véritable identité, désordonnée, humiliée. Les lois de 1983-1984 ont créé une fonction publique territoriale (FPT), cohérente et dynamique dans le cadre d’un statut général reconnaissant à égalité ses trois versants : État, collectivités territoriales, établissements publics hospitaliers. La FPT est celle qui s’est le plus développée en 40 ans. Ses effectifs atteignent aujourd’hui près de 2 millions d’agents. Elle s’est dotée de structures de gestion performantes. En situation de crise, elle a encouragé la concertation entre élus, fonctionnaires, usagers. Les agents inscrivent désormais leur vie professionnelle dans des cadres et des filières définis. Je veux aussi rappeler que la réforme statutaire des années 1980 a été soutenues par l’ensemble des organisations syndicales, et qu’aujourd’hui les élus ont reconnu que le statut de la fonction publique territoriale constitue pour eux une sécurité juridique.
G : E n mars 2022, le code général de la Fonction Publique est entré en vigueur et a réaffirmé le statut de la Fonction Publique. Malgré tout, quels sont les dangers qui pèsent encore sur lui ?
.LP : codification s’effectuant à droit constant n’a pas modifié le contenu du statut dans l’état où il se trouvait au moment où elle a été réalisée. Or, cet état était le résultat de centaines de modifications statutaires, intervenues au cours des quatre dernières décennies, souvent des dénaturations conséquences des attaques frontales ou de multiples modifications ponctuelles du statut. Il est dans la nature même du statut d’être attaqué car il tend à sortir l’activité des services publics des lois du marché dont l’objectif est la rentabilité financière, tandis que la finalité des services publics est la satisfaction des besoins sociaux, la poursuite de l’intérêt général. Mais en réunissant sur chaque question, les dispositions des différentes fonctions publiques, la codification renforce aussi l’unité de réflexion, de revendication et d’action des fonctionnaires. Dans l’immédiat, le danger réside dans la mise en œuvre de la loi du 6 août 2019, dite de transformation de la fonction publique qui prévoit un alignement du public sur le privé, une augmentation du recrutement de contractuels sur des emplois permanents et un renforcement du pouvoir discrétionnaire des exécutifs. Au risque d’entraîner une confusion, des finalités privées et publiques, une multiplication des conflits d’intérêts, une captation des actions publiques par les pouvoirs financiers
G : Comment, selon vous, a évolué la Fonction Publique Territoriale et quelles actions mettriez-vous en place si vous étiez ministre de la Fonction Publique aujourd’hui ?
A.LP : La question ne se pose pas dans la situation politique actuelle. Sur le fond, on ne peut réformer de manière démocratique et efficace la fonction publique qu’en partant de sa réalité. D’abord, la fonction publique est l’expression d’un effort collectif. Un large soutien des fonctionnaires est indispensable, et il convient de restaurer le droit de négociation de leurs organisations syndicales plutôt que de bavarder sur le dialogue social qui n’existe véritablement pas aujourd’hui. Ensuite, il faut reconnaître le caractère structurel de la fonction publique. Cela doit conduire à une révision des catégories de qualifications et des grilles indiciaires afin de tenir compte, notamment de l’évolution des besoins sociaux en expansion et des progrès techniques et scientifiques. Enfin, l’avenir de la fonction publique ne peut s’analyser que sur le long, voire le très long terme, ce qui disqualifie une gestion dominée par le principe de l’annualité budgétaire. Il faut donc mettre en place une planification des besoins sociaux fondamentaux pour en déduire les moyens pertinent pour les satisfaire