Jean-Louis MOYNOT

En apprenant la disparition de Jean-Louis Moynot je ne suis aussitôt souvenu de notre dernière rencontre dans la salle de la bibliothèque du Conseil d’État. Nous sortions d’un déjeuner que nous avions partagé dans le quartier du Palais Royal avec Paul Thibaud ancien directeur de la revue Esprit. Dans notre jeunesse nous avions tous les deux été intéressés par la philosophie du personnalisme d’Emmanuel Mounier ; nous poursuivions la discussion. Mais nous avions surtout en commun d’avoir été des militants syndicaux, pour moi essentiellement comme militant de base, pour lui jusqu’à un haut niveau de responsabilités. Nous nous nous connaissions depuis les années 1960. Jean-Louis était né en 1937 dans le 17e arrondissement de Paris dans une famille catholique très intellectuelle ; son père polytechnicien était chef d’entreprise. Pendant ses études conclues par le diplôme de l’École nationale supérieure de l’Aéronautique, il milite au sein de l’Union nationale des étudiants de France et de l’union des grandes écoles. Il est un farouche opposant à la guerre d’Algérie tout en y effectuant son service militaire de dix-huit mois. À son retour en France il est embauché par les Chantiers navals de la Ciotat en même temps qu’il adhère à la CGT en 1962. Cette adhésion, rapidement connue, entraîne le non renouvellement de son contrat. Il travaille ensuite à Paris puis à Nantes.

Porté par son activité professionnelle dans des entreprises de la métallurgie il renforce en même temps son activité militante au sein du syndicat des cadres de la métallurgie CGT, puis surtout par la création et le développement de l’Union générale des ingénieurs cadres et techniciens de la CGT ( UGiCT ) dont il devient le président en 1964. C’est de cette époque que datent nos premières rencontres car je militais moi-même alors pour le renforcement de l’organisation syndicale des ingénieurs et des techniciens de la Météorologie nationale, aujourd’hui Météo France. Il joue un rôle particulièrement actif lors de la grève du printemps 1967 des Chantiers de l’Atlantique. Il y fait preuve d’une efficacité particulièrement remarquée. La direction de la CGT le promeut alors à 30 ans à son bureau confédéral où il a la responsabilité de sa commission économique. Il est très apprécié pour son intelligence, la finesse de ses analyses et la solidité de ses convictions. Les conditions sont désormais réunies pour qu’il joue un rôle de premier plan au sein du mouvement social en France.

Mais Jean-Louis Moynot joue de malchance car parfaitement préparé, intellectuel investi dans le monde ouvrier, il aurait pu être une des figures majeures du printemps social de 1968 en France. Mais il ne s’y trouve pas dans les premières heures car il accompagne le secrétaire général de la CGT Benoît Frachon en voyage au Japon. Sur le chemin d’un retour précipité il raconte que, faisant escale à Moscou, il rencontre le président des syndicats soviétiques, Alexandre Chelepine, qui lui lance au cours de leur échange « Transmettez mes félicitations au camarade de Gaulle ! ». De retour à Paris il est très rapidement impliqué dans les négociations des accords de Grenelle, en particulier sur les questions d’emploi et de formation. Il entre au Conseil économique et social en 1969 et il est aussi membre de la Commission des comptes de la nation. De 1982 à 1992 il revient dans l’industrie comme cadre dirigeant de Thomson-CSF. Il est nommé au Conseil d’État en service extraordinaire (1993-1998) où il est chargé d’une mission sur la conversion des industries d’armement en Europe centrale, puis en 1998 d’une réforme de la direction des Constructions navales. Parallèlement, il milite au Mouvement de la paix. II est un temps adhérent du parti communiste Français 1970-1982 Il démissionne de la direction de la CGT en 1982, n en restant jusqu’au bout, un fidèle adhérent du syndicat.

Jean-Louis-Moynot a vécu toute sa vie dans un environnement familial très culturel. C’est sans doute ce qui a poussé dès les premières années de sa jeunesse à s’interroger sur le sens même de son existence. C’est aussi en raison des activités professionnelles de ses enfants, son fils Emmanuel créateur reconnu de bandes dessinées et scénariste, sa fille Clotilde comédienne et metteure en scène. Je fus cependant surpris lorsqu’en 1994, il me proposa, sans doute à la suite d’une discussion familiale, de tirer un scénario d’un livre que je venais de publier sous le titre Pendant la mue le serpent est aveugle (extrait d’un livre d’Ernst Ju¨nger, Maxima-Minima). On pouvait penser, en effet, à une dramaturgie sur le comportement de responsables politiques français que je rapportais dans le livre autour de la chute du président de l’Union soviétique Mikhail¨ Gorbatchev. Nous en discutâmes mais l’idée n’eut pas de suite. Elle traduisait néanmoins, au-delà de sa personne, une hantise quasi mystique sur le destin du genre humain. Pour cela le temps ne comptait pas. « Il a agi comme s’il était immortel, mais la mort l’a rattrapé » a écrit à son sujet Michel Noblecourt dans Le Monde du 11 mars 2025. Cela explique aussi dans une vie extrêmement riche, la multiplicité de ses engagements souvent suivis de retraits ou de démissions face aux contradictions rencontrées, entraînante chez ceux qu’i l’ont connu et estimé, comme un goût d’inachevé.