Église réformée du 8e arrondissement de Paris – 31 mai 2016

Le droit d’asile

(Résumé)

croix-huguenoteweb600-225x300
Croix huguenote

Quelle attitude le citoyen d’ici doit-il adopter face au citoyen d’ailleurs qui frappe à sa porte et lui demande protection? La France a eu longtemps une réputation de « pays des droits de l’homme » en même temps que de « terre d’asile ». Qu’en est-il aujourd’hui face aux centaines de milliers de migrants qui affluent en Europe ? Le droit d’asile fixe au plan international les règles qui conduisent à la reconnaissance de la qualité de réfugiés. Mais au-delà doivent être pris en compte des aspects humanitaires et politiques : le XXIe siècle sera-t-il celui des réfugiés ?*

Pour répondre correctement à ces questions il convient tout d’abord de faire l’état des lieux sur l’asile dans le monde et en France et s’interroger sur les comportements qui ont été déterminants de l’asile au cours de l’histoire et notamment des dernières décennies. Le droit d’asile qui relevait jusqu’à la seconde guerre mondiale des prérogatives de chaque pays est devenu international avec l’adoption de la Convention de Genève de 1951, ratifiée aujourd’hui par la très grande majorité des pays. Cette convention évoque les craintes de persécutions politiques, religieuses, ethniques, nationales et autres qui justifient l’asile accordé par un pays à un étranger qui le demande. À l’asile sont associés des droits et des obligations pour son bénéficiaire et il est temporaire. Face aux récents évènements concernant l’accueil des étrangers, beaucoup disent que le système actuel est « à bout de souffle » ; qu’en est-il en réalité ? La question n’est pas seulement juridique elle touche à tous les aspects de la vie en société et à la citoyenneté. Car si le pays d’accueil apporte au réfugié celui-ci interpelle aussi le citoyen d’ici et participe à sa formation et à l’évolution des mentalités. C’est en ce sens que l’on peut dire que le droit d’asile est le miroir de la citoyenneté.

P1010605
Croix huguenote

*Conférence d’Anicet Le Pors, ancien ministre, conseiller d’État honoraire, auteur en 1976 du rapport interministériel Immigration et développent économique et social ; membre du Haut Conseil à l’intégration (1990-1993) ; président des formations de jugement de la Cour nationale du droit d’asile (2000-2014). Auteur des deux « Que sais-je ? » (PUF) sur La citoyenneté et Le droit d’asile.

4-PUF_LEPOR_2011_01_L148Copie de Droit-d-asile2-Couverture

La Ville Fraternelle – Morsang-sur-Orge, 27 mai 2016

Quel avenir pour la fonction publique territoriale ?

(résumé)

La réforme de la fonction publique territoriale (FPT) a été lancée par la politique de décentralisation en 1981 pour aboutir à la loi du 2 mars 1982. Elle a posé rapidement la question du sort à réserver à la fonction publique territoriale (FPT). L’étude de la FPT est particulièrement intéressante car elle contient de fortes contradictions de la société : entre le national et le local, le mandat électif et la possession du grade, le métier et la fonction. Je pense, tout d’abord, devoir rappeler également les principales étapes antérieures de l’histoire de la FPT.

 

1. Quelques repères historiques

41zU3fpSWEL._SY445_1.1. La FPT a une longue histoire. Elle se développe au Moyen Age lorsque les cités mettent en place une administration qui ambitionne de se substituer à l’administration seigneuriale (statut de « tambour public » à la fin du XIII° siècle). Ensuite c’est l’administration d’État sous la monarchie absolue, puis jusqu’à la réforme de 1983-1984 qui prévaudra.

L’arrêt Cadot du 13 décembre 1889 par lequel le Conseil d’État reconnaît sa compétence en matière de contentieux des agents publics territoriaux. Celle des conseils de préfecture suivra en 1924.

Les agents publics territoriaux se voient progressivement appliquer la jurisprudence relative aux fonctionnaires de l’État : la communication du dossier à l’occasion d’une procédure disciplinaire, en 1905, par exemple.

L’obligation faite à partir de 1919 aux communes de prévoir un statut pour leurs agents, à défaut de leur appliquer un statut-type.

Les dispositions de la loi du 28 avril 1952 codifiées dans le livre IV du code des communes, premier ensemble de caractère statutaire, mais caractérisant une fonction publique d’emploi. Dans chaque commune doit être établie la liste des emplois à temps complet et non complet.

La loi du 13 juillet 1972 crée le CNFPT : l’organisation d’un concours d’attaché, de rédacteur ou de commis ne garanti que l’inscription sur une liste d’aptitude, mais possibilité de poursuivre une carrière d’une collectivité locale à l’autre sans démissionner.

Mais si je ne devais en retenir qu’une au regard de notre propos ce serait la disposition humiliante de la loi de finances du 31 décembre 1937 interdisant aux communes de dépasser les rémunérations versées aux fonctionnaires de l’État pour des fonctions équivalentes.

1.2. Ce cheminement débouche en 1983 sur une situation désordonnée, marquée par l’hétérogénéité des situations, une faible mobilité et une situation d’infériorité vis-à-vis des fonctionnaires de l’État. On compte 800 000 agents des collectivités locales (dont une forte proportion de non-titulaires), classés en 130 emplois types, plus un nombre indéterminé d’emplois spécifiques créés par les communes.

Le modèle est donc celui d’une fonction publique d’emploi dont les principales caractéristiques sont selon Olivier Schrameck, conseiller technique au cabinet du ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, dans son livre La fonction publique territoriale publié aux éditions Dalloz en 1995.

– le recrutement sur liste d’aptitude qui n’entraîne pas nomination automatique.

– l’absence de garantie de déroulement de carrière après recrutement.

– la possibilité de licenciement d’un agent titulaire si son emploi est supprimé.

 

2. Les choix du nouveau statut 1983-1984 et son évolution

La fonction publique du XXIe siecle_HD2.1. On peut résumer la conception du statut actuel comme la résultante de quatre choix successifs.

Premièrement, le fonctionnaire-citoyen contre le fonctionnaire –sujet. La première conception a prévalu pendant un siècle et demi, elle donnait la primauté au pouvoir hiérarchique. Les associations puis les syndicats de fonctionnaires dénonçaient les projets de « statut carcan » des gouvernements conservateurs. Des garanties ont néanmoins pu être obtenues par la voie jurisprudentielle essentiellement. Le statut de 1946 opérant un revirement a centré la conception nouvelle sur la responsabilité du fonctionnaire, la conception du fonctionnaire –citoyen.

Deuxièmement, le système de la carrière contre le système de l’emploi. Le premier considère inscrit l’activité du fonctionnaire dans un travailleur collectif répondant à une fonction. Il a comme conséquence que sa carrière doit être gérée sur l’ensemble d’une vie professionnelle pour garantit son indépendance. Le second est basé sur la notion de métier et a été développé ci-dessus.

Troisièmement, un équilibre entre unité et diversité. L’unité est nécessaire pour assurer l’égalité des agents publics et le respect des principes généraux du service public. Mais la fonction publique est d’une extrême diversité qu’il convient de respecter aussi bien pour des raisons juridique que d’efficacité. D’où la construction d’une fonction publique « à trois versants ».

Quatrièmement, la référence à des principes ancrés dans l’histoire. Il s’agit tout d’abord, le principe d’égalité qui veut que ce soit par concours que l’on entre dans la fonction publique (article 6 de la DDHC de 1789). Ensuite, le principe d’indépendance caractéristique du système de la carrière, établi sur la séparation du grade et de l’emploi (loi sur les officiers de 1834). Enfin de principe de responsabilité (article 15 de la DDHC).

2.2. Trente deux ans plus tard le statut a prouvé sa solidité. Contrairement aux prévisions mêmes du président François Mitterrand il dure depuis plus de 30 ans. Les causes en sont : une architecture juridique cohérente et les principes qui viennent d’être évoqués.

Il a aussi témoigné de son adaptabilité même su beaucoup des modifications qui lui ont été apportées sont des dénaturations. En 30 ans il a été modifié 225 fois dont 84 pour le titre III sur la FPT à la fois « maillon faible » et « avant-garde ».

Les offensives dont il a été l’objet témoignent qu’il reste un enjeu. Les offensives anti-statutaires se sont multipliées : loi Galland de 1987, rapport Pochard du Conseil d’État en 2003, « Révolution culturelle » de Sarkozy en 2007 et Livre blanc de Silicani en 2008 mais qui n’a pu aboutir dans la crise, le service public s’étant révélé un puissant « amortisseur social ».

2.3. Les conséquences de la décentralisation

Les conséquences générales sont d’une part une déstabilisation de la structure avec notamment la création autoritaire des métropoles et des intercommunalités et, d’autre part une réduction des financements décentralisés et déconcentrés. Mais l’Acte II a aussi pour conséquences une remise en cause administrative et statutaire.

Côté réformes administratives on évoquera : le NPM, le démantèlement administration rationalisante, la diminution directions régionales et départementales, la création CGSP (France Stratégie), la faible portée de la MAP, etc.

Côté service public et statut : l’affaiblissement et le risque de découpe du service public, la mise en extinction du SGF suite des offensives précédemment évoquées, une contractualisation devenant majoritaire.  D’où la nécessité d’une convergence usagers-élus-fonctionnaires.

 

3.Quelles perspectives ?

 3.1. Un assainissement préalable de la situation est nécessaire. Il est nécessaire de revenir sur la loi Galland (système des « reçus-collés », cadres au lieu de corps, contractualisation), sur l’amendement Lamassoure relatif à la réglementation du droit de grève, la suppression de la 3e voie, etc.

3.2. Des transformations structurelles nécessaires. On peu notamment évoquer : la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, l’amélioration juridique et pratique de la garantie fondamentale de mobilité, l’organisation de multi-carrières, l’égalité femmes-hommes, la redéfinition du recours aux contractuels, etc.

3.3. La loi préférée au contrat

L’offensive actuelle contre le code du travail concerte directement les fonctionnaires régis par la loi dans une position statutaire et réglementaire. Au contraire des projets en cours il faut faire prévaloir la loi sur le contrat pour garantir la sécurité des parcours professionnels grâce à un statut des travailleurs salariés du secteur privé.

Le libéralisme n’est pas un horizon indépassable. Lyle siècle en cours verra monter les exigences d’interdépendances, de coopérations, de solidarités qui caractérisent le service public et font toute leur place aux fonctionnaires. Le XXI° siècle sera « l’Âge d’or » de la fonction publique et du service public.

30° anniversaire du statut de la Fonction publique hospitalière – Colloque de l’ADRHESS, 10 mai 2016

PASSE, PRESENT ET PERSPECTIVES

DU STATUT GENERAL DES FONCTIONNAIRES

 ( Résumés d’interventions )

 

IMG_1186Je remercie les dirigeants de l’ADRHESS de m’avoir invité à ce colloque et de m’y accueillir. Je partage les interventions de ceux qui m’ont précédé sur une période qui s’enfonce déjà dans le passé, où le Premier ministre s’appelait Pierre Mauroy et le Président de la République François Mitterrand.

Concernant, en particulier, la position de François Mitterrand sur le Statut général, nous sommes renseignés sur ce point par un livre intéressant et courageux de Jacques Fournier (Itinéraire d’un fonctionnaire engagé, Dalloz, 2008), qui fut dans cette période secrétaire général du gouvernement et qui assistait donc à ce titre aux conseils des ministres. Il écrit (p. 349-350) : « Anicet Le Pors, lui, n’était plus au gouvernement lorsque le président s’interrogea à haute voix, le 29 mai 1985, sur l’utilité de l’ensemble législatif concernant le statut de la fonction publique dont il avait été l’artisan. Passait ce jour-là en conseil des ministres le projet de loi sur la fonction publique hospitalière, dernier volet de cet ensemble. Le commentaire de Mitterrand est en demi-teinte :  » l’adoption de ce texte s’inscrit dans la logique de ce que nous avons fait. À mon sens ce n’est pas ce que nous avons fait de mieux.  » Il évoque une  » rigidité qui peut devenir insupportable  » et des  » solutions discutables « . « On ne peut plus recruter un fossoyeur dans une commune sans procéder à un concours.  »  » Il est vrai que j’ai présidé moi-même à l’élaboration de ces lois. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment informé. Tout ceci charge l’administration et conduit à la paralysie de l’État. Il reste que c’est la quatrième et dernière partie d’un ensemble. Je ne suis pas sûr, en définitive, que ces lois aient longue vie. «  ». Erreur de jugement que confirme la tenue de ce colloque.

 

La genèse du Statut général est la résultante de quatre choix

Premier choix : nous avons consacré la conception du fonctionnaire-citoyen fondée par la loi du 19 octobre 11946 sous l’action conjointe de Michel Debré et de Maurice Thorez. Il a fallu beaucoup de courage et d’intelligence à ces hommes et à leurs collaborateurs, car ils prenaient ainsi le contrepied d’un siècle et demi durant lequel avait prévalu une conception du fonctionnaire-sujet dominée par l’autorité du principe hiérarchique que légitimait au surplus la théorisation du concept de service public par l’école de Bordeaux à la fin du XIX° siècle. La proposition d’un statut des fonctionnaires était alors brandie par des gouvernements conservateurs et les associations puis les syndicats de fonctionnaires dénonçaient alors la menace d’un « statut-carcan ». On passait donc de la primauté du principe hiérarchique à celle du principe de responsabilité.

ob_32b49ab2df05b7dd48548c4d10bad3bc_debat-an
Assemblée nationale le 27 juillet 1981. Au ban du gouvernement : Gaston Defferre, Anicet Le Pors, Olivier Schrameck et René Bidouze à l’ouverture de lu débat sur la loi de décentralisation (loi du 2 mars 1982).

La priorité conférée par François Mitterrand à la décentralisation qui débouchera sur la loi du 2 mars 1982 dont il avait chargé son ministre de l’Intérieur Gaston Defferre provoqua le deuxième choix, celui d’une conception de fonction publique de carrière contre celle c’une fonction publique d’emploi qui prévalait dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Constatant que Gaston Defferre n’envisageait qu’un renforcement des garanties des agents publics relevant du titre IV du Code des communes pour les agents publics territoriaux, il y avait là le risque d’e la coexistence en France de deux conceptions de fonction publique : une fonction publique de carrière et une fonction publique d’emploi, cette dernière ayant toutes les chances de prévaloir dans l’avenir, à l’instar de ce qui se passe en économie où l’on constate que « la mauvaise monnaie chasse la bonne » lorsqu’elles coexistent. J’ai pu intervenir le 27 juillet 1981 à l’Assemblée nationale – soit à peine plus d’un mois après mon entrée au gouvernement – pour dire que tous les fonctionnaires, à quelque fonction publique qu’ils appartiennent, devaient relever de la même conception : celle d’une fonction publique de carrière, la plus protectrice pour tous.

Le troisième choix consistait à établir le bon équilibre entre deux principes constitutionnels : celui de l’unité de la République (art. 1er de la constitution) et celui de libre administration des collectivités territoriales (art. 72). La solution trouvée a été celle d’une fonction publique « à trois versants » : de l’État, territoriale et hospitalière. Le titre 1er du nouveau statut rassemblant en facteur commun, la définition du fonctionnaire et ses droits et obligations, les trois titres suivants énonçant les spécificités des trois fonctions publiques. Quelles étaient alors les position s des différents acteurs concernés ? Les syndicats des trois fonctions publiques ne marchaient pas du même pas – ce qui explique une promulgation des quatre titres sur trois ans – mais ils ont assez vite compris les avantages du nouveau dispositif. Les associations d’élus craignant une réduction de leurs prérogatives étaient, au mieux, réservées, la situation s’est améliorée depuis. Les partis d’opposition m’’ont tout d’abord accusé de vouloir faire un statut communiste, puis socialiste ; je leur ai répondu que c’était un statut, pièce importante du pacte républicain et, faute de grain à moudre pour Jacques Toubon et Philippe Seguin qui menaient l’offensive au nom de l’opposition, les choses se sont calmées. Pierre Mauroy, ancien enseignant et syndicaliste de la Fédération de l’Éducation nationale (FEN) soutenait la démarche, c’était pour moi une première chance. La seconde était que François Mitterrand ne s’intéressait guère à la fonction publique et, comme je l’ai rappelé, il n’a manifesté ses réserves que trop tard.

e quatrième choix, plus personnel, a consisté à renforcer l’architecture statutaire retenue par une formulation de trois principes statutaires ancrés dans l’Histoire. Je parle de principes et non de valeurs, à mes yeux trop évanescentes pour donner lieu à des normes juridiques précises. C’est des principes au contraire que l’on doit tirer ces normes. Pour autant principes et valeurs n’ont pas vocation, selon moi, à figurer dans un texte de loi. Il n’y en avait pas dans le statut élaboré dans les années 1980 dans le statut et je n’ai pas soutenu la décision de Marylise Lebranchu d’introduire des valeurs dans le statut par la loi du 20 avril 2016. Premier principe : celui d’égalité (article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) dont on tire comme conséquence que c’est par concours que l’on accède aux emplois publics. Deuxième principe : celui d’indépendance, caractérisé par la séparation du grade et de l’emploi fondant le système de la carrière (loi sur les officiers de 1834). Enfin, le troisième principe est celui de la responsabilité du fonctionnaire qui doit rendre compte de l’exercice de sa mission à la société (art. 15 de la Déclaration des droits). J’ai en effet la conviction que, dans la crise idéologique actuelle, la meilleure garantie de défense et de pérennité du statut comme pièce importante du pacte républicain consiste à le fonder sur ces principes.

 

IMG_1191
Anicet Le Pors – Régis de Closets

 

Que penser de tout cela aujourd’hui ? Pour ma part, un double constat.

En premier lieu, le statut, après plus de trois décennies d’existence, a fait la démonstration de sa solidité. Cela est du, à mon avis, à deux causes : d’une part, sa cohérence en droit positif, d’autre part ses fondements idéologiques historiquement éprouvés.

n second lieu, son adaptabilité. Je me réjouis que des modifications du statut aient été opérées : un texte de loi qui n’évolue pas se sclérose et finit par mourir. Durant les trente ans qui ont suivi la loi du 13 juillet 1983 (titre 1er su statut), il y a eu 225 modifications législatives du statut, 30 pour le titre 1er, 50 pour le titre II (FPE), 84 pour le titre III (FPT), 61 pour le titre IV (FPH). Si certaines sont pertinentes, d’autres sont des dénaturations.

En ce qui concerne la situation actuelle je déplore que les gouvernements de l’actuel quinquennat aient manqué d’ambition.

Certes, tout en étant très critique sur la politique actuellement menée sous la présidence de François Hollande, je me garderai, sur la question de la fonction publique, de considérer que sa politique se confond avec celle des gouvernements antérieurs. Il n’y a pas eu d’attaque frontale contre le statut sous ce quinquennat si de multiples critiques peuvent être formulées. En la matière la gauche et la droite ce n’est pas la même chose.

Cela dit il y a eu manque d’ambition faute de courage pour revenir sur les dénaturations apportées par les gouvernements de droite au statut. Il aurait fallu assainir la situation statutaire en abrogeant les dispositions introduites par la loi Galland du 13 juillet 1987 : le système des « reçus-collés » caractérisé par la publication des admis aux concours par ordre alphabétique, permettant l’arbitraire dans les nominations, le retour des cadres en corps pour favoriser la comparabilité et par là la mobilité inter-fonctions publiques, le rétablissement de la loi du 129 octobre 1982 sur la réglementation du droit de grève instituant une plus juste proportionnalité entre durées des arrêts de travail et les prélèvements correspondants sur le traitement, le rétablissement de la 3e voie d’accès à l’ENA sur la base de critères qualifiants de service public, etc. Mais le gouvernement a craint d’affronter une certaine opinion publique, les élus et les syndicats notamment. Pour n’avoir pas osé rétablir les dispositions antérieures supprimées par la droite le gouvernement actuel a consacré ces atteintes.

Il y a aussi manque d’ambition pour n’avoir engagé aucune réforme statutaire pour moderniser la fonction publique, arguant des difficultés financières, en particulier : une véritable gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences à moyen et long terme, une traduction juridique plus satisfaisante de la garantie fondamentale de mobilité, l’organisation de bi et de multi-carrières dans des vies professionnelles plus longues avec les systèmes de formation continue nécessaires associés, une action politique en faveur de l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, une meilleure définition des recours aux contractuels, etc. Contrairement aux mesures d’assainissement qui ne coutaient rien, ces transformations structurelles auraient été couteuses, mais cela pose la question des priorités d’une politique gouvernementale.

S’agissant plus précisément de la fonction publique hospitalière, je voudrais faire trois remarques. Tout d’abord, je pense que les expressions relatives à la conception statutaire ne sont pas très claires. Elles ne l’étaient pas non plus en 1983, c’est ce qui explique la promulgation tardive de la loi du 9 janvier 1986. Une dirigeante syndicale de niveau national me disait, il y a quelques mois, qu’elle était à la fois pour le statut et pour l’existence d’une convention collective ! Je suis, par ailleurs, régulièrement interpelé sur une question dite de « protection fonctionnelle » ; à chaque fois je réponds que l’on doit entendre par là celle prévue par les dispositions de l’article 11 du titre 1er récemment modifié par la dernière loi statutaire, mais cette réponse ne semble pas satisfaire mes interlocuteurs médecins, y a-t-il une arrière pensée non révélée sur le sujet ? Ensuite, il semble que, comme c’est le cas dans l’ensemble de la fonction publique, l’idéologie managériale connaît une certaine prospérité dans la fonction publique hospitalière ; je ne conteste pas que l’on puisse emprunter au privé ce qui peut être utile au secteur public, mais je voudrais souligner que l’évaluation de l’efficacité sociale – inhérente au service public – est d’une exigence théorique et méthodologique supérieure à celle de la simple rentabilité de l’entreprise privée, cette dernière ne pouvant constituer le paradigme de la gestion publique. Le « nouveau management public » m’apparaît constituer une régression de la pensée.

Le film qui a été projeté montrant combien les personnels des services de santé sont attachés au service public est très émouvant par l’humanité et la conscience professionnelle qu’il atteste. Mais il incombe aux fonctionnaires chargés des plus hautes responsabilités, de montrer que le statut est le cadre juridique qui garantit l’intégrité des personnels, leur indépendance et, par là, leurs capacités d’épanouissement dans leur travail et leur vie. Dans ce raisonnement, et pour éviter que les critiques du statut reposent sur la confusion des concepts ou du raisonnement, il importe, à mon sens, pour la clarté du débat, de bien distinguer : les principes des valeurs, la loi du décret, le statut de la manière dont on l’utilise.

 

Regards sur l’histoire de la Fonction publique (3/10)

La fonction publique du XXIe siecle_HDL’année 2016 sera celle de la commémoration de la loi du 19 octobre 1946 relative au statut général des fonctionnaires. Il s’agit d’un texte fondateur de la conception française moderne de la fonction publique qui ne concernait alors que les fonctionnaires de l’État. Si ce texte, dont on célèbre donc en 2016 le 70e anniversaire, a posé les bases et les principes de notre système de fonction publique, ceux-ci ont été pour l’essentiel été conservés dans l’ordonnance du 4 février 1959 qui a remplacé le statut de 1946. Le statut promulgué en quatre lois de 1983, 1984 et 1986 a approfondi cette conception, complété la base législative et surtout étendu l’architecture statutaire aux trois fonctions publiques : État, territoriale , hospitalière, concernant aujourd’hui 5,4 millions de salariés, soit 20% de la population active nationale. Il s’agit là d’une exception française, contribution de notre pays au développement de services publics dans le monde.

Afin de marque l’évènement que constitue cet anniversaire, on publiera ici, avec une périodicité mensuelle, dix chapitres « regards » et « moments » de l’histoire de la fonction publique.

 

En hommage aux fondateurs

du Statut général des fonctionnaires

de la loi du 19 octobre 1946

pour son 70e anniversaire

 

3… 1946 : MOMENT FONDATRUR

Le programme du Conseil National de la Résistance ne prévoyait pas de réformes spécifiques pour la Fonction publique, mais son appel à une profonde refondation démocratique créait les conditions pour des changements audacieux. Il faut rappeler toutefois que, pendant des décennies, les associations et les organisations syndicales de fonctionnaires s’étaient vigoureusement opposées à toute idée d’un statut législatif. Les projets qui avaient été envisagés l’avaient généralement été dans le but d’accentuer la soumission des agents publics à l’autorité hiérarchique pour en faire des agents dociles au nom du sens de l’État et du service public. Au surplus, le premier statut que avait récemment vu le jour avait été l’œuvre du régime de Vichy ce qui n’était pas fait pour faciliter l’élaboration d’une version démocratique. Mais c’était pour le général de Gaulle une question cruciale. Il souhaitait épurer l’administration de la période de collaboration à la fois pour une question de souveraineté nationale et afin de disposer d’une haute fonction publique loyale et de qualité. Il en  chargea le ministre de la fonction publique de l’époque Jules Jeanneney avec le concours de Michel Debré. Des commissions furent constituées et notamment une commission syndicale consultative composée de 15 membres de la CGT et 5 de la CFTC. Il n’y eut pas de réelle concertation et ces premières réformes furent adoptées à l’unanimité de l’Assemblée nationale par la voie d’ordonnances promulguées le 9 octobre 1945.

Les ordonnances et les décrets d’application prévoyaient quatre types de réformes. Une École nationale d’administration était créée, destinée à former les cadres supérieurs des administrations centrales, unifiant le recrutement et la formation initiale des hauts fonctionnaires, et se substituant ainsi aux différents recrutements ministériels. Une Direction de la fonction publique était placée auprès du président du Conseil, là encore dans un souci d’unification pour veiller à l’application conforme des dispositions statutaires, proposer et coordonner les politiques de gestion. Un corps interministériel d’administrateurs civils était institué pour doter toutes les administrations de cadres supérieurs d’égale qualité et, dans le même esprit, un corps interministériel de secrétaires administratifs. Un Conseil permanent de l’administration civile était mis en place sur une base paritaire ; il deviendra plus tard le Conseil supérieur de la fonction publique. En outre, étaient créés les Instituts d’études politiques. Ces premières décisions, furent accompagnées de critiques des organisations syndicales qui n’avaient pas été associées à ces réformes. Une nouvelle phase s’ouvrit le 21 novembre 1945 avec le remplacement de Jules Jeanneney par Maurice Thorez, secrétaire général du parti communiste, ministre d’État, chargé de la réforme administrative.

Du contrat collectif au statut

Un groupe de travail informel fut constitue autour de Pierre Meunier, directeur du cabinet du ministre, Max Amiot jeune fonctionnaire des Finances, docteur en droit, et Jacques Pruja. Ce dernier, fonctionnaire des Finances également, révoqué en 1940, résistant arrêté en 1944, réintégré en 1945, dirigeant de la Fédération générale des finances (FGF-CGT), jouera un rôle déterminant tout au long de l’élaboration du statut. Les réticences étaient alors très fortes au sein de la FGF où l’idée d’un statut était contestée pour les raisons précédemment évoquées autour de la formule du « statut carcan ». La revendication d’un contrat collectif restait vivace. Mais l’idée d’un statut qui prendrait le contrepied des projets précédents en regroupant en son sein les garanties des fonctionnaires fit son chemin et conduisit Jacques Pruja à décider de présenter un projet en son nom propre au congrès de la FGF. Une opposition à la démarche s’éleva également du côté de la direction de la fonction publique dont le directeur était le conseiller d’État, Roger Grégoire. Il voulait que les principes d’un projet de statut fussent préalablement débattus en séance publique à l’Assemblée. Il n’obtint pas satisfaction. La CGT et la CFTC divergeaient également sur le mode de représentation des syndicats. Finalement la FGF (qui devint à cette époque l’Union générale des fédérations de fonctionnaires, UGFF-CGT) adopta le projet de Jacques Pruja le 9 mars 1945.

Ce premier projet de statut général des fonctionnaires de l’État fut alors mis au point pour tenir compte de certaines critiques et diffusé. Il prévoyait un secrétariat général de la fonction publique ayant autorité administrative sur l’ensemble des secrétariats généraux des ministères, remplaçant la direction de la fonction publique aux compétences plus juridiques. Il instituait la participation des syndicats à la gestion des personnels. Il préconisait un avancement au choix. Trois catégories de classement selon le niveau de qualification étaient prévues. Les fonctionnaires bénéficiaient de la Sécurité sociale. La novation la plus surprenante en cet endroit de la réglementation était la définition d’un « minimum vital » (on dirait du SMIC aujourd’hui) : « Par minimum vital il faut entendre la somme en-dessous des besoins individuels et sociaux de la personne humaine considérés comme élémentaires et incompressibles ne peuvent être satisfaits. » ; c’était la base d’une disposition prévoyant qu’aucun traitement de début d’un fonctionnaire ne soit inférieur à 120% du minimum vital. L’égalité entre les femmes et les hommes était posée en principe. Le directeur de la fonction public émit à nouveau de sévères critiques techniques contre ce projet et la perspective de création d’un secrétariat général appelé à se substituer à la direction de la fonction publique. Des critiques montèrent encore du côté de la CFTC et des PTT mais elles eurent peu d’effet.

Les opposants au projet se mobilisèrent alors pour le modifier au fond, puis pour tenter d’en freiner la discussion afin qu’il ne puisse achever son parcours parlementaire et que, finalement, on y renonce. Il passa en Conseil des ministres le 12 avril 1946. Il fut alors l’objet d’une vive contestation du ministre des Finances André Philip hostile notamment à la règle des 120% du minimum vital comme rémunération minimale des fonctionnaires, à l’échelle mobile, à la création du secrétariat général soupçonné d’emprise excessive sur l’ensemble de l’administration. Dans un nouveau projet, Maurice Thorez transigea et renonça au secrétariat général. Mais la majorité du gouvernement restait hostile au projet et faisait tout pour qu’il ne pût venir en discussion avant la fin de la session. D’autant plus que le référendum du 5 mai rejeta un premier projet de constitution interrompant le processus législatif. C’est alors que, une nouvelle Assemblée ayant été élue et un nouveau gouvernement constitué, le MRP et la CFTC déposèrent leur propre projet de statut, ce qui entraina un nouveau dépôt du statut antérieur par le ministre de la Fonction publique. La question devint très politique. Maurice Thorez obtint du président du Conseil Georges Bidault – la suite d’une tractation sur laquelle on continue de s’interroger – l’assurance que son projet viendrait bien en discussion avant la fin de la deuxième constituante. Finalement les rapports de forces s’établirent en faveur d’un projet amendé, devenu dès lors le projet du gouvernement . En dépit d’une nouvelle offensive de la CFTC et du MRP, le projet vint en discussion le 5 octobre à l’Assemblée lors de sa dernière séance. La cause étant entendue, il fut adopté à l’unanimité, sans discussion générale, après seulement quatre heures de débat pour 145 articles.

Le statut ne concernait que les fonctionnaires de l’État c’est –à-dire, fin 1946 : 516 000 titulaires, avec 271 000 auxiliaires, 107 000 contractuels et 211 000 ouvriers d’État. Soit au total de 1 105 000 agents publics de l’État dont 47% de fonctionnaires titulaires auxquels seuls s’est appliqué le statut même s’il n’a pas été sans influence sur la situation des autres catégories d’agents publics et même au-delà sur les salariés du secteur privé.

Des garanties essentielles

Ce résultat est édifiant vu les circonstances dans lesquelles il fut obtenu. Le contexte au lendemain de la Libération était favorable à une forte novation en ce domaine comme en d’autres, mais ces conditions se dégradèrent peu a peu. L’option du statut législatif, combattue pendant des décennies n’était pas facilement admise au sein du mouvement syndical, comme dans les partis et au gouvernement. La haute administration, troublée par la dimension du changement proposé était très réticente. Le résultat doit sans doute beaucoup à la résolution du mouvement syndical qui sut dépasser finalement ses contradictions, au sens politique du ministre de la Fonction publique qui alterna avec intelligence politique esprit de compromis et fermeté quand il le fallait et à la pugnacité de ses conseillers et tout particulièrement de Jacques Pruja qui termina néanmoins avec amertume ce parcours, regrettant les dénaturations portées au projet d’origine et critiquant sévèrement l’esprit routinier et rétrograde des hauts fonctionnaires du Conseil d’État, l’arrogance de certains ministres, les préoccupations partisanes et électorales. Maurice Thorez livra en conclusion son appréciation sa conception nouvelle : « Le fonctionnaire (…) garanti dans ses droits, son avancement, et son traitement, conscient en même temps de sa responsabilité, considéré comme un homme et non comme un rouage impersonnel de la machine administrative. »

Au final, on peut ainsi résumer les principales dispositions du statut général telles quelles sont énoncées par la loi du 19 octobre 1946.

Le fonctionnaire est défini comme la personne nommée dans un emploi permanent, titularisée dans un grade de la hiérarchie administrative.

Le fonctionnaire est, vis-à-vis de l’administration dans une position statutaire et réglementaire. Ces deux dispositions ont pour conséquence la garantie d’emploi.

Le droit syndical est reconnu aux fonctionnaires.

Aucune distinction n’est faite entre les deux sexes pour l’application du statut.

Le fonctionnaire est responsable des tâches qui lui sont confiées. Il est soumis aux obligations de secret et de discrétion professionnels. L’administration est tenue de protéger ses fonctionnaires contre les menaces, outrages ou diffamation dont ils peuvent être l’objet.

Sont créés, sur une base paritaire : le Conseil supérieur de la fonction publique, des commissions administratives et des comités techniques paritaires. Les représentants du personnel dans les commissions sont élus à bulletins secrets à la proportionnelle. Les représentants du personnel dans les comités sont désignés par les organisations syndicales représentatives.

Les conditions d’accès à la fonction publique sont : la nationalité française, la bonne moralité, la satisfaction aux obligations militaires, l’aptitude physique.

Quatre catégories de fonctionnaires sont créées par ordre hiérarchique décroissant et dénommées A, B, C, D. Dans ces catégories, les fonctionnaires appartiennent à des cadres d’emplois régis par des statuts particuliers (le mot cadre sera rapidement remplacé par le mot corps).

Sauf exceptions (emplois réservés, création d’un nouveau corps) le recrutement des fonctionnaires se fait par voie de concours dont les modalités peuvent varier.

La rémunération du fonctionnaire comprend le traitement, des indemnités et des primes. Le traitement ne peut être inférieur à 120% du minimum vital

Il est attribué chaque année au fonctionnaire une note chiffrée et une appréciation générale évaluant sa valeur professionnelle. La note fait l’objet d’une péréquation par service ou administration au plan national. Elle peut être contestée devant la commission administrative paritaire du corps.

Le grade est le titre qui confère à ses bénéficiaires vocation à occuper un des emplois qui lui sont réservés. L’avancement de grade se fait au choix. Dans un grade déterminé comprenant plusieurs échelons, l’avancement d’échelon se fait selon l’ancienneté et la notation du fonctionnaire.

es sanctions disciplinaires sont, par ordre de sévérité croissant : l’avertissement, le blâme, la radiation du tableau d’avancement, le déplacement d’office, l’abaissement d’échelon, la rétrogradation, la révocation sans ou avec suspension des droits à pension. Le pouvoir de nomination appartient à l’autorité investie du pouvoir de nomination. Les commissions administratives jouent le rôle de conseils de discipline.

Le fonctionnaire est placé dans l’une des positions suivantes : l’activité, le détachement, la disponibilité, sous les drapeaux. Il a droit à congé.

L’autorité administrative compétente procède aux mouvements des fonctionnaires après avis des commissions administratives paritaires.

Le statut prévoit des régimes spéciaux de sécurité sociale et de retraite.

Enfin, des dispositions organiques sont prévues tendant à la démocratisation de l’administration, à la normalisation, à la coordination et à l’harmonisation de ses structures.

Sujet ou citoyen ?

Ce statut des fonctionnaires de l’État demeurera en vigueur jusqu’à l’avènement de la constitution de la Ve République. Il sera alors abrogé et remplacé par l’ordonnance du 4 février 1959. Ce changement, dans un contexte où l’on craignait l’arrivée d’un pouvoir autoritaire, nourrissait l’appréhension d’une forte remise en cause des acquis de la Libération, voire la suppression du statut ou sa transformation en instrument d’un pouvoir hiérarchique renforcé. En réalité, c’est surtout la nouvelle répartition des champs respectifs de la loi et du décret opérée par la nouvelle constitution au détriment de la loi qui eut l’effet principal sur le statut en ramenant le nombre de ses articles législatifs de 145 à 57, le reste du statut faisant l’objet de décrets. Néanmoins, des modifications non négligeables l’affectèrent : abandon de la référence au minimum vital pour la détermination du traitement de base, réglementation plus restrictive du calcul des rémunérations, réduction des compétences des comités techniques paritaires dont la consultation devient facultative. Mais l’essentiel fut préservé.

Les fonctionnaires participèrent activement au mouvement social de 1968, mais celui-ci n’eut pas de conséquences statutaires directes. Néanmoins, les acquis généraux des salariés eurent des retombées sur la fonction publique avec, par exemple la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise admise dans les administrations. S’engagea surtout une importante négociation nationale portant sur des questions majeures : rémunérations, indemnités, catégories, temps de travail. L’aboutissement de cette concertation, connu sous le nom de constat Oudinot, ouvrit une période de discussion sur tous ces sujets pendant plusieurs années.

Mais si l’on veut dégager de la longue histoire de la fonction publique déjà parcourue, les déterminants de son évolution et de celle des conditions matérielles et morales des agents publics devenus statutairement des fonctionnaires, il semble que l’on puisse identifier deux lignes de forces dont la confrontation est à l’origine d’une conception française de la fonction publique en création continue. D’une part, une application stricte du pouvoir hiérarchique au bénéfice des intérêts du pouvoir politique dominant, interprète de l’intérêt général et légitimé par l’impératif du sens de l’État et du service public. C’est la conception du fonctionnaire-sujet. D’autre part, le fonctionnaire conscient de l’intérêt général et du service public et qui accomplit sa mission au service de la société toute entière en fondant son exercice d’abord sur sa propre responsabilité, quand bien même celle-c-ci a pour cadre une organisation administrative hiérarchisée. C’est la conception du fonctionnaire-citoyen. Fonctionnaire, sujet ou citoyen ? Tel est bien le premier choix à opérer.

Mais ce choix n’épuise pas la réflexion sur la citoyenneté du fonctionnaire. L’élaboration statutaire que nous venons d’analyser créait les conditions permettant à la citoyenneté de l’agent public de s’épanouir, mais elle ne pouvait, seule, guider les mentalités à travers la succession des changements politiques qui allaient suivre. La création de l’ENA en 1945 dota la France d’une élite administrative qui forgea sa propre finalité dans laquelle le sens du service public n’était pas toujours prioritaire. Pour certains membres de cette élite, le carriérisme administratif, ou les débouchés lucratifs du secteur privé, la possibilité d’accéder aux lieux de pouvoir et d’y développer des trajectoires politiques l’emporta. Mais pour beaucoup il y eut aussi, plus simplement, le sentiment que l’accès à la haute fonction publique par la voie de l’ENA ou d’autres écoles prestigieuses était l’aboutissement d’un cursus d’études difficiles qui marquait définitivement la réussite d’une vie. Hauts fonctionnaires, techniciens compétents, beaucoup ont cru pouvoir se dispenser d’être de simples citoyens.

 

Anicet Le Pors et Gérard Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Éditions de l’Atelier, Paris, janvier 2015.