« Demain sans fonctionnaires ? » – CGT du Conseil départemental 93

Bourse du travail de Bobigny, 23 mars 2017

 

Retour sur la journée d’étude « demain sans fonctionnaires ? » du 23 mars 2017

Les fonctionnaires à l’avant-garde de la modernité

 (résumé)

L’un des principaux thèmes de la campagne des présidentielles mais aussi une question cruciale sur l’avenir de la société française dans la mondialisation.

           1. L’affirmation statutaire

L’histoire longue est caractérisée par ne sécularisation politique croissante, du souverain « par la grâce de Dieu » à l’État dépositaire de l’intérêt général.

On observe une expansion soutenue du financement public, du nombre des agents publics. La France n’est pas dans une position singulière. Mais la couverture statutaire est sans équivalent dans le monde.

Une solution statutaire s’est progressivement et contradictoirement affirmée, selon deux lignes de forces, autoritaire ou démocratique, évolution consacrée par la loi du 19 octobre 1946, statut fondateur caractéristique de la conception du fonctionnaire sujet. Le statut fédérateur de 1983 s’est inscrit dans cette filiation la complétant sur une base élargie par les choix du système de la carrière, d’un équilibre unité-diversité (fonction publique « à trois versants ») et des principes (égalité, indépendance, responsabilité).

 

       2. Une évolution contestable mais qui ne compromet pas l’ouverture de perspectives.

 Contrairement à ce qu’avait prédit F. Mitterrand, le statut a tenu 34 ans et prouvé son adaptabilité. Il a subit des offensives et connu des dénaturations. La campagne actuelle est une relance de ces offensives qui visent particulièrement la fonction publique territoriale.

 Il est indispensable de se situer sur le très long terme : à partir d’une situation de décomposition sociale peut-on concevoir que le XXIe siècle soit l’ « âge d’or » du service public ?

els prioritaires à moyen terme : restauration de moyens d’expertise de l’État et des collectivités publiques, gestion prévisionnelle, moyens de la mobilité, construction de multi-carrières, égalité femmes-hommes, circonscription des contractuels, numérisation, relations internationales, statut des travailleurs salariés du secteur privé.

atifs immédiats en tirant les enseignements du débat sur la « loi travail » dans le sens d’une solidarité et d’une convergence des situations du public et du privé. Le quinquennat finissant a manqué de courage et d’ambition s’il s’est distingué du précédent en ne remettant pas ouvertement en cause le statut. Il reste à passer à l’offensive.

Promotion au grade d’Officier de la Légion d’honneur de Hélène LUC – Choisy-le-Roi, le 21 mars 2017

Monsieur le Préfet,

Monsieur le Président du Conseil départemental du Val-de-Marne,

Monsieur le Maire de Choisy-le-Roi. Je joins mes salutations à celles que vous avez adressées aux personnalités qui honorent cette cérémonie, et je salue particulièrement Monsieur l’Ambassadeur du Vietnam en France dont la présence et les paroles qu’il vient de prononcer donnent une dimension internationale à cette cérémonie de la République française,

Mesdames, Messieurs,

Chère Hélène,

 

C’est pour moi un plaisir et un honneur d’avoir été choisi par mon amie Hélène Luc pour lui remettre les insignes d’Officier dans l’ordre de la Légion d’honneur. Lorsque je suis entré dans cette salle une personne m’ademandé le but de ma visité, je lui ai dit que je venais pour la cérémonie d’hommage à Hélène Luc. Elle s’est alors exclamée : « Madame Luc, c’est un monument ! ». Je sais donc que je suis venu pour décorer un monument.

Je peux néanmoins regarder cela comme un juste retour des choses car je me souviens que, lors de mon entrée au gouvernement en 1981, elle m’avait organisé un apéritif et m’avait offert, au nom du groupe communiste dont elle était présidente au Sénat, une médaille à l’effigie de Maurice Thorez, qui avait été lui aussi ministre de la Fonction publique. Aujourd’hui je vais lui remettre les insignes d’un ordre créé par Napoléon. Maurice Thorez et Napoléon, même combat ! Nos grands hommes en la circonstance, mais nous convoquerions bien ensemble également nos grandes femmes.

Mais je suis heureux aussi, Monsieur le Maire de Choisy-le-Roi, que la cérémonie ait lieu ici, car la ville ne m’est pas une terre inconnue. De nombreux souvenirs m’y rattachent.. Mes parents y ont habité dans les années 1930, rue Rollin Régnier. J’y ai été scolarisé deux fois. La première fois en primaire et j’ai encore les billets d’honneur qui m’ont alors été décernés alors. La deuxième comme élève de l’école centrale du Parti communiste français. J’y ai été ensuite enseignant pendant plusieurs années, et ce dans la résidence qui hébergera aussitôt après la délégation vietnamienne négociant les accords de paix de Paris de 1973. Enfin, j’y ai noué des amitiés, en particulier avec Louis Luc, résistant, ancien maire de Choisy, grand journaliste à Ce soir et l’Humanité, pour qui j’ai une pensée ce soir ; avec Daniel et Annick Davisse qui a collaboré avec moi au ministère sur l’égalité femmes-hommes dans la fonction publique.

Mes liens avec Hélène cependant se rattachent principalement aux années que nous avons passées ensemble au Sénat. Nous y avons été élus à la même date le 25 septembre 1977, Hélène dans le Val-de-Marne, moi dans les Hauts-de-Seine. J’y suis resté quatre ans, Hélène trente ans. Mais j’y suis resté suffisamment longtemps pour me rendre compte combien il fallait, sous les ors et dans l’atmosphère du Palais du Luxembourg, de patience, d’abnégation, de courage pour faire œuvre utile et ne pas se décourager dans un environnement où on peut être parfois amené à se demander à quoi on sert. Car c’est une expérience éprouvante que d’être minoritaire dans une minorité. Je me suis souvent posé la question, notamment lorsque je suis parvenu une seule fois à obtenir un vote majoritaire dans une discussion budgétaire pour abaisser le taux de TVA sur les chaises de personnes handicapées de 15 % à 5 %, mais vous savez que le gouvernement a la possibilité à la fin de la discussion de faire voter sur l’ensemble des amendements par un vote bloqué portant sur les seuls amendements qu’il retient. Le mien ne figurait pas dans la liste il a donc été abandonné. Le ministre du Budget de l’époque s’appelait … Maurice Papon.

C’est pourquoi j’apprécie à les mérites éminents des sénateurs et sénatrices qui, comme Hélène, ont mené et mènent toujours ce combat opiniâtre pour la justice sociale et la démocratie. Je les salue ainsi que leurs collaborateurs dévoués. L’honneur qui est fait aujourd’hui à Hélène rejaillit aussi sur elles et sur eux. Lorsque j’ai visité le Sénat pour la première fois, c’était sous la conduite de notre ami André Aubry – ancien maire d’Anthony – et comme je m’étonnais déambulant dans les couloirs et les salles de le voir faire manifester beaucoup de courtoisie avec des sénateurs de différentes obédiences, après qu’i ait serré la main à Jean Lecanuet je lui ai dit mon étonnement. Il m’a alors répondu : « C’est vrai que la courtoisie est ici de rigueur, mais ce n’est qu’apparence :, la confrontation des idées est dure mon parti m’a fait élire ici pour « tenir le front du Sénat ; alors je tiens le front du Sénat ! ».

Comme lui, Hélène, monument de la vie politique locale et nationale ce qui constitue un atout, a tenu vaillamment le « front du Sénat ». Mais pas seulement. Lui remettant les insignes de chevalier de la Légion d’honneur en 2008, notre ami André Lajoinie a rappelé que, fille de mineur, elle s’est engagée très tôt dans l’action militante dès jeunesses communistes et a participé à tous les combats de progressistes de son temps. Elle a détenu de nombreux mandats : conseillère générale du Val-de-Marne de 1967 à 2004, conseillère régionale en 1976 et 1977, sénatrice de 1977 à 2007, présidente du groupe communiste (puis communiste, républicain e citoyen) au Sénat de 1079 à 2001 ; succédant à Marcel Rosette. Membre de la commission des affaires étrangères, elle a présidé le groupe d’amitié France-Vietnam et parrainé un partenariat entre l’assemblée départementale du Val-de-Marne et une province du Vietnam. Dans l’exercice de ses mandats Hélène a été omniprésente sur le terrain, traitant de dossiers aussi divers que l’enseignement, le logement, l’environnement, les relations internationales, et bien d’autres. Hélène a donc bien mérité de la République. La distinction qui l’honore aujourd’hui répond bien aux dispositions de l’article 6 de la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel : « Tous les citoyens étant égaux (aux) yeux (de la loi) sont également admissibles à toutes places, dignités et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

Conformément aux dispositions du Code de la Légion d’honneur qui exige la confirmation de « mérites éminents » postérieurement à sa nomination dans l’Ordre, Hélène a continué de déployer une intense activité dans tous les domaines pour le progrès et la démocratie. Je me limiterai à quelques points qui à eux seuls justifient pleinement cette promotion.

 

 Sur le génocide arménien. Cette action a tout d’abord été marquée par le vote d’une proposition de loi de reconnaissance du génocide, prolongée par une nouvelle proposition contre le négationnisme. Hélène a initié et participé à de multiples manifestations autour du centième anniversaire du génocide en France, et sous diverses formes à Choisy avec le concours actif de la municipalité.

Pour l’amitié et la coopération avec le Viêt Nam. Présidente depuis 2007 de l’association d’amitié franco-vietnamienne pour la coopération et la solidarité avec le Vietnam, elle a développé une activité soutenue pour la connaissance en France du Vietnam, la coopération économique entre les deux pays, le développement de la francophonie, des actions de solidarité en faveur des plus pauvres. Plusieurs manifestations ont eu lieu avec son concours ces dernières années avec la participation de chambres de commerce et d’industrie (Paris, Lyon, Toulouse), d’universités, conseils généraux, municipalités, ambassade du Vietnam. Je pourrais encore évoquer des expositions et des conférences et pour conclure un déplacement en 2013 avec le maire de Choisy au Vietnam pour le 40° anniversaire des accords de paix de Paris, l’occasion de prononcer un discours devant 1000 personnes, 40 délégations étrangères, le Président de la République du Vietnam et Mme Thi Binh, bien connue en France et qui faisait partie de la délégation du Sud Vietnam lord des accords de Paris. Une femme remarquable d’intelligence, de rigueur et qui était au surplus une très belle femme : je l’avais remarqué et je n’étais pas le seul.

Pour le Musée National de la Résistance de Champigny. Hélène est membre du bureau du Musée depuis 2007. Elle a créé en 2015 l’association valdemarnaise des amis du musée. Elle participe aujourd’hui activement à la conception d’aménagement du nouveau bâtiment mis à la disposition de l’association par le département. Elle est très impliquée dans la préparation du concours de la Résistance dans les écoles et de la Journée de la Résistance. Toutes ces activités lui valent d’être membre du conseil d’administration de l’ensemble des musées de la Résistance de France.

 Sur le vote d’une loi pour la reconnaissance et l’indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie. Elle s’est dépensée sans compter pour que les dossiers soient plus rapidement examinés pour le plus grand nombre.

Je pourrais encore évoquer son action en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et l’éducation civique et institutionnelle dans les établissements scolaires.

 C’est pour ces raisons que, seulement huit ans – c’est le délai minimum requis – après sa nomination dans l’ordre de la Légion d’honneur, elle est aujourd’hui promue au grade d’officier. Et c’est pour tout cela que,

Hélène Luc, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés nous vous faisons Officier e la Légion d’honneur.

« Les services publics : charge ou atouts ? » – UL CGT – Malakoff, 20 mars 2017

Les services publics et la fonction publique

un moyen ou un poids pour répondre aux besoins de la société ?

 

(résumé)

 

Le service public, un atout ou une charge ? Pendant la crise financière de 2008, le service public a été reconnu comme un puissant « amortisseur social ». C’est une question centrale aujourd’hui dans la campagne des présidentielle.

  1. Quels sont les objectifs poursuivis ?

Les services publics sont le moyen de servir l’intérêt général. Il ne saurait être identifié et réduit à l’ « optimum social » des économistes néoclassiques. Le juge administratif a considéré qu’il revenait au pouvoir politique de le définir s’il s’est reconnu compétent pour le reconnaître dans certaine activités. Ul dépend de l’espace considéré, évolue dans l’histoire et peine à se dégager des déterminations transcendantales.

Le concept de service public est ancien en France et a été théorisé e France à la fin du XIX° siècle. Notion simple à l’origine, elle n’a cessé de se complexifier. Partant le service public est devenu plus hétérogène et le contrat l’a disputé à la loi dans la définition de son champ et son fonctionnement. L’Union européenne n’en retient l’idée que sous les appellations de services d’intérêt général (SIEG et SNEIG). Ses réformes tendent à dissocier propriété et gestion.

La fonction publique est la partie la plus importante et la plus structurée du service public. Son histoire est marquée par la confrontation de deux lignes de fores : celle du fonctionnaire-sujet qui a prévalu pendant le XIX° siècle et la première moitié du XX° siècle ; celle du fonctionnaire-citoyen formalisée par le statut général fondateur de 1946, approfondi et étendu par le statut fédérateur de 1983 fondé sur des choix de conception clairs. La confrontation perdure jusqu’à la campagne électorale actuelle.

  1. Les moyens mis en œuvre sont-ils excessifs ?

L’évolution du financement public traduit la socialisation financière de la société et de ses services publics. La dépense publique n’a cessé de croitre pour répondre à des besoins fondamentaux sans cesse croissants. Les prélèvements obligatoires se sont accrus de 10 % du PIB au début du XX° siècle à 45 % aujourd’hu.

Les comparaisons internationales montrent que si les dépenses de transferts sociaux sont relativement élevées en France, le nombre de fonctionnaires se situe à un niveau moyen des pays développés selon les études du Centre d’analyse stratégique de 2008 et de l’OFCE en 2015 : France 126 agents dans les services non marchands (contre 131 aux États Unis et 186 en Norvège), dont 83 dans la fonction publique se répartissant en 37, 30, et 16 emplois selon les trois fonctions publiques, de l’État (FPE), territoriale (FPT), hospitalière (FPH). En France 5,4 millions de fonctionnaires (respectivement 2,5, 1,8, 1,1 millions).

La spécificité française c’est l’affirmation statutaire, c’est-à-dire dire la protection par la loi de l’agent public base de la neutralité du service public. Le statut actuel a été fondé sur quatre choix : fonctionnaire-citoyen, système de la carrière, équilibre unité-diversité, principes républicains (égalité, indépendance, responsabilité). Depuis 1983 il a subi offensives et dénaturations mais prouvé sa solidité et son adaptabilité. Il reste menacé, un enjeu, notamment dans son versant territorial, cible des attaques.

 3. Les services publics et la fonction publique ont-ils un avenir ?

 Les services publics sont un enjeu actuel. Les gouvernements de droite ont mis en cause mais ont échoué. Le dernier quinquennat n’a pas contesté les statuts de manière frontale mais a manqué de courage et d’ambition. Un assainissement des dénaturations serait indispensable comme préalable, en particulier dans la FPT.

Des chantiers structurels devraient être engagés : rétablissement de moyens d’expertise des collectivités publiques, gestion prévisionnelle, mobilité, multi-carrières, égalité égalité femmes-hommes, contractuels, concertation, relations internationales, nouveau statut des travailleurs salariés du secteur privé (cf. audition au CESE du 20.10.2016).

Le XXI° siècle peut et doit être l’« âge d’or » du service public. La décomposition sociale actuelle doit être regardée comme l’expression d’une « métamorphose ». Les besoins de coopération, d’interdépendance, de solidarité se condensent en exigences de services publics. Les fonctionnaires sont aux premiers rangs des acteurs de la transformation.sociale, ils peuvent nourrir un optimisme raisonné

Sur l’obligation de réserve

 

Les incidents donnant lieu à l’évocation de l’ « obligation de réserve des fonctionnaires » se multiplient : « lanceurs d’alerte » sur le mode importé des États Unis, « désobéisseurs » de l’Éducation nationale intervenant individuellement dans le champ médiatique, ambassadeurs en poste à l’étranger prenant position dans la campagne des présidentielles, mais surtout multiples actions de certaines autorités administratives pour limiter la portée du principe statutaire de liberté d’opinion des fonctionnaires dans une conception du fonctionnaire-sujet qui n’est pas celle du fonctionnaire-citoyen retenue par la loi du 19 octobre 1946 comme celle du 13 juillet 1983 relatives au statut général des fonctionnaires.

On ne saurait traiter de manière équivalente un principe et sa limite d’application. L’essentiel est le principe et non sa limite. La liberté d’opinion a pour traduction essentielle dans la communauté des citoyens la liberté d’expression et celle-ci doit être entendue dans son acception la plus étendue possible sous les seules réserves de la neutralité du service public et de l’ordre public. Et non l’inverse.

Une telle position découle des textes en vigueur rappelés ci-dessous dans une tribune publiée dans le journal Le Monde du 1er  février 2008. Leur interprétation se situe dans le cadre de la jurisprudence dégagée par le juge administratif. Cette jurisprudence évolue avec le mouvement des mentalités et de la société. La maîtrise de la liberté d’opinion et de la liberté d’expression en appelle, d’une part à l’esprit de responsabilité de chaque fonctionnaire (sans qu’il soit besoin ni souhaitable d’avoir à se reporter à un quelconque « code de déontologie ») et, d’autre part, à la mutualisation des informations et des prises de positions dans les cadres associatifs et syndicaux, toujours préférables (sauf lorsque ces cadres n’existent pas, ce qui est exceptionnel) à la manifestation individuelle souvent plus complexe, discutable et risquée.

***

« OBLIGATION DE RESERVE : LES FONCTIONNAIRES, CITOYENS DE PLEIN DROIT »

Le Monde, 1er février 2008

« Leur statut accorde la liberté d’opinion aux agents publics. Il ne leur impose pas d’obligation de réserve

Deux hauts fonctionnaires viennent d’être sanctionnés de manière hypocrite en étant démis de leurs fonctions pour s’être exprimés en tant que citoyens sur certains aspect du fonctionnement du service public. Le premier, Yannick Blanc, directeur de la police générale à Paris, pour une déclaration jugée inopportune sur l’opération de juillet 2006 de régularisation des parents étrangers d’enfants scolarisés. Le second, Jean-François Percept pour des appréciations générales sur sa condition de fonctionnaire.

La question n’est pas ici de porter un jugement sur le fond de ces déclarations, mais de savoir si ces deux fonctionnaires, et plus généralement le fonctionnaire, ont le droit d’émettre publiquement une opinion et jusqu’à quel point. De savoir si le fonctionnaire est un citoyen comme un autre. Pour avoir conduit l’élaboration du statut général des fonctionnaires entre 1981 et 1984, je crois pouvoir témoigner utilement sur le sens des dispositions en vigueur. C’est à tort que l’on évoque à ce propos l’article 26 du statut général des fonctionnaires qui traite du secret professionnel et de la discrétion professionnelle. Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel, soit que les faits qu’ils apprennent dans l’exercice de leurs fonctions leur aient été confiés par des particuliers, soit que leur connaissance provienne de l’exercice d’activités auxquelles la loi, dans un intérêt général et d’ordre public, a imprimé le caractère confidentiel et secret. Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tout ce dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Dans les deux cas considérés, ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit.

Même si ce n’est pas sans rapport, on ne saurait non plus se référer principalement à l’article 28 qui pose le principe hiérarchique dans les termes suivants :  » Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.  » Le fonctionnaire garde donc une marge d’appréciation des ordres qu’il reçoit. On ne saurait sans méconnaître la loi contester au fonctionnaire cette liberté qui, avec la bonne exécution des tâches qui lui sont confiées, participe de sa responsabilité propre. Mais les deux cas évoqués relèvent d’autant moins de cette règle que le premier a fait ses déclarations alors que son supérieur hiérarchique, le préfet de police, était parfaitement informé, et que le second n’évoquait aucunement ses propres activités.

Reste donc le principe posé dès l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983, qui s’exprime de manière on ne peut plus simple :  » La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. «  La première conséquence est d’entraîner un autre principe : celui de non-discrimination des fonctionnaires; toute discrimination entre les fonctionnaires fondée sur leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques, sur leur état de santé, leur handicap, leur orientation sexuelle, leur origine ou leur appartenance ethnique est interdite.

La deuxième conséquence est de permettre au fonctionnaire de penser librement, principe posé dès l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui vaut pour les fonctionnaires comme pour tout citoyen :  » Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.  »

Ce principe a été repris dans la loi de 1983 et un large débat s’est ouvert aussi bien avec les organisations syndicales qu’au Parlement sur la portée et les limites de la liberté d’opinion qu’il convenait éventuellement de faire figurer dans le statut lui-même, sous la forme, d’une part, de la liberté d’expression et, d’autre part, de l’obligation de réserve. J’ai rejeté à l’Assemblée nationale le 3 mai 1983 un amendement tendant à l’inscription de l’obligation de réserve dans la loi en observant que cette dernière  » est une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie  » et qu’il revenait au juge administratif d’apprécier au cas par cas. Ainsi, l’obligation de réserve ne figure pas dans le statut général et, à ma connaissance, dans aucun statut particulier de fonctionnaire, sinon celui des membres du Conseil d’Etat qui invite chaque membre à  » la réserve que lui imposent ses fonctions « .

En définitive, la question est plus politique que juridique et dépend de la réponse à la question simple : le fonctionnaire est-il un citoyen comme un autre ? Dans notre construction sociale, est-il un sujet ou un citoyen ? Dans les années 1950, Michel Debré donnait sa définition :  » Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait « , c’était la conception du fonctionnaire-sujet. Nous avons choisi en 1983 la conception du fonctionnaire-citoyen en lui reconnaissant, en raison même de sa vocation à servir l’intérêt général et de la responsabilité qui lui incombe à ce titre, la plénitude des droits du citoyen.

C’est cette conception qui est en cause dans les mesures d’intimidation précédemment évoquées prises au plus haut niveau de l’Etat, préliminaires d’une vaste entreprise de démolition du statut général des fonctionnaires programmée pour 2008. Il est grand temps que s’élève la voix des esprits vigiles.

Anicet Le Pors

Conseiller d’État honoraire

Ancien minister de la Fonction publique (1981-1984) »