30° anniversaire du Statut Général des Fonctionnaires (IX)
Trente ans après, qu’est-ce qui pour vous a le plus changé au niveau de l’organisation de l’État ?
Les institutions de la Ve République garantissent la primauté du président de la République et favorisent une organisation fortement hiérarchisée des pouvoirs. Les actes successifs de décentralisation n’ont pas remis en cause cette conception d’origine. Toutefois, l’intégration européenne et le développement de la crise de civilisation que nous connaissons ont multiplié les adaptations institutionnelles – une vingtaine en vingt ans. L’administration a ainsi été soumise de plus en plus aux exigences d’un libéralisme exacerbé. Mais l’aggravation de la crise financière depuis 2007 a montré le rôle important d’ « amortisseur social » du service public en France, ce qui crée les conditions d’une reconquête du service de l’intérêt général.
Quels liens entre services publics et fonction publique ?
La mondialisation n’est pas seulement financière, elle concerne tous les domaines de la vie en société et elle correspond à une prise de conscience de l’unité de destin du genre humain. Dans ces conditions, sont appelées à se développer les interdépendances, les coopérations, les solidarités entre les peuples. Ce sont des conditions favorables aux mises en commun que seuls des services publics aux niveaux national, continental, mondial seront capables d’assumer. Dans ces conditions, la France qui est sans doute le pays qui a le plus théorisé la notion de service public et dont la conception de la fonction publique qui en est le coeur est la plus éprouvée, a une contribution éminente à apporter aux autres peuples. Le XXIe siècle peut et doit être l’ « âge d’or » du service public.
Le statut général des fonctionnaires reste-t-il un enjeu politique majeur?
Sans aucun doute. Il s’agit d’ une « exception française » : les fonctionnaires et les personnels sous statuts représentent dans notre pays le quart de la population active. C’est la suppression de cette « anomalie » que tendait la proclamation d’une « révolution culturelle » dans la fonction publique par le précédent président de la République en 2007 en mettant sur le même plan le recrutement par concours et par « contrat de droit privé conclu de gré à gré ». Aujourd’hui, c’est dans la pression insidieuse exercée pour aligner la situation des fonctionnaires sur celle des salariés du secteur privé que se situe la menace. Il faut améliorer la situation de l’ensemble des salariés, qu’ils soient du privé ou du public, mais cela doit se faire dans le respect de la spécificité du service de l’intérêt général dont sont principalement en charge les fonctionnaires. À ce titre, le statut général est une pièce maitresse du pacte républicain.
Pourquoi un statut unique pour les trois versants de la fonction publique ?
Le problème est d’établir un équilibre entre unité et diversité. L’unité a été fondée essentiellement en 1983-1984 sur une architecture juridique unifiée, mais surtout sur trois principes enracinés dans notre histoire : égalité, indépendance, responsabilité. La diversité a été respectée par la distinction des trois versants de la fonction publique (de l’État, territoriale, hospitalière), aussi bien pour des raisons fonctionnelles que constitutionnelles.
Faut-il réglementer davantage la question déontologique?
Il y a aujourd’hui un engouement – pour ne pas dire une mode – de la déontologie et une floraison de codes sectoriels à ce sujet. Mais, d’une part, il n’est pas sain de créer, à côté du statut, des textes qui peuvent apparaître concurrents et, d’autre part, on ne doit pas accréditer l’idée que la solution des contradictions ou de difficultés rencontrées trouveraient leur réponse dans les dispositions de codes ou dans l’intervention douteuse de « lanceurs d’alerte » et non dans la responsabilité assumée du fonctionnaire. Si le pouvoir hiérarchique, le devoir d’obéissance, l’obligation de réserve ne figurent pas expressément dans le statut, c’est parce que nous avons voulu, en 1983, mettre au centre la responsabilité propre du fonctionnaire et le respect des principes fondateurs. Jean Moulin n’aurait trouvé la réponse aux questions qu’il se posait dans aucun code de déontologie …