Ministre de la Fonction publique de 1981 à 1984, Anicet Le Pors a notamment engagé une grande réforme de la Fonction publique, étendant aux trois grandes Fonctions (Territoriale, Hospitalière et d’État) les prérogatives de la Fonction publique d’État, et donnant une architecture générale aux statuts de la Fonction publique.
Comme tous les services publics, l’hôpital actuellement souffre beaucoup, et semble, aux dires mêmes de la Ministre Agnès Buzyn, être arrivé au bout d’un système : la rédaction de PHAR voulait demander à Monsieur Le Pors si c’était bien le service public qui en 2018 était arrivé au bout d’un système ?
PHAR-E : Durant sa campagne électorale Emmanuel Macron, a jugé le statut général des fonctionnaires « inapproprié » et stigmatisé ensuite (Le Point, 31 août 2017) les fonctionnaires qualifiés d’ « insiders » qui se seraient construit un nid douillet à l’intérieur du système, barrant la route aux moins chanceux. Cette stigmatisation ne nous semble pas refléter les conditions d’exercice des agents hospitaliers, dont les conditions d’exercice se sont beaucoup dégradées, au détriment des patients. Pensez-vous que dans un système réglé par la contractualisation les « insiders » actuels trouveraient de meilleures conditions d’exercice ?
Anicet Le Pors : Il ne fait pas de doute que les praticiens hospitaliers exercent un service public répondant à un impératif d’intérêt général : la santé des populations. Dès lors, ces missions doivent être protégées par la loi, à la fois dans l’intérêt du service et dans celui de ses agents (égalité, indépendance, responsabilité). C’est dans cet esprit que la fonction publique a été étendue en 1983 aux trois fonctions publiques de l’État, territoriale et hospitalière. Il s’ensuit que les emplois permanents de ces fonctions publiques sont normalement assurées par des fonctionnaires dans une situation statutaire et réglementaire. S’il n’en est pas exactement ainsi dans le secteur hospitalier c’est, à mon avis, pour des raisons historiques (ces services ont longtemps été exercés sous influence religieuse comme c’est encore le cas en Allemagne), la diversité naturelle du secteur a favorisé une différenciation des situations, le libéralisme économique y a entretenu un état d’esprit que l’idéologie managériale des trente dernières années n’a pu qu’encourager. Accentuer ces caractères en renforçant le contrat contre la loi ne peut qu’aggraver la situation actuelle caractérisée par : un délitement de l’esprit de service public chez les décideurs, une insuffisance des moyens, une détérioration accentuée des conditions de travail et de vie des personnels.
PHAR-E : Pensez-vous que la France est sur-administrée par rapport à d’autres pays ?
A. LP : Ce sont les chiffres qui répondent. Une étude publiée en décembre 2017, de l’organisme de recherche public, France Stratégie, a comparé les situations de dix-neuf pays développés en calculant le nombre d’agents payés sur fonds publics (indépendamment de leur statut juridique) pour 1000 habitants. La France compte 89 agents publics pour 1 000 habitants, loin derrière les pays scandinaves, autour de 150, derrière le Canada, juste devant le Royaume Uni, suivi des États Unis ; à l’autre pôle se situant le Japon, autour de 40 pour 1 000. La France peut être considérée comme étant en moyenne haute mais pas du tout en situation atypique. Ce qui fait la spécificité de la France, ce n’est ni ses effectifs totaux d’agents publics, ni l’évolution de ces effectifs au fil du temps, mais le fait que la grande majorité de ces agents soient, dans l’intérêt du service public et le leur, dans une position statutaire de nature législative. Avec une fonction publique qui représente globalement 20% de la population active du pays (25 % avec le secteur public marchand) la France dispose ainsi d’un efficace « amortisseur social » comme de nombreux observateurs de tous bords l’ont reconnu lors de la crise financière de 2008.
PHAR-E : Que pensez-vous de la rémunération à la performance, comme moyen de gérer les ressources humaines au sein des services publics ?
A. LP : C’est assez largement un leurre, qui a pour objectif de déstabiliser un système de rémunération créé à l’origine pour assurer aux fonctionnaires qui, après avoir passé des concours attestant de leur compétence, effectuent leur service avec esprit de responsabilité, un niveau de vie décent. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que c’est au statut de 1946 que l’on doit (art. 32), pour tous les salariés du public comme du prive, la définition du « minimum vital », on dirait du SMIC aujourd’hui. Cette définition avait pour but de prévoir qu’aucun fonctionnaire ne devait être rémunéré en-dessous de 120% de ce minimum vital ; c’est dire en quelle considération on tenait le fonctionnaire à l’époque. J’ai connu, jusqu’en 1983 les grandes négociations salariales annuelles dans la fonction publique qui étaient une référence sociale pour l’ensemble des branches, publiques comme privées. Elles ont disparu à partir du « tournant libéral » opéré en mai 1983. Les réductions de pouvoir d’achat et le développent des primes ont ensuite appauvri les fonctionnaires, déstabilisé les systèmes de rémunérations et accentué les inégalités : on sait que les rémunérations des fonctionnaires sont quasiment bloquées depuis 2010. Parler de la rémunération au mérite est provocateur et indécent. Il n’est évidemment pas question de flatter un égalitarisme démagogique, mais de respecter la juste rémunération du travail. Au demeurant, comme on le vit en secteur hospitalier, il s’agit de d’apprécier l’efficacité sociale de collectifs de travail et non de performances individuelles.
PHAE-E : Nous bénéficions d’un statut de droit public, car très attachés à notre autonomie professionnelle, pour nous garante d’un soin juste et adapté à nos patients. Pensez-vous que, en 1984, les praticiens hospitaliers auraient dû rejoindre la Fonction Publique Hospitalière ?
A. LP : La question a été clairement posée lors de l’élaboration du statut à partir de 1981, mais elle n’a pas reçu, à mes yeux, de solution pleinement satisfaisante. Cela dit, je n’étais pas et je ne suis toujours pas favorable à ce que l’on bouscule les consciences et les mentalités. Le premier choix retenu dans l’élaboration du statut général actuel c’est celui du fonctionnaire-citoyen ; c’est donc d’abord aux intéressés de dire ce qu’ils veulent. Et en tout état de cause je ne doute pas que les praticiens hospitaliers, même s’ils ne relèvent pas directement du statut général des fonctionnaires, soient animés de l’esprit de service public explicité par le statut qui joue ainsi néanmoins son rôle.
PHAR-E : Pour nous, SNPHAR-E, le New Public Management appliqué à l’hôpital public, sa bureaucratie nécessaire, ainsi que l’étranglement budgétaire organisé via un ONDAM non adapté et via un mode de financement qui ne prend pas en compte ses activités et pousse à la faute, ont organisé la casse de l’outil de soin public. Or vous affirmez que le XXIe siècle pourrait être l’âge d’or des services publics : comment voyez-vous l’avenir de l’hôpital ?
A.LP : Nous sommes aujourd’hui, selon moi, dans une situation de décomposition sociale profonde, après les échecs d’un XX° siècle parfois qualifié de « prométhéen ». Edgard Morin parle justement à ce sujet d’une « métamorphose ». La position des tenant d’un libéralisme généralisé veut accréditer l’idée que le système capitaliste aurait définitivement triomphé sur toute la planète, que le néolibéralisme serait un horizon indépassable, bref que ce serait la fin de l’histoire. Avec bien d’autres, je pense au contraire que le nouveau monde est celui des interconnexions, des interdépendances, des coopérations, des solidarités, ce que nous appelons, en France, le service public. C’est en ce sens que je parle d’ « âge d’or » du service public, appelé par la volonté humaine en réponse à une nécessité de notre temps. Dans cette perspective, et sur la base de leur propre analyse, c’est aux personnels hospitaliers de concevoir leur avenir.
Monsieur le Ministre,
Je souhaite vous contacter au sujet d’une intervention dans le cadre d’un colloque que j’organise pour un de mes clients qui est un organisme de retraite supplémentaire pour les fonctionnaires. Je souhaiterai pouvoir vous envoyer un mail directement pour vous en parler plus en détail et vous soumettre le projet de programme.
Je vous prie de bien vouloir trouver ci-dessous mon adresse mail et vous remercie par avance pour votre retour.
Je me tiens à votre entière disposition pour toute autre information souhaitée.
Bien cordialement,
Sanina Millié
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