Les services publics peuvent fédérer la société toute entière

L’ancien ministre Anicet Le Pors, 93 ans, l’affirme : le temps joue pour le camp progressiste. Celui qui fut l’un des bâtisseurs de la fonction publique revient sur l’état de la bataille idéologique actuelle et ne doute pas que, malgré les difficultés, l’avenir sera aux conquêtes démocratiques et sociales.

L’ancien ministre communiste de la Fonction publique (1981-1984) n’a eu de cesse d’œuvrer à une transformation sociale et radicale de la société, cherchant à ce que les citoyens s’emparent de leur destin en liant conquêtes économique, démocratique et sociale. Après avoir été météorologiste, économiste, juge de l’asile, conseiller d’État, ou encore responsable du programme constitutionnel du PCF, il a reçu « l’Humanité » chez lui, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), pour un dialogue sur la crise démocratique en cours, la situation de la gauche, et les modalités futures de la lutte des classes. Bien la mener passe à ses yeux par prendre à bras-le-corps la question des services publics.

Que pensez-vous de la période politique que nous traversons, alors que Macron a fait de la casse sociale son mantra et que l’extrême droite progresse partout dans le monde ?

Elle est brouillonne. Le vrai n’émerge pas d’évidence. Mais c’est une sacrée époque : je crois que dans vingt ans nous dirons qu’elle était particulièrement intéressante, parce qu’elle porte les contradictions très haut, et qu’il y a un gigantesque travail intellectuel à mener sur plusieurs décennies pour en sortir. Avec le macronisme, nous vivons la poursuite d’un fouillis, d’un désordre, et surtout d’un pourrissement qui n’est pas achevé. La dissolution de juin elle-même ne constitue pas un événement, mais une étape de plus dans la phase de décomposition dans laquelle nous sommes depuis la chute des grands paradigmes du XXe siècle.
L’effondrement communisme revendiqué a quelque part masqué ceux qui frappent le néolibéralisme et la social-démocratie, pour qui il y avait nécessité à se reconstruire, mais personne n’a rien fait. Je dis tout cela sans nihilisme, ni pessimisme. Je suis même plutôt optimiste. Mais nous sommes aujourd’hui en bas-empire, et les bas-empires sont toujours des périodes où il se passe des choses surprenantes et significatives.
Je crois que nous n’avons pas encore les clés pour tout décortiquer, ni prévoir quel événement, ou quelle catastrophe, pourra constituer un point de bascule et de renaissance. D’un côté, le capitalisme est de plus en plus tenté d’utiliser le populisme et de s’allier à l’extrême droite pour conserver le pouvoir, quitte à foncer dans le mur.
De l’autre, la gauche est désorientée et ne va pas assez loin. Elle s’investit beaucoup sur le féminisme et l’écologisme, sans parvenir à un paradigme unifié. Cela risque de durer : on ne fabrique pas un corpus idéologique comme le marxisme sur un coin de table. Nous devons trouver une nouvelle théorie globale, prenant bien sûr en compte les questions du féminisme, de l’écologie, de la démocratie et du pouvoir économique, mais avec une unicité théorique dans laquelle chaque composante s’incarnera sans s’écarter des autres, au risque d’éclater le tout pour se radicaliser en un seul et unique paradigme.

Sur quelle base pourrait selon vous démarrer ce nouveau travail théorique ?

Je crois que la question des services publics peut constituer le socle d’un nouveau paradigme global. Les services publics peuvent fédérer la société tout entière. Il y a une véritable attente de tous les citoyens sur ce sujet. Or, cette attente est contrariée par le marché, qui veut des retours sur investissements, quand le service public ne recherche et ne produit que de l’efficacité sociale. Le développement des services publics pose également la question primordiale de la propriété, et de l’intérêt général. Il constitue, de plus, un défi immense aux yeux des dominants, car malgré leurs efforts pour fragiliser les services publics ils sont obligés de suivre un mouvement de fond.
Sur le long terme, les gouvernements, y compris les plus libéraux, ne parviennent pas à véritablement faire machine arrière. Les crédits augmentent parce que la société se socialise objectivement de plus en plus. Les dominants essaient d’en faire le moins possible, de casser et de marchandiser à chaque occasion, mais, de leur point de vue, ils patinent. Le mécontentement de la population qui n’a pas de services publics au niveau de la croissance de ses besoins met par exemple Emmanuel Macron dans une position intenable. Il fustige d’un côté le « pognon de dingue » donné aux services sociaux, et se fait de l’autre côté le chantre du « quoi qu’il en coûte » quand les besoins sont là. Je crois donc qu’il y a ici une très bonne piste pour reconstruire un paradigme…

Et pourtant, la gauche échoue pour le moment à faire la démonstration qu’elle est la plus crédible pour développer les services publics…

Parce qu’il n’y a pas assez de débats ! Parce que la gauche ne va pas assez loin et ne met pas la barre assez haut ! On a du mal à imaginer que, dans les années 1970, le problème numéro un qui faisait débat était celui des nationalisations et de la propriété publique. Aujourd’hui, plus personne n’en parle, ou presque. Mais qu’est-ce que l’on attend pour porter la nationalisation de tout ce qui relève de l’intérêt général et de la souveraineté citoyenne ?
Il n’y aura pas de services publics dignes de ce nom sans propriété collective et publique. Le travail n’est pas suffisamment fait aujourd’hui dans le camp du progrès. Ce n’est pas parce qu’au Nouveau Front populaire ils ont fait un programme en quatre jours que cela va faire l’affaire. C’est bien, il fallait le faire dans l’urgence.
Mais maintenant ? Quelle stratégie de conquête commune et sur quel programme ? Le programme commun de la gauche, dans les années 1970, c’était autre chose. Des années de travail… Plus de 600 personnes rien qu’à la commission économique du PCF ! J’ai vécu tout cela de manière euphorique et constructive. Même si, avec la distance, je vois quelles sont les limites de ce que nous avons fait. C’était un excellent programme, mais il ne convient plus du tout, car nous étions restés très gaulliens, enfermés dans une vision de l’économie hexagonale et monopoliste d’État. Or, nous avons aujourd’hui besoin de penser la question de la propriété publique et celle des services publics à l’international. C’est criant concernant l’énergie, par exemple.

Ce programme peut-il servir de base pour un réarmement idéologique de la gauche ? Que faire de l’héritage séculaire du mouvement ouvrier et révolutionnaire pour préparer l’avenir ?

Bien sûr, le programme commun peut aider, mais cela ne suffira pas. Il faut innover, inventer. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1789, la Constitution de 1793 et le préambule de celle de 1946 sont trois textes sublimes, mais nous sommes en 2024 ! Karl Marx est une source de réflexion quasi inépuisable, mais il n’est peut-être pas le mieux placé pour nous parler de quelles institutions nous avons besoin aujourd’hui en France. Le programme du Conseil national de la Résistance est lumineux. Les résistants avaient très bien compris la nécessité de conquérir le pouvoir économique. Mais il est trop pensé à l’échelle hexagonale pour répondre aux enjeux de notre époque.
On ne peut donc pas se contenter d’appliquer des bouts de notre héritage : il faut s’en servir de carburant pour aller plus loin, beaucoup plus loin. N’oublions pas que la fin du patriarcat, à obtenir le plus vite possible, ne mettra pas forcément fin au capitalisme. N’oublions pas non plus qu’il n’y a pas que le capital qui détruit la planète, même s’il le fait actuellement avec une rapidité phénoménale.
Nous devons donc phosphorer beaucoup plus que nous ne le faisons. Il nous faut de l’audace, et il nous faut rechercher l’efficacité. J’ai par exemple longtemps cru que le mot de « communisme » était à protéger. J’ai changé d’avis : ce mot aura toujours une charge positive pour moi, mais elle est devenue inutilisable et interdit tout espoir révolutionnaire dans le temps présent. Dans l’immédiat, il nous faut trouver un autre mot-clé pour porter la transformation sociale.

Vous dites que le néolibéralisme est en crise, et que les dominants n’ont pas les coudées franches. Pourtant, le capital absorbe toujours plus de richesses créées par le travail, au détriment des travailleurs, avant de faire payer la note aux citoyens. Dans son budget, Michel Barnier prévoit 40 milliards d’économies…

Il n’est pas dans le pouvoir du capitalisme d’empêcher l’unité de destin du genre humain, c’est-à-dire la nécessité de voir les choses en commun. Notre époque, contrairement à ce qui se dit, est celle des coopérations, des interdépendances, d’une information diffusée en temps réel sur toute la planète, des solidarités. C’est une terre qui se socialise, qu’on le veuille ou non. Je suis persuadé que tout ce qu’arrachent actuellement les dominants est à regarder sur une période assez courte : sur le temps long, la dynamique n’ira pas dans leur sens. Je dis d’ailleurs depuis des années que personne n’arrivera à vraiment baisser le taux des impôts et des prélèvements obligatoires.
Pourtant, Emmanuel Macron a supprimé l’ISF, instauré la flat tax, baissé les impôts, mis en place des centaines de milliards d’euros de crédits d’impôts sans aucune contrepartie… En Angleterre, Margaret Thatcher avait fait de même…
Ce n’est pas contradictoire avec ce que je dis… Emmanuel Macron comme Thatcher avantlui ont voulu revenir sur tout ce que leur classe avait perdu. Ils ont cherché à satisfaire ceux qui ont le pouvoir économique, mais cela n’empêche pas la demande beaucoup plus volumineuse des gens qui sont dans leur grande masse les utilisateurs des services publics. L’exigence du peuple sur ce sujet est bien supérieure à celle des dirigeants des grandes entreprises. C’est cela qui va l’emporter sur le long terme. Nos défaites sur un temps donné valent moins que nos victoires à venir. La grande question est de savoir quel en sera le prix, mais la lame de fond est pour nous. Il en va de même concernant la fonction publique.

Mais la Cour des comptes préconise de supprimer 100 000 fonctionnaires. Le nouveau ministre de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, dit vouloir « débureaucratiser » la France… La réforme de 2019 d’Olivier Dussopt organise le contournement de la fonction publique avec la possibilité de recourir largement à des contractuels. Nos adversaires ne sont-ils pas en train d’inverser le rapport de force ?

Le nombre de fonctionnaires au début du XXe siècle, c’était 200 000 agents publics, fonctionnaires et assimilés. Quand Maurice Thorez est devenu ministre de la Fonction publique à la Libération et qu’il a créé le statut, nous sommes passés à un 1,1 million de fonctionnaires, dont 50 % de contractuels. Quand je suis arrivé à mon tour au gouvernement en tant que ministre de la Fonction publique, en 1981, il y avait 2,1 millions fonctionnaires d’État. Quand je suis parti, c’était 4,6 millions de fonctionnaires. Aujourd’hui c’est 5,7 millions, avec 20 % de contractuels. Ils peuvent hurler autant qu’ils veulent contre les fonctionnaires et la fonction publique, s’attaquer en permanence au statut, comme ils le font, à l’échelle de l’histoire, nous progressons.
Il ne faut pas regarder que nos vies : Philippe le Bel sépare le pouvoir de Dieu du pouvoir du roi, et le monarque se dote d’un appareil d’État à ses ordres qui s’est sans cesse renforcé. À tel point que, des siècles plus tard, Louis XIV dit : « Je meurs mais reste l’État. » Effectivement : nous n’avons alors plus besoin de roi, et la Révolution française supprime le roi !
Il reste l’État et les citoyens qui s’organisent et se dotent d’agents nouveaux, car nous passons alors du « fonctionnaire sujet » au « fonctionnaire citoyen », au service de l’intérêt général. Il y a ensuite des reculs, mais la dynamique est là, renforcée plus tard par Maurice Thorez puis par moi-même. Bien sûr, Reagan et Thatcher ont fait beaucoup de mal.
J’ai vécu personnellement le tournant de la rigueur de François Mitterrand. Je vois bien ce que veut faire Macron et ce que voulait faire Nicolas Sarkozy avant lui : moins de fonctionnaires, des fonctionnaires dévalorisés et précarisés, et des fonctionnaires aux ordres. Mais je le redis : sur le temps long, la demande de services publics de qualité, et donc de « fonctionnaires citoyens » pour les faire vivre, sera la plus forte, quels que soient les reculs à venir.
Et je trouve à ce sujet très intéressant que le Nouveau Front populaire ait choisi Lucie Castets comme candidate pour Matignon alors que c’est une grande spécialiste et une grande défenseuse des services publics. Malheureusement, Emmanuel Macron s’est livré à un déni de démocratie de plus…

Comment voyez-vous la suite immédiate ?

Emmanuel Macron est un fondé de pouvoir fondamentalement et professionnellement incompétent. Il a un mépris souverain du monde du travail et du peuple. Il ne conçoit pas qu’il y ait un pouvoir local et méprise les maires. Le Parlement pour lui n’est qu’une chambre d’enregistrement.
Le gouvernement est à ses yeux un secrétariat. Et il se qualifie lui-même de Jupiter au-dessus de tout cela. Il est profondément rétrograde et réactionnaire. Il n’a ni l’histoire comme de Gaulle, ni la compétence politique comme Mitterrand. Il a donc beaucoup contre lui. Le malheur, c’est qu’il tombe dans une période où les crises peuvent utiliser des hommes nuls. Il ne laissera aucun souvenir.
Michel Barnier est un bon manœuvrier. Mais il ne durera que quelques mois. Au fond, l’épisode Macron est surtout une manifestation de crise des dominants, le grand danger étant, je le disais déjà en 2017, une jonction des néolibéraux et de l’extrême droite. À la gauche de se montrer à la hauteur. Je lui souhaite beaucoup de courage : la lutte des classes n’a jamais été quelque chose de simple…

Anicet Le Pors : « Le capitalisme n’a pas le pouvoir d’empêcher l’unité de destin du genre humain »

Entretien réalisé par Aurélien Soucheyre

N° du 28 novembre 2024

1981–1986 : Le statut fédérateur, la fonction publique à trois versants

Sevran : L’élaboration du statut fédérateur (1981–1984)

Le 12 décembre 2024 la municipalité de Sevran (Seine-Saint-Denis) a organiser un colloque pour commémorer le 40e anniversaire du statut général des fonctionnaires. Une table ronde s »est tenue réunissant: Gerard Aschieri, ancien dirigeant de la FSU, membres du Conseil économique, social et environnemental ; Anicet Le Pors, conseiller d’État honoraires, ancien ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives ; Xavier Bastard, directeur général de la CIG petite couronne ÎIe-de-France.

De g. à d. : Xavier Bastard, Brigitte Bernex 1ère adjointe, Anicet Le Pors, Stéphane Blanchet Maire Gérard Aschieri

Intervention d’Anicet Le Pors

Lors de l’avènement de la Ve République, l’ordonnance du 4 février 1959 abrogea la loi du 19 octobre 1946, mais les dispositions essentielles du statut furent conservées si le nombre d’articles fut ramené de 145 à 57 en raison d’une nouvelle définition des champs respectifs de la loi et du décret dans la constitution. Le mouvement social de 1968 ne modifia pas ce dispositif statutaire, mais les fonctionnaires, qui participèrent activement au mouvement, bénéficières de retombées des évènements : la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise, par exemple. Une large concertation s’ouvrit ensuite sur des questions importantes qui déboucha sur des conclusions connues sous le nom de « constat Oudinot ». L’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République le 10 mai 1981, permit d’ouvrir un nouveau chantier statutaire.

Le président François Mitterrand ayant fait de la décentralisation l’une de ses priorités, il avait chargé son ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, maire de Marseille, d’élaborer un projet de loi sur le sujet. Nommé le 23 juin ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de la Fonction publique et des Réformes administratives, je m’aperçus rapidement que le projet n’envisageait pour les agents publics de l’administration territoriale qu’un renforcement des garanties figurant dans le code des communes. Craignant la constitution, à côté de la fonction publique de l’État, fondée sur le système de la carrière comportant des garanties (dont la garantie d’emploi) sur l’ensemble de la vie professionnelle, d’une fonction publique d’emploi liant celui-ci à la notion de métier et, par là, présentant moins de garanties, je me suis rapidement opposé à ce projet qui risquait de précariser la fonction publique dans son ensemble, selon une règle que les économistes connaissent bien : « La mauvaise monnaie chasse la bonne ».

Je souhaitais une unification statutaire globale au niveau des garanties de carrière prévues pour les fonctionnaires de l’État que je me proposais d’augmenter. Avant même l’arbitrage du Premier ministre, Pierre Mauroy, maire de Lille mais aussi ancien fonctionnaire et syndicaliste de la Fédération de l’Éducation nationale (FEN), j’intervins à l’Assemblée nationale le 27 juillet 1981, à la suite de la présentation par Gaston Defferre du projet de loi de décentralisation, en faveur de « la mise en place pour les personnels locaux d’un statut calqué sur celui de la fonction publique de l’État, c’est-à-dire sur le statut général des fonctionnaires. » Olivier Schrameck, alors conseiller technique de Gaston Defferre, analysera plus tard : « Pour [Anicet Le Pors] la construction d’un nouveau statut général, qui constituait sa tâche essentielle, était l’occasion d’assurer l’unification de la fonction publique autour des principes qu’il avait proclamés. Jacobin de tempérament et tout particulièrement méfiant à l’égard des tentations clientéliste des élus, il n’était résolu à n’accorder à l’autonomie des collectivités locales que ce qui leur était constitutionnellement dû. Il voyait aussi, dans une nouvelle construction statutaire homogène, l’occasion d’étendre son influence et celle de son ministère […[. À l’occasion d’un communication en Conseil des ministres du 31 mars 1982, il avait d’ailleurs d’emblée fait adopter un cadre d’orientations générales qui portait fortement sa marque . »

Après bien des péripéties, Pierre Mauroy arbitra en ce sens, ce qui provoqua le mécontentement de Gaston Defferre, qu’en politique chevronné il sut surmonter, mais aussi ce commentaire quelque peu désabusé d’Olivier Schrameck : « Et le dispositif cohérent mais complexe en définitive adopté d’une loi constituant un socle commun partie intégrante des statuts des deux fonctions publiques différentes, dans l’attente de la fonction publique hospitalière, fut acquise par l’arbitrage du premier ministre particulièrement sensible pour des raisons plus politiques qu’administratives à l’argumentation de [ son ministre de la fonction publique ]. Ce compromis fut ainsi la traduction d’un rapport de force. »

Le statut unifié fit ainsi inauguré par la loi du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires suivie, comme je l’ai indiqué précédemment, des trois lois concernant respectivement des fonctions publiques de l’État , territoriale et hospitalière caractérisant une fonction publique « à trois versants ». Le nouveau statut intégra dans la loi des droits qui ne s’y trouvaient pas, notamment : droit de grève, liberté d’opinion, capacité de négociation des organisations syndicales, garantie de mobilité, droit à la formation permanente. Il étendit considérablement son champ d’application à près de 5 millions de salariés à l’époque. Une loi du 11 juin 1983 avait préalablement engagé une titularisation des contractuels de grande ampleur. Les organisations syndicales, après quelques hésitations pour certaines d’entre elles, soutinrent unanimement la réforme. Les associations d’élus étaient réservées voire hostiles, craignant que ce statut ne limita leurs prérogatives. Au Parlement, l’opposition conduite par Jacques Toubon se découragea vite faute de « grain à moudre ».

François Mitterrand, qui ne s’intéressait guère à ces questions, sembla les découvrir sur le tard. Jacques Fournier, alors secrétaire général du gouvernement, le raconte : « Anicet Le Pors, lui, n’était plus au gouvernement, lorsque le président s’interrogea à haute voix, le 29 mai 1985, sur l’utilité de l’ensemble législatif concernant le statut de la fonction publique dont il avait été l’artisan. Passait ce jour-là en Conseil des ministres le projet de loi sur la fonction publique hospitalière, dernier volet de cet ensemble. Le commentaire de Mitterrand est en demi-teinte. “ L’adoption de ce texte s’inscrit dans la logique de ce que nous avons fait. À mon sens ce n’est pas ce que nous avons fait de mieux. ”. Il évoque une “ rigidité qui peut devenir insupportable ” et des “ solutions discutables”. “ On ne peut plus recruter un fossoyeur dans une commune sans procéder à un concours “. “ Il est vrai que j’ai présidé moi-même à l’élaboration de ces lois. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment informé. Tout ceci charge l’administration et conduit à la paralysie de l’État. Il reste que c’est la quatrième et la dernière partie d’un ensemble. Je ne suis pas sûr, en définitive, que ces lois auront longue vie . » C’était il y a longtemps …

En résumé, on peut considérer que le statut général alors élaboré, bien que maintes fois modifié et quelque peu dénaturé depuis mais toujours en vigueur, est le résultat de quatre choix. Premièrement, celui de la conception du fonctionnaire-citoyen contre celle du « fonctionnaire-sujet », par héritage du statut de 1946. Deuxièmement, le système de la carrière contre celui plus précaire de l’emploi, attaché à la notion de métier. Troisièmement, un équilibre délicat entre l’unité du statut et la diversité des fonctions conduisant à la construction d’une fonction publique à trois versants. Quatrièmement, le choix de fonder idéologiquement cette architecture sur trois principes ancrés dans l’histoire : d’abord, le principe d’égalité par référence à l’article 6 de la Déclaration des droits de 1789 déjà cité et dont nous déduisons que c’est sur la base du mérite par la voie du concours que l’on doit accéder aux emplois publics ; ensuite, le principe d’indépendance qui fait du fonctionnaire le propriétaire de son grade, sur la base de la loi sur l’état des officiers de 1834 faisant de l’officier le propriétaire de son grade, son emploi étant à la disposition de l’administration ; enfin, le principe de responsabilité fondé sur l’article 15 de la Déclaration des droits prévoyant que l’agent public doit rendre compte à la société de son administration.

Toutefois ce fut la création d’une troisième voie d’accès à l’ENA qui provoqua la plus vive tension. Elle était réservée à des candidats ayant fait la preuve de leur attachement au service public à un niveau élevé : syndicalistes, dirigeants d’associations d’utilité publique, élus. Ce concours était distinct des concours externe et interne existants. Pour les élèves de la troisième voie des places étaient réservées dans tous les corps de débouché de l’ENA, y compris les « g rands corps’ ». Cette réforme heurta surtout une certaine conception de l’élitisme que l’on qualifiera de bourgeois. Le projet devint de plus en plus restrictif au fil de la procédure parlementaire. La loi conduisit néanmoins au recrutement d’une trentaine de ces énarques « du troisième type » au cours des années suivantes avant d’être dénaturée et rendue inopérante par le Premier ministre Michel Rocard en 1990.

 1944-1946 : Le statut fondateur, consécration du fonctionnaire-citoyen

Le 30 novembre 2024. La fondation Gabriel Péri et l’institut d’histoire sociale de la CGT ont organisé à Gennevilliers une table ronde sur ce thème.

Ont participé à cette table ronde sous la présidence de Serge Volikow, historien président du conseil scientifique de la fondation Gabriel Péri. :

-Michel Pigenet, historien professeur émérite d’histoire contemporaine à Paris Panthéon 1 Sorbonne.

Laura Machu, maîtresse de conférences d’histoire contemporaine à Paris, Nanterre.

Anicet Le Pors, conseiller d’État, honoraire, ministre de la fonction publique, 1981–1984

-Danièle Lochak, professeur émérite de droit public à Paris Nanterre.

Serge Volikow – Anicet Le Pors

Intervention d’Anicet Le Pors 

1944-1946, moment fondateur du statut général des fonctionnaires

Le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) ne prévoyait pas de réformes spécifiques pour la fonction publique, mais l’appel à une large démocratisation créait des conditions favorables à leur conception. C’était aussi la volonté du général de Gaulle qui souhaitait pouvoir s’appuyer sur une administration loyale et efficace. Il en chargea le ministre de la fonction publique d’alors Jules Jeanneney, avec le concours de Michel Debré. Des commissions furent alors constituées dont une commission syndicale composée de dix représentant de la CGT et cinq de la CFTC, seuls syndicats alors existants. Mais elle ne fut d’aucune utilité car les reformes furent adoptées par la voie de l’ordonnance du 9 octobre 1945. Elle concernait les créations suivantes : l’École Nationale d’Administration (ENA), une Direction de la Fonction publique, un corps interministériel d’administrateurs et un autre de secrétaires administratifs, un Conseil permanent paritaire de l’administration civile, les Instituts d’études politiques (IEP). Le 21 novembre 1945, Maurice Thorez, secrétaire général du parti communiste français devint ministre d’État, chargé de la fonction publique, peu avant la démission du général de Gaulle le 20 janvier 1946.

Le groupe de travail constitué par le ministre de la Fonction publique dut surmonter de nombreuses difficultés pour élaborer un projet. Ce fut tout d’abord la position de la Fédération générale des Fonctionnaires (FGF-CGT) qui continuait à revendiquer un « contrat collectif ». Cependant, l’un de ses dirigeants, Jacques Pruja, défendit l’idée d’un statut législatif prenant le contrepied du « statut carcan » jusque-là dénoncé par le mouvement syndical. À force de ténacité il parvint à convaincre son organisation sur la base d’un projet qu’il avait personnellement élaboré. Il fallut aussi surmonter la forte réserve de hauts fonctionnaires et notamment du directeur de la Fonction publique. La CGT et la CFTC divergeaient également sur le mode de représentation des syndicats. Un premier projet fut vivement critiqué, notamment en ce qu’il créait un poste de secrétaire général de l’administration suspecté de vouloir être substitué pour des raisons politiques à celui de directeur de l’administration, aux compétences essentiellement juridiques. Les opposants au projet se mobilisèrent alors pour le modifier au fond, puis pour tenter d’en freiner la discussion afin qu’il ne puisse achever son parcours parlementaire et que, finalement, on y renonce. Le projet fut à nouveau contesté lorsqu’il passa en Conseil des ministres le 12 avril 1946 où il fut vivement attaqué. 

Maurice Thorez transigea sur la création du secrétariat général de l’administration qu’il abandonna, mais tint bon sur le reste. Son entreprise fut à nouveau contrariée par le rejet, le 5 mai 1946, d’un premier projet de constitution qui rendit nécessaire ne nouvelles élections législatives. Après la formation d’un nouveau gouvernement ; le mouvement républicain populaire (MRP) parti démocrate chrétien d’alors, de concert avec la CFTC déposa un projet qui entraina aussitôt un nouveau dépôt du projet antérieur du ministre de la Fonction publique. Finalement, Maurice Thorez obtint du président du Conseil, Georges Bidault – à la suite d’une tractation sur laquelle on continue de s’interroger – l’assurance que son projet viendrait bien en discussion avant la fin de la deuxième constituante. Le rapport de force s’établit en faveur d’un projet amendé. Il vint en discussion le 5 octobre à l’Assemblée lors de sa dernière séance. Il fut adopté à l’unanimité, sans discussion générale, après seulement quatre heures de débat pour 145 articles.

Le statut ne concernait que les fonctionnaires de l’État, c’est-à-dire, 1105 000 agents publics. Les agents des collectivités territoriales n’étaient pas pris en compte par ce statut. Ils bénéficières cependant de dispositions statutaires nouvelles par une loi du 28 avril 1952 codifiée dans le livre IV du code des communes, tandis que les personnels des établissements hospitaliers étaient également l’objet de dispositions statutaires par un décret-loi du 20 mai 1955 codifiées dans le livre IX du code de la santé publique. Le statut mit dans la loi de très nombreuses garanties pour les fonctionnaires en matière de rémunération, d’emploi, de carrière, de droit syndical, de protection sociale et de retraite. La novation la plus surprenante aujourd’hui était, pour la première fois, la définition d’un « minimum vital » (on dirait du SMIC aujourd’hui) : « Par minimum vital il faut entendre la somme en-dessous de laquelle les besoins individuels et sociaux de la personne humaine considérés comme élémentaires et incompressibles ne peuvent être satisfaits. » (art. 32, 3ealinéa). C’était la base d’une autre disposition du même article prévoyant qu’aucun traitement de début d’un fonctionnaire ne soit inférieur à 120 % de ce minimum vital.

Au terme du périple, Jacques Pruja manifesta quelque amertume, regrettant les dénaturations portées au projet d’origine et critiquant sévèrement l’esprit routinier et rétrograde des hauts fonctionnaires du Conseil d’État, l’arrogance de certains ministres, les préoccupations partisanes et électorales. Mais Maurice Thorez livra en conclusion la conception nouvelle : « Le fonctionnaire […[ garanti dans ses droits, son avancement, et son traitement, conscient en même temps de sa responsabilité, considéré comme un homme et non comme un rouage impersonnel de la machine administrative[1]. » Était ainsi consacrée la conception du « fonctionnaire-citoyen ».


[1] R. Bidouze, Les fonctionnaires sujets ou citoyens ? Paris, Éditions sociales, 1978-1981.

Célébration du 70e anniversaire de l’arrêt Barel du Conseil d’État du 28 mai 1954

Le Comité d’histoire du Conseil d’État a organisé le 24 juin 2024, une célébration du 70e anniversaire de l’un de ses grands arrêts, l’arrêt Barel. Sont intervenus successivement, Martine de Boisdeffre, Présidente de la section des études de la prospective et de la coopération – Présidente du Comité d’histoire du Conseil d’État, le Professeur Benoît Plessix, professeur à l’université Paris-Panthéon-Assas et membre du Comité d’histoire du Conseil d’État et Anicet Le Pors, conseiller d’État honoraire et ancien ministre.

Les 70 ans de l’arrêt Barel

On trouvera ci-après l’enregistrement vidéo de cette soirée :

Les faits

Par décisions des 3 et 7 août 1953, le secrétaire d’État à la présidence du conseil refusa cinq candidatures au concours d’entrée de l’Ecole nationale d’administration. Quelques jours plus tard, la presse publiait un communiqué d’après lequel un membre du cabinet du secrétaire d’État avait déclaré que le gouvernement ne voulait accepter aucun candidat communiste à l’E.N.A. Les cinq intéressés, dont M. Barel, saisirent le Conseil d’État de recours en annulation, en soutenant que l’autorisation de concourir leur avait été refusée uniquement en raison des opinions politiques qui leur avaient été imputées.

Le sens et la portée de la décision

Par l’affaire Barel, le Conseil d’État a jugé que l’administration ne pouvait, sans méconnaître le principe de l’égalité d’accès de tous les Français aux emplois et fonctions publics, inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, écarter quelqu’un de la liste des candidats au concours de l’E.N.A en se fondant exclusivement sur ses opinions politiques.
La décision du 28 mai 1954 est également remarquable en ce qu’elle précise les règles relatives à la charge de la preuve et les pouvoirs d’instruction du juge administratif. La procédure d’instruction devant la juridiction administrative a un caractère inquisitoire : le demandeur n’a pas la charge de la preuve mais doit seulement se montrer précis et réunir, à l’appui de ses allégations, tous les moyens de preuve dont il peut disposer. C’est alors au juge qu’il appartient d’ordonner les mesures d’instruction nécessaires pour compléter le dossier lorsque la requête comporte un ensemble de présomptions sérieuses. Dans cette affaire, l’administration ayant refusé de verser au dossier les dossiers constitués sur les cinq candidatures demandées par le juge, le Conseil d’État a considéré que les allégations des requérants devaient être regardées comme établies.

Ci-dessous, un résumé complété de l’intervention d’Anicet Le Pors

Je n’ai pas vécu en direct l’affaire Barel. Au début des années 1950, j’étais météorologiste à Marrakech logeant dans la médina. Je m’inscrivais alors dans la mouvance d’un christianisme social. Je militais en faveur de l’indépendance du Maroc et du retour du sultan Mohamed V de Madagascar au Maroc. J’ai connu l’arrêt Barel après mon adhésion à la CGT en 1955, puis au PCF en 1958 au lendemain de la consultation référendaire sur la Constitution de la Ve République. D’abord comme auditeur puis comme enseignant dans leurs organismes de formation syndicale et politique. La remarquable analyse juridique de l’arrêt par le professeur Benoit Plessix a très largement épuisé la signification politique de l’arrêt. Je propose ici néanmoins quelques variations autour de l’arrêt concernant notamment le contexte de l’époque, la place de la décision du Conseil d’État dans l’évolution de la fonction publique, la portée de l’arrêt dans la conception du fonctionnaire-citoyen de nos jours.

Le contexte

C’est celui de la guerre froide entre les États-Unis et l’union soviétique impliquant leurs champs d’influence respectifs. Un mouvement anticommuniste radical se développe aux États-Unis, le maccarthysme, et diffuse chez  leurs alliés. La France est en guerre en Indochine. Entre 1948 et 1954, les gouvernements successifs dresse des listes de fonctionnaires suspects de sympathie ou d’adhésion au parti communiste pour les surveiller voire  les écarter. Marc-Olivier Baruch estime que 5 % des hauts fonctionnaires ont fait l’objet de discriminations politiques Pour cette raison, d’importants responsables d’organismes publics sont déchus de leurs fonctions : Georges Tissier au CNRS, Frédéric Joliot-Curie au CEA, Jean Dresh professeur à l’École nationale d’administration (ENA). Des députés communistes sont arrêtés et emprisonnés au printemps 1952.

Toutefois, ce mouvement doit faire face à une résistance grandissante. En France  de nombreux organismes protestent contre les mesures prises : la Commission française de l’Unesco, le Centre des hautes études de l’armement (CHEAR), l’Association des anciens élèves d’ENA, par exemple. Des personnalités importantes d’horizons divers réagissent également : Michel Debré, Jean-Marcel Jeanneney, Henri Wallon, Pierre Laurent et surtout le vice-président du Conseil d’État René Cassin. Par ailleurs, la guerre d’Indochine s’achève avec la défaite en mai 1954 de Dien Bien Phu. Plus généralement, on observe une réduction de la tension internationale. L’arrêt Barel intervient alors comme le marqueur, en France, du terme de la séquence de paranoïa anticommuniste, du « maccarthysme à la française ».

Dans ce contexte on peut s’interroger sur la discrétion observée par le parti communiste français (PCF) alors qu’il aurait pu célébrer l’arrêt Barel comme une victoire de son organisation, de ses militants-requérants, de la démocratie. On peut, à mon avis, évoquer trois raisons.  La défense du principe d’égalité d’accès à une école encore peu connue, destinée à la formation des hauts fonctionnaires, n’apparaît pas comme une priorité sur le terrain de la lutte des classes dans la situation rappelée ci-dessus. Le PCF est critique vis-à-vis du Conseil d’État, peut-être en raison de son origine napoléonienne, mais plus immédiatement pour son rôle lors de l’élaboration du statut général des fonctionnaires en 1946. L’un de ses dirigeants déplorera alors le caractère « routinier et rétrograde » des hauts fonctionnaires du Conseil d’État. Enfin, sauf en de rares circonstances (élaboration du premier projet de constitution de la IVe République en 1946, Déclaration des libertés en 1974, Projet constitutionnel à l’occasion de la célébration du bicentenaire de la Révolution française en 1989) la question institutionnelle est une difficulté pour réaliser l’articulation entre l’État de droit et les règles de fonctionnement interne d’un parti qui se veut révolutionnaire.

Fonctionnaires, sujet ou citoyen ?

Le premier enseignement de l’arrêt Barel aura sans doute été d’inviter I ’administration à être plus prudente et plus rigoureuse dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. D’autant plus qu’elle dispose à ce sujet de nombreuses autres moyens : interprétation de l’obligation de réserve, décision d’autorisation au secret défense, tours extérieurs et promotions au choix, décision souveraine des jurys de concours, etc… Il aura aussi eu le mérite de légitimer l’opposition des organismes et des personnalités qui s’étaient opposés aux discriminations et de souligner leur courage. Mais, pour l’avenir, le plus grand intérêt de l’arrêt Barel et d’avoir ouvert la voie à  l’approfondissement de la réflexion sur  la liberté d’opinion pour les fonctionnaires non seulement lors de leur recrutement mais aussi pendant toute leur vie professionnelle. 

En revanche, il est très difficile d’établir des relations causales entre l’arrêt Barel et certaines décisions prises ultérieurement dans le cadre de l’élaboration statutaire entre 1981 et 1984. On ne retiendra ici que deux exemples concernant les recrutements qui relèvent d’ailleurs davantage de l’analogie formelle que de l’inspiration jurisprudentielle.  Le premier a consisté à remplacer dans le statut l’exigence de « bonnes mœurs »  pour avoir accès aux emplois de la fonction publique par la production de l’extrait de casier judiciaire numéro 2. Le deuxième relatif à l’organisation de concours séparés entre les hommes et les femmes a remplacé la notion de « nature » des fonctions par celle de « condition déterminante » de l’exercice des fonctions.

Le sens de l’arrêt Barel apparaît particulièrement significatif lorsqu’on le replace dans l’histoire de la conception française de la fonction publique depuis le Consulat et le Ier Empire jusqu’à nos jours. Cette conception est marquée par la confrontation de deux lignes de force. La première repose sur un pouvoir hiérarchique fort et requiert l’obéissance du fonctionnaire. Elle a été dominante dans l’ensemble du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Durant cette période les fonctionnaires ont été souvent menacés de se voir appliquer un statut contraignant, dénoncé par les intéressés et leurs organisations comme statut carcan. Cette tendance a revêtu une application extrême sous la forme du texte du 14 septembre 1941 inspiré de la Charte du Travail du régime de Vichy. Elle est encore aisément repérable aujourd’hui. La seconde tendance a pris appui sur le mouvement social des fonctionnaires pour l’obtention de meilleures garanties d’emploi. En retard sur le secteur privé les agents publics ont ainsi pu faire progresser leur situation sociale grâce à des lois partielles et à des décisions du Conseil d’État (communication du dossier, détachement, rapprochement des conjoints, reconnaissance du fait syndical, etc.) Au point que l’on a pu parler parfois de statut  jurisprudentiel. Le statut du 19 octobre 1946 a consacré cette tendance, confirmée par l’ordonnance du 4 février 1959 puis la loi du 13 juillet 1983.

La première tendance conduit au modèle du fonctionnaire-sujet, la seconde au modèle du fonctionnaire-citoyen. Ces deux modèles on fait l’objet de définitions particulièrement éclairantes de la part de deux acteurs majeurs de l’élaboration statutaire des fonctionnaires. Pour le fonctionnaire-sujet, Michel Debré écrit en 1947 dans son livre La mort de l’État républicain      : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travail et il se tait ». Pour le fonctionnaire-citoyen, après la promulgation de la loi du 19 octobre 1946 Maurice Thorez déclare « Le fonctionnaire, garanti dans ses droits, conscient en même temps de sa responsabilité, considéré comme un homme et non le rouage impersonnel de la machine administrative ».

Les 70 ans de l’arrêt Barel

De la responsabilité

L’arrêt Barel est un marqueur dans la construction d’une fonction publique française démocratique.  Mais il ouvre aussi sur la question de la liberté d’opinion du fonctionnaire lors de son recrutement et tout au long de sa vie professionnelle. Cette liberté d’opinion conduit à s’interroger sur ce que doit être la responsabilité du fonctionnaire-citoyen dans l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Cette préoccupation a guidé entre 1981 et 1984 les travaux d’élaboration du statut général des fonctionnaires de la fonction publique à trois versants : État, collectivités territoriales établissements public  hospitaliers.

Ainsi, deux circulaires significatives ont été prises dès le mois d’août 1981. La première pour permettre l’usage des locaux administratifs pour des motifs autre que de service afin de faciliter les activités des organisations syndicales et des associations. La deuxième, a demandé aux administrations de créer des comités techniques paritaires là où ils n’existaient pas et de relancer l’activité de ceux qui n’assumaient leurs compétences que de manière insuffisante. Avant même le vote du nouveau statut, cinq décrets du 28 mai 1982 ont pris de nombreuses dispositions pour améliorer le fonctionnement des organismes paritaires de concertation. L’un d’eux sur le droit syndical a accordé de nouvelles possibilités aux représentants du personnel pour mieux accomplir leur mandat et, institué pour l’ensemble du personnel l’heure mensuelle d’information syndicale. La loi du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires, a précisé la notion de responsabilité du fonctionnaire dans plusieurs de ses dispositions. Ainsi, à titre d’exemple, il est indiqué que le fonctionnaire doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique. Il n’est pas dit qu’il doit se soumettre aux ordres. Il est cependant précisé qu’il peut refuser d’exécuter un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Quel que soit son niveau hiérarchique tout fonctionnaire garde donc une marge d’appréciation sur l’exécution des tâches qui lui sont confiées.

La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. Les organisations syndicales auraient souhaité que la liberté d’opinion soit assortie de la liberté d’expression. Les représentants de l’administration souhaitaient de leur côté que dans ce cas, soit également mentionnée l’obligation de réserve. J’ai alors estimé que la liberté d’opinion portait en elle la liberté d’expression et qu’il était préférable de s’en remettre au juge pour apprécier un dépassement éventuel de l’obligation de réserve. C’est pourquoi ne figurent pas dans le statut les expressions telles que : obligation de réserve, pouvoir hiérarchique, devoir d’obéissance. Ont été également écartées les mentions de valeurs jugées trop évanescentes, peu normatives, est excessivement soumises à l’appréciation du pouvoir hiérarchique. Le fonctionnaire doit être un citoyen de plein droit. Mais encore faut-il que l’utilisation des droits soit effective et les obligations respectées. Cela pose la question de l’engagement du fonctionnaire dans les actes de la vie civile et l’influence de cet engagement sur l’exercice de son activité professionnelle.

De la discrimination négative à la discrimination positive

J’ai eu l’occasion d’échanger sur le sujet avec certains de mes collègues du Conseil d’État qui étaient en même temps des citoyens engagés, y compris politiquement et des amis : notamment Bernard Tricot, Guy Braibant, Jacques Fournier, ce dernier ayant d’ailleurs publié en 2008 Itinéraire d’un fonctionnaire engagé. À l’évidence, leur engagement politique qu’ils avaient su maîtriser dans l’exercice de leurs activités professionnelles avait enrichi celles-ci. Aussi, dans des conditions à préciser, ne pourrait-on pas soutenir que l’engagement de service public pourrait être un critère de recrutement  et d’évaluation de la qualification du service de l’intérêt général ? On passerait ainsi d’une discrimination négative censurée par l’arrêt Barel, dont les requérants étaient des citoyens engagés, à une discrimination positive : l’engagement témoigné d’un attachement au service public. Mon expérience me conduit à soutenir le bien-fondé de cette hypothèse pour les trois raisons suivantes :

L’engagement critère d’admission au service public. Une troisième voie d’accès à l’ENA a été créée en 1983 à côté de la voie externe et de la voie interne. Elle était réservée à des candidats relevant de trois catégories ayant un rapport avec le service public : élus, syndicalistes, responsables d’associations reconnues d’utilité publique. Ils devaient avoir exercé des fonctions d’un niveau élevé pendant une durée d’au moins huit années. Une commission vérifiait la validité des réponses à ces critères. Un concours approprié leur était réservé ainsi que des places de débouchés dans tous les corps de la fonction publique. Cette troisième voie a permis le recrutement d’une trentaine de hauts fonctionnaires avant dénaturation de la loi en 1990. Ils ont fait la preuve que leurs compétences et le rattachement au service public n’étaient pas inférieurs à ceux des deux autres voies, au contraire puisqu’ils bénéficiaient déjà d’une expérience de terrain éprouvée. Le Conseil d’État a accueilli deux membres de ce troisième type, l’un ayant pour origine le CNPF l’autre la CGT.

L’engagement facteur de valorisation du service public. Avoir été militant une partie importante de sa vie, exercer un mandat politique, entretenu une culture de citoyenneté active n’est pas un handicap mais un atout au bénéfice d’une activité professionnelle de service public en ce qu’il éclaire le discernement entre esprit partisan et respect de l’État de droit. 

Entré bien que communiste connu au Conseil d’État, je me suis astreint à une réserve constante pour ne pas laisser paraître d’inclination politique. J’ai observé la même discipline en tant que juge à la Cour Nationale du Droit d’Asile où la matière est le plus souvent politique. J’ai appris à mieux me connaître dans cette confrontation du citoyen d’ailleurs et du citoyen d’ici.  Parce que politique, je pense avoir été mieux armé pour analyser une situation dans laquelle un demandeur d’asile dit « craindre avec raison » des persécutions et forgé ainsi une intime conviction préférable à la simple application sèche bien que conforme d’une règle de droit.

L’engagement condition de la lucidité du fonctionnaire-citoyens. Jean Zay en 1942 du fond de sa prison avant d’être assassiné, déplorait le manque de caractère des hauts fonctionnaires, leur reconnaissant une responsabilité dans la débâcle de 1940. Beaucoup de ces derniers s’expliquèrent en soutenant qu’ils n’avaient fait que leur devoir en exécutant les ordres du pouvoir hiérarchique conformément à l’État de droit en vigueur. D’autres, à l’inverse, tels Jean Moulin, René Cassin, Max Barel surent prendre leurs responsabilités en se fondant sur la force de leurs convictions personnelles. Un enseignement qui vaut pour le présent et pour l’avenir.

Un fonctionnaire seulement conforme n’est pas vraiment un fonctionnaire complet.

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Que sont devenus les cinq de l’arrêt Barel ?

Sept candidats à l’ENA (trois étudiants et quatre fonctionnaires) avaient été rayés par le ministre. On peut supposer que deux d’entre eux n’ont pas exercé de recours. Sur les cinq restants, je n’ai pas retrouvé la trace de deux d’entre eux : les sieurs Guyader des Côtes du Nord et Langlois de Paris. On ne peut donc renseigner que sur trois. Aucune information me permet de dire que l’un des candidats rayés aurait passé le concours de l’ENA après l’arrêt Barel. Quelques éléments biographiques sur chacun d’eux.

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Mohamed Bedjaoui. Né en 1929. Étudiant en 1953. Accumule des diplômes à l’université de Grenoble à partir de 1954. Membre de la délégation du FLN lors de la négociation des accords d’Évian. Ministre à plusieurs reprises des gouvernements  de Ben Bella à Bouteflika. Ministre de la justice et des affaires étrangères. Président du conseil constitutionnel. Nombreuses missions de l’ONU dans des conflits internationaux. Professeur honoris causa de plusieurs universités. Multiples décorations nationales. Mais il a un versant sulfureux. Serait âgé de 95 ans.

Félix-Hilaire Fortuné. Né en 1921. Instituteur en 1953. Études en Sorbonne en droit et sciences économiques après 1954. Avocat un court moment. Carrière d’inspecteur du travail en métropole terminée comme directeur pour la région Auvergne. Retour ensuite en Martinique, conseiller municipal de Fort-de-France. Conseiller régional. Nombreux ouvrages, humanistes et philosophiques. Étudie les relations maître-et esclave et patron-ouvriers. Décédé en 2014 avec des hommages.

Max Barel
1913 – 1944

Yves Barel. Notoriété de la famille Barrel. Le père Virgile a été député du Front populaire. Emprisonné sous Vichy en Algérie. Nommé maire de Nice à la Libération. Redevenu député jusqu’en 1978 où il prononce l’intervention d’ouverture de la nouvelle législature en sa qualité de doyen de l’Assemblée nationale. Décède en 1979. Son fils d’un premier mariage Max, polytechnicien en 1933, créa une cellule communiste à l’Ecole Polytechnique. Distinctions pendant la guerre de 1940. Entre dans la Résistance et occupe des responsabilités importantes dans le sud-est de la France, dans les rangs des FTP. Arrêté le 6 juillet 1944 sur le quai de Lyon Perrache. Torturé  par les services de Klaus Barbie et mort le 11 juillet sous la tortura. Yves Barel, né en 1930. Présenté comme économiste au savoir encyclopédique. Membre du comité de rédaction de la revue Démocratie Nouvelle, supprimée par la direction du PCF en 1969. Ne l’ai pas rencontré à la section économique du PCF dans les années 1960 et 1970. Décédé en 1990. Biographie peu documentée, mais doit néanmoins être crédité de …  l’arrêt Barrel.

Les 70 ans de l’arrêt Barel

Cause commune : le SGF de 1983, une modernité inscrite dans l’histoire

Un statut général de la fonction publique réécrit en 1983

Cause commune : Quel bilan tirez-vous de l’expérience de 1983 avec l’élaboration du statut général de la fonction publique ? 

Anicet Le Pors : Sil on écarte un texte statutaire publié sous Vichy le 14 septembre 1941, nous avons connu depuis trois versions du statut général des fonctionnaires. La première par la loi du 19 octobre 1946 élaborée sous l’autorité du ministre de la fonction publique de l’époque, Maurice Thorez, vice-président du conseil et secrétaire général du parti communiste français (PCF). Cette loi fut adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale constituante après seulement quatre heures de débats. La deuxième fut promulguée sous la forme de l’ordonnance du 4 février1959, elle ne procéda pour l’essentiel, qu’à un ré ajustement du statut dans le cadre de la Ve République. La troisième est le statut actuellement en vigueur constitué par une loi du 13 juillet 1983 sur les droits et obligations des fonctionnaires, suivi de trois lois en 1984 et 1986 relatives respectivement aux fonctionnaires de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers. Nous venons d’en fêter le 40eanniversaire.

Pour la première fois des fonctionnaires vont prendre leur retraite après une carrière entièrement déroulée sous le même statut. Cette solidité  résulte de la cohérence de l’architecture juridique retenue et des choix opérés des principes fondamentaux . D’abord, le choix du fonctionnaire-citoyen hérité du statut de 1946. Puis, le système de la carrière, mettant celle-ci en harmonie avec le nécessaire prospective de long terme de l’administration. Ensuite, la recherche d’un juste équilibre entre l’unité et la diversité des fonctions publiques. Enfin, l’évocation de trois principes républicains fondamentaux ancrés dans notre histoire : légalité, l’indépendance, la responsabilité

CC : Qu’est-ce que cela représentait pour vous d’être ministre communiste de la fonction publique en 1981 ?

ALP : De succéder à Maurice Thorez dans cette fonction.  C’était pour moi un aboutissement de 25 années de militantisme syndical à la CGT ; D’abord à la Météorologie nationale (aujourd’hui Météo-France), puis au ministère des Finances. Cela me garantissait une continuité de pensée dans l’élaboration d’une conception française de la fonction publique, celle du fonctionnaire-citoyen au service de l’intérêt général. Mais, dans l’immédiat, c’était aussi une réplique à l’attitude du nouveau président de la République François Mitterrand lors de la constitution du gouvernement. En effet, il avait alors récusé tout choix d’une femme communiste et de tout responsable syndical communiste. C’est aussi pourquoi j’ai alors choisi et finalement imposé comme directeur de mon cabinet, René Bidouze   qui venait d’occuper pendant 10 ans la fonction de secrétaire général de l’Union générale des fédérations de fonctionnaires (UGFF-CGT). C’était sans précédent, ça le demeure aujourd’hui. Nous connaissions bien tous les deux la fonction publique, ses administrations, son droit spécifique, ses organisations syndicales. L’ensemble de ces conditions réunies nous a permis de formulaire rapidement nos orientations et de présenter dans les meilleurs délais les réformes envisagées, notamment le nouveau statut.

CC : Le statut de la fonction publique et le secteur public ont-ils vocation à s’étendre à d’autres secteurs ?

ALP : Les évolutions de ces deux notions relèvent de logiques différentes qui n’appellent pas de réponses identiques. Je pense, pour ma part, qu’il faut partir de la notion de service public laquelle a été théorisée en France, depuis la fin du XIXe siècle. Que l’on considère une période  pluriséculaire ou pluridécennale on observe une très forte augmentation des besoins sociaux et une moindre croissance des moyens budgétaires qui ont été alloués  pour leur satisfaction. L’augmentation de l’écart entre besoins et moyen nourrit, d’une part une dégradation des services publics entraînant une régression de la confiance populaire dans ces services, et d’autre par l’ouverture d’opportunités lucratives au privé. 

Ces observations générales valent pour tous les secteurs aujourd’hui reconnus pour porter des services publics : éducation, santé, transport, énergie, justice, administration générale et de proximité, etc. Dans ces secteurs ou en dehors d’eux, la pression sur l’action publique apparaît particulièrement élevée : la petite enfance, le grand âge, le logement, la sureté, la disponibilité des soins, le numérique, etc. En ce qui concerne le change statutaire, l’extension d’application du statut des fonctionnaires ou des statuts réglementaires dépend des relations et rapports de forces entre les collectivités publiques, les entreprises, les associations et leurs salariés. Dans tous les cas, ses évolutions seront caractérisées  par une plus grande  socialisation des besoins comme des moyens

CC : Il y a parfois une confusion ou une indifférenciation entre ce qui relève du public et du social. Sur quelle forme de propriété repose la fonction publique et est-ce compatible avec une extension de la propriété sociale dans des domaines qui n’ont peut-être pas vocation à être gérés par l’Etat ? 

ALP : Il faudrait préciser ce qu’on entend par propriété sociale qui ne serait ni publique ni privée. La question de la propriété concerne les trois versants de la fonction publique : État, collectivités territoriales, établissements publics hospitaliers. C’est donc l’ensemble des collectivités publiques de ces trois versants qui doivent être interpelés et pas seulement l’État. Mets le champ du service public ne recouvre pas exactement celui de la propriété publique. Il existe, au surplus, de nombreuses formes de propriété publique plus ou moins dégradé dans l’administration en général : service administratif, établissement public administratif, établissement public industriel et commercial, société anonyme, etc. La délégation de service public permet aussi de multiplier les combinaisons. On ne doit donc s’avancer dans ces domaines qu’avec rigueur des concepts et du vocabulaire.

CC : Comment peut-on démocratiser la fonction publique et lutter contre le risque de sa bureaucratisation ?

ALP :   Je ne comprends pas pourquoi on s’obstine dans une sorte de réflexe inconditionnel à associer la fonction publique à la bureaucratie. Je pense au contraire, par expérience, qu’il y a plus de bureaucratie dans le secteur privé que dans la fonction publique. Quant à la démocratie, il faudrait commencer par appliquer le contenu de la loi du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires qui a considérablement augmenter les capacités d’intervention des fonctionnaires dans l’exercice de leurs activités, y compris dans  la gestion des services. J’attache une importance particulière au droit de négociation reconnu aux organisations syndicales, largement méconnu aujourd’hui où l’on parle d’autant plus de dialogue social qu’il n’y a pas de dialogue social. Je  rappellerai à ce sujet que la loi précitée à recueillir l’accord de l’ensemble des organisations syndicales de la fonction publique en 1983. À l’inverse, à titre d’exemple, la loi du 6 août 2019, dite de transformation de la fonction publique a été assortie d’une soixantaine de décret en conseil d’État qui ne manqueront pas de grever encore la charge bureaucratique. Toutes les organisations syndicales de la fonction publique ont dénoncé  cette loi en raison de ses caractères antidémocratique et bureaucratique.

La démocratie dans la fonction publique c’est aussi l’amélioration des relations entre l’administration et les usagers. À cet effet, l’élaboration d’une charte qui avait comme objectif de préciser les droits des citoyens  dans leurs relations avec les services publics avait tout d’abord été favorablement accueillie par le président de la République. C’était en quelque sorte, pour les usagers, l’équivalent des droits et obligations des fonctionnaires dans le statut général. Mais le « tournant de la rigueur » ouvrant la voie au printemps 1983 au néolibéralisme hostile à toute réglementation limitant les lois du marché a réduit considérablement l’ambition pour ne voir autorisé qu’un simple décret du 28 novembre 1983 rapidement disparu.

Que doit être une fonction publique du XXIe siècle ? Est-ceune fonction publique de carrière ou d’emploi ?

ALP : Une nouvelle fois, je ne comprends pas pourquoi on ouvre aujourd’hui la perspective éventuelle d’une fonction publique d’emploi, alors que le choix qui a été fait en 1946 est celui  du  système de la carrière, conforté par l’ordonnance de 1959 et installé aujourd’hui dans le statut en vigueur, malgré le recrutement accéléré dans la dernière période  de contractuels.

La fonction publique a effectivement besoin d’une forte modernisation[1]. Pour la réussir il faut partir de la réalité. Tout d’abord, la réalité de la fonction publique c’est d’être l’expression de la solidarité de travailleurs collectifs comme en ont témoigné les crises récentes. Cela nécessite le soutien des fonctionnaires et la reconnaissance de la capacité de négociation de leurs organisations syndicales ainsi qu’il vient d’être dit. Ensuite, la réalité de la fonction publique c’est son caractère structurel. Elle doit en permanence s’adapter à l’évolution des besoins des populations, aux transformations technologiques, aux changements intervenant dans la situation nationale et internationale. Enfin, la réalité de la fonction publique c’est que son avenir n’est concevable qu’à moyen et long terme. Cela implique le renoncement  à la suprématie du principe de l’annualité budgétaire. Lavenir de la fonction publique appelle planification et programmation.

De nouveau chantiers doivent donc être ouverts  qui appellent la participation de tous les fonctionnaires à la réflexion, à la proposition, à l’action. On donne ici quelques exemples. Des chantiers théoriques pour délimiter avec précision le champ  des  services publics et leurs catégories constitutives ; pour se donner des outils de mesure de l’efficacité sociale dans la réalité multidimensionnelle de l’action publique  qui est bien plus complexe que celle de la simple recherche de rentabilité  financière de l’entreprise privée. Des chantiers juridiques, d’une part pour expliciter la notion de mobilité érigée au rang de garantie fondamental dans le statut et, d’autre part, pour parfaire la définition du fonctionnaire -citoyen. Des chantiers méthodologiques, ce qui passe par une révision d’ensemble des grilles indiciaires ; la mise en place d’une véritable gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences.

Système de la carrière  /  Système de l’emploi
« Le système de l’emploi lis strictement l’agent à son emploi déterminée par son métier. Toutefois, si il a passé un concours de recrutement il peut ne pas être nommé. S’il est nommé il peut ne pas avoir decarrière. Si son emploi est supprimé, il peut être licencié. Le système est favorable au recrutement de contractuels engagé sur une mission particuli§re pendant un temps limité.
Le système de la carrière couvre l’ensemble de la vie professionnelle du  fonctionnaire après un recrutement opérée par la voix du concours. La carrière est organisée sur la base d’un statut particulier auquel est associé une grille indiciaire de rémunération. Le système vise à assurer la continuité de l’action administrative et à protéger celle-ci comme le fonctionnaire contre les pression de toute nature pouvant porter préjudice au service de l’intérêt général. »

[1]  A. Le Pors et G. Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Paris, 2022  (2e édition)

Les services publics et l’UE

Constitutionnaliser les services publics en France

Développer des réseaux de services publics en Europe

Il existe en France une culture du service public  théorisée dès la fin du XIXe siècle et un modèle social mise en place à la Libération dans l’esprit du programme du conseil national de la Résistance. Cela a conduit, par exemple, à la création de la Sécurité sociale  fondée sur le principe d’une couverture égalitaire des besoins de Santé pour la protection sanitaire de toute la population et d’un statut général des fonctionnaires les protégeant des pressions de toute nature, conditions d’une administration moderne et intègre. Dans les crises que nous avons connues au cours des dernières décennies et malgré les atteintes et les dénaturations qu’ils ont subies, les services publics ont rempli leur rôle au nom de l’intérêt général. Les crises ont particulièrement révélé l’esprit d’initiative et la compétence des collectifs de travail qui ont su  faire face aux difficultés créées notamment par l’impréparation des gouvernants et les stratégies des grands groupes industriels et financiers des secteurs concernés.  Dans l’ensemble des pays de l’Union européenne on observe une vive croissance des besoins fondamentaux, beaucoup plus importante que celle des moyens budgétaires qui sont affectés à leur satisfaction. Le constat de cette écart croissant a pour conséquence, d’une part un mécontentement et une perte de confiance de la population dans les services publics et, d’autres par l’ouverture d’opportunités lucratives pour le  secteur privé.  Ce constat fait en France vaut aussi pour la plupart des autres pays de l’Union européenne. 

Le néolibéralisme, système dans lequel l’Union européenne s’est installé depuis le début des années 1980 est fondée sur le principe de la concurrence ce qui entraîne la suppression de toutes les contraintes aux lois du marché notamment celles qu’impose le service public au nom de l’intérêt général. Les mots « service public » ne » sont utilisés qu’une seule fois dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne au bénéfice d’une notion plus vague de service d’intérêt général.  Mais si les exigences du principe de concurrence ne cessent d’être rappelée par les textes, la jurisprudence du droit européen a dû faire des concessions par la reconnaissance des missions d’intérêt général. Ainsi, au motif de la nécessaire cohésion politique et sociale, une place croissante a été reconnu  aux missions d’intérêt général sous la pression d’une satisfaction minimal des besoins fondamentaux, condition du maintien au pouvoir politique des puissances économiques et financières qui l’occupent. Il est donc possible de repousser les limites de l’exploitation néolibérale par la solidarité et l’action de toutes les forces du travail et de la création de l’Union.  Au-delà et de façon plus structurelle et organique, on pourrait  développer, secteur par secteur des réseaux des services publics des différents pays de l’Union.  Cette réalisation serait à la fois conforme à la rationalité économique, à la visibilité des services publics, aux droits des usagers, aux relations des peupleses européens et, par-là, à la démocratie.

En ce qui concerne spécifiquement la France,  les deux propositions suivantes pourraient être avancées :

Premièrement, vu la place occupée dans la vie nationale par les services publics et leur rôle essentiel pourle respect de notre souveraineté, les services publics doivent faire l’objet d’articles dans le corps même de la constitution. Les traités européens consacre d’ailleurs eux-mêmes de très nombreuses disposition au service d’intérêt général.

Deuxièmement, le champ du secteur public, définie comme regroupement de l’ensemble des propriétés publiques, doit être reconsidéré et élargie dans les secteurs répondant notamment à l’exigence posée par le point 9 du préambule de la constitution de 1946 qui fait partie du bloc de constitutionnalité en vigueur et sinon lequel tout bien, tout entreprise dont l’exploitation a ou acquiert le caractère d’un service public doit devenir propriétés de la collectivité. Les traités européens ne sauraient leur faire obstacle puisque l’article 345 du traité sur le fonctionnement de l’Union dispose que : « les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres. »

Le statut général vu de Guyancourt

Municipalité de Guyancourt : Il y a 40 ans, vous étiez à l’initiative de lois fondatrices pour le statut des fonctionnaires. Qu’est-ce qu’elles ont changé concrètement pour les agents des collectivités territoriales ?

Anicet Le Pors :Quand  autrefois, ont demandé         à un agent territorial quelle était sa situation professionnelle, il répondait souvent, un peu gêné, « je suis assimilé fonctionnaire ». Les territoriaux ne bénéficiaient que de garanties statutaires limitées inscrites dans le code des communes. Il s’agissait d’une fonction publique sans véritable identité, désordonnée, humiliée. Les lois de 1983-1984 ont créé une  fonction publique territoriale (FPT), cohérente et dynamique dans le cadre d’un statut général  reconnaissant à égalité ses trois versants : État, collectivités territoriales, établissements publics hospitaliers. La FPT est celle qui s’est  le plus développée  en 40 ans. Ses effectifs atteignent aujourd’hui près de 2 millions d’agents. Elle s’est dotée de structures  de gestion performantes.  En situation de crise, elle a encouragé la concertation entre élus, fonctionnaires, usagers. Les agents inscrivent désormais leur vie professionnelle dans des cadres et des filières définis. Je veux aussi rappeler que la réforme statutaire des années 1980 a été soutenues par l’ensemble des organisations syndicales, et qu’aujourd’hui les élus ont reconnu que le statut de la fonction publique territoriale constitue  pour eux une sécurité juridique.

  G : E n mars 2022, le code général de la Fonction Publique est entré en vigueur et a réaffirmé le statut de la Fonction Publique. Malgré tout, quels sont les dangers qui pèsent encore sur lui ?

.LP : codification s’effectuant à droit constant n’a pas modifié le contenu du statut dans l’état où il se trouvait au moment où elle a été réalisée. Or, cet état était le résultat de centaines de modifications statutaires, intervenues au cours des quatre dernières décennies, souvent des dénaturations conséquences des attaques frontales ou de multiples modifications ponctuelles du statut. Il est dans la nature même du statut d’être attaqué car il tend à sortir l’activité des services publics des lois du marché dont l’objectif est la rentabilité financière, tandis que la finalité des services publics est la satisfaction des besoins sociaux, la poursuite de l’intérêt général. Mais en réunissant sur chaque question, les dispositions des différentes fonctions publiques, la codification renforce aussi l’unité de réflexion, de revendication et d’action des fonctionnaires. Dans l’immédiat, le danger réside dans la mise en œuvre de la loi du 6 août 2019, dite de transformation de la fonction publique qui prévoit un alignement du public sur le privé, une augmentation du recrutement de contractuels sur des emplois permanents et un renforcement du pouvoir discrétionnaire des exécutifs. Au risque d’entraîner une confusion, des finalités privées et publiques, une multiplication des conflits d’intérêts, une captation des actions publiques par les pouvoirs financiers

G : Comment, selon vous, a évolué la Fonction Publique Territoriale et quelles actions mettriez-vous en place si vous étiez ministre de la Fonction Publique aujourd’hui ?

A.LP : La question ne se pose pas dans la situation politique actuelle. Sur  le fond, on ne peut réformer de manière démocratique et efficace la fonction publique qu’en partant de sa réalité. D’abord, la fonction publique est l’expression d’un effort collectif. Un large soutien des fonctionnaires est indispensable, et il convient de restaurer le droit de négociation de leurs organisations syndicales plutôt que de bavarder sur le dialogue social qui n’existe véritablement pas aujourd’hui. Ensuite, il faut reconnaître le caractère structurel de la fonction publique. Cela doit conduire à une révision des catégories de qualifications et des grilles indiciaires afin de tenir compte, notamment de l’évolution des besoins sociaux en expansion et des progrès techniques et scientifiques. Enfin, l’avenir de la fonction publique ne peut s’analyser que sur le long, voire le très long terme, ce qui disqualifie une gestion dominée par le principe de l’annualité budgétaire. Il faut donc mettre en place une planification des besoins sociaux fondamentaux pour en déduire les moyens pertinent pour les satisfaire

Les 70 ans de l’arrêt Barel du Conseil d’État

 24 juin 2024 18h00-20h00

À l’occasion des 70 ans de ce grand arrêt, le Conseil d’État organise une conférence consacrée à cette jurisprudence emblématique qui a non seulement consolidé le principe de l’égalité d’accès aux emplois et fonctions publics, mais a également joué un rôle crucial dans l’évolution des techniques de contrôle du juge administratif. Une conférence à suivre le 24 juin à 18h en ligne ou au Conseil d’Etat.

En 1953, cinq candidatures au concours d’entrée de l’École nationale d’administration (ENA) sont refusées car les candidats sont présumés communistes. Saisi par les cinq intéressés, le Conseil d’État annule cette décision le 28 mai 1954 car elle est discriminatoire. Il juge en effet que l’administration ne peut pas exclure un candidat pour ses opinions politiques et estime que sa décision viole le principe de l’égalité d’accès aux emplois publics inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Pour fêter les 70 ans de cet arrêt historique, le comité d’histoire du Conseil d’État et de la juridiction administrative invite deux spécialistes pour discuter de ses différents apports.

Intervenants :

– Benoît Plessix, professeur à l’université Paris-Panthéon-Assas et membre du Comité d’histoire du Conseil d’État et de la juridiction administrative

– Anicet Le Pors, conseiller d’État honoraire et ancien ministre

Pour assister à la conférence
– En présentiel :
Inscription obligatoire, dans la limite des places disponibles à l’adresse suivante : https://my.weezevent.com/larret-barel-du-28-mai-1954

– En ligne :
La conférence sera également retransmise en direct depuis cette page et les réseaux sociaux du Conseil d’État.

https://conseil-etat.fr/publications-colloques/colloques-et-conferences/les-70-ans-de-l-arret-barel

Dialogue autour de la fonction publique

Séance 06 · 24 mai 2024, 10h-13h : Gouverner la fonction publique ?

Table ronde avec deux ministres de la Fonction publique :
Anicet Le Pors (1981-1984) ; ; Amélie de Montchalin (2020-2022) ; mise en perspective par
Delphine Dulong (Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, Centre européen de sociologie et de science politique · CESSP).

Peut-on parler de «LA» fonction publique au singulier ? Certes, les lois de 1983 à 1986 ont étendu le statut, initialement à «trois fonctions publiques», celle de l’État (FPE), la Territoriale (FPT), et l’Hospitalière (FPH) devenues progressivement les trois «versants» étatique, territorial et hospitalier, d’une même fonction publique. Cette dernière dispose d’ailleurs désormais de son Code général, entré en vigueur au 1er mars 2022.

Pour autant, sans parler de la diversité des cas internes à chaque versant, des distinctions subsistent : dans la structure des personnels par exemple (hiérarchique, avec une catégorie A sur-représentée dans le versant étatique là où c’est la catégorie C qui domine le versant territorial ; ou encore sta- tutaire, avec un recours plus fort aux personnels non titulaires dans l’hos- pitalière ou la territoriale, sans parler des statuts particuliers de praticiens hospitaliers). Le rapport au pouvoir exécutif national n’est pas non plus tout à fait le même, le principe de libre administration des collectivités locales étant consacré par l’article 72 de la Constitution de la Ve République ; tandis que les degrés de politisation ou d’indépendance des administrations par rapport aux élu·es peut aussi varier d’un versant à un autre.Ce séminaire entend donc, à partir d’un spectre large de thématiques liées aux ressources humaines, questionner l’unité de la fonction publique fran- çaise. Interdisciplinaire, il se veut un espace de dialogue entre le monde de la recherche et celui de la fonction publique.2023-2024SÉMINAIRE DE RECHERCHESéminaire co-organisé parMathilde Icard,Administratrice territoriale, cheffe de service à la Direction générale de l’ad- ministration et de la fonction publique (DGAFP)etÉmilien Ruiz, Assistant Professor au Centre d’histoire de Sciences Pohttps://compter.hypotheses.org/category/dialogues

Le CNR inspirant des nationalisations de grande ampleur

Sous le titre « 120 ans 120 unes  120 regards » a publié un superbe album qui comme l’indique le titre fête les 120 ans d’existence du journal en reproduisant 120 unes particulièrement significatives brièvement commentées par 120 personnalités qui réagissent au thème dominant de chacune de ces pages. On publie ci-dessous l’une d’elles que l’on m’a demandé d’évoquer. Il s’agit de la réunion d’un comité central du PCF consacré à la mise en œuvre des mesures immédiates d’application du programme du CN

« Il s’agit de défaire méthodiquement le programme du CNR ». C’est l’objectif que se fixa Denis Kessler, dirigeant du Mouvement des entreprises de France (MEDEF).  Et de préciser : « Le modèle social français est le produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes » (Chalenge, 4 octobre 2007).  Il nota  les chantiers à déconstruire : «  les caisses de sécurité sociale, le statut de la fonction publique, l’importance du secteur public productif et la création de grandes entreprises françaises nationalisées, le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc. ». Le représentant du patronat a a ainsi reconnu la grande portée des réformes entreprises après la Libération dans le cadre du programme du CNR. Un hommage du vice à la vertu en quelque sorte.

En estimant que  l’opération devrait être méthodiquement conduite, le patronat l’inscrivait nécessairement dans la durée. Comme nous l’indique la une de l’Humanité du 2 septembre 1945, le parti communiste appela dès la fin de la guerre au rassemblement pour la mise en œuvre des mesures immédiates prévues par le programme. Mais, au-delà, le programme inspira, lui aussi dans la durée, des transformations démocratiques importantes, telles que des nationalisations de grande ampleur. C’est ainsi que le Préambule (toujours en vigueur) de la constitution de 1946 décida que « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation à ou acquiert le caractère d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». La question de la propriété publique fut encore  essentielle lors de l’élaboration du Programme commun de la gauche de1972 prévoyant la réalisation d’un « seuil minimum de nationalisation » sous  une affirmation qui dominait alors le débat des années 1970 : « La où est la propriété, là est le pouvoir ! ». Slogan que le MEDEF lui-même ne saurait contester.

Le programme du CNR traita dans le même esprit la question institutionnelle. La France en est un véritable laboratoire : une quinzaine de constitutions en un peu plus de deux siècles. Les conditions étaient alors réunies pour l’élaboration d’une nouvelle constitution : un rejet général des dispositifs antérieurs, un large consensus en faveur d’un régime parlementaire, un évènement majeur, la guerre, ouvrant la voie à un débat sans trop de présupposés. Les forces progressistes disposaient aussi d’une référence consacrée, la constitution de 1793, résolument révolutionnaire, permettant, par exemple, de soumettre aux assemblées primaires des départements des textes dits de « loi proposée », et créant un droit à l’insurrection « quand  le gouvernement viole les droits du peuple ». C’est d’ailleurs avec à l’esprit cette constitution et le programme du CNR, que le comité central du parti communiste adopta en décembre 1989 à la suite de mon rapport, un « projet constitutionnel » (1) pour célébrer le bicentenaire de la Révolution française. 

  • (1)  Le  projet constitutionnel du PCF, l’Humanité, 18 décembre 1989.