Trente ans du statut général des fonctionnaires – Trajectoires – lettre électronique de la DGAFP, juillet 2013

Interview d’Anicet Le Pors– 18/06/2013

 

30° anniversaire du Statut Général des Fonctionnaires (XI)

 

Anicet Le Pors,  ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives de 1981 à 1984, conseiller d’Etat honoraire

 

1. On vous présente comme le « père du statut général »… quelle responsabilité  ! Quelle est votre position sur cet héritage ?

Le statut général élaboré à partir de 1983 est en réalité l’aboutissement d’une longue histoire. La monarchie pratiquait la vénalité des charges, mais elle a aussi doté notre pays d’une administration forte et structurée. La Révolution française a posé les principes de l’ « utilité commune » qui nous inspirent encore aujourd’hui. Une conception très hiérarchique a prévalu pendant le XIXe  siècle, qui connut aussi une théorisation du service public. On évoque dans la première moitié du XXe  siècle les conceptions de « statut jurisprudentiel » et de « statut carcan ». Et si l’on passe sur le statut de 1941 qui se situe dans l’esprit de la charte du travail du régime de Vichy, on parvient au statut du 19 octobre 1946, statut fondateur de la conception française moderne de la fonction publique. L’ordonnance du 4 février 1959, au début de la Ve  République l’affectera peu sur le fond. Et c’est ainsi que nous parvenons au statut actuel, abondamment modifié au cours des trente dernières années, mais qui conserve l’essentiel de ses caractéristiques originelles. Il ne faut donc pas isoler l’ « héritage » de cette riche histoire.
2. Depuis 30 ans, la fonction publique est en mouvement. A-t-elle su s’adapter à ce qui est attendu d’elle ?

La fonction publique a évolué et s’est adaptée aux contingences rencontrées, mais de manière heurtée entre tendances contradictoires. De 1983 à 1986 a été installée une fonction publique « à trois versants » avec un premier titre statutaire en facteur commun, les droits et obligations de tous les fonctionnaires dans une acception extensive ; puis trois titres consacrés respectivement aux fonctions publiques de l’État, territoriale et hospitalière. Cette solide architecture a résisté à toutes les tentatives de remise en cause dans un contexte dominé par des politiques libérales. Mais des modifications substantielles ont toutefois été apportées à ce statut par les lois Galland en 1987, Hoeffel en 1994, et les lois des dernières années tendant à la banalisation de la distinction public-privé, tandis que des rapports s’inscrivaient dans la même tendance : rapport Pochard en 2003, rapport Silicani en 2008. Le président de la République de l’époque a appelé, en 2007, à une véritable « révolution culturelle » dans la fonction publique. La démarche générale consistait à faire prévaloir le contrat sur la loi, le métier sur la fonction et la performance individuelle sur l’efficacité sociale collective. Mais l’aggravation de la crise financière en 2008 a révélé le rôle d’ « amortisseur social » du service public et fait obstacle à l’aboutissement de cette politique. Aujourd’hui, une nouvelle démarche est engagée. À cela il faut ajouter une succession de politiques budgétaires (LOLF, RGPP, MAP) ayant des conséquences directes sur l’esprit et les moyens des administrations et sur les conditions matérielles et morales des fonctionnaires. On le voit, l’évolution n’est vraiment pas linéaire et s’il y a eu adaptation face aux nouveaux besoins sociaux, à l’évolution des technologies, voire aux changements intervenus aux niveaux national et international, une évaluation rationnelle des résultats serait nécessaire.
3. Les valeurs du service public ont-elles évolué au fil du temps ? Le fonctionnaire d’hier a-t-il le même profil que celui d’aujourd’hui ?

J’ai dit précédemment le souci qui a présidé, en 1983, à la mise en place d’une architecture statutaire couvrant plus de cinq millions de fonctionnaires. Cela impliquait à la fois d’affirmer l’unité de cet ensemble et d’en respecter la grande diversité ; équilibre difficile à trouver. J’ai choisi de fonder l’unité de la fonction publique sur la communauté de principes enracinés dans notre histoire. Premier principe, celui d’égalité, fondé sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – l’accès aux emplois publics doit se faire sur la base du mérite, des « vertus » et des « talents » – et dont nous avons déduit que c’est par la voie du concours que l’on entre dans la fonction publique. Deuxième principe, l’indépendance, prévoyant  la séparation du grade et de l’emploi, caractéristique du système dit « de la carrière » qui protège le fonctionnaire, propriétaire de son grade, de l’arbitraire et des pressions politiques et économiques ; la référence est ici la loi sur les officiers de 1834. Troisième principe, la responsabilité qui fonde la conception du fonctionnaire-citoyen. Elle s’oppose à celle du fonctionnaire-sujet qui a prévalu longtemps lorsque le principe hiérarchique exerçait une domination exclusive ; c’est ici l’article 15 de la Déclaration des droits de 1789, enjoignant à l’agent public de rendre compte de son administration, qui est retenu. C’est pourquoi des expressions telles que « obligation de réserve » ou « devoir d’obéissance » ne figurent pas expressément dans le statut, quand bien même elles correspondent à des obligations précisées par la jurisprudence. Ces valeurs évoluent naturellement avec la société, mais elles restent fondatrices. Il en va de même pour le fonctionnaire, la citoyenneté étant une création continue. Aujourd’hui, dans un contexte de crise, j’observe un affaiblissement de la conscience du service de l’intérêt général au profit d’une idéologie managériale réductrice. À cet égard, je fais plutôt confiance au respect des principes et à la responsabilité personnelle du fonctionnaire qu’à la multiplication de prescriptions déontologiques ou aux offices de « lanceurs d’alerte ».
4. On demande souvent aux jeunes souhaitant travailler dans la fonction publique leurs motivations profondes ? Quelle serait la réponse du « père du statut » le jour du grand oral ?

Ce serait celle d’une jeune fille ou d’un jeune homme courageux qui exercerait un esprit critique argumenté. Qui ne confondrait pas une administration avec une entreprise privée. J’aimerais, bien sûr, qu’il évoque les valeurs que je viens d’exposer et qu’il ait une certaine connaissance des dispositions majeures du statut général, surtout s’il en contesterait certains aspects. J’apprécierais particulièrement qu’il s’exprime dans un français correct, débarrassé de mots anglais, écume de l’idéologie managériale, en citant peut être Victor Hugo pour terminer : « La forme, c’est du fond qui remonte à la surface ».
5. Quel serait le modèle statutaire de la fonction publique de demain ?

Préfixer un modèle en avenir incertain ne relèverait pas d’une démarche scientifique. Parce que le statut général des fonctionnaires est une pièce maitresse du pacte républicain, il est appelé à évoluer avec celui-ci. Les valeurs évoquées : égalité, indépendance, responsabilité resteront essentielles, mais enrichies d’expériences nouvelles et de modes d’expression inimaginables aujourd’hui. Pour important qu’il soit, le statut général n’est pas un texte sacré et il doit accompagner le mouvement historique de la société. Comme je l’ai exprimé en expliquant la symbolique de la médaille « Fonction publique française » frappée par la Monnaie de Paris en 1982, je pense que, progressivement « l’interdépendance des fonctions l’emportera sur la hiérarchie des pouvoirs », ce qui correspond à un niveau supérieur de la démocratie. Accusés faussement et injustement d’être des privilégiés, les fonctionnaires, placés dans une situation « statutaire et réglementaire » doivent aussi se soucier des travailleurs régis par des contrats, individuels ou collectifs. L’avenir des fonctionnaires dépend aussi du renforcement de la base législative du droit du travail permettant une réduction de la précarité et la sécurisation des parcours professionnels des travailleurs du privé sous forme de ce que l’on pourrait appeler un « statut des travailleurs salariés du secteur privé ». Cette démarche se donnerait comme objectif l’amélioration de la situation de l’ensemble des salariés dans le respect de la spécificité du service de l’intérêt général.

 

3 commentaires sur “Trente ans du statut général des fonctionnaires – Trajectoires – lettre électronique de la DGAFP, juillet 2013

  1. Mais dans la  »vraie réalité » c’est quoi, aujourd’hui, vivre en fonctionnaire quand on a choisit par vocation sa carrière?

    Quand on a osé dire, déclarer son handicap?
    Quand on ose dénoncer des actions quelques peu anormales loin des jolies déclarations et des principes ?

    Quand on est gravement sanctionné à l’aide d’un déferlement de désinformations?
    Quand le principe du contradictoire n’a pas de réponse?

    Quand les lois de la santé physique et mentales sont bafouées?
    que faire? Des fonctionnaires, des responsables empathiques entendent mais avouent leur impuissance?

    Faut-il allé en justice contre son administration que l’on pensait servir? Quel fonctionnaire ose témoigner contre la machine infernale de peur à son tour de représailles?
    Quelle image a la population de ses services et administrations? Quel respect pour les fonctionnaires- personnes humaines?

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