PASSE, PRESENT ET PERSPECTIVES
DU STATUT GENERAL DES FONCTIONNAIRES
( Résumés d’interventions )
Je remercie les dirigeants de l’ADRHESS de m’avoir invité à ce colloque et de m’y accueillir. Je partage les interventions de ceux qui m’ont précédé sur une période qui s’enfonce déjà dans le passé, où le Premier ministre s’appelait Pierre Mauroy et le Président de la République François Mitterrand.
Concernant, en particulier, la position de François Mitterrand sur le Statut général, nous sommes renseignés sur ce point par un livre intéressant et courageux de Jacques Fournier (Itinéraire d’un fonctionnaire engagé, Dalloz, 2008), qui fut dans cette période secrétaire général du gouvernement et qui assistait donc à ce titre aux conseils des ministres. Il écrit (p. 349-350) : « Anicet Le Pors, lui, n’était plus au gouvernement lorsque le président s’interrogea à haute voix, le 29 mai 1985, sur l’utilité de l’ensemble législatif concernant le statut de la fonction publique dont il avait été l’artisan. Passait ce jour-là en conseil des ministres le projet de loi sur la fonction publique hospitalière, dernier volet de cet ensemble. Le commentaire de Mitterrand est en demi-teinte : » l’adoption de ce texte s’inscrit dans la logique de ce que nous avons fait. À mon sens ce n’est pas ce que nous avons fait de mieux. » Il évoque une » rigidité qui peut devenir insupportable » et des » solutions discutables « . « On ne peut plus recruter un fossoyeur dans une commune sans procéder à un concours. » » Il est vrai que j’ai présidé moi-même à l’élaboration de ces lois. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment informé. Tout ceci charge l’administration et conduit à la paralysie de l’État. Il reste que c’est la quatrième et dernière partie d’un ensemble. Je ne suis pas sûr, en définitive, que ces lois aient longue vie. « ». Erreur de jugement que confirme la tenue de ce colloque.
La genèse du Statut général est la résultante de quatre choix
Premier choix : nous avons consacré la conception du fonctionnaire-citoyen fondée par la loi du 19 octobre 11946 sous l’action conjointe de Michel Debré et de Maurice Thorez. Il a fallu beaucoup de courage et d’intelligence à ces hommes et à leurs collaborateurs, car ils prenaient ainsi le contrepied d’un siècle et demi durant lequel avait prévalu une conception du fonctionnaire-sujet dominée par l’autorité du principe hiérarchique que légitimait au surplus la théorisation du concept de service public par l’école de Bordeaux à la fin du XIX° siècle. La proposition d’un statut des fonctionnaires était alors brandie par des gouvernements conservateurs et les associations puis les syndicats de fonctionnaires dénonçaient alors la menace d’un « statut-carcan ». On passait donc de la primauté du principe hiérarchique à celle du principe de responsabilité.

La priorité conférée par François Mitterrand à la décentralisation qui débouchera sur la loi du 2 mars 1982 dont il avait chargé son ministre de l’Intérieur Gaston Defferre provoqua le deuxième choix, celui d’une conception de fonction publique de carrière contre celle c’une fonction publique d’emploi qui prévalait dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Constatant que Gaston Defferre n’envisageait qu’un renforcement des garanties des agents publics relevant du titre IV du Code des communes pour les agents publics territoriaux, il y avait là le risque d’e la coexistence en France de deux conceptions de fonction publique : une fonction publique de carrière et une fonction publique d’emploi, cette dernière ayant toutes les chances de prévaloir dans l’avenir, à l’instar de ce qui se passe en économie où l’on constate que « la mauvaise monnaie chasse la bonne » lorsqu’elles coexistent. J’ai pu intervenir le 27 juillet 1981 à l’Assemblée nationale – soit à peine plus d’un mois après mon entrée au gouvernement – pour dire que tous les fonctionnaires, à quelque fonction publique qu’ils appartiennent, devaient relever de la même conception : celle d’une fonction publique de carrière, la plus protectrice pour tous.
Le troisième choix consistait à établir le bon équilibre entre deux principes constitutionnels : celui de l’unité de la République (art. 1er de la constitution) et celui de libre administration des collectivités territoriales (art. 72). La solution trouvée a été celle d’une fonction publique « à trois versants » : de l’État, territoriale et hospitalière. Le titre 1er du nouveau statut rassemblant en facteur commun, la définition du fonctionnaire et ses droits et obligations, les trois titres suivants énonçant les spécificités des trois fonctions publiques. Quelles étaient alors les position s des différents acteurs concernés ? Les syndicats des trois fonctions publiques ne marchaient pas du même pas – ce qui explique une promulgation des quatre titres sur trois ans – mais ils ont assez vite compris les avantages du nouveau dispositif. Les associations d’élus craignant une réduction de leurs prérogatives étaient, au mieux, réservées, la situation s’est améliorée depuis. Les partis d’opposition m’’ont tout d’abord accusé de vouloir faire un statut communiste, puis socialiste ; je leur ai répondu que c’était un statut, pièce importante du pacte républicain et, faute de grain à moudre pour Jacques Toubon et Philippe Seguin qui menaient l’offensive au nom de l’opposition, les choses se sont calmées. Pierre Mauroy, ancien enseignant et syndicaliste de la Fédération de l’Éducation nationale (FEN) soutenait la démarche, c’était pour moi une première chance. La seconde était que François Mitterrand ne s’intéressait guère à la fonction publique et, comme je l’ai rappelé, il n’a manifesté ses réserves que trop tard.
e quatrième choix, plus personnel, a consisté à renforcer l’architecture statutaire retenue par une formulation de trois principes statutaires ancrés dans l’Histoire. Je parle de principes et non de valeurs, à mes yeux trop évanescentes pour donner lieu à des normes juridiques précises. C’est des principes au contraire que l’on doit tirer ces normes. Pour autant principes et valeurs n’ont pas vocation, selon moi, à figurer dans un texte de loi. Il n’y en avait pas dans le statut élaboré dans les années 1980 dans le statut et je n’ai pas soutenu la décision de Marylise Lebranchu d’introduire des valeurs dans le statut par la loi du 20 avril 2016. Premier principe : celui d’égalité (article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) dont on tire comme conséquence que c’est par concours que l’on accède aux emplois publics. Deuxième principe : celui d’indépendance, caractérisé par la séparation du grade et de l’emploi fondant le système de la carrière (loi sur les officiers de 1834). Enfin, le troisième principe est celui de la responsabilité du fonctionnaire qui doit rendre compte de l’exercice de sa mission à la société (art. 15 de la Déclaration des droits). J’ai en effet la conviction que, dans la crise idéologique actuelle, la meilleure garantie de défense et de pérennité du statut comme pièce importante du pacte républicain consiste à le fonder sur ces principes.

Que penser de tout cela aujourd’hui ? Pour ma part, un double constat.
En premier lieu, le statut, après plus de trois décennies d’existence, a fait la démonstration de sa solidité. Cela est du, à mon avis, à deux causes : d’une part, sa cohérence en droit positif, d’autre part ses fondements idéologiques historiquement éprouvés.
n second lieu, son adaptabilité. Je me réjouis que des modifications du statut aient été opérées : un texte de loi qui n’évolue pas se sclérose et finit par mourir. Durant les trente ans qui ont suivi la loi du 13 juillet 1983 (titre 1er su statut), il y a eu 225 modifications législatives du statut, 30 pour le titre 1er, 50 pour le titre II (FPE), 84 pour le titre III (FPT), 61 pour le titre IV (FPH). Si certaines sont pertinentes, d’autres sont des dénaturations.
En ce qui concerne la situation actuelle je déplore que les gouvernements de l’actuel quinquennat aient manqué d’ambition.
Certes, tout en étant très critique sur la politique actuellement menée sous la présidence de François Hollande, je me garderai, sur la question de la fonction publique, de considérer que sa politique se confond avec celle des gouvernements antérieurs. Il n’y a pas eu d’attaque frontale contre le statut sous ce quinquennat si de multiples critiques peuvent être formulées. En la matière la gauche et la droite ce n’est pas la même chose.
Cela dit il y a eu manque d’ambition faute de courage pour revenir sur les dénaturations apportées par les gouvernements de droite au statut. Il aurait fallu assainir la situation statutaire en abrogeant les dispositions introduites par la loi Galland du 13 juillet 1987 : le système des « reçus-collés » caractérisé par la publication des admis aux concours par ordre alphabétique, permettant l’arbitraire dans les nominations, le retour des cadres en corps pour favoriser la comparabilité et par là la mobilité inter-fonctions publiques, le rétablissement de la loi du 129 octobre 1982 sur la réglementation du droit de grève instituant une plus juste proportionnalité entre durées des arrêts de travail et les prélèvements correspondants sur le traitement, le rétablissement de la 3e voie d’accès à l’ENA sur la base de critères qualifiants de service public, etc. Mais le gouvernement a craint d’affronter une certaine opinion publique, les élus et les syndicats notamment. Pour n’avoir pas osé rétablir les dispositions antérieures supprimées par la droite le gouvernement actuel a consacré ces atteintes.
Il y a aussi manque d’ambition pour n’avoir engagé aucune réforme statutaire pour moderniser la fonction publique, arguant des difficultés financières, en particulier : une véritable gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences à moyen et long terme, une traduction juridique plus satisfaisante de la garantie fondamentale de mobilité, l’organisation de bi et de multi-carrières dans des vies professionnelles plus longues avec les systèmes de formation continue nécessaires associés, une action politique en faveur de l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, une meilleure définition des recours aux contractuels, etc. Contrairement aux mesures d’assainissement qui ne coutaient rien, ces transformations structurelles auraient été couteuses, mais cela pose la question des priorités d’une politique gouvernementale.
S’agissant plus précisément de la fonction publique hospitalière, je voudrais faire trois remarques. Tout d’abord, je pense que les expressions relatives à la conception statutaire ne sont pas très claires. Elles ne l’étaient pas non plus en 1983, c’est ce qui explique la promulgation tardive de la loi du 9 janvier 1986. Une dirigeante syndicale de niveau national me disait, il y a quelques mois, qu’elle était à la fois pour le statut et pour l’existence d’une convention collective ! Je suis, par ailleurs, régulièrement interpelé sur une question dite de « protection fonctionnelle » ; à chaque fois je réponds que l’on doit entendre par là celle prévue par les dispositions de l’article 11 du titre 1er récemment modifié par la dernière loi statutaire, mais cette réponse ne semble pas satisfaire mes interlocuteurs médecins, y a-t-il une arrière pensée non révélée sur le sujet ? Ensuite, il semble que, comme c’est le cas dans l’ensemble de la fonction publique, l’idéologie managériale connaît une certaine prospérité dans la fonction publique hospitalière ; je ne conteste pas que l’on puisse emprunter au privé ce qui peut être utile au secteur public, mais je voudrais souligner que l’évaluation de l’efficacité sociale – inhérente au service public – est d’une exigence théorique et méthodologique supérieure à celle de la simple rentabilité de l’entreprise privée, cette dernière ne pouvant constituer le paradigme de la gestion publique. Le « nouveau management public » m’apparaît constituer une régression de la pensée.
Le film qui a été projeté montrant combien les personnels des services de santé sont attachés au service public est très émouvant par l’humanité et la conscience professionnelle qu’il atteste. Mais il incombe aux fonctionnaires chargés des plus hautes responsabilités, de montrer que le statut est le cadre juridique qui garantit l’intégrité des personnels, leur indépendance et, par là, leurs capacités d’épanouissement dans leur travail et leur vie. Dans ce raisonnement, et pour éviter que les critiques du statut reposent sur la confusion des concepts ou du raisonnement, il importe, à mon sens, pour la clarté du débat, de bien distinguer : les principes des valeurs, la loi du décret, le statut de la manière dont on l’utilise.
Bonjour Monsieur le Ministre,
J’assistais hier à votre magnifique intervention lors du colloque de l’ADRHESS. Je viens de télécharger vos 3 analyses relatives à l’histoire de la fonction publique à partir de votre blog riche et à découvrir absolument.
Je vous remercie de nous livrer et de nous éclairer ainsi sur une page importante de l’histoire du statut de la fonction publique.
Bien respectueusement.
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