Un livre important La fonction publique du XXIe siècle vient d’être publié ne peut laisser indifférents les Bretonnes et les Bretons, vu le nombre important d’entre eux fonctionnaires dans les administrations de l’État, des collectivités locales, des établissements hospitaliers. Co-écrit par Anicet Le Pors, conseiller d’État honoraire et ancien ministre de la Fonction publique et Gérard Aschieri, ancien élève de l’École normale supérieure, ancien dirigeant de la Fédération syndicale unitaire (FSU), aujourd’hui membre du Conseil économique, social et environnemental. Le premier d’entre eux, président d’honneur de l’USBIF, répond à nos questions[1].
Bretagne-Ile de France – Pourquoi ce livre maintenant ?
Il y a une raison de fond et une nécessité actuelle. J’ai pu me rendre compte, au cours des nombreuses conférences que je donne et des débats auxquels je participe qu’il y avait une perte de mémoire historique considérable, les gens ne savent plus d’où ils viennent et cela les handicape pour comprendre le présent et envisager l’avenir de manière constructive. En France, la monarchie a eu le souci de distinguer clairement ce qui relevait du « bien commun » et ce qui concernait les particuliers. Les monarques ont ainsi construit très tôt des administrations fortes et structurées. La Révolution Française a posé les principes essentiels de l’accès aux emplois publics. À la fin du XIX° siècle s’est constitué en France une école du service public qui a théorisé cette notion qui nous est familière aujourd’hui. Mais c’est à la Libération qu’a été créé, pour la première fois, un Statut général des fonctionnaires, en 1946, organisant de manière rationnelle et démocratique les administrations de l’État et instituant des garanties essentielles pour les agents au service de l’intérêt général. Le statut dont j’ai dirigé l’élaboration entre 1981 et 1986, a étendu les dispositions du statut aux agents des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers et de recherche, soit 5,4 millions de salariés représentant, avec les salariés des entreprises publiques sous statuts, le quart de la population active nationale.
Il y a aussi le fait que, dans l’actualité, il est souvent question des fonctionnaires, généralement pour les critiquer de façon démagogique : trop de fonctionnaires, bureaucratie administrative, privilège de la garantie d’emploi, etc. Déjà, plusieurs candidats déclarés à l’élection présidentielle de 2017 ont annoncé que, s’ils étaient élus, ils remettraient en cause le statut des fonctionnaires, diminueraient fortement les effectifs des services publics, développeraient le recours au contrat, réduiraient leurs garanties, etc On n’a pas fini d’entendre parler des fonctionnaires au cours des prochaines années. C’est pourquoi il était indispensable de prendre les devants.

Bretagnee – Ile de France – Vous avez dirigé, à partir de 1981, l’élaboration de ce statut général des fonctionnaires. Pouvez-vous nous rappeler dans quelles conditions il a été élaboré, les principes sur lesquels il a été fondé, ce qu’il est devenu trente ans plus tard ?
Nous venons en effet, au cours des deux dernières années, de célébrer le 30e anniversaire du statut. On peut considérer que le statut est le résultat de plusieurs choix successifs. En premier lieu, partant de l’histoire qui révèle que, depuis les origines, se confrontaient deux tendances, l’une autoritaire qui a prévalu jusqu’à la seconde guerre mondiale débouchant sur la conception du fonctionnaire sujet ; l’autre démocratique, celle du fonctionnaire citoyen, nous avons évidemment choisi cette dernière fondée sur la confiance faite à l’agent public responsable. En deuxième lieu, nous avons choisi un système protégeant par la loi (et non le contrat) l’ensemble de la carrière du fonctionnaire afin d’assurer sa neutralité et son indépendance. En troisième lieu, nous avons veillé à bien équilibrer deux principes constitutionnels, d’une part l’unité et l’indivisibilité de la République, d’autre part la libre administration des collectivités locales. Enfin quatrièmement, j’ai tenu a fonder cette construction statutaire sur des principes solidement ancrés dans l’histoire : égalité d’accès aux emplois publics, indépendance en conférant au fonctionnaire la propriété de son grade, responsabilité tenant au fait que les fonctionnaires ont comme spécificité d’être des salariés au service de l’intérêt général, leur faisant obligation de rendre compte à la société de l’exercice de leur mission comme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 leur en fait obligation.
Depuis les années 1980, le statut a été fréquemment modifié. Parfois à juste titre pour l’adapter aux nouveaux besoins et aux nouvelles technologies, souvent sous forme de dénaturations qui l’ont altéré. Mais on peut dire tout d’abord que le statut a tenu bon, qu’il est toujours debout malgré. Ensuite, les multiples modifications qu’il a subies prouvent tout à la fois son extrême adaptabilité en même temps qu’il est un enjeu. L’offensive principale s’est située en septembre 207 lorsque le Président de la République d’alors, Nicolas Sarkozy, a décrété une « révolution culturelle » dans la fonction publique qui consistait essentiellement à multiplier les contrats au lieu du recrutement par concours. L’offensive a tourné court car la crise financière est survenue en 2008 et chacun a convenu qu’avec un important service public, la France disposait là d’un puissant « amortisseur social » anti-crise.
Bretagne-Ile de France – Le « grand soir » statutaire n’a donc pas eu lieu. Quelle est aujourd’hui l’attitude de la nouvelle majorité présidentielle concernant les fonctionnaires et quelles initiatives faudrait-il prendre à leur sujet pour conduire la modernisation de la fonction publique ?
Il y a certes un changement de tonalité dans le discours des autorités aux fonctionnaires, mais peu d’initiatives ont été prises, ni pour assainir la situation ni pour mettre en place des chantiers susceptibles d’ouvrir des perspectives aux fonctionnaires. Dans ce livre nous avons eu le souci de préparer le terrain en décrivant la place de la fonction publique dans la nation et en faisant l’inventaire des problèmes qui s’y posent : non, il n’y a pas trop de fonctionnaires et les services publics manquent de moyens, leur pénurie hypothèque la réussite d’une réforme territoriale démocratique ; la recherche d’une meilleure efficacité des administrations ne peut aboutir en copiant le management des entreprises privées dont la finalité est la rentabilité ; il n’est pas possible de maintenir le blocage des salaires en vigueur depuis cinq ans, ce qui vide tout dialogue social de contenu, etc. Pour autant, nous n’avons pas eu le souci d’apporter une réponse à toutes les questions qui se posent dans les trois fonctions publiques parce que nous souhaitions laisser des questions en débat tout en donnant aux fonctionnaires les moyens de se faire une opinion par eux-mêmes : le sens à donner au principe hiérarchique, à l’obligation de réserve, au devoir d’obéissance ; le critère de nationalité pour l’accès aux emplois publics ; la différence entre travail prescrit et travail réel, entre égalité formelle et égalité réelle ; la place à réserver à l’usager ; l’irruption des technologies de l’information ; les traductions concrètes du principe de laïcité.
Bretagne – Ile de France – Il reste que les fonctionnaires apparaissent souvent, au moins aux yeux d’’une partie de l’opinion, comme des privilégiés ?
C’est une appréciation injuste et infondée, mais il ne suffit pas de l’affirmer et même de le démontrer. Je pense qu’il revient aussi aux fonctionnaires et à leurs organisations syndicales qui ont un statut de s’occuper des salariés qui ne sont pas protégés par un statut législatif mais soumis au contrat qui fait la loi entre salarié et employeur. C’est pourquoi je défends l’idée d’un statut des travailleurs salariés du secteur privé. Ce statut, intégré au code du travail, assurerait la sécurité des parcours professionnels, ce serait une sécurité sociale professionnelle. Ainsi pourraient être établies les conditions de la solidarité et du progrès social pour tous les salariés dans le respect de la spécificité du service de l’intérêt général des fonctionnaires.
[1] Anicet Le Pors et Gérard Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Éditions de l’Atelier, 232 p., 19 euros.