L’hétérogénéité nuit à la mobilité dans la fonction publique territoriale

 La Gazette des – Pour quelle raison, à l’époque, a-t-on pu considérer que la FPT était le “maillon faible de l’édifice’ du statut général de la fonction publique ? 

Anicet Le Pors – Je suis intervenu  le 27 juillet 1981 à la tribune de l’Assemblée nationale lors de la présentation du projet de loi de décentralisation pour dire qu’il ne pouvait y avoir qu’un système de fonction publique dans notre  pays. Il n’y avait alors de fonctionnaires que ceux  de l’État dont les garanties étaient supérieures à celles des autres agents publics et je précisais qu’elles devaient servir de référence. Les agents des collectivités territoriales étaient  regardés comme appartenant à une catégorie inférieure d’agents publics. On parlait à leur sujet de « communaux » ou d’« assimilés fonctionnaires ». Leur situation statutaire avait été écartée lors de la création du statut général des fonctionnaires de 1946 et de l’ordonnance du 4 février 1959 qui l’avait remplacé. Les élus locaux ne réclamaient pas de réforme statutaire pour leurs agents et la situation d’ensemble était celle d’un grand désordre. Les relations entre les élus et les agents pouvaient apparaître plus humaines, plus personnalisés, mais aussi parfois plus arbitraires et touchées par le clientélismes. Le mouvement syndical lui-même n’avait pas de revendication forte d’un traitement  statutaire unifié de l’ensemble des agents des collectivités publiques, État et collectivités territoriales. On pouvait donc légitimement penser qu’il y aurait des difficultés à construire un tel ensemble statutaire unifié et que, si la fonction publique territoriale (FTP) voyait le jour, car jusque-là, elle n’avait pas de véritable identité elle constituerait certainement le « maillon faible » du statut général. Cette idée  a duré ensuite pendant quelques années.

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    Considérez-vous que ce soit toujours le cas ?

Certainement pas.  Ses effectifs ont connu la croissance la plus fort des trois versants de la fonction publique (État, collectivités territoriales, établissements publics hospitaliers), passant de 1,3 millions d’agents au début des années 1980 à près de 2 millions aujourd’hui. Les différentes qualifications ont fait l’objet de classements catégoriels assortis de statuts particuliers. La F PT été dotée, comme la FPE, d’un conseil supérieur de la fonction publique territorial (CSFPT) et participe au comité commun des trois fonctions publiques ( CCFP) Un centre national de la fonction publique territoriale ( CNFPT )   a été institué. Un réseau de centres départementaux de gestion (CDG) a été mis en place  avec une instance fédérale. En bref, un ensemble très structuré qui a témoigné de grandes capacités d’initiative et d’un dynamisme remarquable, malheureusement contrarié par l’insuffisance des dotations financières qui n’ont pas suivi comme promis les transferts de compétences.

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     La loi du 4 novembre 1982 a institué une contribution exceptionnelle de solidarité à l’ensemble des agents État, coll terr. Vous vous y étiez opposé. Pourquoi ? 

Quand les nouveaux ministres ont pris leurs fonctions en juin 1981, il leur a été adressé un volumineux document revêtu d’une  couverture bleu ciel. Il s’agissait des déclarations du président François Mitterrand durant la campagne des élections présidentielles. Il nous était recommandé de nous rapporter à ce document pour répondre à une interpellation sur telle ou telle question.  Ayant été informé un mardi soir que figurait à l’ordre du jour du conseil des ministres du lendemain l’assujettissement des fonctionnaires à une cotisation-chômage de 1 % de leur traitement, proposition jusque-là avancée par les gouvernements de droite. Je me suis rapporté à ce que nous avions fini par appeler « la  Bible ». Le président y jugeait la proposition «  antisociale, couteuse et inefficace ». C’était aussi mon opinion. J’ai donc dit  au secrétariat général du gouvernement  que je soutiendrai la position présidentielle. La question a été retiré de l’ordre du jour. Elly est revenue néanmoins en novembre 1982, au moment de la levée, du blocage des salaires et des prix qui avait été décrété en juin. Le rapport de forces avait changé/

·       La loi Galland a renoncé au principe de parité des fonctions publiques. Peut-on dire que cela a sonné, pour vous, la fin d’un idéal ?

Non, la loi Galland n’a pas remis en cause le principe d’égalité des droits et des obligations concernant tous les fonctionnaires d’une fonction publique unifiée à trois versants. Elle a seulement tenté par des dispositions mesquines et revanchardes de déstabiliser l’architecture qui avait été mise en place entre 1981 et 1986. Le changement de vocabulaire des corps en cadres relevant du symbole. J’en avais demandé la raison aux représentants de l’administration en assemblée générale du conseil d’État lorsqu’il avait examiné le projet de loi. Aucune explication ne m’en avait été donnée sinon qui s’agissait de singulariser la fonction  publique territoriale. La réhabilitation du système des « reçus-collés » c’est-à-dire de l’établissement d’une liste par ordre alphabétique des candidats admis à un concours plutôt que par ordre de mérite était un retour en arrière, privant les meilleurs candidats admis du droit de choisir les postes qu’ils préféraient. C’est une dérogation au principe d’égalité des candidats. Ce qui est critiquable au sujet de cette loi c’est qu’aucun gouvernement n’a eu le courage dans les années suivantes et jusqu’à nos jours d’effacer cette dénaturation du statut général. Cette loi y a introduit de l’hétérogénéité, rendu plus difficile la comparaison des situations entre fonctions publiques et, par la, nuit à la mobilité élevée au rang de garantie fondamentale par le statut de 1983.

·       Rétrospectivement, comprenez-vous les raisons de la distinction entre des “corps” pour l’État et des “cadres d’emploi” pour la FPT ?  Quel signal a voulu envoyé selon vous le gouvernement a cette époque ?

Je viens d’en donner la raison. Elle est futile. Elle est également sans objet.  Je veux rappeler que le statut de 1946, que je regarde comme le statut fondateur de la conception française de la fonction publique  en ce qu’il a créé le concept de fonctionnaire-citoyen utilisée indifféremment les deux mots, corps et cadre, sans provoquer aucune réaction. Avec la loi Galland, il s’agit seulement de relever une intention maligne.

·       Sivous étiez ministre de la Fonction publique aujourd’hui, proposeriez-vous une appellation commune qui mettrait fin aux deux précédentes ? 

Aucune importance. J’aurais mieux à faire : abroger les dispositions subsistantes de  la loi Galland, par exemple.

· Comment analysez-vous le fait que le CCFP ait été créé aussi tard ?

L’idée d’un conseil supérieur commun de la fonction publique était présente dès la conception d’une fonction publique unifiée à trois versants.  Une commission mixte avait d’ailleurs été mise sur pied en1986, mais rapidement supprimée en 1987, pendant la cohabitation 1986–1988. Mais surtout l’unification supposait le respect des spécificités de chacune des trois fonctions publiques qui était très identifiant. Pour la fonction publique de l’État : sa couverture de l’ensemble des fonctions régaliennes, son caractère de référence historique incontestable.  S’agissant de la fonction publique territoriale : son rôle dans l’aménagement du territoire et la proximité des relations entre élus, fonctionnaire et usagers. En ce qui concerne la fonction publique hospitalière, l’existence d’un  secteur privé au sein des établissements public  et le haut niveau technique et humains de l’activité de soins. On y ajoutera l’attachement spécifique des personnels à chacun des versants auquel ils appartenaient. C’est pourquoi la réalisation de ce conseil commun de la fonction publique n’a pu aboutir avant la négociation de Bercy consacrée par la loi du 5 juillet 2008 sur le dialogue social, conduisant à l’installation du CCFP le 31 janvier  2012. Le même type de question aurait pu être soulevé au sujet de la codification qui aurait été possible dès 1986, mais n’a abouti que par l’ordonnance du 24 novembre 2021, entrée en vigueur le 1er mars 2022.  La création du CCFP, comme la réalisation du code de la fonction publique sont de nature à renforcer la convergence des réflexions et des démarches des fonctionnaires de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers. Je m’en réjouis.

·       Quel regard portez sur l’envie de Stanislas Guerini de réfléchir en termes de « metiéers » et non plus en termes de « cadres » et « corps d’emploi » 

Il faut partir de la réalité de la fonction publique qui n’est pas celle de l’entreprise privée sur laquelle le gouvernement souhaiterait l’aligner. D’abord, la fonction publique, c’est un effort collectif de travailleurs solidaires  œuvrant dans un service public d’intérêt général. C’est ensuite, un ensemble structuré pour être clairement visible par la population et socialement efficace dans la conduite des actions publiques. C’est enfin, une organisation de long terme pour mettre en œuvre les planifications et programmations nécessaires au service de l’intérêt général qui ne peut s’apprécier que sur le long terme. Ce sont ces caractéristiques qui justifient pour l’administration, comme pour le fonctionnaire, le système dit de la carrière couvrant toute la vie professionnelle de ce dernier. Le métier est sans doute un beau mot et une chance pour celui qui le possède et s’y épanouit, emploi certes réglementée par le code du travail, mais qui laisse à l’entreprise privée la possibilité d’embaucher ou de licencier discrétionnairement selon  ses choix guidés par la rentabilité financière. C’est pourquoi il est inapproprié dans la fonction publique d’asservir le fonctionnaire à un métier, qui peut être affecté par toutes sortes d’aléas, notamment technologiques. Olivier Schrameck  a caractérisé ainsi la fonction publique d’emploi (La fonction publique territoriale, Dalloz, 1995). Premièrement, lorsqu’on est reçu à un concours, on n’est pas sûr d’être nommé dans un emploi, c’est le système des « reçu-collés » évoqué précédemment. Deuxièmement, si on est nommé dans un emploi on n’est pas sûr de faire carrière. Troisièmement, si l’emploi dans lequel on a été nommé est supprimé, on peut être licencié.  M. Stanislas Guerrini voudrait donc nous faire revenir à l’état antérieur à1983, ce serait une formidable régression. M. Stanislas Guerrini a l’envie[1]archaïque.


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