En Bretagne, le service public est notre richesse – Inguiniel (Morbihan), le 5 août 2008

Rencontre d’été de l’Union des sociétés bretonnes de l’ile de France, sous la présidence  d’Anicet Le Pors

Si cette rencontre a été placée sous le thème de la défense des services publics, c’est que la Bretagne, comme toutes les régions françaises, est très directement concernée par la place qu’ils occupent dans la vie régionale et nationale, les difficultés qu’ils rencontrent en ce moment et l’action que requiert leur défense.

La Bretagne est aujourd’hui une région développée, dynamique. Elle l’est notamment en raison de la place qu’y tiennent les services publics. Je terminais un récent article dans la publication de l’Union Bretagne-Ile de France par cette expression d’Yves Le Gallo qui parlait de la « ruée vers l’instruction » des cinquante dernières années dans le Léon comme cause de cet essor, avec en particulier la création de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) en 1970. La remarque vaut évidemment pour toute la Bretagne où l’Éducation nationale a joué un rôle essentiel dans l’élévation du niveau global d’instruction. Mais on pourrait en dire autant des services publics de la santé, des transports, de la poste, de la justice, de l’administration générale, qu’il s’agisse des services publics de État ou des collectivités territoriales. À quoi il convient d’ajouter les activités des entreprises publiques d’EDF, GDF, de constructions navales ou encore de télécommunications. Au total, si la région Bretagne représente 4 % de la population française, elle dispose de 4,8 % des fonctionnaires, et 6,5 % si l’on considère les 5 départements bretons. 325 000 fonctionnaires (dont 30 000 militaires) y travaillent dans les fonctions publiques de l’État, territoriale ou hospitalière créées statutairement en 1983-1984-1986. Mais l’importance des services publics de Bretagne ne se mesure pas seulement par des chiffres. Qu’il me soit permis de souligner ici le rôle de l’école publique dans l’affirmation du principe de laïcité qui demeure une question cruciale. Celui des administrations civiles et militaires dans l’expression de la citoyenneté et la conception de l’intérêt général, de la promotion de l’État de droit. Ainsi, outre de nombreux hauts fonctionnaires et d’éminents juristes issus de la région, sait-on que l’un des grands arrêts parmi les plus connus du Conseil d’État porte le nom d’Institution Notre-Dame du Kreisker ? Il date de 1954, il s’agissait du Kreisker de St Pol-de-Léon.

Or, nul n’ignore que de fortes inquiétudes pèsent aujourd’hui sur ces services publics. On s’est félicité dernièrement de constater que la Bretagne était relativement épargnée par la restructuration de la carte militaire qui prévoit une réduction de 54 000 postes au niveau national : « L’Ouest limite la casse » titrait Le Télégramme le 25 juillet. Mais c’est surtout parce que la Bretagne a déjà beaucoup donné – je veux dire plutôt, beaucoup perdu – dans le secteur avec, depuis longtemps, le déplacement de la flotte à Toulon et le démembrement des activités de construction et de réparation navales notamment. Dans la plupart des autres services publics, on doit évoquer les réductions du nombre de classes et de personnels enseignants dans plusieurs établissements, les effets désastreux de la carte judiciaire, ou de la carte hospitalière dans tous les départements bretons ; dans ce dernier secteur, non seulement à Carhaix qui a focalisé l’attention dans la dernière période, mais aussi à Dinan, Quimperlé, Concarneau, Douarnenez ou Guingamp dont le pôle de soins est menacé par la concurrence d’un projet de clinique polyvalente privée près de Saint Brieuc. À cela il convient d’ajouter les menaces de privatisation qui pèsent désormais sur le réseau routier des voies expresses bretonnes depuis la déclaration, il y a quelques semaines, du PDG de Cofiroute, proposant d’étendre à ces voies le régime de la concession de leur gestion ce qui entraînerait l’institution de péages. Ce serait alors la fin de la spécificité bretonne qui, comme d’autres régions excentrées exige, dans le cadre d’un aménagement équilibré du territoire, que l’on reconnaisse que l’application même du principe d’égalité ait comme conséquence que des mesures spécifiques soient prises en compensation de handicaps liés à l’enclavement de la région. Ce sont là les traductions bretonnes d’une politique menée au niveau national dite « Révision générale des politiques publiques (RGPP) ». Son objectif est de réduire les dépenses publiques et de remplacer les règles de l’intérêt général et du service public par celles du marché dont on sait, par expérience, qu’elles accentuent les inégalités. Cela est inadmissible pour des services publics dont la vocation est de servir les besoins essentiels de la population, de servir l’intérêt général.

Mais il n’y a là rien d’une fatalité. Il est possible de faire échec à cette dérive ; la preuve en a été apportée par Carhaix, où une puissante mobilisation populaire, entraînant la participation d’élus de tous bords, y compris de membres de la majorité présidentielle actuelle, est parvenue à empêcher la fermeture des services de maternité et de chirurgie de l’hôpital. Cette action rejoint celle conduite pour mener à bien, par priorité du plan routier breton, la mise à deux fois deux voies de la RN 164, l’axe routier central de la Bretagne que cofinancent les collectivités territoriales et l’État pour continuer de garantir, dans les meilleures conditions de service public, la gratuité d’usage des voies routières en Bretagne. Elle rejoint également l’action dans laquelle l’Union des sociétés bretonnes de l’Ile de France s’est impliquée : trouver une solution technique et manifester une volonté politique de mettre Brest et Quimper à 3 heures de Paris par transport ferroviaire, action qui a connu un premier succès important le 29 juillet avec la signature de l’engagement financier de l’État à hauteur d’un milliard d’euros sur le projet permettant de mettre Quimper et Brest à 3 h 08 de Paris à partir de 2014, les travaux commençant en 2010. Nous sommes donc tout près du but et je veux souligner, à ce sujet, l’action de Gérard Lahellec, vice-président de la Région en charge des transports, dont le rôle a été déterminant en cette affaire. Pour autant, cet exemple nous montre aussi, que même en comptant que de nouvelles forces vont se lever dans la région pour défendre les services publics qui s’y trouvent, il faut bien avoir conscience que la Bretagne ne sauvera pas toute seule ses services publics. Puisque leur mise en cause est nationale, la réaction doit être nationale et les Bretonnes et les Bretons, où qu’ils se trouvent, en Bretagne comme en Ile de France, doivent conjuguer leurs efforts – comme nous le faisons en réalité aujourd’hui – pour qu’une politique de développement et non de régression des services publics soit mise en place, ce qui implique que les fonctionnaires et les agents des entreprises publiques soient confortés dans une position statutaire et réglementaire et non contractuelle. Et ceci, non seulement pour défendre ce qui existe, dont j’ai dit les qualités, mais pour porter à un niveau encore plus élevé la satisfaction des besoins fondamentaux de la population en mettant en oeuvre les techniques les plus développées après un débat démocratique. Ma conviction est que pour la Bretagne, pour la France et pour le Monde, le XXI° siècle pourrait être et devra être « l’âge d’or » du service public.

Déjà, un fort mouvement s’est mis en marche depuis le printemps dernier avec le lancement d’une pétition sur le thème : « Le service public est notre richesse ». Cette pétition – comme à Carhaix – a été lancée par une soixantaine de personnalités d’horizons très divers. Elle a recueilli pour le moment plus de 60 000 signatures et sera prolongée par de nombreuses initiatives publiques au cours des prochains mois, afin de donner au mouvement toute l’ampleur nécessaire. Je vous invite à la signer et je souhaite que l’Union des sociétés bretonnes de l’Ile de France s’associe elle-même, en tant que telle, à cette action (1).

 

 

(1) Pour tout contact : contact@service-public-notre-richesse.fr ainsi que http://www.service-public-notre-richesse.fr

 

La Charte européenne des langues régionales et minoritaires : une régression

 Article publié dans Témoignage chrétien en décembre 1999

 

Les partisans de la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires jouent sur une ambiguïté qu’il faut lever d’entrée. Est-il souhaitable de soutenir la connaissance et l’apprentissage des langues régionales en tant qu’elles appartiennent à notre patrimoine culturel et qu’elles répondent à une demande d’une partie de la nation ? La réponse est oui. Est-il souhaitable de ratifier la Charte européenne en tant qu’elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de ces langues à l’intérieur de « territoires » et en reconnaissant un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique » (justice, autorités administratives et services publics) ? La réponse est non. Ces deux questions sont en effet totalement distinctes. Et qu’on ne dise pas que le gouvernement n’a accepté de souscrire qu’à 39 des dispositions de la Charte, voulant ignorer les autres. La ratification une fois acquise sur ces bases, c’est à l’ensemble de la Charte que la France aurait été réputée avoir souscrit.

Ainsi en a justement décidé le Conseil constitutionnel le 15 juin dernier après un avis donné dans le même sens par le Conseil d’Etat le 24 septembre 1996. Réaction jacobine ? En aucune façon. Cette décision se borne à rappeler que selon l’article 2 de la Constitution « La langue de la République est le français » et que la République ne reconnaît pas de droits spécifiques à des groupes, communautés ou minorités plus ou moins directement rattachés à des pays ou des régions. Le choix de la France est de fonder le principe d’égalité des droits sur l’égalité des citoyens et non sur celle de communautés définies par l’un ou l’ensemble des critères suivants : la culture, la langue, la religion, ou l’ethnie.

Cela ne signifie pas pour autant que ces critères doivent être ignorés dans l’organisation de la vie en commun de l’ensemble des ressortissants de la nation. Ainsi n’est-il pas réellement contesté qu’en matière de culture, la diversité est richesse et qu’aucune limite ne doive être opposée au développement de toutes les cultures concourant à la pensée universelle. En ce qui concerne la langue, le dépérissement des plus faibles doit être combattu et le Conseil constitutionnel a justement fait remarquer, qu’à l’exception des dispositions anticonstitutionnelles indiquées ci-dessus, la plupart des engagements souscrits par la France « se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre par la France ». En matière religieuse, la loi de séparation des Églises et de l’Etat de 1905 a réglé la question sur la base du principe de laïcité. Quant à l’ethnie, c’est un principe constant, qu’aucune discrimination ne saurait être admise sur la base de ce critère qui confine à la discrimination raciale.

Nous disposons donc de références juridiques et d’une tradition républicaine qui permet dans la clarté et avec audace un développement culturel sans entrave. Alors pourquoi ce procès trouble et délibérément passionné ? Je ne mets pas en doute la sincérité de ceux qui, légitimement attachés à leur culture d’origine et à la langue qui peut lui servir de support, veillent à ce que rien ne leur porte atteinte ; en l’espèce, ce n’est pas le cas. On ne saurait admettre, en revanche, que d’autres, poursuivant de tout autres objectifs, profitent de ce débat pour mettre en cause des principes républicains qui fondent notre conception de la démocratie et de la souveraineté au profit de l’idéologie communautariste qui domine actuellement la construction de l’Union européenne ignorant notamment, voire récusant, le service public, la laïcité et le droit du sol comme fondements de l’égalité des citoyens.

« Plutôt cette Europe que la République française », tel pourrait être, en résumé, l’axe de la démarche des communautaristes qui avancent trois types de revendications : disposer d’une autonomie de gestion des affaires propres de la communauté ; établir par-dessus les frontières des relations organiques avec des ressortissants de la même ethnie, concurrençant et, le cas échéant, contestant les États de droit respectifs ; et pour cela faire de la langue le vecteur d’un droit à la différence poussé jusqu’à la différence des droits des communautés. C’est donc une remise en cause complète du pacte républicain et, dans l’esprit des plus farouches, de la République elle même. C’est cela qui est inadmissible et qui doit être dénoncé, comme l’attribution à un collège d’enseignement en breton ( Diwan ) de la banlieue brestoise du nom de Roparz Hamon, condamné à dix ans d’indignité nationale en 1945 !

Il ne s’agit donc en rien d’une revendication de modernité mais de la résurgence sporadique de ce que ce pays compte de plus réactionnaire et qui profite de toutes les circonstances que lui offre une situation politique décomposée pour enfoncer autant de coins dans l’édifice républicain. Il est navrant que des représentants de la gauche officielle prêtent la main à de telles entreprises. Ils oublient que, s’il est vrai que les langues régionales ont parfois été maltraitées dans le cours d’une histoire qui a vu l’affirmation de la République, c’est cette histoire aussi qui a, grâce au français, dégagé les citoyens des obscurantismes et des fatalismes, fait progresser les libertés publiques et individuelles, favorisé les échanges culturels entre les régions, fait respecter les mêmes règles de droit sur l’ensemble du territoire national, donné au mouvement pour la démocratie économique et sociale toute son ampleur.

Il est facile dans ces conditions, afin de provoquer des réflexes conformistes d’assentiment, de s’en prendre aux Jacobins, ce qui dispense de toute argumentation sérieuse. Qu’il me soit permis de rappeler à ceux-là et à ceux qui les suivent sans trop réfléchir, qu’avant de s’installer dans la bibliothèque du couvent dont ils prirent le nom, rue Saint-Honoré à Paris, le 27 octobre 1789, le Club des Jacobins avait son siège à Versailles et s’appelait … le Club breton.

Anicet  Le Pors . Ancien ministre de la fonction publique et des réformes administratives (1981-1984). Conseiller d’État. Président d’honneur de l’Union des sociétés bretonnes de l’Ile de France. Auteur du Que sais-je ?  : « La citoyenneté », P.U.F., 1ère éd .1999, 3ème éd. 2003