Déclaration du PCF sur la fonction publique du 13 juillet 2023

40 ans de la loi sur la fonction publique – Pour des services publics du XXIe siècle

Publié le 13/07/2023 par PCF

Le statut de la fonction publique française est le fruit de conquis sociaux obtenus au fil des décennies. On le doit essentiellement à l’action de deux ministres communistes, Maurice Thorez d’une part, qui créa le statut général des fonctionnaires par la loi du 19 octobre 1946, et Anicet le Pors, qui unifia les trois fonctions publiques et dont nous fêtons le 40e anniversaire de la loi. 

Le statut de la fonction publique, étendu et renforcé par la loi du 13 juillet 1983, a permis de garantir aux usager·es la neutralité, l’égalité de traitement, le respect du cadre légal et des missions du service public, contre les influences de la finance et des pouvoirs en place. Il a donné aux fonctionnaires les moyens d’exercer leur citoyenneté et leur indépendance. 

Ce statut fut le résultat de quatre choix essentiels : la notion de fonctionnaire citoyen, héritée de la loi de 1946 ; le système de la carrière couvrant l’ensemble de la vie professionnelle de l’agent ; le respect d’un juste équilibre entre le principe d’unité de la République et celui de libre administration des collectivités territoriales ; la référence à trois principes essentiels ancrés dans notre histoire : l’égalité, l’indépendance, la responsabilité.

Le statut de la fonction publique est constitutif de notre nation et de nos services publics en leur permettant de se dégager des lois du marché.

C’est pourquoi le statut général des fonctionnaires, tout au long des 40 dernières années, n’a cessé d’être attaqué, soit sous forme d’offensives frontales soit par le moyen de transformations souterraines. 

C’est la cas de la réforme engagée par la loi de 2019 contribuant à aligner le public sur le privé, au recrutement massif de contractuel·les et au renforcement du pouvoir discrétionnaire des exécutifs ; ou encore le scandale de l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques, comme l’a révélé le rapport d’Éliane Assassi dans le cadre de la récente commission d’enquête du Sénat.

Le PCF porte le projet de renforcer le statut de la fonction publique pour construire des services publics à la hauteur des défis du XXIe siècle. 

La crise financière de 2008, ou plus récemment la crise du Covid, ont montré à quel point nos services publics sont essentiels pour répondre aux besoins de la population. Et c’est par le service public que nous relèverons les défis du XXIe siècle que sont la réponse aux besoins sociaux et la lutte contre le réchauffement climatique, des défis qui permettraient de créer des millions de postes susceptibles d’entraîner des vocations parmi les jeunes. 

Cette ambition implique d’ouvrir en grand le chantier d’une transformation progressisste de la fonction publique ! C’est ainsi que nous pourrons approfondir la notion d’intérêt général, étendre le secteur public, développer l’efficacité sociale, faciliter la mobilité professionnelle, renforcer les droits et les pouvoirs d’intervention des agents et des usager·es.

Nous sommes à un moment de l’histoire où la promotion des biens communs, la solidarité et la coopération sont une exigence pour un développement pacifique de l’humanité. Dans notre pays, ces différents concepts se condensent en une idée : le service public. 

Ensemble, agissons pour un nouvel âge d’or des services publics !


Parti communiste français,

Paris, le 13 juillet 2023

La fonction publique et le statut sont devenus de véritables enjeux desociété, de civilisation

À l’occasion du 40e anniversaire de la loi du 13 juillet 1983, l’AJFP a rencontré Anicet Le Pors, ministre de la Fonction publique de 1981 à 1984 et conseiller d’État honoraire. Le «père fondateur» du statut général évoque pour nous la genèse de la loi et les attaques dont le statut a rapidement fait l’objet. Il revient égale- ment sur la pérennité du statut et sur sa modernité ain- si que sur les enjeux actuels auxquels est confrontée la fonction publique. 

AJFP : La loi du 13 juillet 1983 célèbre actuellement ses 40 ans. Quel regard général posez-vous sur l’évolution de la fonction publique ces dernières décennies ?

Anicet Le Pors  : Il convient de replacer cette évolution  dans le très long terme. Trois tendances lourdes, pluriséculaires, peuvent être dégagées qui conditionnent encore aujourd’hui l’évolution dans les dernières décennies. Une extension des administrations de l’État et des autres collectivités publiques. Une socialisation des moyens et des financements publics. Une maturation de principes et de concepts : intérêt général, services publics, fonction publique. Malgré le « tournant néolibéral » ayant entraîné une « politique de la rigueur » à partir du printemps,1983, le nombre de fonctionnaires ou assimilés est passé de 1 million en 1946, exclusivement de l’État, a aujourd’hui 5,7 millions couvrant les services de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers. Durant cette période, la fonction publique a dû faire face à un très fort développement des besoins sociaux, à une véritable révolution, informationnelle, au changement considérable intervenu dans les contextes nationaux et internationaux, aux problèmes posés par le changement climatique, etc.  En dépit des défaillances de l’action publique, de l’insuffisance des moyens, les  collectifs de base des services publics ont su relever les défis posés par les différentes crises et notamment en dernier lieu la crise sanitaire. Dès lors, la fonction publique et le statut général des fonctionnaires sont devenus de véritables enjeux de société, de civilisation.

Quelles motivations ont donné naissance à un statut commun à l’ensemble des agents publics titulaires au début des années quatre-vingt ?

Lors de l’alternance politique, dès 1981, le président de la République, François Mitterrand, ayant fait de la décentralisation une priorité, chargea le ministre de l’Intérieur Gaston Defferre d’élaborer un projet de loi en ce sens.  L’avant-projet dont j’eus connaissance prévoyait bien un renforcement des garanties statutaires pour les agents publics des collectivités territoriales, mais en renvoyant leurs réformes au code des communes dans lequel elles étaient jusque-là insérées. Craignant alors l’instauration d’une fonction publique à deux vitesses, j’intervins à l’Assemblée nationale lors de la présentation du projet le 27 juillet 1981 soit un mois après mon entrée au gouvernement et je fis la proposition suivante :« la mise en place pour les personnels locaux d’un statut calqué sur celui de la fonction publique de l’État, c’est-à-dire sur le statut général des fonctionnaires. Il y a donc la une importante œuvre législative à prévoir, dont le champ d’application couvrira l’ensemble de la fonction publique nationale et locale. »[1]. Après débat, le premier ministre Pierre  Mauroy  validât cette démarche d’unification statutaire.  

L’élaboration du statut composé de quatre lois dura près de cinq ans. On peut considérer aujourd’hui qu’il est le résultat de quatre choix. Celui de la conception du fonctionnaire-citoyen par opposition à celle du fonctionnaire-sujet qui avait prévalu pendant un siècle et demi antérieurement, c’est un héritage du statut de 1946. Le choix du système de la carrière conférant au fonctionnaire la propriété de son grade, garantie de son indépendance contre le système de l’emploi le liant excessivement à un métier.  Le choix d’un juste équilibre entre unité et diversité, donnant lieu à la construction d’une fonction publique « à trois versants ». Le choix de trois principes ancrés dans notre histoire : égalité, indépendance, responsabilité.

À quels obstacles avez-vous dû alors faire face 

Une fois tranchées les questions de l’orientation statutaire et de l’architecture d’ensemble du nouveau statut, les obstacles ont pu être aisément franchis. Au terme d’une négociation longue et approfondie, les organisations syndicales soutinrent unanimement le projet. Les maires et leurs associations manifestèrent des craintes que ce nouvel encadrement statutaire réduisit leurs prérogatives ; aujourd’hui, ils soutiennent majoritairement e statut. L’opposition parlementaire, fut discrète, faute de « grain à moudre ». Si le premier ministre Pierre Mauroy apporta son aide constante à la réforme, le président de la République, François Mitterrand, s’en désintéressa largement. Il ne découvrit en réalité le travail accompli que lors du passage en conseil des ministres, à l’automne 1985, du projet de loi sur le titre IV du statut relatif à la fonction publique hospitalière. Imprégné sans doute de l’idéologie néolibérale à laquelle il s’était rallié, il critiqua vivement ces lois trop lourdes qui, selon lui, pèsent sur l’administration. Mais c’était trop tard [2]

En dépit des attaques que le statut a rapidement subies, il demeure encore 40 ans après ? Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Parce qu’il est un outil essentiel d’une société soucieuse de l’intérêt général, le statut   s’oppose naturellement aux tenants d’une société de marché. Ces derniers préféreront toujours le recours à la panoplie d’instruments du « droit souple » (charte de bonne conduite, code de déontologie, contractualisation, etc.) plutôt que la régulation par le droit positif concourant à une certaine démarchandisation des rapports sociaux. En 40 ans, le statut a subi de nombreuses attaques frontales. dont je ne donne ici que quelques repères : en 1987, la loi Galland relative à la fonction publique territoriale change pour le symbole  les corps en cadres et ressuscite le système des « reçus-collés » dans les concours ; en 2003,  le rapport annuel du Conseil d’État préconise de faire du contrat une « source autonome du droit de la fonction publique » ; en 2007 le président Sarkozy, se prononce en faveur de contrats de droit privé négociés de gré à gré ; en 2008, le livre blanc Silicani oppose le contrat à la loi, le métier à la fonction, la performance individuelle à l’efficacité sociale ; enfin, la loi dite de transformation de la fonction publique du 6 août 2019  débouche sur une tout autre conception de la fonction publique. Par ailleurs, des centaines de modifications du statut, souvent des dénaturations, sont intervenues, tendant à provoquer un véritable « mitage » du texte. S’il a été profondément défiguré, le statut a résisté à tout cela. J’y vois deux raisons : d’une part, la solide architecture juridique de la fonction publique « à trois versants », d’autre part, cet ensemble statutaire a été fondé sur des principes générés par l’histoire nationale que je viens de rappeler.

Le statut, longtemps conçu comme un élément de protection des agents, est à présent présenté par certains comme synonyme de rigidité. Comment expliquer ce changement d’appréhension ?

Ce n’est pas nouveau. La question de la plus ou moins grande rigidité du statut mériterait un débat. Mais ceux qui l’évoquent n’avancent jamais de justification concrète de leur critique. On peut observer trois types de comportements à cet égard. D’abord, celui des partisans de l’économie néolibérale adversaires résolus de toute réglementation, encadrant leurs actions et qu’i ne s’embarrassent pas d’apporter la preuve de ce qu’ils avancent. Il y a ensuite ceux qui, par facilité ou intérêt préfèrent recourir à des agents contractuels plutôt que de recruter des fonctionnaires. Il y a enfin ceux qui confondent règles statutaires et actes de gestion administrative.  En fait, ce sont les auteurs des attaques que je viens de rappeler, qui, introduisant et développant de l’hétérogénéité dans les dispositions statutaires ont nui à la comparabilité des situations et par la fête obstacle, à la mobilité érigée en 1983 au rang de garantie fondamentale des fonctionnaires. 

Que répondez-vous à ceux qui estiment que le statut général est 

désormais inapproprié face aux enjeux actuels ?

C’est Emmanuel Macron qui le premier a qualifié d’ « inapproprié » le statut[3], sans pour autant analyser sérieusement la réalité de la fonction publique et la nécessité de son évolution. Or, c’est cela qui permet de faire face aux enjeux de notre époque. La réalité de la fonction publique, c’est d’abord l’expression d’un travail collectif. On ne peut réaliser une réforme pertinente de la fonction publique sans le soutien des fonctionnaires et de leurs organisations syndicales représentatives. C’est pourquoi le statut de 1983 a introduit le droit à la négociation de ses organisations, droit largement méconnus depuis la fin des années 1980. Dans les crises, les collectifs de base ont fait la preuve de leur esprit de responsabilité et de leur capacité d’initiative dans le cadre de services publics. C’est aussi une réalité structurelle, impliquant une juste évaluation des qualifications et leur organisation au sein de catégories, corps, statuts particuliers assortis de grilles indiciaires correspondantes. C’est seulement sur cette base que peut être mise en place une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences tenant compte des évolutions technologiques et de celles des besoins de la population, et conduites, dans le cadre d’une planification démocratique, les transitions sociale, institutionnelle, climatique, numérique, énergétique et d’autres qui vont s’imposer. C’est aussi une réalité de long terme, qui ne peut être traitée dans la seule référence au principe de l’annualité budgétaire. C’est  l’instrument par excellence du collectif, du structurel et du prospectif.

La conception de la fonction publique qui se dégage de la dernière loi majeure en la matière, la loi du 6 août 2019, est éloignée de celle des statuts de 1946 et 1981. De quels écueils cette loi est-elle selon vous porteuse ?

Il s’agit, en effet, d’une tout autre conception de la fonction publique, une dérive vers une fonction publique d’emploi, voire une généralisation du spoil system américain. Les attaques contre le statut évoquées précédemment ont été accompagnés d’une succession d’actions publiques, pernicieuses car toutes  motivées par la volonté de réduire les financements nécessaires aux services publics et souvent élaborées avec le concours d’organismes privés tels que les sociétés Mac Kinsey et Cap Gemini comme l’a révélé un récent rapport du Sénat. Il s’agit notamment de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en 2006, de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) en 2008, de la Modernisation de l’action publique (MAP) en 2013, du Comité action publique 22 (CAP 22) en 2017. Aucune de ces opérations n’avait de bases rationnelles, scientifiques. Le gouvernement n’a pas osé publier un rapport attendu début 2018 de CAP 22 en raison de son caractère trop ostensiblement affiché par l’idéologie managérial du privé. CAP 22 fut donc un leurre. Mais si la démarche annoncée fut chaotique, la stratégie, elle, était clair. Elle a consisté au début du précédent quinquennat à parachever une réforme néolibérale du code du travail  pour faire de l’entreprise privée la référence sociale majeure valable pour le public comme pour le privé, puis à supprimer le statut des cheminots, ce qui ouvrit la voie à la remise en cause du statut général des fonctionnaires par la loi du 6 août 2019. On peut résumer cette dernière par ces trois caractéristiques dominantes : un alignement du public sur le privé, un recrutement massif de contractuels, un renforcement du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif. Sur de telles bases, on peut craindre : une confusion des finalités de l’action publique entre intérêt général et intérêts particuliers, une multiplication des conflits d’intérêts, une captation de l’action publique par les puissances financières dominantes.

Quel regard portez-vous sur le code général de la fonction publique, dont la partie législative est entrée en vigueur en mars 2022 ?

L’éminent juristes du droit administratif, mon ami Guy Braibant, qui présida la Commission nationale de codification disait malicieusement : « La codification, s’effectue à droit constant, mais il n’est pas interdit de la faire à droit intelligent constant ». Il voulait dire par-là que si le codificateur  doit respecter strictement le sens des dispositions législatives ou réglementaires qu’il codifie, il peut dans le choix des mots ou l’agencement des règles, apporter des modifications qui éclairent leur compréhension. Il n’ignorait pas les risques alors encourus, si ces modifications dépassaient la marge d’ajustements raisonnables. Partisan moi-même de la codification des textes, chaque fois que cela est possible et utile, je me suis réjouis d’être appelé à rapporter devant l’assemblée générale du conseil d’État pour  la dernière fois dans ma carrière au sein de la juridiction sur la codification de la partie législative du code de la route. Mon rapport à la codification est moins satisfaisant s’agissant de la fonction publique. Dans les derniers jours de l’élaboration de la loi du 13 juillet 1983, a surgi la proposition d’une codification générale de cette loi et de celles à venir sur les trois versants de la fonction publique. Cette proposition a soulevé la colère des organisations syndical.es qui ont cru y voir la substitution de la notion de statut par celle de code. Je me suis opposé moi-même à cette manœuvre de dernière minute qui n’a pas abouti. Avec la codification des quatre lois statutaires de 1983–1986, la question est plus sérieuse et peut discréditer la notion même de codification. D’abord parce qu’elle s’applique  à une matière devenue très hétérogène par l’ampleur des dénaturations intervenues depuis 1983 ; un assainissement préalable aurait été nécessaire, impossible dans les conditions politiques actuelles. Ensuite, parce que le réaménagement  peut cacher des arrière-pensées, par exemple au début du code  surgit le thème du dialogue social, alors que toutes les organisations syndicales se plaignent de sa déficience. Enfin, parce  qu’il se dégage de cette codification qu’elle est réalisée davantage dans un esprit de direction des ressources humaines, plutôt que d’affirmation des droits et obligations des fonctionnaires et de l’équilibre à établir entre l’unité et la diversité des fonctions publiques correspondant aux trois versants.

Quel est selon vous le principal levier pour lutter contre cette crise d’attractivité ?

Il fut un temps, dans ma Bretagne d’origine, où parlant d’un fonctionnaire, on disait qu’il avait de la chance et l’honneur de travailler « sous l’État ». On n’entend plus cela, mais je pense néanmoins qu’il en reste quelque chose dans la culture populaire. L’attractivité des emplois occupés par les fonctionnaires doit s’apprécier aujourd’hui dans un contexte de crise de société aux multiples dimensions où les fonctionnaires ont souvent été en première ligne. Au cours des dernières décennies, ils ont été souvent dénigrés, l’insuffisance de leur rémunération a nourri chez eux le sentiment d’un déclassement social, le manque de moyens et la dégradation des conditions de travail ont  pu les faire douter de leur utilité. Et ils ont fait savoir tout cela. Comment s’étonner dans ces conditions de la faible attractivité des emplois occupés par ces fonctionnaires ? Le statut ne figure pas parmi les causes de cette situation, mais si son évolution conduisait à un recrutement massif de contractuels, la garantie d’emploi qu’il assure en serait évidemment réduite et la situation aggravée. En réalité, si elle n’est pas la seule, la faiblesse des rémunérations apparaît comme la cause principale de l’inatractivité des emplois de la fonction publique. Il ne s’agit pas d’une question statutaire, mais d’un problème politique, dont la solution dépend de la seule volonté du gouvernement.  Il est aussi parfois avancé que l’individualisation des traitements par la rémunération au mérite permettrait à chacun de tenter sa chance et serait par-là un facteur d’attractivité. Mais déjà aujourd’hui le mérite peut être récompensé par la promotion interne, et si cette reconnaissance devait être traitée par des primes, la conséquence serai sans doute une division des collectifs de travail. Le nouveau management public (NMP) n’est pas non plus la solution, il a échoué partout, entraînant dans son fiasco, l’École nationale d’administration (ENA) qui prétendait en être le temple. Si, avec le relèvement substantiel des traitements des fonctionnaires, les moyens attribués aux administrations étaient fortement accrus cela serait de nature à renforcer les liens de la nation et de sa fonction publique et l’engagement des citoyens dans le service public.

Comment le syndicaliste que vous avez été observe la récente réforme du dialogue social dans la fonction publique ?

J’ai effectivement siégé au sein des commissions administratives paritaires (CAP), qui examinaient la situation individuelles des agents (recrutement, affectation, promotion, discipline, etc.) et dans les comités techniques paritaires (CTP) qui étaient saisis de problèmes relatifs à la gestion des services. L’une de mes premières décisions comme ministre a été de demander aux administrations de faire vivre plus intensément ces organismes qui, bien que de caractère seulement consultatif, étaient de véritables lieux de concertation, entre représentants de l’administration et du personnel. Malheureusement, ils ont perdu toute signification par la réduction progressive puis la suppression du paritarisme et de leurs compétences. La loi de transformation de 2019 a réduit au strict, minimum les lieux de contacts entre les décideurs administratifs et les organisations syndicales ou les représentants du personnel. Les lignes directrices de gestion prévues par la loi  soulignent le caractère vertical de la prise de décision administrative.  Je crois bon de rappeler que le statut de 1983 a bénéficié du soutien de l’ensemble des organisations syndicales après une très longue période de négociation approfondie, sans que l’on évoque à aucun moment la nécessité d’un dialogue social puisqu’il avait lieu effectivement. Aujourd’hui, on parle d’autant plus de dialogue social, qu’il n’y a pas de dialogue social.

Sur quels terrains prioritaires devrait aujourd’hui se développer le dialogue social dans la fonction publique ? Aucun des grands thèmes de société actuels ne saurait a priori être écarté s’il convient de se garder des modes et des idéologies de substitution qui prospèrent. Par ailleurs, il importe de considérer que la fonction publique n’appartenant pas aux fonctionnaires mais à la nation tout entière, les accords collectifs internes ne  sauraient s’imposer à la loi. C’est donc sur le champ statutaire que doivent être ouverts les chantiers prioritaires. Ils sont, à mon avis, de trois ordres. Théorique d’abord. De nombreux travaux ont fait fructifier l’héritage de l’école du service public de Bordeaux à la fin du XIXe siècle, mais avec l’évolution technologique et l’expansion diversifiée des besoins dans un contexte social élargi, une mise à jour serait sans doute utile. J’ai évoqué à plusieurs reprises la notion d’efficacité sociale qui identifie le service public multidimensionnel par rapport à la performance individuelle et l’objectif de rentabilité unidimensionnelle de  l’entreprise privée, il reste à rendre le concept opérationnel. Juridique ensuite. La mobilité est devenue une garanties statutaire fondamentale, la responsabilité est au cœur de la conception du fonctionnaire-citoyen, ces principes  familiers auraient besoin d’une explicitation en droit. Méthodologique enfin. Il s’agit notamment d’une refonte générale du système des grilles indiciaires presque inchangées depuis des décennies ; c’est la condition pour mettre au point une véritable gestion prévisionnelle programmée des effectifs et des compétences donnant toute sa portée au calcul économique et sa place à la démocratie par le dialogue social. Ce n’est pas seulement l’affaire de l’administration, c’est celle aussi de l’ensemble des fonctionnaires et de leurs organisations.

En quoi le siècle actuel pourrait être l’« âge d’or » du service public, pour reprendre une expression de votre livre La fonction publique du xxie siècle ? 

Nous sommes sortis d’un XXe siècle, que l’on peut qualifier de prométhéen, dominé par de grandes idéologies messianiques : la théorie néoclassique pour les libéraux, le réformisme redistributif pour les socio-démocrates, le marxisme pour les communistes. Elles se sont affaissées à la fin du siècle, laissant place à une réaction néolibérale hostile à toute réglementation susceptible de faire obstacle à la domination de l’économie de marché. Certains ont cru pouvoir déduire de cette évolution la fin de l’histoire, d’autres ont théoriser sur le chaos ou le déclin.  La complexité de la situation actuelle s’accompagne d’une perte de repères. La multiplicité des crises environnementale, sanitaire, sociale, financière, numérique, etc. ont bien le caractère d’une mutation à l’œuvre.  Mais notre époque est aussi celle de la prise de conscience par les peuples de l’unité de destin du genre humain. C’est celle du développement des interdépendances, des coopérations, des solidarités, des progrès scientifiques, de l’affirmation de valeurs universelles, idées qui se condensent, en France, dans le concept de services public. Loin de disparaître dans les crises du néolibéralisme, la nécessité du recours aux services publics s’est affirmée, sous forme du développement de l’intervention de l’État et des collectivités publiques, par l’augmentation des financements rendus indispensable pour garantir la cohésion sociale et une satisfaction minimale des besoins fondamentaux, comme construction intellectuelle susceptible de compenser l’affaissement idéologique de ce début de XXIe siècle, une loi de nécessité capable d’ouvrir effectivement un « nouvel âge d’or du service public.

Dans cette perspective, la fonction publique dont les effectifs représentent, dans notre pays, les quatre cinquièmes de l’ensemble des effectifs des services publics. Au service de l’intérêt général, elle en couvre toutes les composantes régaliennes et non régaliennes : souveraineté, santé, éducation, sécurité, recherche, assistance sociale, aménagement du territoire, droits Individuels et collectifs, etc. Grâce au statut général des fonctionnaires, modernité inscrite dans l’histoire, fondé sur des principes républicains, il garantit les conditions d’une administration neutre, intègre, et efficace. Pour autant, la fonction publique ne peut, à elle seule, résoudre les problèmes posés par les crises diverses, il lui faut en tout état de cause, le soutien d’une volonté politique de promotion et des moyens appropriés. Deux conditions qui lui font cruellement défaut aujourd’hui.


[1] JO des débats de l’Assemblée nationale, le 28 juillet 1981 p. 321-322.

[2]  Anicet, Le Pors et Gérard Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Paris, Editions de l’Atelier, 2e  édition, p. 75, 2021.

[3] Le  Point, 31 août 2017

TRIBUN E :« Le statut général des fonctionnairesa 40 ans et il est toujours d’actualité ! »

« Nous vivons dans une société en constante évolution, aiguillonnée par les échanges intellectuels, culturels et artistiques, par les progrès techniques et scientifiques, l’évolution des processus de production, par l’abondance d’informations, de savoirs et de richesses. Mais, nous vivons aussi dans une société confrontée aux périls majeurs que sont les inégalités et les dominations de toutes sortes, en particulier les inégalités de revenus, qui explosent, et l’accaparement du patrimoine par un petit nombre, les libertés publiques qui sont écornées, le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité.

Syndicalistes, militantes et militants d’associations, responsables politiques, chercheuses et chercheurs, nous sommes soucieux d’ouvrir des perspectives de transformation sociales et écologiques à même de répondre à ces défis.

Les services publics, un bien irremplaçable

Parce qu’ils permettent de soustraire de la sphère marchande et de la recherche du profit immédiat des pans essentiels des rapports sociaux, parce qu’ils servent l’intérêt général dans une perspective de long terme, soucieuse des ressources et respectueuse des personnes, parce qu’ils privilégient la coopération et la mutualisation dans la mise en œuvre effective des droits pour tous, dans la prise en charge des besoins collectifs, dans la promotion du bien commun, les services publics et la fonction publique sont des atouts précieux.

Aussi, nous refusons et combattons les politiques qui réduisent le champ de l’action publique ou intègrent au cœur même des services publics les logiques du marché, orchestrant la dégradation du service rendu aux populations et la désespérance dont se nourrissent les forces anti-démocratiques. Il est temps d’affirmer que les services publics sont des leviers permettant d’assurer à tous un égal accès aux droits fondamentaux, de faire reculer le sexisme, les inégalités et les discriminations, de mieux répondre aux besoins de la santé de tous et aux défis majeurs qu’impose la catastrophe écologique.

Pour peu qu’on se donne les moyens d’une politique fiscale ambitieuse et juste, les richesses existent aujourd’hui pour financer la réparation des services publics et de la protection sociale, affaiblis par des années de néo-libéralisme et d’austérité, mais aussi pour étendre l’action publique à de nouveaux champs comme l’autonomie face au vieillissement ou la lutte contre le réchauffement climatique.

Des fonctionnaires-citoyens au service de la Nation, de la justice et de la démocratie

Il est temps de reconnaître et de soutenir le rôle des fonctionnaires, dont l’action est entièrement dévouée à l’effectivité des droits, à l’égalité de traitement, à la continuité du service, à la recherche des solutions nouvelles aux problèmes que rencontrent au quotidien les populations, qu’ils soient récurrents ou inédits.

Les discours faussement louangeurs contredits par des politiques rétrogrades ne sont plus acceptables.

Nous plaidons pour une Fonction publique qui place les agents en situation de responsabilité, en les préservant de la soumission aux intérêts particuliers, en leur garantissant des droits individuels et collectifs, en évitant la précarité, tout ceci constituant des garanties pour les citoyens d’une Fonction publique neutre et impartiale.

Parce qu’il est une richesse et un levier majeur de justice sociale, point d’appui pour les conquêtes sociales de tout le salariat, nous affirmons qu’il faut promouvoir le statut général des fonctionnaires, et ainsi réaffirmer le choix d’une fonction publique sous statut, c’est-à-dire à la disposition de la Nation, reconnaissant aux fonctionnaires leur rôle et leurs droits de citoyen ou citoyenne.

Des fonctionnaires qui doivent être véritablement reconnus

Nous avons besoin d’une Fonction publique qui garantisse une rémunération et une retraite dignes, l’exercice d’un métier, l’occupation d’un emploi et le bénéfice d’un grade en rapport avec les qualifications et les missions de l’agent.e, une Fonction publique renforcée par une politique de l’emploi et une politique salariale ambitieuses, indispensables à des services publics de qualité.

Parce que la démocratie sociale est une dimension constitutive d’une société démocratique, il y a urgence à rétablir et à rénover les cadres d’expression et de participation aux décisions, par lesquels les fonctionnaires expriment leurs besoins et leurs revendications, échangent avec la population, afin que le service public reste toujours en phase avec les besoins de celle-ci.

Saluer les 40 ans du statut et lui donner un avenir

40 ans après la loi de juillet 1983 qui institue le statut contemporain, démocratique et fédérateur, résultant d’un siècle de luttes et de conquêtes sociales, nous réaffirmons l’actualité d’un statut, qui ne soit pas un texte sacré, mais la réponse aux exigences, évolutions, mutations de notre époque, sur la base des choix fondamentaux ancrés dans l’histoire.

A l’exact inverse de cette ambition de progrès social, la loi de 2019 dite de «transformation de la Fonction publique», outil permettant tous les reculs, doit être abrogée.

Ensemble, nous agissons et agirons pour un statut porteur d’avenir, de citoyenneté et d’intérêt général. »

Liste des premiers signataires

  • ·       Christine Arrighi, députée EELV
  • Manon Aubry, eurodéputée, co-présidente du groupe de la Gauche au Parlement européen
  • Gérard Aschieri, ancien secrétaire général de la FSU
  • Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’homme
  • Karim Ben Cheikh, député EELV
  • Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT
  • Manuel Bompard, Député LFI des Bouches-du-Rhône
  • Arnaud Bontemps, collectif  « Nos services publics »
  • Jean-Marc Canon, responsable de la CGT Fonction publique
  • André Chassaigne, député PCF, Président du groupe Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale
  • Cyrielle Chatelain, députée EELV, présidente du groupe Écologiste à l’Assemblée nationale
  • Catherine Couturier, députée de la Creuse LFI
  • Guislaine David, co-secrétaire générale de la FSU-SNUIPP
  • Christophe Delecourt, co-secrétaire général de l’union fédérale CGT des syndicats de l’État
  • Pierre Dharreville, député PCF des Bouches-du-Rhône
  • Vincent Drezet, porte-parole de l’association ATTAC
  • Annie Ernaux, écrivain, Proximité Nobel de Littérature
  • Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au logement
  • Julien Fonté, secrétaire général du SNUTER-FSU
  • Bernard Friot, sociologue
  • Sigrid Gérardin, secrétaire générale du SNUEP-FSU, secrétaire nationale FSU à l’égalité femmes-homme
  • Julie Gervais, politiste, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  • Bernadette Groison, membre du CESE, ancienne secrétaire générale de la FSU
  • Clémence Guetté, députée du Val-de-Marne LFI
  • Michel Jallamion, président de la Convergence Nationale des Collectifs de Défense et de Développement des Services publics
  • Gisèle Jean, maire de Quéaux, 1ère vice-présidente de la Communauté de communes Vienne-et-Gartempe
  • Yves Jean, Président honoraire de l’Université de Poitiers,
  • Marietta Karamanli, députée PS
  • Anicet Le Pors, ancien ministre chargé de la fonction publique
  • Bruno Lévéder, secrétaire national FSU à la fonction publique
  • Émilie Moreau, secrétaire nationale FSU
  • Mathilde Panot, députée LFI, Présidente du groupe La France Insoumise à l’Assemblée nationale
  • Francesca Pasquini, députée EELV
  • Willy Pelletier, sociologue à l’Université de Picardie
  • Frédéric Pierru, sociologue, chercheur au CNRS
  • Natacha Pommet, secrétaire générale de la fédération CGT des services publics
  • Valérie Rabault, députée PS
  • Jean-Claude Raux, député EELV
  • Fabien Roussel, député, secrétaire national du PCF
  • Pierre Serna, professeur en Sorbonne, Institut d’histoire de la Révolution française
  • Mireille Stivala, secrétaire générale de la fédération CGT de la santé et de l’action sociale
  • Ephram Strzalka-Beloeil, président de La Voix Lycéenne
  • Baptiste Talbot, coordinateur de la CGT Fonction publique
  • Benoit Teste, secrétaire général de la FSU
  • Bernard Thibault, ancien secrétaire général de la CGT
  • Laurent Tramoni, secteur emploi carrières rémunérations du SNES-FSU
  • Boris Vallaud, député PS, président du groupe Socialiste et apparentés à l’Assemblée nationale
  • Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU
  • Céline Verzeletti, co-secrétaire générale de l’union fédérale CGT des syndicats de l’Etat
  • Marie-Pierre Vieu, fondation Copernic

Le statut des fonctionnaires « n’a pas arrêté d’être attaqué », pour son créateur Anicet Le Pors’ .

Dépêches AFP du 5 juillet 2023

#LDK21 : 40e anniversaire de la loi du 13 juillet 1983 créant le statut général des fonctionnaires

« En conflit avec la logique marchande qui domine la vie économique », le statut moderne des fonctionnaires « n’a pas arrêté d’être attaqué » depuis sa création il y a quarante ans, estime son créateur, Anicet Le Pors, dans un entretien à l’AFP.

« Le fait d’être attaqué, pour le statut général des fonctionnaires, est un état normal », insiste l’ancien ministre de la Fonction publique de François Mitterrand (1981-1984), qui cosigne mercredi une tribune défendant le statut de fonctionnaire. 

« Comme c’est un instrument majeur de poursuite de l’intérêt général, il s’inscrit en conflit avec la logique marchande qui domine la vie économique et plus généralement la vie des sociétés », juge auprès de l’AFP l’ancien responsable communiste.

Après de premières ébauches de statut en 1946 et en 1959, la loi du 13 juillet 1983 a gravé dans le marbre une série de droits, rapelle Anicet Le Pors, aujourd’hui âgé de 92 ans. 

« Par exemple, le droit de grève n’était pas dans le statut du fonctionnaire! » s’exclame-t-il. 

« La mobilité a été érigée au rang de garantie fondamentale, le droit à la négociation des syndicats a été inscrit dans le statut », comme « le droit à la formation initiale et continue ».

La loi de 1983 « contient la définition du fonctionnaire et tout ce qui est commun aux fonctionnaires » hospitaliers, territoriaux et de l’Etat, résume Anicet Le Pors.

Elle a surtout étendu le statut aux agents des collectivités et des hôpitaux et établissements de recherche. 

De quoi faire exploser les effectifs du secteur public, aujourd’hui composé de 5,7 millions d’agents dont 22% de contractuels, au statut moins protecteur que celui de fonctionnaire.

Selon l’administration, les effectifs de contractuels ont augmenté en moyenne de 3% chaque année entre 2011 et 2021, là où le nombre de fonctionnaires, dont le déroulement de carrière et les progressions salariales sont garantis, est resté stable d’une année sur l’autre.

– Problèmes de recrutement –

Mais Anicet Le Pors l’assure, la tribune publiée mercredi ne révèle pas une « opposition de principe » à l’emploi contractuel.

« Il y a toujours eu des contractuels dans la fonction publique », reconnaît-il.

« Simplement, on tient à ce que les emplois permanents de la fonction publique fassent l’objet d’un recrutement par voie de concours, basé sur le mérite. » 

Or « les contractuels sont circonscrits par définition à une relation bilatérale entre l’administration et un individu pour la réalisation d’un projet ou d’une mission, pendant un temps déterminé ».

« Pendant des décennies, on a recruté des contractuels et puis quand il y en avait beaucoup, on finissait par les titulariser », rappelle Anicet Le Pors.

Une pratique moins courante aujourd’hui, même si l’actuel ministre de la Fonction publique Stanislas Guerini a affirmé en octobre 2022 que le recours aux contractuels n’avait pour lui rien d' »idéologique ».

« S’il y a des recours au contrat et à l’intérim, c’est souvent parce que nous n’arrivons pas à recruter et à titulariser », se défendait-il alors à l’occasion d’une audition à l’Assemblée nationale.

Les employeurs publics sont en effet confrontés depuis plusieurs années à de sérieux problèmes de recrutement, que les syndicats attribuent notamment à la faiblesse des rémunérations. 

Le traitement des fonctionnaires a de fait été quasiment gelé entre 2010 et 2022.

Dans les années 1980, les négociations salariales étaient « une sorte de grand-messe d’une durée de trois mois (…) et ça imprégnait bien au-delà de la fonction publique », raconte Anicet Le Pors.

« Les grandes entreprises étaient très attentives à ce qu’il se passait dans les négociations salariales de la fonction publique », poursuit-il.

« Les syndicats faisaient des demandes, on n’avait des réponses que partielles. Ils en rendaient compte à leurs mandants et revenaient en disant qu’ils avaient consulté, qu’il fallait plus. On lâchait un peu plus et puis le truc recommençait, et ça durait trois mois », sourit l’ancien membre du gouvernement.

Mi-juin, la dernière réunion salariale entre gouvernement et syndicats de fonctionnaires qui a abouti à une hausse des traitements de 1,5% « a duré trois heures », déplore-t-il, même si les discussions étaient engagées depuis plusieurs semaines. 

Pour ses 40 ans, députés de gauche et syndicats défendent lestatut de fonctionnaire

#LDK21 : 40e anniversaire de la loi du 13 juillet 1983 créant le statut général des fonctionnaires

« Il faut promouvoir le statut général des fonctionnaires »: une soixantaine de députés de gauche, de syndicalistes et d’anciens ministres de la Fonction publique ont défendu le statut de fonctionnaire dans une tribune publiée mercredi par l’agence AEF Info.

« Nous avons travaillé de concert pour produire un texte qui marque cet événement, puis se rassembler et rendre visible l’attachement qui est le nôtre à ce statut« , a déclaré Pierre Dharréville, député communiste des Bouches-du-Rhône, lors d’une conférence de presse rassemblant certains signataires à l’Assemblée nationale.

Quarante ans après la loi du 13 juillet 1983 qui a gravé dans le marbre lestatut des fonctionnaires le droit de grève, de formation ou de négociation pour les syndicats, « nous réaffirmons l’actualité d’un statut, qui ne soit pas un texte sacré, mais la réponse aux exigences, évolutions, mutations de notre époque », écrivent les signataires.

« On a affaibli le statut, mais (…) il est toujours vivant, il faut le faire vivre et on entend bien le faire vivre », a ajouté Benoît Teste, le secrétaire général de la FSU, tout en assurant que la tribune n’était pas une initiative isolée. 

« Elle a vocation à être diffusée, signée largement et être le support d’une campagne », a-t-il ajouté.

La tribune est publiée alors que plus d’un agent public sur cinq (22%) était employé fin 2021 sous le statut de contractuel, moins protecteur que celui de fonctionnaire, selon l’administration.

Le recours aux contractuels a notamment été facilité par la loi de transformation de la fonction publique, adoptée en août 2019. La tribune demande d’ailleurs l’abrogation de « cet outil permettant tous les reculs ».

Le texte a notamment été paraphé par le créateur du statut moderne de fonctionnaire, l’ancien ministre communiste Anicet Le Pors, mais également sa successeure socialiste Marylise Lebranchu, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet ou les présidents des groupes insoumis, socialiste et écologiste de l’Assemblée nationale.

« Il est temps de reconnaître et de soutenir le rôle des fonctionnaires », martèlent les signataires.

« Nous plaidons pour une fonction publique qui place les agents en situation de responsabilité, en les préservant de la soumission aux intérêts particuliers, en leur garantissant des droits individuels et collectifs, en évitant la précarité, tout ceci constituant des garanties pour les citoyens d’une fonction publique neutre et impartiale », ajoutent-ils.

La loi de transformation de la fonction publique est une « loi dangereuse dont la portée est pour ses auteurs même un complexe », affirme à l’AFP Anicet Le Pors. 

« Devoir supprimer l’ENA », depuis remplacée par l’Institut national du service public, « c’est un peu scier la branche sur laquelle on est » assis, souligne-t-il.

« Il y a toujours eu des contractuels dans la fonction publique, je n’ai pas récusé en soi la notion de contractuel », poursuit M. Le Pors, aujourd’hui âgé de 92 ans.

« Simplement, on tient à ce que les emplois permanents de la fonction publique fassent l’objet d’un recrutement par voie de concours, basé sur le mérite », conclut-il.

Dépêche s AEP du 5 juillet 2023

Brève histoire d’une médaille

Traduction sur cuivre du statut général des fonctionnaires, la médaille de la fonction publique française permet, à côté des décorations, de reconnaître l’engagement desagents en faveur du service public.

Une médaille symbolisant la conception française de la fonction publique ? L’idée a germé dans la tête d’Anicet Le Pors, alors ministre de la Fonction publique et des réformes administratives, en même temps qu’était lancée l’élaboration du statut général des fonctionnaires en 1982. Un comité de sélection est constitué et un concoursorganisé par la direction des monnaies et médailles. Son thème : donner à voir l’unité et la diversité de la fonction publique française. Une trentaine d’artistes participe. « Il estintéressant de noter que beaucoup ont retenu comme éléments symboliques la SNCF et la Sécurité sociale. Alors que ce ne sont pas des fonctions publiques !» se souvient Anicet Le Pors. C’est le sculpteur Michel Baduel qui est sélectionné. Il lui est toutefois demandé de retravailler le revers.

TIRAGE LIMITÉ

« Derrière la face figurative, qui était dominée par la réalité administrative, nous souhaitions quelque chose de plus symbolique afin d’exprimer le fonctionnement en réseaux. L’une des membres de mon cabinet, dont le mari travaillait dans l’informatique, a proposé de s’inspirer des circuits électroniques imprimés », explique Anicet Le Pors. Frappée par la Monnaie de Paris à quelques centaines d’exemplaires, elle a été remise à l’occasion d’événements, notamment à des maires lors de visites officielles et à dessyndicalistes. Elle n’est plus commercialisée depuis plusieurs années mais peut êtreproduite à la demande par lot de 25 ou 50. Pour le trentième anniversaire du statutgénéral des fonctionnaires, Marylise Lebranchu, à l’époque ministre de laDécentralisation, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, en a fait frapper pourles offrir

aux intervenants du colloque qu’elle avait organisé le 13 juillet 2013. Anicet Le Pors en a passé commande récemment pour honorer les personnes à qui il souhaite « faire plaisir », en particulier à l’occasion des remise de décorations qu’il lui arrive encore d’effectuer.

BEAUCOUP D’ÉMOTION

Objet d’art honorifique, cette médaille est à distinguer de celle du ministère de la Fonctionpublique qui arbore l’hôtel de Castries – siège du ministère –

, et que la plus célèbre cantinière de France, Evelyne Debourg, s’est vu remettre en 2006.« Christian Jacob, alors ministre de la Fonction publique, m’a donné cette magnifiquemédaille en même temps que mon trophée de meilleure cantinière de France. Ça m’a beaucoup touchée car elle est normalement décernée aux énarques », relate EvelyneDebourg, désormais retraitée. Elle était en poste à l’école d’Ebreuil, petite commune de l’Allier de 1 250 âmes.

La médaille de la fonction publique est aussi à différencier des médailles d’honneurrégionales, départementales ou communales qui récompensent les années de services (20, 30 ou 35 ans) rendus aux collectivités. Bien que moins illustres que la création de Michel Baduel, les médailles d’honneur portent en elles le témoignage d’une reconnaissance très appréciée des agents qui les reçoivent. « Il y a toujours beaucoup d’émotion lors de la cérémonie, qui constitue un moment fort de commémoration du temps consacré au service public », constate Yvan Brégeon, directeur général desservices de Pessac (1 000 agents, 65 800 hab., Gironde).

Ce que confirme Lyndia Desnoues, DGS de Champigny-sur-Marne (2 300 agents, 77 500 hab., Val-de-Marne). « Le fait d’avoir servi le service public pendant un certain nombre d’années est officiellement reconnu par la collectivité, les élus, les collègues, lafamille. Sans distinction entre catégories hiérarchiques puisque ce sont les années deservices qui comptent. Tout le monde est à égalité et mélangé », souligne-t-elle.

Encadré(s) :

A la demande

La médaille de la fonction publique peut être frappée à la demande pour 100 à 120 eurosl’unité, selon la quantité commandée.

TÉMOIGNAGE – « Un symbole de transversalité, d’agilité et de modernité »

« J’ai reçu la médaille de la fonction publique des mains d’Anicet Le Pors le jour où il m’a remis les insignes de chevalier de l’Ordre national du mérite. Il ne m’a rien dit sur le moment et me l’a offerte, en aparté, après la cérémonie officielle, en témoignage, m’a-t-il assuré, de mon engagement en faveur du service public. Je ne m’y attendais pas, j’en aiété très touchée. Elle est exposée dans ma bibliothèque à côté des ouvrages que j’apprécie. Car si je suis arrivée là où je suis, c’est grâce à la lecture qui éveille à laréflexivité et à l’esprit critique. Je trouvais qu’elle avait toute sa place à cet endroit. Cette médaille symbolise la conception française de la fonction publique. L’idée detransversalité et d’agilité y était déjà inscrite. Sa modernité apparaît à travers le système de réseaux au revers. C’est sur cette face que sont inscrits mon prénom et mon nom. Et je peux dire que je reste très fière de contribuer, au quotidien, au service public et de faire partie de cette communauté engagée d’agents, dont nous célébrons cette année lesquarante ans. »

Décentralisation, rayonnement, interdépendance…

A l’avers de la médaille est inscrit « fonction publique française » En lettres capitalesentrelacées. Composant une solide architecture, elles se superposent à une carte deFrance stylisée auréolée de rayons. Ces faisceaux symbolisent la décentralisation, qui était, en 1982, une priorité du gouvernement, et le rayonnement de la représentation de la fonction publique française à l’étranger. La composition au revers, avec ses fils et sessoudures analogues à un circuit électronique, exprime à la fois la modernité del’administration et une conception du fonctionnement administratif où l’interdépendancedes fonctions l’emporte sur la hiérarchie des pouvoirs.

Maud  Parnaudeau

40e anniversaire du statut général des fonctionnaires

Le dernier numéro de la Gazette des communes en date du 12 juin 2023 publie un important dossier pour le 40e anniversaire du Statut général des fonctionnaires. La Gazette a également pris l’initiative d’un colloque sur le sujet le 22 juin et au cours duquel ont été abordés les principaux problèmes actuels : le choix de la fonction publique, le service public producteur de richesse, le principe hiérarchique et la haute fonction publique, la confiance et le respect des usagers, les défis de demain. L’entretien,rapporté ci-dessous est la version longue d’un entretien publié dans le dossier du numéro précité.

«Opérons une réelle transformation progressiste de la fonction publique»

Ministre de la Fonction publique de 1981 à 1984, le « père du statut » revient sur les fondamentaux qui ont prévalu à sa création, analyse les critiques dont il est l’objet et pense ses évolutions sous le prisme sociétal actuel.

1. Il y a quarante ans, pensiez-vous que le statut de fonctionnaire atteindrait cet âge ?

Depuis la deuxième guerre mondiale, trois textes ont exprimé la conception française républicaine de la fonction publique sous la forme d’un statut général des fonctionnaires. Le premier, par la loi du 19 octobre 1946 peut être considéré comme fondateur de la notion de fonctionnaire citoyen opposée à celle de fonctionnaire sujet qui avait  prévalu pendant un siècle et demi auparavant : il comportait 145 articles et avait été adopté à l’unanimité  de l’Assemblée nationale constituante. Le deuxième formulé par l’ordonnance du 4 février 1959, était surtout la conséquence du nouveau partage réalisé par la constitution de la VeRépublique entre les champs respectifs de la loi et du décret, il ne comportait que 57 articles, mais  s’il abrogeait  le texte précédent, il en  conservait les dispositions fondamentales. Il aura duré 24 ans. Le troisième, initiée par la loi du 13 juillet 1983, s’est voulu fédérateur en incluant dans son champ d’application les agents publics des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers et de recherche, alors que les textes  statutaires précédents ne  concernaient que les  fonctionnaires de l’État.  Je me suis moins soucié à l’époque de spéculer sur la durée de vie du statut que de fonder une architecture statutaire rationnelle sur les réalités de la fonction publique : elle est le résultat d’un effort collectif, a un caractère structurel et doit nécessairement s’inscrire dans le long terme. Finalement, le statut fut soutenu par l’ensemble des syndicats, et si les maires exprimèrent alors quelques réserves, ils sont aujourd’hui majoritairement favorables à cet encadrement statutaire qui leur assure une sécurité juridique.

2 . Durant les débats parlementaires sur ce texte, on évoquait déjà le besoin d’une grille indiciaire commune aux fonctionnaires de la FPE et de la FPT, ou encore la rigidité du statut face au besoin de missions courtes. 40 ans après, quel regard portez-vous sur ces remarques qui avaient fait l’objet d’amendements sur ce texte dès 1983 ?

Ces interrogations étaient légitimes et elles  ont fait l’objet de débats. Mais pour en comprendre le sens, elles doivent être éclairées par le contexte de l’époque. Le président de la République, François Mitterrand, ayant fait de la décentralisation une priorité, le ministre de l’intérieur, Gaston Defferre avait été chargé de préparer un projet de loi en ce sens. Si ce projet contenait bien la promesse de garanties statutaires renforcées pour les agents communaux, il les maintenait cependant au sein d’une fonction publique d’emploi, c’est-à-dire liant strictement l’agent a son métier, ce qui avait été à la base de la situation d’infériorité dans laquelle les agents publics de la territoriale avaient été placés jusque-là. Je suis alors intervenu le 27 juillet 1981 à l’Assemblée nationale, soit un mois après mon entrée au gouvernement, pour dire qu’il ne pouvait pas y  avoir dans notre pays, deux systèmes de fonction publique et j’ai appelé le Parlement a une importante œuvre législative dont le champ d’application couvrirait l’ensemble de la fonction publique nationale et locale. Cette homogénéisation des garanties pour les agents publics, nationaux, territoriaux, rejoints bientôt par les hospitaliers, afin de faire de tous des fonctionnaires de plein droit. Finalement, le statut fut le résultat de quatre choix essentiels. La notion de fonctionnaire citoyen héritée de la loi de 1946. Puis, le système de la carrière couvrant l’ensemble de la vie professionnelle de l’agent. Ensuite, le respect d’un juste équilibre entre le principe d’unité de la République et celui de libre administration des collectivités territoriales conduisant à la création d’une fonction publique à « trois versants ». Enfin, la référence à trois principes essentiels ancrés dans notre histoire : l’égalité, l’indépendance, la responsabilité. On déduit alors, sur ces bases, les réponses aux interrogations posées. Dans un ensemble devenu homogène, rien n’empêchait plus les gouvernements et les administrations de s’entendre sur des grilles uniques dont il faut préciser qu’elles relevaient des décrets d’application du statut plutôt que de sa partie législative. En ce qui concerne l’existence de contractuels, elle a toujours été mentionnée dans les textes statutaires pour des emplois très spécifiques, et à condition que ce recrutement ne se substitue pas au recrutement des fonctionnaires qui eux ont  vocation à occuper des emplois permanents et sont admis après un concours.

3.Dans la territoriale, beaucoup d’employeurs, DGS et DRH se plaignent  des rigidités du statut (recrutements, discipline…). Partagez-vous ce constat ? Que leur répondez-vous?

Que, me référant au texte d’origine du statut de 1983, cette appréciation est erronée, que le statut est fait comme toute loi pour être appliqué, qu’il ne faut pas confondre, comme c’est souvent le cas, règles statutaires et actes de gestion. Mais les centaines de modification du statut intervenues en 40 ans, ont pu rendre le constat actuel plus discutable. Dans ce cas, il faut être précis et concret, dire en quoi le recrutement se traduit par une rigidité, dire quelle rigidité on critique en matière de procédure disciplinaire, etc.  S’il  s’agit de rigidité ayant pour cause la pratique administrative, alors les actions critiquées doivent être déférées au contentieux administratif.  Mais derrière les critiques ponctuelles peut aussi se dissimuler une hostilité au statut lui-même.

4.  Quelle a été la toute première brèche dans le statut selon vous ?

Je vous remercie par cette question de me permettre d’illustrer par un exemple ce qui précède. Il s’agit de la loi du 13 juillet 1987 relative à la fonction publique territoriale, dite loi Galland dont je ne retiens que deux dispositions. La première remplace le mot « corps » par le mot « cadre ». Lorsque le projet est passé devant l’assemblée générale du Conseil d’État, j’ai demandé aux représentants du gouvernement de m’en donner la raison. Ils ne m’en ont donné aucune au fond sinon que c’était dans un souci de différenciation de la fonction publique territoriale. La deuxième est le retour du système des « reçus-collés » conduisant à publier la liste des admis à un concours par ordre alphabétique plutôt que par ordre de mérite, avec comme conséquence, qu’un candidat classé en tête des admis par ordre de mérite à un concours, pouvait n’être jamais nommé dans un emploi. Ces dispositions introduisant de l’hétérogénéité dans le dispositif statutaire d’ensemble, ont eu pour effet de nuire à la comparabilité des situations des fonctionnaires des trois versants, de contrarier la mise en place de dispositifs commun aux trois fonctions publiques et de faire obstacle à la mobilité entre elles, mobilité élevée  at rang  de garantie fondamentale par le statut de 1983.

5 . Quels doivent être les garde-fous pour les années à venir, tant pour les employeurs publics que les agents ?

Les services publics, dont la fonction publique regroupe les quatre cinquièmes des effectifs, sont un enjeu de société car leur finalité étant l’intérêt général. Ils tendent à se dégager des lois du marché. C’est pourquoi le statut général des fonctionnaires, tout au long des 40 dernières années n’a cessé d’être attaqué, soit sous forme d’offensives frontales soit par le moyen de transformations souterraines. Les offensives frontales ont commencé avec la loi Galland que je viens d’évoquer. Elles se sont poursuivies avec l’évocation  par le rapport annuel du conseil d’État de 2003 du contrat comme possible « source autonome du droit » de la fonction publique. Le président Sarkozy en 2007, a défendu l’idée. du « contrat de droit privé négocié de gré à gré » comme moyen de recrutement courant dans la fonction publique. Le livre blanc Silicani en 2008, a poursuivi la même démarche, opposant le contrat à la loi, le métier à la fonction, la performance individuelle à l’efficacité sociale. La crise financière  a révélé le service public comme efficace « amortisseur social » de la crise et arrêté momentanément les offensives.  Elles ont repris avec la loi dite de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 complétée par une codification tendancieuse du statut entrée en vigueur au début de l’année 2022. Le nombre d’articles passant de 400 en 1983, à quelques1300 aujourd’hui. Sur la même période, des centaines de modifications statutaires, dont beaucoup de dénaturations ont  opéré une  sorte de « mitage » du statut pouvant conduire à son effondrement. La réforme engagée par la loi de 2019 conduirait à une tout autre conception de la fonction publique que celle portée par le statut de 1983. Elle pourrait se résumer en trois volets : alignement du public sur le privé, recrutement massif de contractuels, renforcement du pouvoir discrétionnaire des exécutifs. Les risques seraient d’une particulière gravité : confusion des finalités publiques et privées, multiplication des conflits d’intérêts, captation de l’action publique par les puissances  financières.  C’est contre cette évolution que doivent être élevés des garde-fous par tous les fonctionnaires, quel que soit leur niveau hiérarchique.

6. Comment qualifiez-vous l’évolution des valeurs du service public aujourd’hui ? Quelles sont celles que vous aimeriez entendre de la bouche d’un jeune souhaitant travailler dans la fonction publique ?

J’évite en général de faire référence aux valeurs. J’en ai écarté la mention dans l’élaboration du statut de 1983. Les valeurs participent avec d’autres concepts, tels que l’éthique, la déontologie, la bonne conduite, etc.de ce que les américains appellent le « droit souple ». Ces concepts souvent imprécis et peu normatifs sont généralement préférés par les partisans de la société de marché aux règles plus contraignantes du droit positif.  Au surplus, ils sont souvent évoqués pour faire diversion aux  problèmes du moment, par exemple la question des rémunérations ou des conditions de travail, des fonctionnaires. Cela dit, il faut accorder la plus grande attention à l’évolution de tous les déterminants historiques de la fonction publique. Pour ma part je distingue trois tendances lourdes qui conditionnent fortement l’état actuel des services publics. La première est l’affirmation pluriséculaire de l’autonomie des collectivités publiques qu’accompagne une extension des administrations. La deuxième est une socialisation croissante des financements consacrés à la satisfaction des besoins fondamentaux et au maintien de la cohésion sociale. La troisième, est la maturation de concepts juridiquement reconnue qui nous concernent directement : intérêt général, service public, fonction publique. Aussi je préfère me référer à des principes comme je l’ai fait précédemment. C’est pourquoi j’aimerais qu’un jeune souhaitant exercer dans la fonction publique, me dise comment il conçoit sa responsabilité personnelle de fonctionnaire citoyen.

7. Que diriez-vous à vous à un jeune qui vous demanderait : pourquoi je deviendrais fonctionnaire, aujourd’hui ?

C’est dans le service public que se trouvent les tâches les plus nobles, les plus complexes et par-là les plus susceptibles d’entraîner des vocations parmi les jeunes. Mais encore faut-il que ces activités bénéficient de la considération qu’elles méritent, et soient dotées des moyens nécessaires à leur accomplissement. Telle n’est pas la situation d’aujourd’hui, y compris, de la part des plus hautes autorités de l’État. Il faut donc agir pour changer cette situation.  Mais, sans attendre une réponse hypothétique venue d’en haut, je souhaite que les fonctionnaires, leurs organisations syndicales et leurs associations, des groupes de travail de chercheurs engagent dans différents domaines des réflexions au fond et ouvrent les chantiers d’une réelle transformation progressiste de la fonction publique. Des chantiers théoriques, par exemple pour approfondir la notion d’intérêt général, préciser le périmètre des services publics, réfléchir à l’adéquation entre services et secteur publics, rendre opérationnelle la notion d’efficacité sociale. Des chantiers juridiques pour faciliter la mise en œuvre de la garantie fondamentale de mobilité, expliciter et enrichir l’’expression de la citoyenneté dans les administrations. Des chantiers méthodologiques en mettant au point les outils d’une véritable gestion prévisionnelle des effectifs et des qualifications et revoir l’ensemble des classements et grilles indiciaires. Le jeune  aura alors devant lui tous les éléments pour se forger une opinion, sans que j’aie besoin moi-même d’intervenir.

8. En 1983, une charte d’engagements réciproques agents-usagers a été proposée. Serait-elle à remettre au goût du jour pour tenter de remédier au manque de reconnaissance et de respect signalé par les agents ?

En effet. Le statut de 1983 à prévu une protection fonctionnelle de l’agent public victime d’actes de tiers usagers. Mais j’ai voulu donner une représentation plus large des relations entre l’administration et les usagers sous la forme  d’une charte. Je souhaitais y inclure les textes déjà existants sur le sujet : accès aux documents administratifs, informatique et libertés, motivation des actes administratifs, archives, etc. qui auraient été complété par d’autres dispositions à établir relatives, par  exemple, à la responsabilité de l’administration, des dispositions intervenues depuis relatives aux consultations populaires locales, aux études d’impact, à la commission nationale du débat public, etc. Un travail important sur le sujet a été réalisé qui a conduit le président de la République. François Mitterrand à dire sa confiance dans le projet de charte à l’occasion de la présentation des vœux des corps constitué le 4 janvier 1983   soulignant qu’il en attendait, « respect pour les fonctionnaires et considération pour l’usager ». Malheureusement, il changea d’avis un mois plus tard à l’occasion de son ralliement aux politiques néolibérales dans lesquels étaient engagés les principaux pays occidentaux. Le projet de charte était l’un des actes à bannir pour laisser le champ libre à la concurrence. En application de ce tournant de la rigueur, le ministre de l’économie et des finances Jacques Delors, s’est engagé à Bruxelles à supprimer l’indexation des salaires par rapport aux prix. Ce revirement a eu pour la fonction publique une double conséquence. Premièrement, c’était la fin de la politique négociée des rémunérations, elle ne s’en est pas remise depuis. Deuxièmement, c’était la fin programmée du projet de charte qui a été réduite à un décret du 28 novembre 1983 sur les relations entre l’administration et les usagers. Il faudrait, bien sûr, remettre cette question sur le chantier.

9. Comment rêvez-vous la fonction publique dans 40 ans ?

Il y a quelques années un courant d’opinion tentait de nous convaincre que nous en étions à la fin de l’histoire et qu’il était inutile de rêver à  un autre système car il n’y en avait pas d’autre que celui dans lequel nous vivions. L’analyse géopolitique du monde aujourd’hui infirme cette idéologie. Je pense que nous sommes, au contraire, dans un moment de l’histoire, où sont appelés à se développer, les interdépendances, les coopérations, les solidarités, les valeurs universelles, les droits communs. Or, dans notre pays, ces différents concepts se condensent en une idée : le service public. Je pense donc que nous pourrions connaitre avant la fin du XXIe siècle un  nouvel « âge d’or » du service public.

Il faut sans doute savoir rêver, mais en restant lucide. L’heure est aujourd’hui à l’action

Le statut général des fonctionnaires : une modernité ancrée dans l’histoire

Fondation Seligman – Revue Après-demain – 1er trimestre 2023 – « NOUS AVONS BESOIN DE FONCTION PUBLIQUE »

1er trimestre2023

« Les fonctionnaires, voilà l’ennemi », a pu titrer à la une le Monde diplomatique évoquant les campagnes de dénigrement répétées dont font l’objet les fonctionnaires suspectés de bénéficier d’une privilégiature en raison de leur statut défini par la loi[1]. Or, il ne s’agit pas là d’un choix discrétionnaire, mais d’une condition nécessaire pour que la nation dispose d’une administration pleinement au service de l’intérêt général, et neutre vis-à-vis des pressions partisanes. Ce statut est l’aboutissement d’une très longue histoire pluriséculaire qui, à travers de multiples contradictions, a permis de dégager des concepts et des principes  constitutifs de la conception française de la fonction publique. Mais il s’agit d’une création continue et ce n’est pas la fin de cette histoire.

Des tendances historiques lourdes

Trois tendances lourdes peuvent être distinguées. Il s’agit en premier lieu, de la sécularisation du pouvoir politique. En France, au tournant des XIIIe et XIVe  siècle le roi Philippe le Bel impose sa volonté à la papauté et crée le conseil d’État du roi compétent pour traiter les affaires impliquant le pouvoir politique et administratif introduisant ainsi une nette distinction entre le public et le privé. Il est moins roi par la « grâce de Dieu » qu’en raison de son autorité propre. Sous la monarchie absolue l’appareil d’État considérablement développé se différencie de la personne du roi et tend à s’autonomiser. L’État devient alors objectif de conquête des organisations politiques animant la société. Cette autonomisation et sécularisation du pouvoir exécutif s’accompagne d’une forte extension de l’administration.

En deuxième lieu, on observe une socialisation des financements nécessaires pour garantir la cohésion sociale et répondre à des besoins fondamentaux devenus inéluctables. Cette évolution se mesure par la progression de la dépense sociale et des prélèvements obligatoires qui ne dépassaient pas 15%du produit intérieur brut (PIB) en France avant la première guerre mondiale pour atteindre aujourd’hui 45%  avec un « effet de cliquet » dont les gouvernements successifs au cours des dernières décennies n’ont su se défaire en dépit de leurs engagements. Cette socialisation se caractérise aussi par la part croissante prise par l’emploi public, aujourd’hui 5,7 millions de fonctionnaires ou assimilés représentant environ 20 % de la population active totale.

En troisième lieu, on observe sur le long terme une maturation et une affirmation de concepts concourant à la sécularisation et à la socialisation qui viennent d’être évoquées. L’intérêt général, catégorie éminente en France, très contradictoire et de forte densité politique, ne se réduit pas à la somme des intérêts particuliers, selon la conception courante dans les pays anglo-saxons. Le service public que Montaigne évoquait déjà dans ses Essais en 1580, participe d’une tradition de notre pays et n’a cessé d’affiner sa théorisation à partir des travaux, à la fin du XIXe siècle.de l’École de Bordeaux du service public, réunissant des juristes de renom, impulsée par Léon Duguit, Quant à la fonction publique, elle est le produit de deux lignes de forces antagoniques : d’une part, une conception autoritaire dominée par le principe hiérarchique qui débouche sur la conception du fonctionnaire-sujet qui a prévalu pendant le XIXe  siècle est la première moitié du XXe , d’autre part, la conception démocratique, fondée sur la responsabilité de l’agent public et qui aboutit à la conception du fonctionnaire-citoyen retenue depuis 1946

L’affirmation du fonctionnaire-citoyen

Le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) ne prévoyait pas de réformes spécifiques pour l’administration et la fonction publique, mais l’appel à une large démocratisation créait des conditions favorables à leur conception. Le général de Gaulle souhaitait aussi pouvoir s’appuyer sur une administration loyale et efficace. Les premières mesures furent prisent par voie d’ordonnan du 9 octobre 1945 : création de l’École nationale d’administration (ENA), d’une direction de la fonction publique, de corps d’administrateurs et de secrétaires administratifs, des Instituts d’études politiques (IEP), etc. Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français (PCF), fut nommé ministre d’État, chargé de la fonction publique le 21 novembre 1945. Il dut franchir de nombreux obstacles pour faire adopter un statut législatif démocratique : le changement d’orientation de la Fédération générale des fonctionnaires-CGT jusque-là favorable à un « contrat collectif » et qui combattait l’idée d’un « statut-carcan », l’opposition d’un certain nombre de hauts fonctionnaires conservateurs, des différences d’orientation importantes avec le MRP et la CFTC, l’hostilité de nombreuses personnalité politiques et de parlementaires craignant une influence excessive des communistes. Finalement le statut général des fonctionnaires fut adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale constituante et la loi du 19 octobre 1946 consacra à la conception du fonctionnaire-citoyen.

Le statut ne concernait que les fonctionnaires de l’État, c’est-à-dire, 1105 000 agents publics. Les agents des collectivités territoriales n’étaient pas pris en compte par ce statut. Ils bénéficièrent cependant de dispositions statutaires nouvelles par une loi du 28 avril 1952, tandis que les personnels des établissements hospitaliers étaient également l’objet de dispositions statutaires par un décret-loi du 20 mai 1955. Le statut mit dans la loi de très nombreuses garanties pour les fonctionnaires en matière de rémunération, d’emploi, de carrière, de droit syndical, de protection sociale et de retraite.

 Lors de l’avènement de la V e République, l’ordonnance du 4 février 1959 abrogea la loi du 19 octobre 1946, mais les dispositions essentielles du statut furent conservées si le nombre d’articles fut ramené de 145 à 57 en raison d’une nouvelle définition des champs respectifs de la loi et du décret dans la constitution. Le mouvement social de 1968 ne modifia pas ce dispositif. L’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République le 10 mai 1981, permit d’ouvrir un nouveau chantier statutaire.

Du statut fondateur au statut fédérateur

François Mitterrand     ayant fait de la décentralisation une priorité chargea son ministre de l’Intérieur Gaston Defferre de préparer un projet de loi qui envisagea notamment un renforcement des garanties statutaires des agents publics territoriaux. Le Premier ministre Pierre Mauroy arbitra en faveur d’un système unifié sur proposition du ministre de la Fonction publique[2]. L’architecture du nouveau statut général des fonctionnaires fut élaborée sur la base des quatre choix suivants. Premièrement, la conception du fonctionnaire-citoyen dans la filiation du statut de 1946. Deuxièmement, le système de la carrière couvrant l’ensemble de la vie professionnelle du fonctionnaire pour ne pas l’enfermer strictement dans un métier caractéristique du système dit de l’emploi. Troisièmement, la recherche d’un équilibre entre unité et diversité et donnant naissance à une fonction publique « à trois versants » : État, collectivités territoriales, établissements publics hospitaliers. Quatrièmement, la référence à trois, principes fondamentaux ancrés dans l’histoire : égalité, indépendance, responsabilité. Ce statut unifié était composé à l’origine de 400 articles en quatre lois concernaint 4,6 millions de fonctionnaires ou assimilés[3].

Au cours des quatre décennies qui suivirent ; ce nouveau statut fut constamment l’objet d’attaques certaine frontales d’autres par la voie de dénaturations ponctuelles avec comme objectif central le recrutement de contractuel. La loi dite de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 et caractéristiques à cet égard. Elle peut être résumé de la façon suivante : alignement du public sur le privé, recrutement massif de contractuels, renforcement du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif. Il s’agit d’une tout autre conception de la fonction publique que celle des statuts du lendemain de la Libération en 1946 et de l’alternance survenue en 1981. Elle présente trois risques : la confusion des finalités du service public et du privé, le risque de conflits d’intérêts, la captation de l’action publique par les puissances dominantes de l’économie de marché. L’ensemble statutaire ainsi dégradé et devenu obèse a fait alors l’objet d’une codification qui, bien que réalisée à droit constant, a retenu une présentation tendancieuse marquée moins par le souci d’une présentation claire de l’explicitation des droits et obligations des fonctionnaires que par des préoccupations de gestion managériale des ressources humaines[4]. Il reste que  la crise actuelle des services publics a révélé le fiasco du nouveau management public (NMP) entraînant la disparition de l’ENA qui prétendait en être le temple..

Le défi de la modernité

Dans ces conditions, que faire [5]? Certainement pas l’alignement du public sur le privé, solution fruste et paresseuse.  En effet, la référence au contrat de droit privé d’entreprise renvoie vers l’objectif de cette dernière : la maximisation du taux de rentabilité interne ou le retour sur investissement. L’objectif de l’entreprise privée est unidimensionnel, le reste est secondaire. Au contraire, l’objectif du service public dont la fonction publique représente les quatre-cinquièmes des effectifs est l’intérêt général qui est multidimensionnel et doit essentiellement veiller à : la couverture des besoins fondamentaux de la population, l’ordre public, la préservation du modèle social, la transition écologique, la souveraineté nationale, la politique migratoire et d’asile, la paix dans le monde et la place qu’y occupent la France, etc. C’est donc le NMP qui est inapproprié et non le statut général des fonctionnaires.

Pour fonder rationnellement et démocratiquement la fonction publique il faut partir de sa réalité. La fonction publique, c’est d’abord un effort collectif et solidaire. Elle ne peut donc se dispenser d’un soutien des organisations représentatives des fonctionnaires, du respect du droit à la négociation, d’un système ambitieux de formation continue. La fonction publique se définit aussi par son caractère structurel qui implique qu’elle suive l’évolution des techniques, des besoins essentiels, des contextes nationaux et internationaux La fonction publique doit inscrire son avenir dans le très long terme et ne saurait être guidé par le seul principe de l’annualité budgétaire. L’action publique actuelle me reconnaît pas ces réalités et ne fonctionne que par dénigrement, dénaturations recouvrant un immobilisme sur l’essentiel. La refondation nécessaire dans les services publics et plus précisément dans la fonction publique exige d’énormes efforts de natures différentes. Théorique d’abord, par exemple  pour préciser le périmètre des services publics, régaliens et non régaliens, donner un contenu scientifique à la notion multidimensionnelle d’efficacité sociale. Juridique ensuite, pour traduire dans le droit la reconnaissance par le statut de la mobilité comme garantie fondamentale, pour préciser la notion de responsabilité du fonctionnaire. Méthodologique enfin, pour opérer une révision d’ensemble des grilles de qualifications et mettre au point une véritable gestion prévisionnelle programmée des effectifs et des compétences donnant toute sa place au calcul économique et sa portée à la démocratie.


[1] A. Le Pors, « Les fonctionnaires, voilà l’ennemi », Monde diplomatique, avril  2018.

[2] Intervention à l’Assemblée nationale sur la présentation du projet de loi de décentralisation le 27 juillet 1981.

[3]  Loi du 13 juillet 1983 sur les droits et obligations des fonctionnaires, loi du 11 janvier 1984 relative au statut des fonctionnaires de l’État, loi du 26 janvier 1984 relative à la fonction publique territoriale, loi du 9 janvier 1986 relative à la fonction publique hospitalière.

[4] Ordonnance n° 2921-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique.

[5] G. Aschieri et A. Le Pors, La fonction publique du XXIe  siècle, Ed. de  l’Atelier, 2e édition, Paris, 2022.

Bretagne – Ile de France, voeux 2023

BONNE ANNEE AUX SERVICES PUBLICS

Au cours des trois dernières années les services publics ont démontré leur capacité à répondre aux besoins fondamentaux de la population. Les héros de la tuation ont été sans conteste les soignants, les enseignants, les assistants sociaux, les aidants souvent bénévoles, les fonctionnaires des trois versants de la fonction publique : État, collectivités territoriales, établissement publics hospitaliers. Je me réjouis d’avoir pu contribuer il y a 40 ans à faire des agents publics de cette dernière catégorie des fonctionnaires de plein droit disposant de de garanties étendues. Les managers des grandes entreprises privées, à l’inverse, ont profité de l’aubaine des crises pour augmenter leurs profits ; mais dans le même temps ils se sont disqualifiés dans leurs prétentions à servir l’intérêt général. Notre gratitude doit donc aller prioritairement aux citoyens conscients, aux fonctionnaires responsables, aux maires et élus dévoués dans toutes les collectivités territoriales conjuguant ensemble leurs efforts pour le bien commun. Les honorer c’est reconnaître leur mérite, rémunérer leur travail à sa juste valeur, leur donner les moyens de poursuivre leurs tâches dans les meilleures conditions. L’avenir n’appartient pas aux « premiers de cordée » mais aux « collectifs de base » qui savent faire front dans la difficulté. Les Bretonnes et les Bretons d’Île-de-France, de Bretagne et d’ailleurs ont tenu toute leur place dans cet effort national. Je leur souhaite une bonne et heureuse année 2023.

Anicet Le Pors Ancien ministre, Président d’honneur de l’Union des Sociés Bretonnes de l’Ile de France (USBIF)

Maires de France et Statut de la Fonction publique territoriale

Anicet Le Pors : « Le statut de la fonction publique territoriale assure aux maires une sûreté juridique dans le fonctionnement de leur collectivité »

Ministre de la Fonction publique et des réformes administratives de 1981 à 1984, Anicet Le Pors a porté la création de la fonction publique territoriale au moment des lois de décentralisation. Quarante ans après, à la veille du 104e Congrès des maires, le « père du statut », rappelle, dans une interview accordée à Maires de France, tout l’intérêt pour les élus d’avoir ce cadre.

Maires de France : Quarante ans après les premières lois de décentralisation, quel regard portez-vous sur la fonction publique territoriale d’aujourd’hui ? 

Anicet Le Pors : Rappelons le contexte historique qui a précédé. La qualité d’agent public n’a été reconnue aux employés communaux que par l’arrêt Cadot du Conseil d’État en 1889. En 1919, le gouvernement a enjoint aux municipalités de prévoir des statuts pour leurs personnels. L’injonction eut peu d’échos. Les agents publics territoriaux furent ignorés dans les statuts de 1946 et de 1959. La loi de finances du 31 décembre 1937 prévoyait qu’aucun agent territorial ne puisse se voir reconnu une situation supérieure à celle de ses homologues de la fonction publique de l’État. C’est donc la loi du 26 janvier 1984 qui consacre juridiquement la fonction publique territoriale.

MDF : Et depuis 1984 ?

A.L P : Depuis 1984, la fonction publique territoriale a connu l’essor le plus important des trois fonctions publiques : d’un ensemble de 1,3 million d’agents publics essentiellement communaux, aujourd’hui, ses effectifs s’élèvent à près de 2 millions. Elle a su se doter d’organismes de fonctionnement particulièrement expérimentés et de plus en plus performants : le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) – qui va prochainement fêter ses 25 ans, – les centres départementaux de gestion (CDG) et leur fédération nationale particulièrement active. La fonction publique territoriale a considérablement diversifié ses activités dans tous les domaines de la vie économique et sociale.

Malgré les multiples attaques et dénaturations dont le statut a été l’objet sur l’ensemble des trois versants, c’est une véritable mutation qu’a connue la fonction publique territoriale au cours des quatre dernières décennies.

J’y ajouterai la conquête par la fonction publique territoriale d’une dignité que tous les gouvernements lui avaient refusée au cours des huit derniers siècles en la confinant et en la maintenant dans une position humiliante, subordonnée dans l’organisation générale des pouvoirs publics. Pour la première fois, en 1984, elle est devenue une fonction publique de plein droit.

MDF : Quel lien faites-vous entre décentralisation et fonction publique territoriale ? 

A.L P : En 1981, le président François Mitterrand décida de faire de la décentralisation une priorité. Le ministre de l’Intérieur Gaston Defferre fut chargé d’élaborer un projet de loi en ce sens. Ce projet envisagea des réformes importantes, notamment des possibilités accrues pour les citoyens d’intervenir dans les affaires publiques locales, un statut de l’élu, des garanties statutaires renforcées pour les agents publics locaux.

Assemblée nationale 27 juillet 1981- au banc du gouvernement : Gaston Defferre et Anicet Le Pors, derrière René Bidouze et Olivier Schrameck

Il apparut rapidement que l’ambition se limitait à une amélioration des dispositions statutaires déjà existantes dans le code des communes. J’ai critiqué cette insuffisance : elle était en contradiction avec la volonté politique affichée d’opérer un transfert réel de compétences de l’État vers les collectivités locales. Le déclassement statutaire des agents publics locaux était maintenu alors que le contexte invitait à une réflexion statutaire d’ensemble. Les agents décentralisés ne pouvaient être moins bien traités que les agents déconcentrés de même qualification et exerçant des activités analogues. L’existence de deux systèmes de fonctions publiques concurrentes ne pouvait avoir d’autre effet qu’une régression statutaire d’ensemble.

Le projet de loi de décentralisation – qui au bout de son parcours parlementaire aboutira à la loi du 2 mars 1982, Acte 1er de la décentralisation – fut présenté à l’Assemblée nationale le 27 juillet 1981. J’eus la possibilité de dire qu’il ne pouvait pas y avoir deux systèmes de fonction publique en France et que la situation statutaire des agents publics locaux devait être celle des fonctionnaires de l’État qui présentait les garanties les plus élevées. Le premier ministre Pierre Mauroy arbitra en ce sens.C’est ainsi qu’une relation étroite fut établie entre la politique de décentralisation et la création effective de la fonction publique territoriale

MDF : La fonction publique territoriale est souvent méconnue, voire raillée. En quarante ans, qu’est-ce qui lui a manqué ?

A.L P : Je conteste ce diagnostic. Que les fonctionnaires soient traités de manière courtelinesque fait partie de la tradition et n’est pas contraire au fait que la population dans sa grande majorité soutient nos services publics centraux et locaux et apprécie de façon générale leur travail.

Il est vrai que la bureaucratie existe et qu’elle peut entraîner, selon les cas, soit à sourire, soit à provoquer de forts mécontentements justifiés. Mais que penser à cet égard de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique qui renvoie son application à quelques 60 décrets en Conseil d’État ? Et puis il y a le manque de moyens humains et financiers qui entraîne inévitablement des dysfonctionnements dans la marche des administrations aussi bien centrales que locales.

 
MDF : Les maires voient souvent le statut de la fonction publique comme une contrainte, mais demandent pourtant davantage de décentralisation. Quel est l’intérêt du statut pour les élus locaux ?

A.L P : La loi du 26 janvier 1984, prolongeant la loi du 13 juillet 1983 sur les droits et obligations des fonctionnaires, avait pour objet la prise en compte des spécificités de la fonction publique territoriale. Les élus de l’époque ont pu craindre que le statut ait pour effet de réduire leurs prérogatives. Depuis, les opinions ont évolué et la majorité d’entre eux reconnaissent que le statut leur assure une sûreté juridique dans le fonctionnement de leur collectivité et la gestion de leurs fonctionnaires. Ensemble, ils ont pour mission de servir l’intérêt général. Le pays doit donc disposer pour cela d’administrations intègres et efficace. C’est pour toutes ces raisons que l’on peut résumer l’élaboration du statut général des fonctionnaires par quatre choix.

MDF : Lesquels?
 
A.L P : Premier choix, celui de la conception du fonctionnaire-citoyens responsable des tâches qui lui sont confiées dans la filiation du statut de 1946, contre la conception du fonctionnaire-sujet qui avait prospéré antérieurement pendant un siècle et demi basé sur la stricte exécution des ordres hiérarchiques. 

Deuxième choix, le système de la carrière permet au fonctionnaire d’exercer avec garantie d’emploi plusieurs fonctions ou métiers successifs pendant sa vie professionnelle contre le système dit de l’emploi qui lie strictement l’agent public à son métier, précarisant ainsi son emploi sur une longue période. 

Troisième choix, la recherche délicate d’un équilibre entre les deux principes de la Constitution: unité de la République (article 1er) et libre administration des collectivités territoriales (art. 72), cet équilibre pouvant d’ailleurs évoluer dans le temps. 

Quatrième choix, celui de fonder cette architecture statutaire sur des principes ancrés dans notre histoire : l’égalité (article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), l’indépendance (loi sur l’état des officiers de 1834) conférant à l’officier la propriété de son grade, la responsabilité (article 15 de la Déclaration des droits). 

C’est ainsi, à la fois, la cohérence de l’architecture juridique du statut et la solidité des principes sur lesquels il a été fondé qui explique qu’il ait pu résister aux innombrables atteintes qui lui ont été portées au cours des quatre dernières décennies.


MDF : Les maires n’ont souvent pas conscience de leur fonction d’employeur. Selon vous, pourquoi ?

A.L P : Je pense que les maires ont généralement conscience de leurs fonctions d’employeur. En revanche, il peut y avoir une difficulté dans la distinction qu’il faut opérer entre les règles posées par le statut et les actes de gestion pour lesquelles les collectivités territoriales disposent d’une assez large liberté, les limites à leur action provenant de la nature des besoins à satisfaire et du niveau des moyens disponibles.

Parfois des élus imputent les difficultés qu’ils rencontrent au statut alors que ces difficultés sont du domaine de la gestion. Il existe plusieurs manières de gérer et le statut ne saurait garantir la qualité de la gestion.

Aujourd’hui, le problème est surtout celui de l’adéquation des moyens aux actions entreprises. Et l’on sait, depuis l’Acte 2 de la décentralisation au début des années 2000, que les transferts de compétences de l’État aux collectivités n’ont pas toujours été accompagnés des financements correspondants.

MDF : Les collectivités territoriales rencontrent de grandes difficultés pour recruter des agents (titulaires ou contractuels). L’accès par concours est-il encore adapté ? 

A.L P : La difficulté de recrutement n’est pas un problème spécifique de la fonction publique territoriale mais concerne l’ensemble des trois versants de la fonction publique. La démonstration en a été apportée par les crises sanitaire et économique. Le recrutement de contractuels, malheureusement encore plus important dans la fonction publique territoriale qu’ailleurs, n’a été d’aucun effet dans la solution du problème. Les causes de ces difficultés sont liées à l’insuffisance des rémunérations et à la dégradation des conditions de travail des agents.

Plus généralement, elles tiennent à la politique menée par l’exécutif en matière de fonction publique, déjà le président de la République avait jugé le statut général des fonctionnaires « inapproprié » pendant sa campagne des élections présidentielles de 2017. Sa politique actuelle est illustrée par la loi dite de transformation de la fonction publique du 6 août 2019. On peut la résumer en disant qu’elle s’est donné comme objectif : l’alignement du public sur le privé, le recrutement accru de personnels contractuels, le renforcement du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif. Une telle politique fait courir au service public des risques graves : une confusion des finalités publiques et privées, un risque de multiples conflits d’intérêts, une captation de l’action publique par les puissances économiques.


MDF : Faut-il créer un statut propre à la fonction publique territoriale ? 

A.L P : Ce serait une très mauvaise idée. Une telle solution d’isolement de la fonction publique territoriale entraînerait inévitablement une réaction étatique qui irait à l’encontre du but poursuivi. La loi du 26 janvier 1984 a précisé les spécificités de la fonction publique territoriale. Rien n’empêche aujourd’hui de faire des propositions nouvelles dans cette intention.


MDF : En quoi la fonction publique territoriale a-t-elle de l’avenir ?

A.L P : Elle a démontré sa capacité à résister aux atteintes dont elle a été l’objet. Aussitôt après la promulgation des quatre lois constitutives du nouveau statut général des fonctionnaires, une première remise en cause de celui-ci intervient avec la loi du 13 juillet 1987, dite loi Galand. Elle a fait ressurgir la liste d’aptitude alphabétique (système dit des « reçus-collés ») au lieu de la liste par ordre de mérite à l’issue des concours et remplaçait le mot « corps » par le mot « cadre » pour le symbole d’une tentative de sécession. On parle alors de la fonction publique territoriale comme « maillon faible » de la construction statutaire réalisée.

Mais les adversaires du statut ne purent aller au-delà et changèrent alors de stratégie pour préconiser la promotion du « contrat de droit privé négocié de gré à gré » pour l’accès aux emplois publics. Il convient ici de ne pas céder à la facilité du recrutement inconsidéré de contractuels malgré la pression des besoins.

MDF : Quels sont les atouts de la fonction publique territoriale ?

A.L P : La fonction publique territoriale est effectivement porteuse d’avenir, pour elle-même et pour l’ensemble de la fonction publique en raison de ses atouts propres. Elle est l’espace unique pour la démocratie où se combinent concrètement les légitimités respectives des usagers, des fonctionnaires et des élus. Elle se développe sur une base géographique, sociologique et professionnelle diversifiée favorable à la réduction des inégalités sociales.

Elle est le principal moyen de mise en œuvre d’une politique rationnelle d’aménagement du territoire favorisant un développement économique équilibré. Elle a révélé dans la crise sanitaire et économique des capacités d’initiative de premier ordre auxquelles il convient de faire confiance. Un défi et une responsabilité majeure pour les élus et les fonctionnaires territoriaux.

Grand témoin à l’Ecole nationale de la météorologie (ENM)

100e  anniversaire de l’École Nationale de la Météorologie 

Météo–France, Toulouse, le 18 octobre 2022

Enregistrement de la séquence : introduction Joël Collado, intervention Anicet Le Pors, conclusion Philippe Dandin, directeur de l’ENM

Cliquez sur le lien suivant : https://youtu.be/tRu5P1Grj7A

Je vous remercie Madame Virginie Schwarz, Présidente directrice générale de Météo-France, Monsieur Philippe Dandin, Directeur de l’Ecole nationale de la météorologie (ENM) et tous les organisateurs de cette manifestation pour m’avoir invité à participer avec vous à la célébration du centième anniversaire de l’ENM.  Enregistrement vidéo

Elle est pour moi l’alpha et l’oméga de mon attachement à cette activité scientifique. L’alpha à mon entrée au Fort de Saint-Cyr en octobre 1950, l’omega par mon  intervention aujourd’hui sur le site de l’école à Toulouse. Je dois beaucoup à la météorologie.

La spécificité technique de la formation des cadres de la météo n’est pas de ma compétence, mais quelles que soient les fonctions il y a toujours une dialectique entre les aspects techniques, sociaux, économiques, et politiques.  C’est du moins ce que j’ai personnellement vécu dans l’exercice des fonctions successives que j’ai exercées. La période de 1950 à 1965 d’activité effective à la météorologie est donc aussi celle de toutes mes formations dans les domaine que je viens d’évoquer, c’est dire l’importance que je lui accorde. Elles ont  fortement influencé les fonctions que j’ai exercé ensuite.

Mon témoignage nécessairement bref, portera sur des questions dans lesquelles je me suis impliqué et qui ont connu des évolutions contrastées : la diversité, l’égalité, l’éthique météorologique.

La diversité météorologique

La recherche de la diversité renvoie à la situation qui était celle de la météorologie nationale au sein de la société dans les années 1950–1960. En dehors de secteur comme la climatologie elle était essentiellement consacrée à l’assistance aéronautique. Et si la qualification des météos n’était pas discutée son utilité sociale n’était pas très clairement perçue, notamment par comparaison avec celle des agents de la navigation aérienne.  Il y avait donc une sorte de complexe du météo  v vis-à-vis  du contrôleur aérien. Je me suis attelé personnellement a alors à  lever cet obstacle au développement d’une assistance météorologique diversifiée. 

D’abord, dans le cadre de mon action syndicale en imaginant la création d’un fonds de concours qui recevrait des ressources de différents secteurs assistés à l’instar des taxes perçues dans l’aéronautique ;  je l’ai présenté à l’occasion d’une délégation syndicale au ministre des transports de l’époque Marc jacquet en 1964 qui a trouvé l’idée intéressante mais Le lui a donné aucune suite. Ensuite, m’étant engagé dans un cursus  universitaire de sciences économiques pour mieux contrer la politique de planification gaulliste promue à l’époque comme ardente obligation, j’ai présenté en 1965 à mémoire de diplôme d’études supérieures (qui occuper la place de la maîtrise aujourd’hui) sous le titre significatif d’une volonté de diversification : « Aléas météorologiques et planification ». Enfin, ; j’ai utilisé la voie politique en élaborant un projet de  proposition de. loi portant, d’une part sur la réorganisation de l’établissement météorologie nationale et, d’autres part sur le développement de l’assistance et de la recherche, qu’après validation par mon organisation syndicale, je l’ai présenté à divers groupes de l’Assemblée nationale et du Sénat en leur demandant de le déposer, ce que certains ont fait. Une anecdote significative à ce sujet : lorsque j’ai présenté mon projet au président du groupe communiste du Sénat, Jacques Duclos, celui-ci m’a accueilli les bras au ciel «  Ah  la météo, c’est d’autant plus beau que c’est inutile !». ». Il déposa cependant le projet.

À la même époque, à l’occasion d’un voyage à Berlin, j’avais pu assister à la présentation télévisée des prévisions météorologiques, ce qui n’existait pas encore en France. J’en ai parlé aussitôt de retour au directeur du service météorologiques métropolitain qui a été intéressé mais a reculé devant les obstacles administratifs et financiers qu’il pensait excessifs. J’ai eu la satisfaction un peu plus tard de voir mon camarade de promotion Guy Larivière, puis mon ami Jacques Lorblanchet inaugurer cette fonction. C’est, toujours dans cet état d’esprit, que lorsque le directeur de la Météorologie nationale, André Lebeau, m’a demandé mon opinion, j’étais alors au Conseil d’État, sur la transformation du service en l’établissement public administratif Météo-France je lui ai donné un avis réservé mais plutôt favorable. Depuis, j’ai nourri un doute sur la pertinence de  ce point de vue en raison d’une marchandisation croissante de la société pouvant affecter le service public et ses agents.

Quoi qu’il en soit l’ampleur et la diversité du champ d’intervention de la météorologie se sont  aujourd’hui imposées dans la société.

L’égalité météorologique

S’agissant du principe d’égalité, le problème majeur que j’ai rencontré à la météorologie en matière d’égalité est celui de l’égalité entre les femmes et les hommes. J’en ai pris conscience en participant en février 1958 à une Conférence nationale des travailleuses où mon syndicat m’avait demandé de le représenter. J’ai été frappé par le sérieux des réflexions développées et me suis aussitôt demandé pourquoi il n’y avait pas de représentantes des femmes de la météo dans cette conférence et plus généralement pourquoi il n’y avait pas de femmes, à l’exception des mécanographes, dans les corps techniques de la Météorologie nationale. Je me souviens d’avoir écrit dans le bulletin syndical dont j’étais responsable le Météo parisien un article dont je n’ai retrouvé que le titre « Féminisme et féminité » : je me demande aujourd’hui ce que j’ai bien pu écrire sur ce thème. À l’occasion de vol-obs dans des pays étrangers je m’étais renseigné sur la place des femmes dans les services météorologiques pour constater que dans de nombreux pays il n’y avait pas de discrimination entre les sexes. Je me suis ouvert de ce que je considérais comme une anomalie auprès de la direction. On me répondit qu’il ne pouvait pas y avoir de femmes dans les corps techniques de la météo en raison du travail de nuit… J’ai poursuivi mon action en faveur de l’égalité de recrutement des femmes et des hommes dans une indifférence assez générale. Détaché de la Météorologie nationale en 1965 je n’ai pu assister à la réforme du début des années 1970 mais je me réjouis aujourd’hui que l’on compte 25% de femmes météorologistes dans l’ensemble des corps techniques, ce qui est encore loin de la parité mais représente néanmoins  un progrès certain.

Pendant ma période ministérielle entre 1981 et 1984 j’ai poursuivi cette action qui a été dominée par l’existence de nombreux concours séparés entre hommes et femmes en raison de la nature des fonctions exercées. Ma première intervention a été de modifier le statut pour remplacer le mot « nature » par « conditions déterminantes de l’exercice des fonctions ». Durant la période considérée le nombre de cas de  concours séparés a été réduit de 35 à 15. Il ne doit plus subsister aujourd’hui au sein de la fonction publique civile que le recrutement séparé entre les femmes et les hommes dans l’administration pénitentiaire. J’ai également initié alors la publication de rapports pour préciser l’état des lieux. J’ai aussi décidé la féminisation des intitulés des corps de fonctionnaires (administrateurs et administratrices, par exemple), recommandations vite oubliées..

De 2000 à 2005, sur proposition du ministre de la Fonction publique d’alors Michel Sapin, j’ai présidé le Comité de pilotage pour l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs de la fonction publique. Ce comité a produit trois rapports intéressants à la Documentation française, mais je peine à mesurer les résultats de cette réflexion. Je me réjouis de voir  aujourd’hui que c’est une femme, Madame Virginie Schwarz, qui dirige Météo-France comme présidente directrice générale.

S’il reste sans doute des progrès à réaliser en matière d’égalité entre femmes et hommes dans la météorologie, le principe est aujourd’hui devenu indiscutable.

L’éthique météorologique

Enfin, je pense qu’il y a une spécificité de l’éthique en météorologie. Sans doute parce  qu’elle s’inscrit  d’emblée sur le terrain de la mondialisation, elle est source d’universalité soulignant l’importance des interdépendances et des coopérations. J’ai connu à la météo des relations de travail davantage fondées sur l’échange que sur le commandement. Passant de la prévision météorologique à  la prévision économiques au ministère de l’économie et des finances en 1965, j’ai eu la chance d’y trouver des conditions voisine où la compétence l’emportait sur l’autoritarisme et le conformisme. Et c’est cette conception du fonctionnaire citoyen fondée sur la responsabilité qui explique que l’on ne trouve pas dans le statut général des fonctionnaires, malgré de nombreuses dénaturations infligées depuis 40 ans, des expressions telles que pouvoir hiérarchique, obligation de réserve, devoir d’obéissance ; mais au contraire des exigences élevées sur la responsabilité propre du fonctionnaire quel que soit le niveau hiérarchique.

Je dois beaucoup à la météorologie nationale ai-je dit. J’y ai accompli mes premières formations professionnelles, associative, syndic al, politiques. Et ces catégories ne se sont pas concurrencées mais ce sont éclairés mutuellement en veillant toutefois à conserver la primauté à l’activité professionnelle. J’ai conservé cette conviction jusqu’à aujourd’hui : c’est ma conception du fonctionnaire citoyen. Je dois beaucoup aussi à mes collègues météos. Nombreux dans les années 1950–1960 étaient issus de la Résistance, ils se répartissaient en fonction des diplômes qu’ils détenaient aux différents niveaux de la hiérarchie administrative, mais ils entretenaient entre eux des relations fortes. Des noms me reviennent de ce temps-là : Laporte, Bonnet, Corfa, Bernadet, Jalu, Van der Elst, Ledoux, etc. Plus près de nous : Labrousse, Cazalé, Nicod, vassal, Heissat, Lartigue, etc. Je n’ai pas connu par la suite de milieux professionnels où il  existait autant de fraternité. J’ai une pensée pour eux en  cet anniversaire ;

Je terminerai par une idée  qui m’est chère  : la météo comme espace de culture. Dès le début j’ai été charmé par des mots :  cirrus incinus ou spisatus, cumulus humilis ou congestus, etc. Mais plus que tout par la « température pseudo-adiabatique potentielle du thermomètre mouillé » ; Génial ! J’ai rencontré la météo dans tous les univers professionnels Ainsi, une éminente juriste disparue en début d’année Mireille Delmas-Marty, professeure au Collège de France, qui a beaucoup travaillé sur l’émergence d’un droit mondial commun a comparé ce dernier à un banc d’altocumulus présentant une  identité évidente tout en respectant les différents éléments de sa composition, ceux-ci symbolisant les états de droit des différents pays. D’ailleurs, il y a beaucoup d’artistes à la météo, notamment des peintres. J’ai animé avec d’autres quai Branly une antenne de l’association nationale Travail et Culture et nous avons organisé plusieurs expositions de photos et de peintures auquel les météos ont toujours très largement répondu. Vous avez aussi la chance à Toulouse de bénéficier de l’œuvre picturale d’une grande sensibilité d’Emmanuel Celhay.

La météo imprègne toute la littérature poétique, jusqu’à l’intime. Originaire du Nord Finistère, point de veille de l’arrivée des perturbations atlantique, si souvent cité dans les bulletins de prévisions météo, vous comprendrez que j’aie retenu. Jacques Prévert comme point final : « Rappelle-toi Barbara, il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là … »

Joël Collado – Anicet Le Pors