Pourquoi avoir créé un statut de la fonction publique ?
Est-il adapté ? Quelles évolutions ?
(résumé)
La réforme de la fonction publique territoriale (FPT) a été lancée par la politique de décentralisation en 1981 pour aboutir à la loi du 2 mars 1982. Elle a posé rapidement la question du sort à réserver à la fonction publique territoriale (FPT). L’étude de la FPT est particulièrement intéressante car elle contient de fortes contradictions de la société : entre le national et le local, le mandat électif et la possession du grade, le métier et la fonction. Je pense, tout d’abord, devoir rappeler également les principales étapes antérieures de l’histoire de la FPT qui débouche sur la mise en place du statut, afin d’éclairer le présent et l’avenir.
- Quelques repères historiques
1.1. La FPT a une longue histoire. Elle se développe au Moyen Age lorsque les cités mettent en place une administration qui ambitionne de se substituer à l’administration seigneuriale (statut de « tambour public » à la fin du XIII° siècle). Ensuite c’est l’administration d’État sous la monarchie absolue, puis jusqu’à la réforme de 1983-1984 qui prévaudra.
L’arrêt Cadot du 13 décembre 1889 par lequel le Conseil d’État reconnaît sa compétence en matière de contentieux des agents publics territoriaux. Celle des conseils de préfecture suivra en 1924.
Les agents publics territoriaux se voient progressivement appliquer la jurisprudence relative aux fonctionnaires de l’État : la communication du dossier à l’occasion d’une procédure disciplinaire, en 1905, par exemple.
L’obligation faite à partir de 1919 aux communes de prévoir un statut pour leurs agents, à défaut de leur appliquer un statut-type.
Les dispositions de la loi du 28 avril 1952 codifiées dans le livre IV du code des communes, premier ensemble de caractère statutaire, mais caractérisant une fonction publique d’emploi. Dans chaque commune doit être établie la liste des emplois à temps complet et non complet.
La loi du 13 juillet 1972 crée le CNFPT : l’organisation d’un concours d’attaché, de rédacteur ou de commis ne garanti que l’inscription sur une liste d’aptitude, mais possibilité de poursuivre une carrière d’une collectivité locale à l’autre sans démissionner.
Mais si je ne devais en retenir qu’une au regard de notre propos ce serait la disposition humiliante de la loi de finances du 31 décembre 1937 interdisant aux communes de dépasser les rémunérations versées aux fonctionnaires de l’État pour des fonctions équivalentes.
1.2. Ce cheminement débouche en 1983 sur une situation désordonnée, marquée par l’hétérogénéité des situations, une faible mobilité et une situation d’infériorité vis-à-vis des fonctionnaires de l’État. On compte 800 000 agents des collectivités locales (dont une forte proportion de non-titulaires), classés en 130 emplois types, plus un nombre indéterminé d’emplois spécifiques créés par les communes.
Le modèle est donc celui d’une fonction publique d’emploi dont les principales caractéristiques sont selon Olivier Schrameck, conseiller technique au cabinet du ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, dans son livre La fonction publique territoriale publié aux éditions Dalloz en 1995.
– le recrutement sur liste d’aptitude qui n’entraîne pas nomination automatique.
– l’absence de garantie de déroulement de carrière après recrutement.
– la possibilité de licenciement d’un agent titulaire si son emploi est supprimé.
- Les choix du nouveau statut 1983-1984 et son évolution
Soulignons préalablement que le statut est un cadre juridique qui détermine les droits et obligations des fonctionnaires et les dispositions générales de la gestion des personnels. Il ne concerne pas les politiques publiques menées sous la responsabilité des collectivités publiques telles que celles des rémunérations ou des conditions de travail. Il établit que le fonctionnaire est vis-à-vis de l’administration dans une position statutaire et réglementaire.
2.1. On peut résumer la conception du statut actuel comme la résultante de quatre choix successifs.
remièrement, le fonctionnaire-citoyen contre le fonctionnaire –sujet. La première conception a prévalu pendant un siècle et demi, elle donnait la primauté au pouvoir hiérarchique. Les associations puis les syndicats de fonctionnaires dénonçaient les projets de « statut carcan » des gouvernements conservateurs. Des garanties ont néanmoins pu être obtenues par la voie jurisprudentielle essentiellement. Le statut de 1946 opérant un revirement a centré la conception nouvelle sur la responsabilité du fonctionnaire, la conception du fonctionnaire –citoyen.
Deuxièmement, le système de la carrière contre le système de l’emploi. Le premier considère inscrit l’activité du fonctionnaire dans un travailleur collectif répondant à une fonction. Il a comme conséquence que sa carrière doit être gérée sur l’ensemble d’une vie professionnelle pour garantit son indépendance. Le second est basé sur la notion de métier et a été développé ci-dessus.
Troisièmement, un équilibre entre unité et diversité. L’unité est nécessaire pour assurer l’égalité des agents publics et le respect des principes généraux du service public. Mais la fonction publique est d’une extrême diversité qu’il convient de respecter aussi bien pour des raisons juridique que d’efficacité. D’où la construction d’une fonction publique « à trois versants ».
Quatrièmement, la référence à des principes ancrés dans l’histoire. Il s’agit tout d’abord, le principe d’égalité qui veut que ce soit par concours que l’on entre dans la fonction publique (article 6 de la DDHC de 1789). Ensuite, le principe d’indépendance caractéristique du système de la carrière, établi sur la séparation du grade et de l’emploi (loi sur les officiers de 1834). Enfin de principe de responsabilité (article 15 de la DDHC).
2.2. Trente deux ans plus tard le statut a prouvé sa solidité. Contrairement aux prévisions mêmes du président François Mitterrand il dure depuis plus de 30 ans. Les causes en sont : une architecture juridique cohérente et les principes qui viennent d’être évoqués.
Il a aussi témoigné de son adaptabilité même su beaucoup des modifications qui lui ont été apportées sont des dénaturations. En 30 ans il a été modifié 225 fois dont 84 pour le titre III sur la FPT à la fois « maillon faible » et « avant-garde ».
Les offensives dont il a été l’objet témoignent qu’il reste un enjeu. Les offensives anti-statutaires se sont multipliées : loi Galland de 1987, rapport Pochard du Conseil d’État en 2003, « Révolution culturelle » de Sarkozy en 2007 et Livre blanc de Silicani en 2008 mais qui n’a pu aboutir dans la crise, le service public s’étant révélé un puissant « amortisseur social ».
2.3. Les conséquences de la réforme territoriale
Les conséquences générales sont d’une part une déstabilisation de la structure avec notamment la création autoritaire des métropoles et des intercommunalités et, d’autre part une réduction des financements décentralisés et déconcentrés. Mais l’Acte III a aussi pour conséquences une remise en cause administrative et statutaire.
Côté réformes administratives on évoquera : le NPM, le démantèlement administration rationalisante, la diminution directions régionales et départementales, la création CGSP (France Stratégie), la faible portée de la MAP, etc.
Côté service public et statut : l’affaiblissement et le risque de découpe du service public, la mise en extinction du SGF suite des offensives précédemment évoquées, une contractualisation devenant majoritaire. D’où la nécessité d’une convergence usagers-élus-fonctionnaires.
- Quelles perspectives ?
3.1. Un assainissement préalable de la situation est nécessaire. Il est nécessaire de revenir sur la loi Galland (système des « reçus-collés », cadres au lieu de corps, contractualisation), sur l’amendement Lamassoure relatif à la réglementation du droit de grève, la suppression de la 3e voie, etc.
3.2. Des transformations structurelles nécessaires. On peu notamment évoquer : la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, l’amélioration juridique et pratique de la garantie fondamentale de mobilité, l’organisation de multi-carrières, l’égalité femmes-hommes, la redéfinition du recours aux contractuels, etc.
3.3. La loi préférée au contrat
L’offensive actuelle contre le code du travail concerte directement les fonctionnaires régis par la loi dans une position statutaire et réglementaire. Au contraire des projets en cours il faut faire prévaloir la loi sur le contrat pour garantir la sécurité des parcours professionnels, une véritable sécurité sociale professionnelle, grâce à un statut des travailleurs salariés du secteur privé.
Le libéralisme n’est pas un horizon indépassable. Le siècle en cours verra monter les exigences d’interdépendances, de coopérations, de solidarités qui caractérisent le service public et font toute leur place aux fonctionnaires. Le XXI° siècle sera « l’Âge d’or » de la fonction publique et du service public.
Sur cette dernière partie voir ci-dessous l’audition devant la commission temporaire du CESE sur l’avenir de la fonction publique.