Monsieur le Député-Maire,
Monsieur le Président de la Cour nationale du droit d’asile,
Mesdames, Messieurs les Présidents de section,
Monsieur le Président du Conseil d’administration
et Monsieur le Directeur de l’OFPRA,
Mesdames et Messieurs les représentants des barreaux et des associations,
Mesdames, Messieurs,
C’est avec beaucoup de plaisir que je m’adresse aujourd’hui à vous pour vous présenter mes vœux de bonne année. Je souhaite à chacune et chacun d’entre vous le meilleur en cette année 2008 et, notamment, la réussite dans vos projets professionnels et le bonheur dans votre vie personnelle.
Je forme aussi des vœux très chaleureux pour la Cour nationale du droit d’asile et le bon accomplissement de sa mission qui est non seulement législative, mais aussi conventionnelle et même constitutionnelle au service d’un de nos droits les plus fondamentaux, le droit d’asile. Je me réjouis vivement que le législateur vous ait, par la loi du 20 novembre 2007, donné un nom qui corresponde à votre essence. Vous êtes en effet une juridiction et pas une administration, comme le suggérait le mot «Commission». Vous êtes une juridiction souveraine : vous êtes donc une Cour et une Cour nationale. Et vous êtes les gardiens du droit d’asile. Mieux valait l’affirmer clairement dans votre nom, plutôt que de mentionner les recours et les requérants, lesquels ne peuvent tous -nous le savons- se prévaloir de la qualité de réfugié.
Si la présence du Vice-Président du Conseil d’Etat aux vœux de votre juridiction n’est pas une nouveauté, la réunion d’aujourd’hui prend une tonalité et un relief particuliers après l’annonce de la décision du Premier ministre d’engager le rattachement administratif et budgétaire de votre Cour au Conseil d’Etat.
Cette décision est l’aboutissement d’une longue histoire, je n’ose dire, d’un long combat, car les présidents successifs de la Commission des recours des réfugiés ont depuis au moins deux décennies tous pris position, chacun dans son style et, le cas échéant, avec des préalables, pour cette évolution qui a été soutenue par ailleurs par la CNCDH, la doctrine, les associations. Si votre rattachement au Conseil d’Etat est ainsi le fruit d’une longue histoire, il est aussi une manière de retour aux sources : dès sa naissance, la Commission des recours des réfugiés a été indissolublement liée au Conseil d’Etat. Le président de la Commission était dès l’origine nommé par le Vice Président et il était membre du Conseil. La Commission siégeait au Conseil d’Etat et les seuls personnels mis à la disposition de la Commission par l’OFPRA étaient des personnels de secrétariat. Les rapporteurs, non permanents, étaient des auditeurs au Conseil d’Etat. C’est la croissance du nombre de demandeurs d’asile qui a conduit en 1984 au recrutement par l’OFPRA de rapporteurs permanents pour la Commission, qui étaient des attachés d’administration de diverses origines. A la même date et pour les mêmes motifs, la Commission a dû quitter le Palais-Royal.
Ce n’est qu’au début des années 1990 qu’a été réellement posée la question du statut des personnels de la Commission : la loi du 31 décembre 1991 a permis la titularisation de contractuels dans les corps de l’OFPRA et le décret du 11 janvier 1993 relatif aux corps propres de l’OFPRA a entériné le rapprochement de la Commission avec les structures administratives de l’Office.
Exactement à la même époque, le Vice-Président du Conseil d’Etat, M. Marceau Long, s’est prononcé en faveur du rattachement de la gestion administrative et financière de la Commission des recours des réfugiés au Conseil d’Etat, option qui a été validée par un rapport d’audit confié en 1994 aux inspections générales des finances et des affaires étrangères ainsi qu’à la mission permanente d’inspection des juridictions administratives.
Ce rapport soulignait très justement la difficulté consistant à faire gérer une juridiction par un organisme soumis à son contrôle. Ce qu’il est convenu d’appeler «Les observateurs européens et internationaux» ont fait la même analyse, reprenant ce faisant la vision et la conviction des présidents successifs et des rapports du Conseiller d’Etat, M. Anicet Le Pors. Pourtant aucune décision de transfert n’a jamais été prise et les Gouvernements qui se sont succédé au travers d’au moins trois alternances ont toujours repris à zéro l’examen de cette question.
L’opinion des différentes parties prenantes, y compris celle du Conseil d’Etat, a pu, il est vrai, fluctuer quelque peu au fil du temps pour finalement revenir à l’option du rattachement au Conseil. De même, si le Premier ministre a en 2001 mandaté une nouvelle mission d’audit pour définir les conditions de mise en œuvre de la séparation entre l’OFPRA et la CRR, cette mission n’a, contre toute attente, pas recommandé en 2002 la mise en œuvre de la mesure qu’elle était chargée d’étudier.
En dépit du consensus interministériel à peu près total, rien donc ne se décidait ou, quand une mesure était arrêtée, comme le transfert des pouvoirs d’ordonnateur au Président de la Commission des recours des réfugiés, rien n’était exécuté, parce qu’il y avait toujours ici une réserve, là un conseiller qui négligeait ce dossier ou parce qu’il y avait une nouvelle question préalable ou une autre priorité à traiter dans le domaine de l’asile avant d’aller plus loin. Il est vrai aussi que la logique du redressement de l’OFPRA et de la Commission, à l’occasion des afflux successifs des demandes d’asile, a longtemps été regardée, à tort ou à raison, comme contradictoire avec le projet de séparation entre l’Office et la Commission. Cette période est enfin révolue. Et cet épilogue, nous le devons peut-être à la création du ministère chargé de l’immigration qui avait vocation, par voie de conséquence de ses attributions, à exercer la tutelle de l’OFPRA mais ne pouvait, fût-ce indirectement, paraître administrer une juridiction.
Telle me paraît être la genèse de la décision du Premier ministre dont l’archéologie, que j’ai brièvement évoquée, me paraît assez révélatrice d’une certaine forme de mal français : cette réforme était nécessaire, tout le monde en était conscient et convaincu, mais ce n’était jamais le moment et elle n’a donc pas cessé d’être différée.
A ce stade de mon intervention, vous pouvez légitimement vous poser la question de savoir d’où me viennent cette familiarité et cette passion à peine contenue sur la Cour nationale du droit d’asile. D’abord, du secrétariat général du Conseil d’Etat qui me prépare toujours des dossiers parfaits et exhaustifs. Ensuite, parce que (sans céder au narcissisme) je n’ai pas cessé de cheminer, au long des trois âges de ma carrière, avec la Commission des recours des réfugiés : dans ma jeunesse comme auditeur au Conseil d’Etat, j’y fus rapporteur dans les années 70 (à l’époque des Présidents Chardeau et Jacomet) ; dans ma maturité, comme directeur des libertés publiques, j’ai été administrateur de l’OFPRA et donc directement concerné par sa gestion et celle de la Commission des recours dans les années 80 et 90 (à l’époque du Président de Bresson). Comme Secrétaire Général du Gouvernement, je n’ai pas cessé d’assister au flux et au reflux du dossier de l’asile, de le voir revenir ou rebondir, tout en constatant et déplorant que la réforme de l’administration de votre juridiction fît du surplace (à l’époque des Présidents Combarnous et Massot et de vous même, Monsieur le Président François Bernard). Maintenant que je suis arrivé au troisième âge de ma carrière, je vais, comme Vice Président, enfin présider au retour, non pas physique (dans la salle Collignon au 3ème étage du Palais-Royal), mais néanmoins symbolique et effectif de la Cour au Conseil d’Etat.
Je voudrais, plutôt que de vous harasser de souvenirs personnels, vous dire combien je crois que le rattachement décidé par le Premier ministre est une chance pour la Cour nationale du droit d’asile, une chance pour le Conseil d’Etat et une chance pour la juridiction administrative dans son ensemble.
C’est une chance pour la Cour nationale du droit d’asile, car celle-ci est depuis longtemps la première juridiction administrative de France par le nombre des requêtes. Son destin est bien sûr de se rapprocher de la juridiction administrative suprême, avec qui elle partage de toute évidence une culture commune. Cette culture est certes celle de la soumission de l’administration au droit et de la conciliation de l’intérêt général et des intérêts particuliers. Mais elle est, plus fondamentalement encore, la culture de la protection des droits fondamentaux. Aucun juge n’en a le monopole ou tous les juges l’ont en partage, mais le juge administratif a des responsabilités particulières à cet égard. Et votre Cour, par son office et la manière dont elle l’assume, est une représentation, une incarnation éminente de ce juge administratif protecteur des droits fondamentaux.
De manière plus prosaïque mais pas moins significative, la réduction du nombre de formations de jugement, voulue par le Premier ministre dans un format encore à définir, permettra de faciliter les échanges et la vie de la juridiction et elle rapprochera encore les deux cultures.
Le rattachement au Conseil est aussi une chance pour la Cour, car il met un terme à un mode de gestion qui, sans altérer le moins du monde son indépendance juridictionnelle, était de nature à susciter des soupçons ou des critiques même infondés. Chacun mesure les exigences qui résultent aujourd’hui de ce qu’un juge doit non seulement être indépendant et impartial, mais encore paraître tel. Au regard de cette théorie des apparences qui, poussée à l’extrême, est parfois troublante, la décision qui a été prise par le Premier ministre est pleinement justifiée et totalement bénéfique pour votre Cour. Elle renforcera encore, à n’en pas douter, votre crédit à l’intérieur comme hors de nos frontières. Mais à l’instant où je dis cela, je veux aussi rendre hommage aux présidents, directeurs et secrétaires généraux successifs de l’OFPRA qui ont eu à cœur d’assumer le soutien administratif et financier de la Commission des recours des réfugiés dans le cadre des moyens dont ils disposaient et qui étaient nécessairement limités et dans le contexte des arbitrages (ou d’absence d’arbitrage) rendus par les Gouvernements. Je les remercie aussi de ce qu’ils vont faire maintenant pour concourir à une délicate partition. En aucun cas, évidemment, le rattachement administratif et financier de la Commission à l’Office n’a porté atteinte à l’indépendance de la première. Cela va sans dire, mais je n’aurais pas voulu que mon silence fût interprété comme une marque d’ambiguïté.
Ce rattachement est aussi une chance pour le Conseil d’Etat dont le Vice-Président, un peu comme le «Chief Justice of England and Wales» (excusez l’immodestie de ma comparaison), a une responsabilité générale de gestion et de pilotage des cours et tribunaux relevant de sa juridiction. Je ne pense pas que les juridictions puissent être administrées comme des services publics ordinaires par le pouvoir exécutif, c’est-à-dire les ministères. Elles constituent en fait un véritable pouvoir public constitutionnel qui, comme tel, doit largement s’auto-administrer avec, naturellement, une régulation et un contrôle externes de cette gestion. L’autonomie de gestion n’est pas l’autarcie ou l’autisme et, comme le dit très justement l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme, «La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration». Cela vaut aussi bien pour nous.
Le rattachement au Conseil d’Etat de la Cour nationale du droit d’asile donne en tout cas de la consistance à un mouvement de fond qui est appelé à connaître nécessairement dans l’avenir d’autres développements, à la fois en surface (c’est-à-dire quant aux nombre de juridictions rattachées) et en profondeur (c’est-à-dire quant aux pouvoirs du gestionnaire).
Cette organisation doit permettre dans l’immédiat de renforcer le pilotage stratégique et, plus généralement, je l’espère, l’efficacité de la justice administrative dans son ensemble. Car si la régulation jurisprudentielle de l’ordre administratif par la voie de l’appel et surtout de la cassation -qui est bien sûr absolument cruciale et décisive- n’est pas affectée par les changements en cours, l’animation et la mise en cohérence de la gestion de cet ordre juridictionnel peuvent grandement concourir à ce que je n’ose tout à fait appeler sa performance.
Le rattachement de la Cour au Conseil d’Etat est donc simultanément aussi une chance pour la justice administrative dans son ensemble. [Après avoir été éclatées pour leur gestion entre une multitude d’administrations et de ministères, les juridictions administratives se rapprochent progressivement du Conseil d’Etat
Depuis la loi du 31 décembre 1987, la gestion des juridictions administratives ordinaires fait désormais partie intégrante des fonctions du Conseil d’Etat, au même titre que ses fonctions consultatives ou juridictionnelles. De cette mission d’administrateur général de la justice administrative, le Conseil d’Etat s’acquitte avec rigueur. L’indépendance totale dont il jouit dans cette fonction va de pair avec un grand sens de la responsabilité dans la gestion des deniers publics. En rejoignant le Conseil d’Etat, la Cour nationale du droit d’asile se rattache en outre à une institution qui a opéré depuis deux décennies une véritable révolution culturelle : la responsabilité première du Conseil est, bien entendu, de trancher les litiges de la manière la plus rigoureuse et la plus sûre. Mais cette responsabilité est aussi de répondre à une demande de justice et donc de gérer les contentieux et d’y statuer dans des délais raisonnables. Il n’y a pas de justice de qualité sans prise en compte de toutes ces exigences. Les données chiffrées que vient de mentionner le président François Bernard méritent d’être saluées et je ne doute pas que nous sachions nous retrouver dans une même culture de responsabilité par rapport aux justiciables] Partie non prononcée.
Le rattachement de la Cour nationale du droit d’asile se fera au sein d’une architecture budgétaire commune, puisque la Cour sera financée par le programme «Conseil d’Etat et autres juridictions administratives», dont les résultats sont appréciés globalement, chaque année, par le Parlement. Cet ensemble regroupe aujourd’hui, outre le Conseil d’Etat, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs, soit un total de 49 juridictions et de 3 000 emplois : membres et agents du Conseil d’Etat, conseillers de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, agents de greffe.
Mais on ne saurait réduire une institution à ses objectifs, ses méthodes ou même son métier. Et ce qui se dégage de l’analyse qui précède, vous l’avez pressenti, c’est la proximité évidente entre les hommes et les femmes qui composent nos deux institutions. On sait que le président de la Cour est, par la volonté du législateur, un membre du Conseil d’Etat et que de nombreux membres du Conseil d’Etat président des formations de jugement de la cour, aux côtés de magistrats judiciaires, administratifs et financiers. On sait moins, peut-être, qu’une proportion non négligeable des agents du Conseil d’Etat est issue de la Commission des recours des réfugiés. Est-ce un hasard si la moitié des directeurs des services administratifs du Conseil d’Etat et, en fait, les deux agents du Conseil d’Etat exerçant les fonctions administratives les plus hautes sont d’anciens officiers de protection, qui ont été rapporteurs à la Commission des recours des réfugiés ?
Dans ce contexte et en attendant les résultats de la mission confiée à Jacky Richard par le Premier ministre, je ne peux qu’exprimer ma confiance dans ce rapprochement. Il devra, je m’y engage, apporter une plus-value aux agents de la Cour. Si les personnels de la Cour ont vocation à continuer à y servir dans son nouvel environnement administratif, le dispositif statutaire qui sera retenu devra répondre à deux conditions : d’abord, il devra laisser aux agents de la Cour un droit d’option -rien ne doit évidemment interdire un retour volontaire à l’OFPRA-, ensuite, il ne devra pas porter atteinte au niveau de rémunération de chacun. En tout état de cause, le rattachement au Conseil va ouvrir un nouvel espace de mobilité pour les agents de la Cour comme pour ceux du Conseil. Cette mobilité, dont chacun doit profiter, le service comme les agents, est une des priorités de la nouvelle politique de ressources humaines que je mets en place aujourd’hui au Conseil d’Etat. Je souhaite que les agents de la Cour soient prêts à y participer.
Car, et c’est un sujet qui m’est cher, le Conseil d’Etat est une institution en mouvement. Réforme des procédures contentieuses, réforme des formations consultatives, renforcement des garanties statutaires, rayonnement et responsabilité sociale de l’institution, déontologie, Europe : le Conseil d’Etat s’adapte, pour mieux servir l’intérêt des justiciables et l’intérêt général dans la société d’aujourd’hui.
Je forme donc le vœu que l’esprit de réforme trouve en 2008 avec vous tous sa pleine réalisation, son plein accomplissement. Je renouvelle pour la Cour nationale du droit d’asile des souhaits d’année 2008 réussie, heureuse et surtout confiante. Je renouvelle également mes vœux de bonheur professionnel et privé à chacune et chacun d’entre vous.
CNDA : http://www.commission-refugies.fr
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réforme des formations consultatives, renforcement des garanties statutaires, rayonnement et responsabilité sociale de l’institution, déontologie, Europe
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