« Pourquoi une fonction publique de l’enseignement supérieur et de la recherche » – VRS Vie de la Recherche Scientifique – n° 408 (dossier), avril 2017

 

Le XXIe siècle, siècle du service public

 

 

Gérard Aschieri

Membre du Conseil économique

social et environnemental

Anicet Le Pors

Ancien ministre de la Fonction publique

Conseiller d’État honoraire

En octobre 2016 était célébré le 70 éme anniversaire du statut des fonctionnaires. Si la loi de 1946, votée sous l’égide de Maurice Thorez est bien le premier acte législatif fondateur de la conception moderne de la Fonction Publique, celle-ci n’est pas apparue de toutes pièces à cette date : ce statut s’inscrit dans une longue histoire où s’articulent des notions à la fois différentes et complémentaires, celle d’intérêt général , celle de service public et celle de Fonction Publque

 

L’émergence du fonctionnaire citoyen

L’existence d’une fonction publique est étroitement liée à une conception du service public qui, en France, s’est construite en lien avec le pacte républicain et les valeurs de la citoyenneté forgées et enrichies au cours des siècles : une vision de l’intérêt général distincte de la somme des intérêts particuliers, une affirmation du principe d’égalité qui doit tendre à l’égalité sociale au-delà de l’égalité juridique, une exigence de responsabilité que fonde le principe de laïcité.

Son hsitoire est celle d’un processus où se construit une administration en charge d’un domaine commun qui peu à peu se distingue de celui du prince. On peut remonter au Moyen Âge, où le souverain, qui jusque-là était considéré comme souverain « par la grâce de dieu », acquiert son autorité politique personnelle et amorce ainsi une sécularisation du pouvoir politique qui en France connait une nouvelle étape sous Louis XIV . Les nécessités d’une administration font que celui-ci, pour affirmer son pouvoir, développe un appareil d’État assez considérable. Et progressivement l’appareil d’État se sépare de la personne du roi tandis que celle-ci se relativise : c’est Jean-Jacques Rousseau, dans Le Contrat social, qui va montrer que le souverain n’est pas utile en tant que personne physique et que c’est en fait le peuple qui doit être « le souverain ». Dès lors s’établit une bipolarisation entre l’appareil d’État et le peuple qui, dans sa configuration multiple, agit pour occuper le pouvoir d’État et s’accomplir comme souverain.

Mais la constitution d’un appareil d’état , avec des agents ayant pour mission particulière la prise en charge d’un intérêt général indépendant des intérêts particuliers du prince ou du représentant du peuple, doit être analysée en considérant la situation qui a été faite aux agents publics au fil du temps. On sait que sous la monarchie absolue, c’étaient des «charges», un peu à l’image des notaires d’aujourd’hui, qui assuraient le fonctionnement administratif. La Révolution française a supprimé les privilèges qui étaient associés à ces charges, et a posé des principes pour l’accès aux responsabilités et leur exercice, mais pour l’essentiel la fonction publique, à partir du sens qui lui a été donné par le Consulat et l’Empire via les grands corps notamment, a été régie par une conception autoritaire et hiérarchique et ce, jusqu’ à la Seconde guerre mondiale. Tout au long de cette période, les gouvernements les plus conservateurs ont essayé d’imposer un statut privilégiant l’obéissance au pouvoir hiérarchique, ce qui a conduit à une condamnation de la notion de statut par les associations de fonctionnaires d’abord, puis par les syndicats de fonctionnaires, dénonçant cette tentative qualifiée de « statut carcan ». C’est par la voie jurisprudentielle et un peu la loi que les fonctionnaires ont progressivement obtenu des garanties, mais en retard sur le secteur privé. La loi sur le droit de grève en 1864 et la loi sur le droit syndical en 1884 accordé aux salariés du privé, excluaient les fonctionnaires. L’apport du statut de 1946 a été de renverser cette logique: opposer à un statut carcan un statut dit jurisprudentiel et à une conception du fonctionnaire sujet la conception du fonctionnaire citoyen, tels furent l’intelligence et le grand courage des gens issus du Conseil National de la Résistance et de la Libération qui ne prévoyait rien de particulier pour la fonction publique mais entendait faire bénéficier l’ensemble des salariés d’un socle de droits et de libertés.

 

Une construction originale et pérenne

C’est cette orientation, celle d’une fonction publique reposant sur la loi et non le contrat, alliant. démocratie et efficacité au service de l’intérêt général, qui a été confirmée et enrichie par la construction statutaire adoptée en 1983 et qui est toujours en vigueur. Et le débat, parfois vif, a abouti a un certain nombre de choix décisifs.

Le premier choix a été celui du fonctionnaire citoyen, du fonctionnaire responsable, de quelqu’un qui n’obéit pas aux ordres, mais se conforme aux instructions de son supérieur hiérarchique tout en exerçant sa propre responsabilité.

Le deuxième a été d’articuler unité et diversité : le statut de 46 ne concernait que les fonctionnaires de l’État ; or les lois de décentralisation posaient la question des agents des collectivités territoriales qui se voyaient transférer des responsabilités jusqu’alors exercée par l’État. La réponse a été qu’il ne pouvait pas y avoir deux systèmes de fonction publique en France, un système de carrière et un système d’emploi et qu’il fallait le système de la carrière pour tous et un dispositif qui concilie l’unité de la fonction publique et la prise en compte des nécessaires différences liées à la spécificité des divers employeurs. Ceci a conduit à l’architecture d’une fonction publique à trois versants avec un titre un définissant les droits et obligations communes à tous, un titre deux contenant les dispositions spécifiques aux fonctionnaires de l’État, un titre trois pour la territoriale et un titre quatre pour l’hospitalière.

Et le troisième choix a été fait de mettre au coeur du statut trois principes fondamentaux. Le premier est le principe d’égalité qui a comme référence l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen  : « tous les citoyens étant égaux aux yeux de la loi sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics selon leur capacité et sans autre distinction que leur vertu et leur talent » : c’est de là que découle le recrutement par concours.

Le deuxième est celui de l’indépendance du fonctionnaire : parce qu’il est d’abord au service de l’intérêt général le statut lui garantit cette indépendance grâce notamment à la séparation du grade et de l’emploi : il a droit à une carrière quel que soit son emploi ( et qui que soit son employeur) et s’il perd son emploi il conserve son grade qui lui permet d’obtenir un autre emploi correspondant à ce grade. C’est une garantie fondamentale aussi bien pour le fonctionnaire qui est ainsi protégé des pressions que pour l’usager pour qui sont ainsi assurées les conditions d’une égalité  de traitement et d’une pérennité de l’action publique.

Enfin le principe de responsabilité dont la référence est l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : «la société a droit de dermander compte à tout agent public de son administration».

C’est cette construction qui est toujours présente aujourd’hui. Le statut a souvent été modifié au cours des ans : 225 modifications législatives en 30 ans. Toutes ces modifications n’ont pas été des régressions mais même celles-ci n’ont pas atteint ses bases. Et le statut a montré a la fois son adaptabilité et sa solidité. On peut souligner en particulier l’échec de la tentative de Nicolas Sarkozy1 de « mettre sur le même plan » le recrutement de fonctionnaires sous statut et celui de contractuels de droit privé, ce qui revenait à saper le principe même d’une fonction publique. La crise de 2008 a mis un coup d’arrêt à cette tentative en montrant le rôle d’ « amortisseur social » que jouaient les services publics et la fonction publique. Mais au cours des années s’est développée une logique managériale qui tout en affirmant le maintien des principes du statut les a rognés en substituant la simple addition de performances individuelles et la concurrence entre agents à l’efficacité collective que permet l’existence d’une fonction publique fondée sur le principe de carrière.

Le quinquennat de François Hollande a marqué une pause : il n’y a pas eu au cours des 5 dernières années d’attaques frontales contre le statut, même si on peut déplorer par manque de courage ou par manque d’ambition que des décisions plus constructives n’aient pas été l’œuvre de ce gouvernement et que la logique managériale n’ait pas vraiment été remise en cause.

 

Le XXIème siècle, siècle du service public

Et si la Fonction Publique occupe une place importante dans le débat présidentitel , c’est d’abord autour du débat sur son coût  et avec une vision à courte vue. Pourtant c’est une vision de long terme qui est indispensable et si l’on se pose la question de ce que signifie l’existence d’une fonction publique au XXIème siècle on peut voir toutes les raisons d’avoir confiance.

Alors qu’aujourd’hui on raisonne ici et maintenant comme nous y invite le marché, alors qu’aujourd’hui on voudrait nous faire croire que le manager est la figure achevée du citoyen, il faut voir tout au contraire que nous sommes entrés dans un monde où   vont   se développer les interdépendances, les interconnexions, les coopérations, les solidarités. La mondialisation fait paradoxalement émerger la conscience de l’existence de biens communs mais aussi la nécessité d’orienter un certain nombre d’activités en fonction d’un intérêt général qui renvoie aux droits fondamentaux de l’Homme, au respect de la vie humaine et à la survie même de notre planète. Que l’on pense à la nécessaire protection de l’écosystème mondial mais aussi à la mondialisation de nombreux domaines de l’activité humaine, à commencer par l’accès à l’information et sa circulation grâce aux nouvelles technologies liées à Internet. : les progrès scientifiques ne se conçoivent plus sans l’échange international des connaissances et des avancées. La culture se nourrit de l’infinie diversité des traditions et des créations mondiales. Les mœurs évoluent par comparaisons, échanges, interrogations nouvelles.

L’importance sans cesse croissante de ces biens communs et les enjeux qui en découlent pour l’ensemble de l’humanité, impliquent de se poser la question des moyens à se donner pour démocratiquement en assurer la gestion.

Et à cette question une double réponse s’impose : il n’est pas possible de s’en remettre à la « main invisible » du marché ou à une quelconque concurrence « libre et non faussée », ne serait ce que parce que l’intérêt général ne peut se réduire à la somme des intérêts particuliers mais aussi parce que le libre marché a jusqu’à présent montré plus sa capacité à piller et détruire ces biens communs qu’à les préserver .En revanche il importe de réinviestir dans des formes d’organisation qui visent à une réapporpriation du commun et d’avoir une instance au dessus des intérêts particuliers qui prenne en charge l’intérêt général dans une démarche démocratique et une perspective de long terme. Il s’agit en effet non seulement de préserver et enrichir ce commun mais de le faire en ayant pour boussole l’effectivité des droits. En France cela a un nom, c’est le service public et son corollaire, la Fonction Publique.

Il ne s’agit pas d’avoir une confiance naïve dans un avenir déjà écrit mais de lever la tête pour voir tout ce qui est de nature à appuyer les batailles à mener. Et une telle perspective invite non pas seulement à résister mais à proposer résolument des chantiers structurels prioritaires à moyen terme :, gestion prévisionnelle, restauration de moyens d’expertise de l’État et des collectivités publiques, formation, moyens de la mobilité, construction de multi-carrières, égalité femmes-hommes, droits nouveaux..

 

Gérard Aschieri et Anicet Le Pors, La fonction publique du XXI° siècle, Editions de l’Atelier, 2015.

Sur “Jusqu’où désobéir ?” – Le Monde, 22 avril 2017

Pouvoir hiérarchique, obligation de reserve, devoir d’obéissance

 

 

Un ambassadeur en poste declarant qu’il ne servirait pas si la candidate du Font national était élue à la présidence de la Républuque a donné l’occasion à cette dernière de declarer à Nantes que, si elle était élue, elle éxigerait des fonctionnaires un brevet de patriotisme. On peut être haut fonctionnaire et peu responsible. Le Quai d’Orsay a heureusement épinglé le propos.

Le journal Le Monde dans la meme voie a entrepris de traiter du “devoir d’obéissance” à partir des declarations de Marine Le Pen prolongeant ainsi, avec le concours de quelques juristes, une polémique qui ne peut que déboucher sur la confusion. Précisons tout d’abord que les expressions “principe hiérarchique”; “obligation de réserve”, “devoir d’obéissance”utilises en de nombreuses circonstances telles celle-ci ne figurent pas formellement dans le Statut general des fonctionnaires en vigueur depuis 1983. Ce n’est pas un oubli, et cela ne veut pas dire que ces notions ne correspondent pas à une réalité, mais nous avons voulu, par les redactions finalement adoptees par le Parlement, souligner que notre conception du fonctionnaire-citoyen était avant tout fondée sur sa responsabilité et non sur la soumission à un formalisme juridique excessivement contraignant, sur des injonctions de caractère menaçant.

Aborder de tells questions par rapport au comportement à adopter vis-à-vis au Front national n’est certainement pas la manière la plus rationelle et la plus sérieuse. Elle conduit à lui abandoner la notion de patriotisme, ce qui est pour le moins maladroit, à confondre l’intérêt general don’t la definition se situe dans le champ des valeurs et des pri,cipes et intérêt national relevant d’appréciations pus diverses, à confiner dans des circonstances extrêmes l’analyse de principes conditionnant le travail habituel des fonctionnaires et le fonctionnement courant de l’administration, à ne laisser le choix qu’entre conformisme et rebellion, à renvoyer excessivement au droit positif ordionaire mais aussi au droit dit “souple” (codes de déontologie, chartes de bonne conduire, engagements quasi-contractuels) la solution dse probèmes poses par la vie dans l’infinie diversité des situations.

Le comportement du fonctionnaire dans l’exercice des tâches qui lui sont confiées et plus généralement de sa responsabilité est define par l’ensemble des dispositions du statut general dans ses quatre titres comportant à la fois les dispositions generals du titre 1er concernant les droits et obligations des 5,4 millions de fonctionnaires (en comptant dans cet ensemble les 19 % de contractuels de droit public) et les dispositions spécifiques des trois autres titres concernant respectivement les fonctions publiques de l’État, territorial et hospitalière. Il faut encore évoquer le caractère discrétionnaire, lnterprétatif de nombreuses dispositions, laissant leur application à l’initiative du fonctionnaire. Il y a toujours des dégrés de liberté pour le fonctionnaire, et il doit, avec le concours des syndicats expérimentés de la function publique en exiger le respect. La portée des débats académiques sur le “devoir d’obeisance” est donc des plus réduite dans la vraie vie des fonctionnaires.

 

On trouvera une nouvelle fois ci-dessous le texte de la tribune libre parue dans Le Monde du 1er février 2008 et on se reportera utilement de meme au développement paru dans ce blog à la date du 10 mars 2017 qinsi que, pour une analyse plus complete à l’ouvrage La function publique du XXI° siècle co-évrit avec Gérard Aschieri, paru aux Éditions de l’Atelier et janvier 2015.

 

 

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Obligation de réserve : « Les fonctionnaires, citoyens de plein droit » – Le Monde, 1er février 2008

Leur statut accorde la liberté d’opinion aux agents publics. Il ne leur impose pas d’obligation de réserve

Deux hauts fonctionnaires viennent d’être sanctionnés de manière hypocrite en étant démis de leurs fonctions pour s’être exprimés en tant que citoyens sur certains aspect du fonctionnement du service public. Le premier, Yannick Blanc, directeur de la police générale à Paris, pour une déclaration jugée inopportune sur l’opération de juillet 2006 de régularisation des parents étrangers d’enfants scolarisés. Le second, Jean-François Percept pour des appréciations générales sur sa condition de fonctionnaire.

La question n’est pas ici de porter un jugement sur le fond de ces déclarations, mais de savoir si ces deux fonctionnaires, et plus généralement le fonctionnaire, ont le droit d’émettre publiquement une opinion et jusqu’à quel point. De savoir si le fonctionnaire est un citoyen comme un autre. Pour avoir conduit l’élaboration du statut général des fonctionnaires entre 1981 et 1984, je crois pouvoir témoigner utilement sur le sens des dispositions en vigueur. C’est à tort que l’on évoque à ce propos l’article 26 du statut général des fonctionnaires qui traite du secret professionnel et de la discrétion professionnelle. Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel, soit que les faits qu’ils apprennent dans l’exercice de leurs fonctions leur aient été confiés par des particuliers, soit que leur connaissance provienne de l’exercice d’activités auxquelles la loi, dans un intérêt général et d’ordre public, a imprimé le caractère confidentiel et secret. Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tout ce dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Dans les deux cas considérés, ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit.

Même si ce n’est pas sans rapport, on ne saurait non plus se référer principalement à l’article 28 qui pose le principe hiérarchique dans les termes suivants :  » Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.  » Le fonctionnaire garde donc une marge d’appréciation des ordres qu’il reçoit. On ne saurait sans méconnaître la loi contester au fonctionnaire cette liberté qui, avec la bonne exécution des tâches qui lui sont confiées, participe de sa responsabilité propre. Mais les deux cas évoqués relèvent d’autant moins de cette règle que le premier a fait ses déclarations alors que son supérieur hiérarchique, le préfet de police, était parfaitement informé, et que le second n’évoquait aucunement ses propres activités.

Reste donc le principe posé dès l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983, qui s’exprime de manière on ne peut plus simple :  » La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. «  La première conséquence est d’entraîner un autre principe : celui de non-discrimination des fonctionnaires; toute discrimination entre les fonctionnaires fondée sur leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques, sur leur état de santé, leur handicap, leur orientation sexuelle, leur origine ou leur appartenance ethnique est interdite.

La deuxième conséquence est de permettre au fonctionnaire de penser librement, principe posé dès l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui vaut pour les fonctionnaires comme pour tout citoyen :  » Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.  »

Ce principe a été repris dans la loi de 1983 et un large débat s’est ouvert aussi bien avec les organisations syndicales qu’au Parlement sur la portée et les limites de la liberté d’opinion qu’il convenait éventuellement de faire figurer dans le statut lui-même, sous la forme, d’une part, de la liberté d’expression et, d’autre part, de l’obligation de réserve. J’ai rejeté à l’Assemblée nationale le 3 mai 1983 un amendement tendant à l’inscription de l’obligation de réserve dans la loi en observant que cette dernière  » est une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie  » et qu’il revenait au juge administratif d’apprécier au cas par cas. Ainsi, l’obligation de réserve ne figure pas dans le statut général et, à ma connaissance, dans aucun statut particulier de fonctionnaire, sinon celui des membres du Conseil d’Etat qui invite chaque membre à  » la réserve que lui imposent ses fonctions « .

En définitive, la question est plus politique que juridique et dépend de la réponse à la question simple : le fonctionnaire est-il un citoyen comme un autre ? Dans notre construction sociale, est-il un sujet ou un citoyen ? Dans les années 1950, Michel Debré donnait sa définition :  » Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait « , c’était la conception du fonctionnaire-sujet. Nous avons choisi en 1983 la conception du fonctionnaire-citoyen en lui reconnaissant, en raison même de sa vocation à servir l’intérêt général et de la responsabilité qui lui incombe à ce titre, la plénitude des droits du citoyen.

C’est cette conception qui est en cause dans les mesures d’intimidation précédemment évoquées prises au plus haut niveau de l’Etat, préliminaires d’une vaste entreprise de démolition du statut général des fonctionnaires programmée pour 2008. Il est grand temps que s’élève la voix des esprits vigiles.

Anicet Le Pors

Conseillet d’État honoraire

Ancien minister de la Fonction publique (1981-1984)

La Coopérative citoyenne – Ivry, 29 mars 2017

Quels services publics demain ?

(résumé)

Par Gérard Aschieri et Anicet Le Pors (2015)

Il s’agit d’un thème majeur dans l’actualité politique, mais surtout pour l’avenir de notre société. L’analyse historique est nécessaire pour éclairer le présent et envisager l’avenir.

 

  1. L’expansion de l’administration dans l’histoire

 1.1. Une sécularisation du pouvoir politique.

Dès la fin du Moyen Âge, le roi n’est plus seulement souverain « par la grâce de Dieu » mais en raison de sa propre autorité. Sous la monarchie absolue, on assiste à une autonomisation de l’appareil d’État. Les Lumières conduisent à la désignation du Peuple comme souverain. L’État est enjeu de pouvoir des citoyens aux XIX° et XX° siècle. La sécularisation est portée aujourd’hui au niveau mondial. On va ainsi de l’hétéronomie à l’autonomie.

 1.2. Une socialisation du financement des besoins fondamentaux

 Dépenses publiques et prélèvements obligatoires croissent inéluctablement de ce fait en raison d’une socialisation accentuée des financements sociaux. Ces derniers passent de 10% du PIB au début du XX° siècle à 45 % aujourd’hui marquant la nécessité d’une couverture sociale croissante des besoins fondamentaux. Les effectifs d’agents publics passent, en France, de 200 000 au début du XX° siècle à 5,4 millions aujourd’hui. Pour autant la France se situe dans la normalité des pays développés avec, en 2015, 126 agents pour 1000 habitants dans les secteurs non marchands (131 aux États Unis) dont 83 dans la fonction publique (37, 30 et 16 respectivement dans les trois fonctions publiques FPE, FPT, FPH). Ce qui caractérise la France c’est le principe statutaire du fonctionnaire.

 1.3. La création historique de concepts et des principes

 L’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers, un simple optimum social économique ; selon le juge administratif c’est au politique de le définir ; il peut varier, dans le temps, dans l’espace, il n’est pas toujours dégagé des transcendances, de l’hétéronomie. Le service public est, à l’origine, une notion simple devenue complexe ; théorisé par l’École de Bordeaux (intérêt général, personne morale de droit public, droit administratif) il est couvert par l’impôt et dispose de prérogatives ; son succès en élargit le champ, le rend plus hétérogène et ouvre la voie au contrat ; l’Union européenne complique son affirmation. Deux lignes de force caractérisent l’évolution de la fonction publique : autoritaire avec le fonctionnaire-sujet et responsable avec le fonctionnaire-citoyen, ce dernier s’impose dans le statut fondateur de 1946. Mais il y a une certaine contradiction entre l’évolution à long terme et celle des trois dernières décennies.

 

2. Les régressions sous l’ultralibéralisme

2.1. La situation au début des années 1980

Ouverture le 27 juillet 1981 du débat à l’Assemblée nationale sur la loi de décentralisation du 2 mars 1982. Au banc du gouvernement : Gaston Defferrre miniistre de l’Intérieur et Anicet Le Pors ministre de la Fonction publique. Au second rang : Olivier Schrameck et René Bidouze.

Le secteur public étendu est conforté par de nouvelles nationalisations en 1982. L’administration d’État (CGP, DATAR, RCB …) est confortée par la réforme territoriale de l’Acte I. Le statut fédérateur des fonctionnaires de 1983 s’organise selon plusieurs choix (fonctionnaire-citoyen, système de la carrière, équilibre unité-diversité, principes républicains). Les syndicats sont très influents.

2.2. La régression libérale 

Puis le secteur public est affaibli par privatisations et dérégulations. La gestion administrative est déstabilisée par la LOLF, la RGPP et l’idéologie managériale. Le statut des fonctionnaires subit offensives et dénaturations (225 législatives en 30 ans), mais manifeste solidité et adaptabilité. Le service public est regardé comme un « amortisseur social » dans la crise financière de 2008. La FPT est la cible principale par son implication dans une réforme territoriale déstabilisatrice (niveaux économiques favorisés, métropoles).

2.3. État des lieux

Sous le quinquennat actuel poursuite de l’affaiblissement du secteur public, aucune réforme administrative d’envergure (MAP) mais pas d’attaque frontale contre le statut général. Faible portée de la loi Lebranchu et des autres initiatives (rapport Pêcheur ; mission Valls au CESE). Les caractéristiques sont un manque de courage et d’ambition. Relance des attaques anti-fonctionnaires à droite. Le service public et la fonction publique sont des enjeux. Ne faire preuve ni d’indifférence, ni de défaitisme : le long terme n’est pas invalidé.

 

3. Des perspectives pour les services publics de demain 

3.1. Des actions immédiates

La situation statutaire nécessite un assainissement et l’élimination des dénaturations. Les revendications du personnel sont du domaine syndical.

3.2. Mettre en place des chantiers structurels

La question de la propriété publique reste posée. La réforme administrative et la réforme territoriale appellent une clarification. Dix chantiers ont été présentés au CESE (cf. blog ALP) : rétablir les moyens d’expertise des collectivités publiques, gestion prévisionnelle des effectifs, dispositifs de mobilité, multi-carrières, circonscription des contractuels, égalité femmes-hommes, numérique, relations internationales, concertation. Une question décisive : le statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé (hiérarchie des normes suite à la loi El Khomri).

3.3. De la « métamorphose » à l’ « âge d ‘or ».

Moments d’histoire de la fonction publique par Anicet Le Pors (2016)


Une situation de décomposition sociale et de « métamorphose ». Récusation de la fin de l’histoire et de la prévalence de l’idéologie ultralibérale managériale. Vers un monde d’interdépendances, de coopérations, de solidarités. Le XXI° siècle « âge d’or » du service public