La commune est la base de l’aménagement du territoire et de
la démocratie locale. Pour autant son rôle ne prend sens et son importance ne
se révèle véritablement qu’en liaison avec les autres niveaux d’organisation.
En France, celle-ci a été mise en place par la création du département en 1790,
la loi municipale de 1884 et la reconnaissance de la région comme collectivité
territoriale en 1982. Les débats sur l’aménagement territorial ont toujours été
éminemment politiques. Dans le contexte actuel on peut distinguer six niveaux
d’aménagement. Trois sont à dominante politique : la commune, le
département et la nation ; trois sont à dominante économique :
l’intercommunalité, la région et l’Union européenne. Or, en démocratie, le
politique doit l’emporter sur l’économique. La commune se trouve ainsi désignée
comme point de départ de toute politique d’aménagement du territoire,
conception que l’on doit préférer à celle, hors sol, de réforme des
collectivités locales.
La loi de décentralisation du 2 mars 1982, dite loi
Defferre, avait été regardée comme une
priorité par le gouvernement d’union de la gauche d’alors, consécutivement à
l’alternance politique qui avait porté François Mitterrand à la présidence de
la République. Elle a été considérée comme un acte important de modernisation
du pays et soutenue par l’Association nationale des élus communistes et
républicains (ANECR). Elle prévoyant notamment l’élaboration d’un statut de
l’élu, des garanties statutaires renforcées pour les agents publics
(essentiellement les communaux), des possibilités d’intervention élargies pour
les citoyens sur les affaires communales. Cette loi a aussi décidé le transfert
de l’exécutif départemental du préfet au conseil général, imposé au préfet le
contrôle de légalité a posteriori. Toutes
ces promesses de l’Acte Ier de la décentralisation n’ont pas été
honorées.L’Acte II (loi
constitutionnelle du 28 mars 2003) a affirmé
l’organisation décentralisée de la République et en a tiré des
conséquences, mais elles n’ont été que de faible portée.
Ce dispositif va être bouleversé sur la base d’un discours
du président Nicolas Sarkozy prononcé le
20 octobre 2009 à St-Dizier dans lequel li déclare vouloir privilégier
« les pôles et les réseaux » plutôt que « les frontières et les
circonscriptions ». C’est clairement abandonner le cadre national comme
champ d’aménagement des territoires et remplacer les collectivités existantes
par des centres de décision associés à des réseaux affranchis de toute
contrainte géographique. C’est le point de départ d’une inversion des priorités
politiques évoquées précédemment au profit d’un nombre limité de métropoles
(les pôles) et d’une réorganisation autoritaire des champs départementaux et
communaux dans des régions agrandies et des intercommunalités imposées (les
réseaux). Tout cela étant pensé dans le cadre d’un projet d’Union européenne
fédérale. Le département est ainsi disqualifié et les communes invitées à la
discipline.
Les métropoles sont donc appelées à concentrer tous les moyens
de la puissance : l’autorité politique, les activités économiques
majeures, les financements, les moyens de la recherche, les médias, les élites,
etc. Les préfets de région sont appelés à devenir de véritables gouverneurs de
province. Cette réforme est installée sur un fond d’austérité organisée qui
pèsera sur les départements périphériques auxquels il ne restera plus qu’à
organiser entre eux et dans leurs communes respectives la péréquation de la
pénurie. Pour contourner l’obstacle du principe de libre administration des
collectivités territoriales (art. 72 de la constitution), Emmanuel Macron a
engagé une forte réduction des dotations de l’État et assigné aux collectivités
locales une réduction drastique de leurs dépenses, au risque d’un alourdissement
de la fiscalité locale. Amorcé en 2010, l’Acte III de la décentralisation
apparaît ainsi, dans une grande confusion, comme le contraire de la politique
de décentralisation engagée en 1982.
Mais pour le pouvoir actuel il y a loin de la coupe aux
lèvres. La crise sociale s’est déclenchée en raison notamment de la régression
des services publics de proximité, assignant ainsi des limites aux politiques
creusant les inégalités et méconnaissant l’avis des populations. Celles-ci ont
témoigné leur soutien aux élus et aux fonctionnaires des services déconcentrés
et décentralisés. Toutes les associations d’élus ont fait front commun pour
revendiquer une nouvelle loi de décentralisation. Les communaux ne se
considèrent plus comme les « assimilés fonctionnaires » qu’ils
disaient être avant 1983, mais comme des fonctionnaires à part entière dont la
place s’est considérablement accrue dans la population active. L’action
conjointe des citoyennes et des citoyens et, en leur sein, des élus et des
fonctionnaires est la promesse d’une politique d’aménagement du territoire
démocratique, efficace et moderne.
a question de l’étranger est présente dans toutes les dimensions de la citoyenneté. Dans ses valeurs puisque l’intérêt général se définit sur la base de la communauté nationale ; le principe d’égalité détermine le modèle d‘intégration ; la responsabilité se fonde sur le principe de laïcité. Dans son exercice et les moyens prévus à cet effet ; les droits et obligations du sujet de droit ; la démocratie locale et la capacité à intervenir dans les décisions de proximité ; les institutions et la représentation populaire. Dans sa dynamique qui s’exprime aujourd’hui dans une crise de civilisation une « métamorphose » selon le mot d’Edgard Morin, et conduit à s’interroger sur la nature de la mondialisation et le genre humain comme sujet de droit permettant d’évoquer la perspective d’une citoyenneté mondiale.
Le droit d’asile se situe dans
toutes les interfaces de ces thèmes. Les réponses apportées au fil du temps au
problème de l’immigration ont beaucoup varié. La question plus spécifique de
l’asile a donné lieu, selon les pays, à des conceptions diverses et la France a
pu, en raison de sa longue expérience en ce domaine, servir de référence (Patrie
des droits de l’homme, Terre d’asile). Pour éclairer les problèmes
d’aujourd’hui il est donc utile de revenir sur l’émergence et l’évolution du
droit d’asile dans notre pays et son insertion dans une réglementation
internationale de plus en plus déterminante. Le développement des flux migratoires
est un problème mondial irréversible.
Dans ces conditions, on peut poser
la question de manière simple : « Que doit faire le citoyen d’ici
quand un citoyen d’ailleurs frappe à sa porte ? Et réciproquement ».
« Hospitalité
signifie le droit qu’a un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas
être traité en ennemi par ce dernier […], le droit qui revient à tout être
humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune
possession de la surface de la Terre, laquelle étant une sphère, ne permet pas
aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint à supporter malgré
tout leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre
le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre. Cependant, ce
droit à l’hospitalité, c’est-à-dire le droit accordé aux nouveaux arrivants
étrangers, ne s’étend pas au-delà des conditions de la possibilité d’essayer
d’établir des relations avec les premiers habitants. C’est de cette manière que
les continents éloignés peuvent établir entre eux des relations pacifiques, qui
peuvent finir par être légalisées. »
Emmanuel Kant
Pour la paix perpétuelle, 1795
1. Vue d’ensemble sur l’asile dans le monde et en France
De fortes inégalités de protection dans le monde
Relevons tout
d’abord que les flux migratoires Sud-Nord sont du même ordre de grandeur que
les flux Nord-Sud ; les caractéristiques de ces populations sont
évidemment très différentes. Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations
Unies (UNHCR) a comptabilisé, début 2018, quelque 68, 5 millions de personnes
« déracinées » sous contrainte. Parmi elles, le HCR évalue à 25,4
millions le nombre de réfugiés. 85% des réfugiés viennent de pays en
développement. 57% sont originaires du Soudan, d ‘Afghanistan, de Syrie. 67%
des réfugiés se trouvaient en Afrique et en Asie, seulement 17% en Europe, 16 %
dans les Amériques et le reste du monde. A cela il faut ajouter 3,1 millions de
demandeurs d’asile et plus de 5 millions de Palestiniens assistés par l’UNRWA,
une autre organisation des Nations Unies. On doit aussi déduire quelques
centaines de milliers de réfugiés qui chaque année retournent dans leur pays. Les principaux
pays d’accueil sont : la Turquie (3,5 millions), l’Ouganda, le Pakistan,
le Liban, l’Iran (ces derniers autour d’1 million). On compte 10 millions
d’apatrides.
Il y a 10 à
12% d’immigrés dans la population française contre, par exemple, 16% en Suède
ou 28% en Australie. Il n’y a pas de nombre optmal de population étrangère dans
un pays. Mais l’asile ne représente qu’environ 6% des titres de séjour
accordés. En 2018, la France a délivré 255 500 titres de séjour se
répartissant, selon les catégories suivantes : économique 35 600,
familiale 89 200, étudiants 82 600, humanitaire (incluant l’asile) 33 800 et
divers 15 300.
Survol historique
De tous temps les peuples ont
pratiqué l’asile, mais selon des motifs et des modalités très divers. En
France, l’Église en a eu le monopole pendant tout le Moyen Âge. Elle
accueillait qui elle voulait dans les lieux placés sous son autorité et pouvait
frapper d’excommunication le monarque qui violait ces dépendances. Par l’Édit
de Villers-Cotterêts de 1539 François 1er a mis fin à ce monopole.
Par la suite la monarchie s’est montrée peu favorable à l’asile.
La Révolution française va initier
la réputation de la « France terre d’asile » par l’article 2 de la
Déclaration des droits de 1789 qui appelle à la résistance à l’oppression, mais
surtout par les rédactions de la constitution de 1793 qui, outre qu’elle
décrète le droit à l’insurrection, s’exprime ainsi sur l’asile : « Le peuple français est
l’ami et l’allié naturel des peuples libres » (art. 118) « il donne
asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le
refuse aux tyrans » (art. 120). Le XIX° siècle sera accueillant en France
(Frédéric Chopin, Heinrich Heine). Le XX° siècle pourra être considéré comme le
siècle des réfugiés concernant successivement les Arméniens, les Russes, les
Allemands, les Espagnols, les Juifs. Des instruments juridiques internationaux
vont alors se mettre en place dans l’entre-deux guerres mais surtout après
la seconde guerre mondiale : le droit d’asile figure à l’article 14 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le HCR est créé en 1950,
la Convention de Genève adoptée le 28 juillet 1951, ne concerne à l’origine que
les réfugiés antérieurs à son adoption ;
elle deviendra de portée générale par le Protocole de New York adopté en 1967.
En France, en raison de la crise économique et
des séquelles de la guerre, des sentiments xénophobes se développeront. Elle accueillera
néanmoins 1 million de demandeurs d’asile à la fin des années 1930 (pour une
population de 38 millions d’habitants), mais l’État français se déshonorera en
livrant nombre d’entre eux à l’occupant nazi. La France ne ratifiera qu’avec
retard les conventions internationales. Par la loi du 25 juillet 1952 elle
créera l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la
Commission de recours des réfugiés (CRR) qui deviendra la Cour nationale du
droit d’asile (CNDA) en 2008.
À grands traits on peut caractériser
l’évolution historique du droit d’asile en disant que l’on est passé, d’une
part de la désignation d’un lieu à la protection de la personne et, d’autre
part, d’un droit discrétionnaire à une protection nationale mais surtout
internationale.
Les déterminants des politiques migratoires en France depuis 1945
Après la seconde guerre mondiale, c’est
l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui a fixé le cadre juridique des conditions
d’entrée et de séjour des étrangers en France. Maintes fois modifiée elle a
néanmoins été largement admise et les étrangers accueillis en période de
croissance soutenue jusqu’aux années 1970, malgré les évènements dramatiques
associés à la décolonisation. Une régression de l’accueil a lieu ensuite en
raison du ralentissement de l’activité économique[1].
L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a conduit, jusqu’en 1993, à des
régularisations de séjour assez importantes au cours des premières années de la
période, puis à des mesures coercitives de renvoi tandis que prenait naissance
une politique intergouvernementale de l’asile au niveau européen[2].
Se développe ensuite, de 1993 à 1997
une politique coercitive vis-à-vis des étrangers, tandis que s’engage un
transfert de compétences accompagné d’une harmonisation des politiques d’asile
au niveau européen dans le cadre des accords Schengen du 14 juin 1995. La
cohabitation de 1997 à 2002 enregistre des modifications juridiques substantielles
sans pour autant modifier beaucoup la situation dans l’immédiat : traité
d’Amsterdam du 2 octobre 1997, loi Chevènement du 11 mai 1998, Charte des
droits fondamentaux adoptée au sommet de Nice le 27 décembre 2000.
De 2002 à 2012 se développe une
politique sécuritaire à partir des lois de novembre-décembre 2003 anticipent
des directives européennes jusqu’à la récente loi de transposition du 29
juillet 2015. L’influence de l’Union européenne est croissante dans la
perspective d’un régime d’asile européen commun (Règlement Dublin II en 2003
réformant la convention Dublin de 1990, plusieurs directives successives dites
« qualification », « procédure », « retour »,
directives du « paquet asile » en 2009). Les mouvements migratoires
massifs observés en Europe depuis 2014 et les réactions très contrastées des
pays de l’Union européenne témoignent de la précarité du dispositif. Sur
l’ensemble de la période on peu distinguer trois phases au niveau
européen: relations intergouvernementales (1945-1993), efforts d’harmonisation
(1994-2002), recherche d’un régime commun (depuis 20.
Il résulte de tout cela que les politiques
migratoires suivies dépendent essentiellement de trois facteurs : le
niveau d’activité économique, l’influence croissante de l’Union européenne,
l’orientation politique du gouvernement en place selon le clivage droite-gauche.
2. Les conceptions de l’asile
Concepts et catégories
Il convient tout d’abord de ne pas
confondre le demandeur d’asile et le réfugié. L’asile correspond à une
situation de fait en même temps qu’il est un terme générique couvrant toute la
matière. La qualité de réfugié est un statut juridique. La
pratique de l’asile montre qu’il est erroné de distinguer radicalement les
demandeurs d’asile et les migrants économiques. Tous les demandeurs d’asile au
titre de l’un des critères requis par les textes juridiques, ont aussi des
raisons économiques : comment imaginer qu’un étranger persécuté dans son
pays puisse y obtenir un emploi et y mener une vie normale ? Et il existe
des exploitations économiques qui relèvent de la persécution ; l’esclavage
existe toujours en Mauritanie, par exemple et la vente d’êtres humains a été
pratiquée récemment en Lybie.
Le droit d’asile permet de
distinguer plusieurs catégories de bénéficiaires : l’asile constitutionnel
prévu par la constitution, l’asile des réfugiés relevant du mandat du Haut
commissariat des réfugiés des Nations Unies (HCR), l’asile des réfugiés au sens
de la Convention de Genève (dont je parlerai dans un instant), l’asile au titre
de l’unité de famille, la protection subsidiaire, la protection
temporaire, les asiles discrétionnaire
et de fait. Le mot migrant, lui, n’a pas de signification juridique
particulière.
C’est l’article 1er de
la Convention de Genève qui définit le plus clairement la qualité de
réfugié : « Le terme « réfugié » s applique à toute personne qui (…) craignant avec
raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité,
de son appartenance à un certain groupe social, ou de ses opinions politiques,
se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de
cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays … ». Se
trouvent ainsi combinés un élément subjectif (craignant) et un élément objectif
(avec raison). La crainte de persécution doit être actuelle, personnelle et
d’une certaine gravité. La qualité de réfugié est « reconnue »,
c’est-à-dire qu’elle a un caractère rétroactif. L’État qui reconnaît substitue
sa protection à celle de l’État de nationalité. Les principales catégories de
réfugiés ont été reprises par l’article 711-1 du code de l’entrée et du séjour
des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elles peuvent s’analyser de la
manière suivante en distinguant deux sources.
La source de l’asile
constitutionnel ouvre droit à la reconnaissance
de la qualité de réfugié bien que, comme d’autres catégories mentionnées
ci-dessus, il ne soit pas expressément retenu par la Convention de Genève, mais
est l’écho des dispositions de la constitution de 1793 précédemment évoquées et
que l’on retrouve sous forme du 4° alinéa du Préambule de la constitution de
1946 : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la
liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Au surplus,
a été ajouté à la constitution un article 53-1 aux termes duquel, nonobstant
les accords passés avec d’autres pays européens en matière d’asile, « …
même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords,
les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger
persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la
protection de la France pour un autre motif ». Bref, la France accorde l’asile a qui elle
veut.
La source de l’asile dit
conventionnel par référence à la Convention de Genève couvre la plupart des
situations par les motifs qu’il retient.
Les opinions politiques peuvent
être celles de l’opposition au pouvoir en place, avoir un caractère ouvertement
militant ou résulter d’une simple imputation. Des motifs de conscience peuvent
être reconnus à ce titre. Ex : Turquie, Syrie, Égypte.
L’appartenance à une minorité
nationale ou ethnique est souvent la conséquence des découpages arbitraires de
l’histoire, notamment à la suite de la décolonisation ou de l’effondrement de
l’empire soviétique. La persécution pour ce motif peut se traduire par le
bannissement, la spoliation, la purification ethnique. Ex : Côte d’Ivoire,
Kosovo, Kurdes.
Le motif de confession religieuse
englobe tout à la fois l’appartenance à une religion interdite, à une secte,
voire aux partisans de la laïcité ou aux agnostiques ou aux athées. Ex :
Chrétiens du Moyen-Orientt, Ouigours, Falungong.
L’appartenance à un certain groupe
social vise des caractéristiques communes identifiant ce groupe et le caractère
transgressif de cet état. Il s’agit souvent de l’homosexualité dans les pays où
elle est condamnée. Ex : parents refusant l’excision, albinos,
homosexuels.
Les auteurs de persécution
considérés sont soit les autorités étatiques du pays d’origine ou, à défaut, de
résidence habituelle. Il peut s’agir aussi d’organisations paraétatiques
(partis, milices) ; ou encore d’autorités de fait installées de manière
stable.
Les restrictions à l’asile
Depuis 2003 existe un autre type de
protection relevant du droit d’asile : la protection subsidiaire qui est
instruite comme les demandes d’asile par reconnaissance de la qualité de
réfugié. Elle a remplacé la protection dite territoriale dont l’attribution
dépendait discrétionnairement du ministère de l ‘Intérieur. Cette
protection donne à son « bénéficiaire » ( qui n’est donc pas
reconnu comme « réfugié ») un titre de séjour renouvelable de un an, porté
récemment à quatre ans, au lieu de dix ans pour le réfugié. Ses motifs se
situent en dehors des motifs de la Convention de Genève et concernent :
des menaces graves contre la vie, des traitements inhumains ou dégradants, des
menaces directes et individuelles concernant un civil en situation de violence
généralisée.
L’asile interne est une autre forme
de restriction : le demandeur d’asile devrait pouvoir se retrouver en
sécurité dans une partie de son pays non concernée par les persécutions avant
de demander asile à un pays étranger. Le conseil constitutionnel a encadré
cette solution en exigeant que les conditions de vie dans la partie sécurisée
permettent une vie normale (emploi, logement). Or la ligne de partage des zones
est incertaine comme souvent la situation géopolitique de l’ensemble du pays.
Enfin les États, en principe, ne reconnaissent que les États.
Par ailleurs, l’Union européenne
avait décidé d’établir une liste de pays d’origine sûrs (POS) conduisant à une
procédure accélérée en cas de demandeurs d’asile ayant la nationalité de ces
pays, mais elle n’y est pas parvenue en raison des désaccords entre pays
membres. Certains pays ont alors décidé d’établir la leur, dont la France sous
la responsabilité de l’OFPRA. Cette liste a été régulièrement contestée par le
Conseil d’État et les juges de l’asile n’en tiennent généralement pas compte
dans leur appréciation tout comme la situation d’asile interne.
Les refus de l’asile
Outre le rejet à l’issue de la
procédure, la qualité de réfugié peut être remise en cause de manière
prétorienne, notamment dans le cas de fraude ou de changement de situation
individuelle (naturalisation dans un pays tiers).
La qualité de réfugié peut aussi
être retirée si les conditions du pays d’origine qui avaient été à la base de
la reconnaissance ont cessé à l’occasion, par exemple, d’un changement de
politique ou de régime. Néanmoins, les craintes peuvent persister, soit en
raison de l’action de factions subsistantes de l’ancien pouvoir persécuteur,
soit du fait de traumatismes physiques ou psychiques qui ne permettent pas au
réfugié de retourner dans son pays sans conséquences graves. Ex :
républicains espagnols, magistrat tunisien
La qualité de réfugié peut enfin être
refusée par la voie de l’exclusion lorsqu’il y a « de sérieuses raisons de
penser » que le demandeur s’est lui-même rendu coupables de crime contre
la paix, d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité, d’un crime grave
de doit commun ou d’actes contraires aux buts et principes des Nations Unies. Le
paradoxe est que si les « séreuses raisons de penser » ne sont pas
reconnues comme suffisantes pour l’exclure, la situation de l’intéressé étant
néanmoins grave, il a toutes les chances de se voir reconnu comme réfugié.
Exclu, il ne sera pas expulsé mais mis en résidence surveillée.
3. Un système « à bout de souffle » ?
Procédure et garanties
La procédure du droit d’asile est
organisée dans la plupart des pays en deux phases. Une phase administrative se
dédouble en une séquence d’admission au
séjour pour vérifier que la demande n’est pas « manifestement
infondée », elle a lieu en France en zone d’attente ; puis une
séquence de dépôt de la demande d’asile à l’OFPRA, établissement public qui
instruit cette demande, prend sa décision et en cas d’accord assure la
protection administrative et juridique du réfugié. La deuxième phase (pour les
déboutés) est juridictionnelle auprès de la CNDA instance de recours contre les
décisions de rejet de la demande par l’OFPRA ; il existe ensuite une
possibilité (très limitée) de pourvoi en
cassation devant le Conseil d’État. On retrouve ces quatre séquences dans la
plupart des pays. Les possibilités d’intervention du HCR aux différents niveaux
sont très variables. En France, la formation de jugement collégiale classique
est composée d’un président, conseiller d’État, membre de la Cour des comptes,
président de tribunal administratif, d’un assesseur nommé par le Vice-président
du Conseil d’État et d’un assesseur nommé par le HCR sur avis conforme du
Vice-président du Conseil d’État, caractéristique singulière dans notre État de
droit et, semble-t-il, dans le monde.
C’est un véritable « parcours
du combattant » que doit effectuer le demandeur d’asile pour tenter de
faire aboutir son projet. Le maintien en zone d’attente pour vérifier si sa
demande n’est pas « manifestement infondée » peut durer jusqu’à 26
jours. Il dispose ensuite d’un visa de 8
jours pour retirer un dossier de demande en préfecture (en réalité l’attente
est beaucoup plus longue). Il doit déposer son dossier en français à l’OFPRA
dans un délai de 21 jours. Il reçoit alors une autorisation provisoire de
séjour (APS) de 3 mois renouvelable. L’OFPRA entendra le demandeur et statuera
dans un délai moyen de 6 mois (3 mois dans la perspective de 2 mois selon le
directeur de l’OFPRA). En cas de rejet de la demande l’intéressé pourra exercer
un recours devant la CNDA dans le délai d’un mois suivant la notification du
rejet de sa demande. La juridiction statuera dans un délai moyen de 5 mois en
2017. Le pourvoi en cassation est de portée réduite. Pour le demandeur d’asile,
il s’agit donc d’une procédure à délais courts, difficile dans la constitution
du dossier en français, coûteuse, avec des relations parfois compliquées devant
les administrations concernées.
Des garanties couvrent le demandeur
d’asile et le réfugié. S’agissant du demandeur, l’article 33 de la Convention
de Genève pose tout d’abord, le principe de non refoulement de l’étranger sur
le territoire d’accueil. Après le dépôt de sa demande, l’intéressé reçoit donc une
autorisation provisoire de séjour (APS) de trois mois renouvelable. Il peut être
hébergé dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) où il touche,
au titre de l’aide sociale, sous conditions de ressources, l’allocation
temporaire d’attente (ATA). Il reçoit une allocation pour la couverture de ses
besoins individuels. Sauf exceptions, la situation de l’emploi lui était
opposable s’il souhaitait travailler ; depuis 2018 il le peut au bout de
quatre mois. Il bénéficie de la couverture médicale universelle (CMU) ou de
l’aide médicale d’État (AME) s’il est entré irrégulièremen. Reconnu refugié, il
bénéficie de droits et de garanties prévus d’une part par la Convention de
Genève, d’autre part par la législation
interne du pays d’accueil. En France, ces droits sont proches de ceux des
nationaux, à l’exception du droit au travail qui connaît des restrictions
(accès à la fonction publique, par exemple) et du droit de vote. Outre l’effet
suspensif de toute décision de renvoi durant la procédure (sous réserve de la
situation spécifique de l’outre-mer), des garanties sont prévues en cas de
renvoi (nécessité d’une décision de justice, pas de renvoi vers un pays à
risques).
Des évolutions contrastées
Structures et procédure : Le
système a connu cependant une évolution structurelle plutôt positive au cours
des quinze dernières années. En 2005, le CESEDA a remplacé l’ordonnance de
1945. La CRR est devenue la CNDA en janvier 2008 et sa gestion a été placée
sous l’autorité du Conseil d’État l’année suivante échappant ainsi au non sens
de la gestion administrative, budgétaire et statutaire de l’OFPRA l’organisme
dont elle est chargée de réviser les décisions. L’aide juridictionnelle a été
attribuée sans condition de régularité de séjour à compter du 1er
décembre 2008. La loi du 29 juillet 2015 et un décret du 16 octobre 2015 ont
notamment institué une procédure
d’audience avec juge unique. Une réorganisation interne par arrêté du
vice-président du Conseil d’État a créé 3 sections regroupant 11 chambres
présidées par des présidents permanents. A été identifiée aussi la procédure
devant une Grande chambre (sections réunies).
Statistiques : En 2018, la
France a enregistré 122 700 demandes d’asile soit une progression de +22% par
rapport à 2017 en progression depuis 2014. À l’inverse de la tendance à la
baisse (-13%) observée par la plupart des pays européens, en baisse après le
pic de 2015-2016. Elle se situe en deuxième position derrière l’Allemagne. La
demande provient principalement, d’Afghanistan, d’Albanie et de Géorgie, de
Guinée et de Côte d’Ivoire. Nombre des demandeurs en France sont des « dublinés ».
Le nombre de protections accordées progresse et atteint 36% des demandes (27%
directement à l’OFPRA, 9% après recours devant la CNDA.
Il y a aussi une hausse des reconduites à la frontière.
Le droit : L’évolution
jurisprudentielle est de plus en plus restrictive sous l’influence de l’Union
européenne guidée par des préoccupations de contrôle des flux et de
sécurisation. Étaient déjà d’origine européenne : la protection
subsidiaire, la procédure Dublin II (le pays responsable de l’instruction de la
demande est le pays d’entrée dans l’espace Schengen), la liste des pays d’origine sûrs, l’allongement
des durées de rétention (jusqu’à présent de 45 jours en France au maximum), de
la durée d’interdiction de séjour, le développement de l’externalisation, etc. Le gouvernement français a souvent anticipé
ces dispositions. En revanche, les juridictions européennes ont joué un rôle
plutôt positif. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) reçoit les
requêtes en interprétation. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)
veille au respect des droits dans le traitement de l’asile. Elle a donné des définitions
et des interprétations. Le Conseil constitutionnel, de son côté, dans plusieurs
décisions, a rappelé un certain nombre de principes : affirmation de la
souveraineté nationale, respect des droits de la défense, plénitude des
garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement
strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs.
Le droit positif a été marqué par
une évolution confirmant la primauté des préoccupations de contrôle des flux et
de sécurité sur la protection des réfugiés. La
loi du 29 juillet 2015 (loi Cazeneuve) prévoyait quelques dispositions
positives : assistance d’un conseil pendant l’entretien à l’OFPRA,
caractère suspensif de la reconduite même en procédure accélérée ;
toutefois elle prévoyait aussi un raccourcissement des délais d’instruction et
l’élargissement du recours au juge unique. La loi Colomb du 10 septembre 2018
comporte quelques ponts positifs précédemment soulignés concernant la
protection subsidiaire, l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail, la
possibilité pour un mineur reconnu réfugié d’être rejoint pas ses ascendants
directs et ses frères et soeuirs mais elle comporte de nombreuses dispositions
aggravant les aspects sécuritaires : réduction à six mois des délais d’instruction
globaux, réduction de 120 à 90 jours du délai de dépôt de la demande d’asile
après l’arrivée, allongement de 45 à90 jours du délai maximum en centre de
rétention, etc.
Pour une « révolution culturelle » de l’asile
L’asile pose la question des
relations qui peuvent être établies entre le citoyen d’ici et le citoyen
d’ailleurs qui lui demande protection à défaut de pouvoir bénéficier de celle
de son pays d’origine dont il a la nationalité, en raison des craintes de persécution
qui seraient les siennes s’il devait y séjourner. Cette rencontre forme leurs
citoyennetés respectives, mais leurs situations ne sont pas égales :
l’accueillant est en position dominante en tant qu’occupant du lieu d’accueil
sollicité sur lequel il exerce sa souveraineté. C’est cependant à lui
qu’incombe la responsabilité de donner sens à son hospitalité, d’établir des
règles de droit qui en permettent la mise en œuvre dans un cadre national et de
contribuer à l’établissement d’un régime d’asile commun au plan international
et mondial puisque la question se place désormais principalement à ce niveau.
Le fonctionnaire de l’OFPRA comme le
juge et les rapporteurs de la CNDA doivent posséder de sérieuses compétences tant
en matière de droit d’asile que de connaissances géopolitiques. Mais cela n’est
pas suffisant, ils doivent aussi s’interroger en permanence sur leur
responsabilité de citoyen dans les décisions qu’ils prennent d’accorder ou de
refuser l’asile. Pour le juge notamment, il y a là une question culturelle et
éthique qui implique que la clarté soit faite sur (au moins) trois questions.
* S’agit-il simplement d’appliquer
le droit ou de rendre la justice ? Le droit positif n’est qu’un instrument
et, en matière d’asile, l’appréciation des faits concourt de manière
déterminante à la formation de l’intime conviction du juge laquelle est
décisive. La décision est rendue « au nom du Peuple français » ce qui
investit le juge d’une parcelle de souveraineté nationale faiblement
susceptible d’être contestée. Or le juge admet difficilement qu’il dépend de
lui même malgré les efforts qu’éventuellement il peut faire pour objectiver
sincèrement ses décisions. Il dépend de son éducation, de sa religion ou de sa
philosophie, de ses engagements éventuels, de ses intérêts personnels, des
circonstances, de ses fréquentations, etc. I : est courant que certains
juges parmi les plus sévères se défendent en disant « j’applique le
droit ! » ce qui est généralement le cas. Mais, pour autant, ils ne
rendent pas nécessairement la justice et n’encourent aucune sanction.
* La preuve de la persécution
est-elle exigible ? Aucun texte national ou international ne prévoit la
nécessité de la preuve à la charge du demandeur d’asile. Le Guide des procédures
du HCR met l’accent sur la crédibilité et la cohérence d’ensemble du récit qui
doit servir de base à la formation de l’intime conviction du juge. La procédure
du jugement doit donc avoir pour objectif d’être un réducteur d’incertitude
quand bien même ne peut être complètement réduit le doute qui subsiste. Si
celui-ci n’est pas trop important il doit bénéficier au demandeur. Le juge doit
donc être capable d’évaluer sa propre subjectivité comme celle du demandeur
dans l’appréhension des craintes de persécution.
* Quelle est la portée des
contradictions voire du mensonge affectant la demande d’asile ? Face aux
obstacles de toute nature élevés devant le demandeur d’asile dans le parcours
qu’il doit effectuer, il n’est pas étonnant que celui-ci tente de lever ses
difficultés en adaptant son comportement : il peut s’être confié au départ
à un rédacteur occasionnel en français qui a pu prendre quelque liberté avec
son récit voire même le remplacer par un autre; par la suite le demandeur
introduira des différences qui ne manqueront pas de lui être opposées ; les
repères en vigueur dans sa vie antérieure ne sont pas ceux qui lui sont
désormais utiles (composition familiale, coutumes, calendrier); il peut
souhaiter améliorer son argumentation en prenant quelque liberté avec la
réalité, etc. Un comportement de « débusqueur de mensonge » aura vite
fait d’invalider un discours en soulevant une seule contradiction alors que
c’est la crédibilité d’ensemble qui doit être retenue. Au mythe du
« réfugié menteur » (on a même pu parler de « peuple
menteur ») on peut opposer celui du « juge bien pensant ».
La qualité du jugement en matière
d’asile requiert donc une citoyenneté éprouvée du juge, ce qui n’est pas
toujours le cas. D’où de fortes disparités dans les taux d’accord d’asile selon
les présidences des formations de jugement, même si l’écart révélé par la
statistique de ces disparités semble s’être réduite. En tout état de cause, d’importantes
réformes pourraient être introduites dans la réglementation nationale. Leur
inventaire devrait être le résultat du travail des parties concernées, mais on
peut néanmoins avancer, à titre d’exemple : le rattachement de l’OFPRA au
Premier ministre ; l’alignement du délai de recours devant la CNDA sur
celui de droit commun de la juridiction
administrative, soit deux mois ; la limitation stricte du champ des jugements
par voie d’ordonnances ; le maintien corrélatif des formations de jugement
collégiales ; la suppression de la liste des pays d’origine sûrs ; la
suppression de la notion d’asile interne ; l’alignement de la durée du
titre de séjour de la protection subsidiaire (actuellement de quatre ans) sur
celle des réfugiés reconnus (dix ans), etc.
Enfin, en raison de son histoire et
de sa tradition ancienne, la France est légitime à faire des propositions
d’évolution de la réglementation internationale, tant au niveau européen que
mondial, le contexte ayant beaucoup changé depuis la Convention de Genève de
1951 et même du protocole de New York de 1967. Il ne s’agirait pas de modifier
ces dispositions consacrées, mais de les compléter en tenant compte notamment du
fait que les deux-tiers des réfugiés se trouvent en Afrique et en Asie ; que
la reconnaissance ou la place de la protection subsidiaire et d’autres formes
d’asile (climatique, temporaire …) doivent être révisés ; que le rôle du
HCR doit être accru ; que les droits et les garanties juridiques doivent
être consolidés, que soient le cas échéant normalisées les notions de pays
d’origine sûrs, d’asile interne, de pays de transit, de la catégorie spécifique
des réfugiés palestiniens, etc. Toutes ces questions, et d’autres éventuellement
devant faire l’objet d’une concertation internationale. Le XXe
siècle avait été qualifié de « siècle des réfugiés », le XXIe
siècle pourrait être celui de l’ « avènement du genre humain »
comme sujet de droit, sur la base du même principe d’égalité des femmes et des
hommes, citoyennes et citoyens du monde.
[1] Rapport interministériel
sous la direction de A. Le Pors, Immigration
et développement économique et social, La documentation française, 1975. Ce
rapport qui s’appuyait sur les modèles mathématiques macroéconomiques alors utilisés contestait les affirmations
officielles concernant le rôle des étrangers concernant l’emploi, le budget
social et la balance des paiements de la nation.
[2] On notera la création du
Haut Conseil à l’intégration en 1990 dont l’auteur de ces lignes sera membre
jusqu’en juin 1993, démissionnant alors pour ne pas cautionner les lois Pasqua sur la
nationalité.