Je vous remercie Monsieur le président Laurent Bornia ainsi que votre équipe de m’avoir invité à parrainer ce gala 2022 de l’Association des anciens élèves des Instituts régionaux d’administration (IRA). J’en suis honoré et je peux vous le dire avec sincérité très heureux de cet honneur que vous me faites car, sans doute pour me garder d’un certain élitisme, j’ai un attachement particulier pour ce moyen de recrutement et de formation des cadres de la fonction publique. J’ai traduit cette inclination pendant ma période ministérielle en posant la première pierre de l’IRA de Lyon en 1981, en inaugurant les nouveaux locaux de l’IRA de Bastia début 1982, ceux de Lille en 1984. Et aussi, en donnant des conférences à l’IRA de Metz et en y célébrant le 30e anniversaire du statut général des fonctionnaires de 1983 avec le premier ministre Jean-Marc Ayrault. J’ai aussi visité l’IRA de Nantes., Je justifie depuis mon intérêt pour les IRA en raison de leurs caractéristiques propres : une base de recrutement décentralisée et socialement diversifié, un niveau de qualification initiale élevé comparable à celui exigé dans les autres écoles pourvoyant la haute fonction publique, un esprit de service public soucieux du travail de terrain et de proximité pour répondre aux besoins des populations. Bref, des marques d’authenticité susceptible de définir un véritable modèle.
Ces appréciations générales doivent évidemment être replacées dans le contexte actuel. Je note préalablement pour m’en réjouir que si l’École nationale d’administration (ENA) a été supprimée, les IRA ne l’ont pas été. Je ne m’avancerais pas cependant pour croire qu’il s’agit là d’un hommage au modèle IRA. Plus généralement la codification du statut général des fonctionnaires qui vient d’intervenir a intégré aux lois de 1983–1984–1986 déjà profondément dénaturées, la loi dite de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 qui tend à consacrer l’alignement du public sur le privé dont je tiens à dire que je le désapprouve. Malgré cela, je reste optimiste sur l’avenir de la fonction publique. J’ai même annoncé récemment dans un livre que le XXIe siècle connaîtrai probablement un « nouvel âge d’or » du service public, et ceci pour les raisons suivantes. D’abord, sur le très long terme, l’existence de tendances lourdes : une sécularisation et une autonomisation de l’appareil d’État, une extension constante de la sphère administrative, ; une socialisation croissante des financements publics pour répondre à des besoins sociaux en forte expansion et maintenir la cohésion sociale ; une maturation des concepts d’intérêt général, de service public, de fonction publique. Ensuite, sur le moyen terme écoulé, on peut relever que rares sont les personnalités politiques qui proposent aujourd’hui des réductions d’effectifs de fonctionnaires ni même des réductions des crédits affectés aux services publics, des catégories de salariés des services publics ont fait, dans la pandémie, la démonstration de la nécessité de leur reconnaissance, notamment dans les services de santé, d’assistance sociale, d’éducation, de services de proximité, etc. Enfin, pour toutes ces raisons ce que nous venons de vivre porte enseignement pour l’avenir proche et lointain à partir d’un constat qui peut étonner dans toutes ces vicissitudes : le statut général continue d’exister ce qui pose la question de son évolution nécessaire..
C’est donc bien un message de confiance rationnellement fondé que j’ai souhaité livrer en tant que parrain de ce gala. Cela suppose que l’on ait une claire conscience de la réalité de la fonction publique. La réalité de la fonction publique c’est celle d’un effort collectif qui suppose le respect du droit à la négociation prévu par le statut. La fonction publique c’est une réalité structurelle pour permettre une gestion prévisionnelle des effectifs et des qualifications. La fonction publique est une réalité de long terme qui ne peut être conduite par le principe d’annualité budgétaire. Il est donc impératif de réaliser des progrès que je mentionne à titre indicatif : théoriques dans l’approfondissement, par exemple, de la notion d’efficacité sociale et de périmètre des services publics ; juridiques, notamment en précisant de manière opérationnelle les concepts de mobilité et de responsabilité du fonctionnaire ; professionnels, en enrichissant les méthodes dans le domaine de l’action publique sur des bases rationnelle et participative. Dans tout cela, rien à voir avec le « nouveau management public » qui tente de transposer du privé au public des méthodes inadéquates parce que la mesure de l’efficacité sociale d’un service public est d’une exigence méthodologique bien supérieure à celle de l’entreprise privée, car elle est multidimensionnelle dans le service de l’intérêt général. Adossé au statut, le modèle IRA, en raison des caractéristiques mentionnés précédemment me semble au contraire constituer la base d’où pourrait émerger, jusqu’aux niveaux les plus élevés, une nouvelle haute fonction publique pleinement efficace et républicaine. Dans cet esprit et cette perspective je vous souhaite bon courage.
Charles Fiterman et Anicet Le Pors sont au siège du comité central du PCF place du colonel Fabien le 10 mai 2022
L’élection présidentielle d’Avril prochain peut être l’occasion de mettre un coup d’arrêt aux politiques néolibérales et autoritaires qui affaiblissent et divisent la France et d’ouvrir une phase nouvelle de progrès social et humain, appuyée sur un rassemblement des forces populaires et démocratiques les plus larges, sans volonté hégémonique d’aucune d’entre elles. Servir cet objectif, c’est voter utile. Le mieux placé parmi les candidats en présence pour incarner ce vote utile, c’est pour nous Fabien Roussel.
Nous fondons ensemble ce choix sur plusieurs raisons essentielles. Fabien Roussel porte des propositions et un combat déterminé pour faire reculer les inégalités sociales, améliorer la vie du plus grand nombre, libérer les forces de création du carcan de la recherche de la rentabilité financière maximale pour quelques- uns. Il appuie cet objectif sur des propositions concrètes de réindustrialisation du pays, de relance des activités agricoles, sur un nouvel élan culturel, tout cela inscrit dans une transition écologique responsable. Il est le seul à proposer une démocratisation profonde des institutions et des pratiques politiques, marquées notamment par la suppression de l’élection au suffrage universel du Président de la République, mettant ainsi fin au système monarchique dans lequel nous vivons.
Enfin, Fabien Roussel tient un langage clair, franc, honnête, à l’écart des phrases pompeuses et des mots ronflants. Il n’est pas habité par l’obsession de poursuivre une aventure personnelle. Il est disponible pour rassembler les forces sociales et politiques nécessaires au changement, dans le respect de chacune d’entre elles, dans une coopération efficace et loyale au service des engagements pris en commun. Il est tourné vers l’avenir.
Fabien Roussel, c’est donc bien le vote le plus utile pour porter les espoirs de la France qui travaille et qui crée.
Anicet Le Pors – Charles Fiterman, le 20 mars 2022
Des vœux sincères et pertinents doivent prendre appui sur les enseignements des deux années de pandémie que nous avons connues. Les réponses à la crise sanitaire ne sont pas venues de la tarification aux actes hospitaliers, des recettes managériales importées du secteur privé, de l’autoritarisme dans la gestion de l’urgence. Ce sont les collectifs de base des services hospitaliers, de l’éducation nationale, de l’assistance sociale, des élus et fonctionnaires territoriaux qui ont fait la preuve de leur dévouement et de leurs compétences. La Bretagne a apporté une importante contribution à la solidarité nationale. Elle a reçu de nombreux malades qui ne pouvaient être traités normalement dans le reste du pays. Elle a été lieu de repos et de réconfort pour des familles qui avaient souffert du confinement et des attaques du virus. Ce sont ces collectifs de travailleuses et de travailleurs qui ont avec intelligence su s’organiser pour apporter à la population les meilleurs services. C’est dans les services publics que cette utilité a fait la démonstration la plus convaincante en nous invitant par là à les défendre et les promouvoir pour la satisfaction des besoins essentiels de la population. C’est en eux qu’il faut placer notre confiance. Je souhaite sur cette base une bonne et heureuse année aux Bretonnes et aux Bretons de l’île de France, réfléchis sur le passé, actifs dans le présent et optimistes pour l’avenir.
Anicet Le Pors
Président d’honneur de l’Union des sociétés bretonnes de l’Île-de-France (USBIF)
Regards croisés n° 40, revue de l’institut de recherche de la FSU septembre – décembre 2021
Le statut des fonctionnaires leur garantit la liberté d’opinion et l’obligation de réserve n’y figure pas. C’est la responsabilité du fonctionnaire-citoyen qui garantit le mieux une liberté d’expression étendue et maîtrisée. Mais celle-ci est de plus en plus menacée par des tentations managériales autoritaires
« La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires ». Le statut général est clair. S’ensuivent deux conséquences. La première est d’entraîner un autre principe, celui de non-discrimination des fonctionnaires : toute discrimination entre les fonctionnaires fondée notamment sur leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques, est interdite.
La deuxième est de permettre au fonctionnaire de penser librement, principe posé dès l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui vaut pour les fonctionnaires comme pour tout citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
Ce principe a été repris dans le statut en 1983 et un large débat s’est ouvert aussi bien avec les organisations syndicales qu’au Parlement sur la portée et les limites de la liberté d’opinion qu’il convenait éventuellement d’expliciter dans le statut lui-même, sous la forme, d’une part, de la liberté d’expression et, d’autre part, de l’obligation de réserve. J’ai rejeté à l’Assemblée nationale le 3 mai 1983 un amendement tendant à l’inscription de l’obligation de réserve dans la loi en observant que cette dernière « est une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie » et qu’il revenait au juge administratif d’apprécier au cas par cas. Ainsi, l’obligation de réserve ne figure pas dans le statut général. Le fonctionnaire est un citoyen de plein droit.
Plutôt que la contrainte du pouvoir hiérarchique, c’est la responsabilité du fonctionnaire-citoyen qui constitue le meilleur garant d’une liberté d’expression étendue et maîtrisée. Les dispositions statutaires spécifiques relatives à la discrétion et au secret professionnels ne sauraient lui être opposées. En revanche celles fondant sa responsabilité sont significatives.
Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Il n’est dégagé d’aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés. A titre individuel le fonctionnaire garde toujours une marge d’appréciation et comme membre de collectifs de travail il partage une responsabilité commune.
Le conformisme et l’autoritarisme sont souvent à l’origine des atteintes portées à la liberté d’expression dans la fonction publique. Les dernières réformes législatives sont de nature à aggraver le développement de nouvelles menaces. D’abord, un risque accru de sollicitation abusive des textes en raison de confusions juridiques, la catégorie d’agents publics regroupant fonctionnaires et contractuels par exemple. Ensuite, une préférence accordée à la déontologie non normative contre le droit positif traduction du courant du soft power américain ; la référence aux valeurs plutôt qu’aux principes favorisant une appréciation plus subjective sinon arbitraire du pouvoir hiérarchique. Enfin, la codification et l’éclatement qu’elle entraine de l’architecture du statut renforce les tendances discrétionnaires et managériales de la gestion du service public. La liberté d’expression est toujours un combat.
Le Centre départemental de gestion de Haute-Garonne a organisé le 30 septembre dans les locaux de la Dépêche du midi de Toulouse une table ronde sur le thème indiqué ci-dessous. Après une introduction de la Présidente Madame Sandrine Giel-Gomez, sont intervenus : Clémence Lapuelle avocate, Irène Gaillard maître de conférence, Laurent Rey consultant, Adrien Cazako dirigeant d’entreprise. Anicet Le Pors grand témoin devait faire la conclusion dont on trouvera ci-après un résumé.
« Quel service public territorial en 2030 ? »
J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt les différentes interventions de la table ronde, contributions positives et dynamiques sous le thème proposé de l’avenir de la fonction publique territoriale :sociologie du travail, éducation, ergonomie, management des organisations publiques et privées, transformations digitales, droit de la fonction publique. À ce sujet je voudrais apporter une information : aujourd’hui même se tient une réunion importante du conseil supérieur commun des trois fonctions publiques pour qu’il formule un avis sur le projet de code de la fonction publique qui intègre à droit constant les quatre lois de 1983-1986. Pour des raisons tenant à la nocivité de la loi du 6 août 2019 modifiant le statut et en raison des conditions de la concertation, une partie des organisations syndicales a refusé de participer à cette réunion, les autres y ont participé en récusant le projet. Tel est aujourd’hui l’état des lieux.
Témoignages
Convoqué dans ce débat comme grand témoin j’évoquerai de simples constats qui me semblent significatifs de l’évolution sur la période.
Avant 1983 les agents publics des communes se eux vivaient en position humiliante par rapport à leurs homologues de l’État. Ils se disaient souvent eux-mêmes « assimilés fonctionnaires ». Couverts par le nouveau statut ils sont alors reconnus fonctionnaires de plein droit. Malheureusement, la majorité des fonctionnaires territoriaux étant féminine et classée en catégorie C . Ils ont subi particulièrement les effets des politiques d’austérité et la précarité les a gravement pénalisés. Pour autant la fonction publique territoriale a trouvé sa place, notamment grâce aux centres départementaux de gestion.
Le contraste entre le début et la fin de la période est particulièrement fort s’agissant du rôle des organisations syndicales. Après des centaines d’heures de discussions et en dépit au départ d’hésitations et de réserves, toutes les organisations syndicales auxquelles le statut avait reconnu leur droit à la négociation ont soutenu le statut. Aujourd’hui, toutes les organisations syndicales sont opposées à la politique de l’exécutif dans la fonction publique, notamment sa politique statutaire.
Beaucoup d’élus s’inquiétaient des répercussions possibles des réformes engagées au début des années 1980 et notamment des effets du nouveau statut sur leurs compétences. Au fil du temps ils ont pu être rassurés en constatant que le statut conférait une sécurité juridique à l’exercice de leurs prérogatives et je ne reçois plus de doléances à ce sujet. Au contraire j’ai rencontré une compréhension chez les élus lors des assemblées des centres de gestion et du congrès de la Rédération nationale des centres de gestion en 2018 sous la présidence de Michel Hirriart. Je me suis aussi toujours trouvé en accord avec Philippe Laurent maire UDI de Sceaux qui a présidé pendant de nombreuses années le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Je note aussi le désaccord manifesté par toutes les associations d’élus locaux vis-à-vis de la politique territoriale de l’exécutif.
Enfin, je rappellerai que le Parlement d’alors avait approuvé toutes les réformes proposées. J’ai même pu espérer un moment que le statut nouveau pourrait, comme en 1946, être adopté à l’unanimité de l’Assemblée nationale. Ce ne fut pas le cas pour des raisons de tactique politicienne, mis plusieurs députés de l’opposition le votèrent néanmoins.
Réalités
On ne peut avoir l’ambition de dire l’avenir du service public territorial en 2030 sans s’interroger préalablement sur la réalité multidimensionnelle de la fonction publique.
La fonction publique, une réalité historique. Le statut fondateur de 1946 a fait le choix du fonctionnaire-citoyen responsable contre la conception du fonctionnaire-sujet qui avait prévalu durant le XIXe et la première moitié du XXe siècle. Le statut fédérateur se 1983 a fait le choix du système de la carrière pour tous contre celui de l’emploi lié au seul métier, la recherche d’un équilibre entre unité et diversité, le choix de fonder la fonction publique « à trois versants » sur des principes ancrés dans l’histoire : égalité, indépendance, responsabilité.
La fonction publique, une réalité collective. Comme la crise sanitaire l’a bien montré le service public c’est un ensemble de travailleurs collectifs représentant 25% de la population active en France. Toute réforme importante implique donc un large accord des fonctionnaire et l’appui par la négociation de leurs organisations représentatives. C’est dans ces conditions qu’une codification aurait un sens, la matière législative ayant été préalablement épurée des dénaturations des quatre dernières décennies.
La fonction publique, une réalité structurelle. Au service de l’intérêt général elle doit en permanence s’adapter aux évolutions, : besoins sociaux, technologies, cultures, territoires, relations internationales, etc. Cela doit conduire à une révision générale du classement des qualifications et des grilles indiciaires correspondantes. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut réaliser une gestion prévisionnelle sérieuse des effectifs et des compétences alors que ces structures n’ont pas changé depuis des dizaines d’années que l’on pourra donner sens à la mobilité et à l’adaptabilité grâce à un système de formation continue de grande ampleur.
La fonction publique, une réalité de long terme. Les grandes fonctions du service public (éducation, santé, recherche, sécurité, défense…) ne peuvent être définies que sur le long terme. Ainsi est-il nécessaire de faire des hypothèses rationnelles sur ce que devront être les effectifs et les compétences des enseignants à échéance de dix ou vingt ans. Or la fonction publique demeure sous la contrainte du principe de l’annualité budgétaire et gérée en fait par la direction du Budget. Il y a peu la fonction publique avait même disparu des intitulés ministériels et ses services intégrés au ministère des comptes publics, conception archaïque aberrante, le service public ainsi réduit à un coût comptable. Une remiseen cause complète doit donc être opérée.
J’ai rencontré Jacques pour la première fois dans le préau d’un établissement scolaire de Saint Cloud où il avait organisé une réunion dans le cadre des élections municipales de 1971. Il conduisait la liste du parti socialiste et moi celle du parti communiste. J’étais donc venu lui porter la contradiction tout en sachant que concurrents au premier tour nous serions ensemble au second. Il s’intéressait beaucoup à l’époque à la démarche des Groupes d’action municipale (GAM). Nous n’avons pas été élus mais de là est née une amitié de cinquante ans stimulée et enrichie par la contradiction originelle restée vivace dans ses fondements jusqu’à aujourd’hui.
Nous eûmes aussitôt la chance de pouvoir poursuivre nos convergences sur les plans professionnel et politique. Dans le contexte des années 1970 où demeurait une certaine exigence de rationalité dans la conduite de l’action publique, Jacques était en charge de la question sociale au Commissariat général du Plan et je m’occupais de politique industrielle à la direction de la Prévision au ministère de l’Économie. Il y effectua un travail remarquable témoignant de sa haute compétence et de son souci du dialogue social. Il porta un intérêt particulier à la politique de l’éducation et au thème associé de la laïcité qu’il abordait de manière plutôt bienveillante. Politiquement, il rejoignit le CERES, l’aile gauche du parti socialiste ce qui nous plaçait sur des positions idéologiques voisines dans un débat dominé par la question des nationalisations que résumait le slogan partagé « Là où est la propriété, là est le pouvoir ! ».
Jacques Fournier réunissait ainsi toutes les conditions pour jouer un rôle important lors de l’alternance de 1981 qui entreprit de profondes transformations sociales. Avec notre ami Guy Braibant il permit de résoudre la délicate question de la place des ministres communistes au gouvernement (nombre, ministères, personnalités). Le résultat, injuste en raison de l’effet majoritaire du mode de scrutin fut considéré néanmoins comme acceptable. Nommé secrétaire général du gouvernement en 1982, il nous apporta une aide constante, notamment en ce qui me concerne, en matière de négociations salariales, de gestion prévisionnelle, d’élaboration statutaire, de réformes administratives. Mais la singularité française de l’élection d’un président de gauche à contrecourant de nos voisins occidentaux ne dura pas deux ans, le tournant néolibéral de mai 1983 nous fixa les limites de nos ambitions. Le soutien de Jacques me permit néanmoins d’effectuer des sorties constructives.
Sa nomination à la présidence de GDF puis de la SNCF apparut à tous assez naturelle . D’autres parleront mieux que je ne peux le faire de son action à la tête de ces grandes entreprises publiques. Délaissant la question de la propriété du secteur public, il concentra désormais ses réflexions sur le thème de l’État stratège notamment au sein du CIRIEC où il eût un rôle majeur. Tâche ardue dans un contexte où le secteur public industriel a régressé des trois quarts en trente ans sous l’emprise de l’idéologie managériale dominante, c’est-à-dire celle de l’entreprise privée. Quoi qu’il en soit Jacques Fournier a été un ardant défenseur du service public. Fort intéressante est l’analyse qu’il développe à partir de L’économie des besoins, titre de l’un de ses derniers livres, qui lui permet d’identifier les besoins relevant de l’intérêt général et d’envisager les moyens les plus appropriés pour parvenir à leur satisfaction en poussant l’analyse jusqu’aux moyens économiques, politiques et patrimoniaux et en ne se contentant pas de faire confiance à la seule technostructure.
Mais ce qui m’apparait le plus important peut être dans la conjoncture actuelle c’est d’évoquer Itinéraire d’un fonctionnaire engagé, titre d’un autre de ses livres. Jacques n’était pas un haut fonctionnaire conforme mais un grand serviteur de l’État et du service public. Dans l’exercice de ses hautes responsabilités, il a été loyal et compétent sans jamais renoncer ni dissimuler ses convictions politiques et philosophiques. On sait moins qu’il a mené une action internationale courageuse à l’égard du Maghreb et notamment de l’Algérie pays de son enfance (le dernier article de son blog porte sur les suites à donner au rapport Stora) et aussi en soutien du peuple palestinien. C’était également un habile travailleur manuel : il aimait et savait réparer une chaise cassée. Seul en cuisine, il excellait. Un homme véritable.
A l’occasion du 4e anniversaire de l’Institut régional d’administration (IRA) de Bastia s’est tenu un séminaire sur ce thème dont le service communication de l’IRA a assuré l’enregistrement audio. Le lien ci-dessous permettent d’en prendre connaissance.
Le 7 janvier 1982 j’ai inauguré les locaux de l’Institut Régional d’Administration (IRA) de Bastia. Pour marquer cet anniversaire un séminaire y a été organisé sur le thème « Quelles compétences pour le service public de demain ? ». On trouvera ci-dessous le texte de l’intervention introductive.
Par ailleurs, la 42e promotion actuellement en formation a choisi comme nom celui de « Anicet Le Pors » faisant suite à ceux de Gisèle Halimi, Albert Camus et Joséphine Baker.
Quelle étique des compétences du service public de demain ?
Je vous remercieiMonsieur le Directeur de l’Institut régional d’administration de Bastia ainsi que vos collaborateurs et collaboratrices pour votre accueil. IRA que j’ai eu l’honneur en effet d’inaugurer le 7 janvier 1982. C’est donc avec plaisir que je me retrouve ici aujourd’hui. Et qui plus est, suite à l’initiative de femmes et d’hommes qui pour la plupart d’entre eux ne sont nés que bien plus tard et qui ont aujourd’hui l’âge de mes petits-enfants. Que vous ayez décidé de donner mon nom à votre promotion m’honore grandement. Je le ressens comme un symbolique passage de témoin et c’est pour moi très émouvant. J’en remercie de tout cœur la 42e promotion de l’IRA de Bastia. En raison, je la remercie aussi d’avoir eu le simple courage d’écrire « Nous sommes fiers de notre statut et de ce qu’il représente ». Un témoignage d’optimisme dans une époque qui en est dramatiquement dépourvue.
Le thème choisi pour ce colloque « Quelles compétences pour le service public de demain ? » est de la plus haute importance au sein du changement et le programme retenu souligne bien la multiplicité des approches nécessaires : le numérique, le collectif, la coopération, les gestions, etc. Mais je n’ai pas voulu m’engager sur ces questions puisque des interventions, des tables rondes et des rencontres en traiteront savamment. Pour avoir rencontré aussi souvent une question connexe au cours d’initiatives récentes, je voudrai simplement livrer quelques réflexions sur l’éthique qui me semble devoir être nécessairement consubstantielle de la compétence pour le service public de demain.
L’éthique statutaire globale
L’éthique peut être considérée de manière globale ou singulière. Globalement elle peut recouvrir de nombreuses idées : valeurs, principes, droits, obligations, et même … morale. C’est ce que l’on peut appeler un mot-valise ; il faut alors préciser le terrain sur lequel on se situe. Ici c’est le statut général des fonctionnaires qui est le support de l’éthique du service public dont la finalité est l’intérêt général. C’est ce qu’ont décliné les choix retenus lors de l’élaboration du statut, en 1983 comme en 1946. Quatre choix.
Le choix du fonctionnaire-citoyen contre la conception du fonctionnaire-sujet qui avat prévalu pendant tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Le citoyen est plus libre que le sujet et, peut-on penser, plus efficace dans le développement de ses compétences.
Le choix du système de la carrière contre celui de l’emploi, c’est-à-dire circonscrit par l’exercice d’un métier et tributaire de celui-ci, ce qui limite la perspective, la diversité et la mobilité élevée au rang de garantie statutaire fondamentale (art. 14 de la loi du 13 juillet 1983).
Le choix d’un juste équilibre entre deux principes constitutionnels : l’unité de la République et la libre administration des collectivités territoriales. C’est la fonction publique « à trois versants » respectant les spécificités locales dans le cadre d’une cohérence conceptuelle et juridique.
Enfin, outre le choix d’une architecture juridique solide composante importante de notre État de droit, le choix d’une référence à des principes ancrés dans notre histoire : le principe d’égalité (art. 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, DDHC), le principe d’indépendance (loi de 1834 sur l’état des officiers), le principe de responsabilité (art. 15 de la DDHC). À ce propos, je parle bien de principes et non de valeurs, plus évanescentes.
Sur la base de ces quatre choix, je pense donc que l’on peut parler d’une éthique statutaire globale. Mais on peut aussi préciser une éthique propre du fonctionnaire que, pour ma part, j’identifie à sa responsabilité.
L’éthique propre du fonctionnaire : sa responsabilité
Prenons comme point de départ de la réflexion l’article 15 de la DDHC de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », et ce dans l’ensemble des caractéristiques de cette dernière concernant aussi bien les compétences que l’esprit de responsabilité. Dans cet esprit, la loi du 13 juillet 1983 fixe les droits et obligations des fonctionnaires et peut, à cet égard, être considérée comme la loi sur l’éthique du fonctionnaire.
Sur ce thème la loi évoque notamment : l’interdiction pour le fonctionnaire d’exercer une autre activité professionnelle, le devoir d’informer mais dans des conditions de secret et de discrétion professionnelle, mais particulièrement intéressant pour notre propos est l’article 28 de la loi, inchangé depuis 1983, qui s’exprime en quatre propositions.
1° « Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées ». Le principe de responsabilté » est ainsi posé pour tous. Il ne s’agit pas seulement de savoir exécuter, mais de le faire de manière conforme aux pratiques usuelles et attendues.
2° « Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, … ». Il n’est donc pas soumis strictement à une injonction indiscutable, mais garde une marge d’appréciation personnelle sur la conformité technique et même juridique jusqu’au refus d’exécution …
3° « … sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public », jugement et posture qui ne sont pas sans risque lorsqu’ils sont le fait d’agents publics agissant seuls. On pourrait évoquer dans cette catégorie hybride des « désobéisseurs » des « lanceurs d’alerte » caractérisés par l’absence d’une mutualisation des informations, des démarches et risques.
4° « Il n’est dégagé d’aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés ». Ainsi, les compétences étant organisées de manière complémentaire et solidaire, il en est de même pour les responsabilités, d’autant plus importante que le niveau est élevé et qu’il doit aussi rendre compte de celle des niveaux subordonnés.
Dans l’ensemble de la loi d’origine les expressions « pouvoir hiérarchique », « obligation de réserve », « devoir d’obéissance » ne figurent pas dans le statut, bien que ces règles existent réellement dans la pratique, on le sait, et que leur méconnaissance peut être sanctionnée. Mais j’ai souhaité centrer le comportement du fonctionnaire sur sa responsabilité personnel dans le cadre du statut plutôt que sur sa soumission au couple dogmatisme-conformisme.Tout cela sous le contrôle du juge.
L’éthique dans un avenir incertain
Si l’on adhère à cette conception globale de l’éthique dont le cadre est le statut général et à l’éthique singulière qui pour moi s’identifie à la responsabilité du fonctionnaire, alors on dispose des outils pour apprécier les impacts politiques, économiques et sociaux des réformes actuelles sur cette conception. Je me garderai bien ici de me lancer dans cet exercice d’ensemble. J’illustrerai néanmoins mon propos en pointant trois exemples : la concurrence de la déontologie, le recours aux contractuels, le renforcement du pouvoir discrétionnaire.
La concurrence de la déontologie
La place de la déontologie dans la fonction publique a fait l’objet de la loi du 20 avril 2016. Elle mêle valeurs et principes : neutralité, laïcité, dignité, impartialité, intégrité, probité, liberté de conscience dont on ne saisit pas la cohérence. Les chefs de service sont appelés à veiller à leur respect. Or ce sont surtout leS principes qui ont vocation à la création de normes en droit positif. C’est là une expression du recours grandissant à la déontologie, elle-même relevant de la notion de « droit souple » importée des États-Unis. Le droit souple a la faveur des acteurs de l’économie de marché car moins contraignant que la réglementation. La déontologie renvoie généralement à des recommandations sans sanction, à des codes de bonne conduite qui ne peuvent évidemment envisager tous les cas de figure des situations auxquelles un fonctionnaire pourrait se trouver exposé. Dans le même temps ce renvoi dépossède le fonctionnaire-citoyen de l’exigence de réflexion personnelle et d’autodétermination. Peut-on imaginer que le préfet Jean Moulin et le conseiller d’État René Cassin auraient pu trouver dans un code de déontologie la réponse aux questions qu’ils se posaient en 1940 ?
Le recours accru aux contractuels
C’est l’une des principales dispositions de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019. C’est l’aboutissement d’une succession depuis 20 ans de remises en cause frontales et de dénaturations du statut. Un rapport annuel du Conseil d’État préconisait en 2003 de faire du contrat une « source autonome du droit » de la fonction publique. Le président Sarkozy préconisait en 2007 le recours au « contrat de droit privé négocié de gré à gré ». La réforme du code du travail a institué ce contrat individuel comme référence sociale majeure, valable pour le public comme pour le privé. La réforme actuelle envisage des abandons de missions, des transferts d’activités au secteur privé et le recrutement, y compris venant du privé, de personnels contractuels à tous niveaux, dont l’encadrement supérieur. Les conditions de recrutement, de formation et de gestion pourraient doncs’en trouver bouleversées et le besoin d’éthique relativisé. Le contrat prend ainsi le pas sur la loi, le métier ou l’expertise sont substitués à la fonction, la performance individuelle remplace la recherche de l’efficacité sociale finalisée par l’intérêt général. À terme, le risque de confusion des finalités, de conflits d’intérêts, de captation de l’action publique par des intérêts privés.
Le renforcement du pouvoir discrétionnaire
La crise sanitaire a révélé l’efficacité sociale des « collectifs de base » de l’hôpital plutôt que celle des concepteurs de la tarification à l’acte et de leurs soutiens administratifs. Des observations de même nature ont pu être faites à l’école, dans les services sociaux et bien d’autres administrations. Cette situation explique sans doute la discrétion actuelle des thuriféraires du New public management promu par le système en place.C’est surtout un constat d’échec de l’idéologie managériale appliquée au service public. Cela a pu précipiter la décision de l’exécutif de supprimer l’École nationale d’administration et les grands corps de l’inspection générale des Finances, des Affaires sociales, de l’Administration et de la Préfectorale qui laisseraient place à un vaste ensemble fongible de postes fonctionnels nommés à la discrétion de l’exécutif. Le Conseil d’État et la Cour des comptes, protégés par leur reconnaissance constitutionnelle verraient cependant leur recrutement réformé dans le même esprit. Ce serait alors une évolution caractérisée vers une autre conception de la fonction publique, celle du spoil system, le « système des dépouilles » américain.
J’aurais pu évoquer la question de l’éthique et de la responsabilité du fonctionnaire sur d’autres thèmes sur le mode « éthique et- » : égalité femmes-hommes, révolution numérique, gestion prévisionnelle, relations internationales, etc. Mais c’est à vous qu’il appartiendra dans l’avenir d’apporter les réponses.
Sur quelques questions abordées
Sur l’évaluation des compétences
Les compétences qui doivent être mises au service de l’intérêt général doivent figurer parmi les plus élevées. Leur agencement, étudié dans ce séminaire doit donc être considéré avec le plus grand soin. Pour autant les compétences ne contiennent pas en elles-mêmes leurs propres finalités. Je l’ai souligné concernant les préoccupations éthiques. Cela est également vrai pour les missions assignées au service public. Prendre les moyens que sont les compétences pour les fins conduit à la technocratie qui tourne le dos à la démocratie. D’où la nécessité de la loi « expression de la volonté générale » (en réalité réputée comme telle mais le plus généralement simplement majoritaire) pour dire l’intérêt général et le traduire en actions publiques définies par le gouvernement et mises en oeuvre par des services publics dont la fonction publique occupe une place largement majoritaire. C’est dans ce cadre que les compétences trouvent leurs finalités, sinon elles avancent « à l’aveugle ». Elles doivent donc s’inscrire dans une réalité collective (corps, représentation), structurelle (qualifications, mobilité) et de long terme (gestion, prévision
Sur les dépenses publiques
Il est courant de voir identifier le service public à un coût. Encore récemment la fonction publique n’avait plus de ministère autre que celui des finances. Il y a à cela une explication de fond : faute de savoir faire autrement, la comptabilité nationale mesure la « production » des administrations par leurs dépenses, l’intérêt général assumé par le service public multidimensionnel par nature étant irréductible à une évaluation monétaire. Pour autant il faut se garder de toute facilité sur les question des financements publics ou de la place des services publics dans la société. Ainsi, le poids de la dette publique n’est pas une calamité naturelle, tout dépend à quoi elle sert et comment elle est couverte. Si elle atteint 120 % du produit intérieur brut (PIB) en France, elle est de 220 % du PIB au Japon qui n’est pas en faillit car la dette y est couverte par un emprunt d’État souscrit par les Japonais eux-mêmes. Il n’y a pas trop de fonctionnaires en France. La dernière étude de France Stratégie de décembre 2018 sur le sujet montre que la France se situe en position moyenne haute parmi 19 pays développés avec 87 agents publics pour 1000 habitants contre 40 pour le Japon et autour de 150 pour les pays scandinaves. Enfin, on notera que tout classement des pays selon le niveau des dépenses publiques est dépourvu de signification si l’on ne mentionne pas sur la base de quels indicateurs ces classements ont été établis et pour quelles politiques menée.
Sur l’avenir du statut général
Le développement du service public tient, en France, à trois tendances pluriséculaires lourdes : la sécularisation du pouvoir politique entrainant une autonomisation de l’appareil d’État et une expansion administrative, une socialisation des financements publics pour des besoins sociaux croissants, une maturation des principes et concepts d’intérêt général, de service public et de fonction publique. L’avènement du néolibéralisme en 1983 (point haut du secteur public en France) n’a pas inversé ces tendances si elle en a contrarié l’effet. Le statut général des fonctionnaires dont les caractéristiques essentielles ont été analysées précédemment a résisté aussi bien aux attaques frontales et qu’aux dénaturations dont il a été la cible. Le quinquennat actuel, sous couvert de transformation apparait particulièrement néfaste. Pour autant, le statut reste profondément ancré dans l’opinion publique et parmi les fonctionnaires, les dépenses et effectifs publics ont continué de croitre pour répondre à une progression encore plus forte des besoins et le statut est toujours debout, 75 ans après le statut fondateur, 38 ans après le statut fédérateur.
La 42e promotion de l’IRA de Bastia le 4 juin 2021(avec et sans masques)
Les services publics sont une réalité à la fois collective, structurelle et de long terme. Dès lors, il peut sembler vain d’en faire une analyse fructueuse et significative dans une période de seulement 72 jours. L’ennemi était aux portes de Paris. Le gouvernement et les administrations centrales qui lui étaient rattaché siégeaient à Versailles. Le nombre des agents publics de l’État, de l’ordre de 200 000, n’atteignait pas alors le dixième des effectifs d’aujourd’hui, dont les quatre-cinquièmes dans l’instruction publique, la poste et les finances. Dans Paris seulement un agent public sur quatre était à son poste, quelques-uns hostiles avaient été écartés, beaucoup dans ces circonstances avaient disparu dont une partie relevait du parasitisme du Second Empire. Les services étaient souvent désorganisés et les matériels en mauvais état. Il était très difficile dans ces conditions de programmer les actions publiques, a plus forte raison d’envisager une quelconque planification. Pourtant, la brièveté même de cette période explique sa densité, la vigueur des élans qu’elle a entrainée, l’accélération des réflexions sur tous les problèmes de la société dans un moment exceptionnel.
Les communards n’étaient pas guidés par une idéologie de l’action que le marxisme rationalisera, mais ils surent dans l’ensemble dépasser leur grande diversité idéologique par une convergence des actions publiques finalisée par un sens collectif de l’intérêt général. Pour répondre dans l’urgence aux besoins de la population, des commissions furent créées au niveau central et dans les arrondissements. Elles concernèrent notamment selon les priorités du moment : les finances, la sureté générale, l’enseignement, les subsistances, la justice, le travail, les relations extérieures, la guerre. D’énormes efforts ont été déployés pour faire fonctionner de manière pragmatique une machine administrative alourdie par la bureaucratie de l’époque impériale. Les finances ont fait l’objet de comptes détaillés et d’une gestion scrupuleuse. Une attention particulière a été apportée aux services municipaux relatifs à l’approvisionnement en vivres, à la santé, à l’hygiène, à la lutte contre l’incendie), à l’état-civil, au Mont-de-piété. La plupart des services publics de caractère industriel ont bien fonctionné : la poste, le télégraphe, les chemins de fer, jusqu’aux monnaies et médailles dirigées par le grand syndicaliste et dirigeant communiste Zéphyrin Camélinat
À l’inverse de la situation sous le Second Empire où l’allégeance des agents publics au pouvoir exécutif était requise, la Commine aurait pu s’inscrite dans la filiation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 concernant l’application des principes d’égalité et de responsabilité des agents publics exprimés par l’article 6 : « (…) Tous les citoyens étant égaux (aux) yeux (de la loi) sont également admissibles à toutes places, dignités et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. », et par l’article 15 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. », mais dans une aussi brève période elle a dû procéder de façon discrétionnaire ou par élection des agents public et des magistrats. Mais elle a combattu les inégalités, s’est prononcée pour l’égalité homme-femme, a plafonné les hauts revenus et prôné un minimum salarial, développé l’aide aux nécessiteux. Dans le contexte si dramatique de la fin de la Commune elle a été jusqu’à préconiser le droit à la désobéissance dans son Journal officiel du 24 mai 1871. Ces approximations et tâtonnements ont néanmoins aidé à préciser le concept de citoyenneté. L’appellation de « citoyen » était réservée aux communards.
Les femmes et les hommes de la Commune n’ont pu se poser la question du dépérissement de l’État et n’ont pas non plus voulu sa destruction étant donné que le centre de gravité de celui-ci était à Versailles ainsi que la quasi-totalité de l’appareil administratif en dépendant. Mais ils ont pratiqué à la fois par nécessité et choix de gestion la délégation d pouvoir et la décentralisation des décisions. Dans ces conditions l’application du principe de séparation des pouvoirs ne pouvait être qu’approximative, de même que la question de hiérarchie des normes. Les délibérations du Conseil général de la Commine ne pouvaient pas être regardées comme des lois et ces décisions avaient généralement le caractère réglementaire de décrets. C’était un souci d’ordre. Ainsi, René Bidouze, l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire des services publics sous la Commune rapporte que le journaliste libertaire Arthur Arnould avait proposé de classer les décrets en trois catégories : les décrets de principe (abolition de la conscription, séparation de l’Église et de l’État), les décrets d’actualité (loyers, pensions) et les décrets de combat (otages, destruction de la colonne Vendôme)[1]. Toute une série de propositions annonçaient les grandes lois sur la laïcité des années 1880 : suppression du budget des culte s, école primaire gratuite et obligatoire, école intégrale avec formation professionnelle, réduction de l’emprise de l’Église sur les établissements hospitaliers.
Il serait hasardeux de prétendre porter un jugement sur le fonctionnement des services publics sous la Commune avec le regard et les critères d’aujourd’hui. En revanche si son souvenir reste si vivace 150 ans plus tard, c’est qu’elle porte toujours témoignage de la possibilité de combiner une grande ambition émancipatrice et le savoir-faire des citoyens au plus près des problèmes de la cité face aux plus pressants dangers. Aujourd’hui, ce sont encore les collectifs de base des services publics qui se sont montrés les plus efficaces dans les services de santé, les établissements d’enseignement et de recherche, les collectivités locales et d’autres pour combattre l’épidémie et ses conséquences sociales. Se souvenir que pendant la Commune, à l’initiative de Gustave Courbet, un appel fut lancé par des artistes pour la réouverture des musées et la tenue d’une exposition, que la fédération des artistes élabora un plan de réforme de l’administration des Beaux-Arts, nous parle encore.
[1] René Binouze, 72 joues qui changèrent la ciré, préface d’Anicet Le Pors, Le Temps des Cerises, Paris, 2001.
Fabien Roussel, secrétaire national du PCF a reçu lundi 10 mai 2021 Charles Fiterman et Anicet Le Pors respectivement anciens ministres chargés des Transports et de la Fonction publique (1981-1984) au siège du PCF.