100e anniversaire de l’École Nationale de la Météorologie

Météo–France, Toulouse, le 18 octobre 2022
Enregistrement de la séquence : introduction Joël Collado, intervention Anicet Le Pors, conclusion Philippe Dandin, directeur de l’ENM
Cliquez sur le lien suivant : https://youtu.be/tRu5P1Grj7A
Je vous remercie Madame Virginie Schwarz, Présidente directrice générale de Météo-France, Monsieur Philippe Dandin, Directeur de l’Ecole nationale de la météorologie (ENM) et tous les organisateurs de cette manifestation pour m’avoir invité à participer avec vous à la célébration du centième anniversaire de l’ENM. Enregistrement vidéo
Elle est pour moi l’alpha et l’oméga de mon attachement à cette activité scientifique. L’alpha à mon entrée au Fort de Saint-Cyr en octobre 1950, l’omega par mon intervention aujourd’hui sur le site de l’école à Toulouse. Je dois beaucoup à la météorologie.
La spécificité technique de la formation des cadres de la météo n’est pas de ma compétence, mais quelles que soient les fonctions il y a toujours une dialectique entre les aspects techniques, sociaux, économiques, et politiques. C’est du moins ce que j’ai personnellement vécu dans l’exercice des fonctions successives que j’ai exercées. La période de 1950 à 1965 d’activité effective à la météorologie est donc aussi celle de toutes mes formations dans les domaine que je viens d’évoquer, c’est dire l’importance que je lui accorde. Elles ont fortement influencé les fonctions que j’ai exercé ensuite.
Mon témoignage nécessairement bref, portera sur des questions dans lesquelles je me suis impliqué et qui ont connu des évolutions contrastées : la diversité, l’égalité, l’éthique météorologique.
La diversité météorologique
La recherche de la diversité renvoie à la situation qui était celle de la météorologie nationale au sein de la société dans les années 1950–1960. En dehors de secteur comme la climatologie elle était essentiellement consacrée à l’assistance aéronautique. Et si la qualification des météos n’était pas discutée son utilité sociale n’était pas très clairement perçue, notamment par comparaison avec celle des agents de la navigation aérienne. Il y avait donc une sorte de complexe du météo v vis-à-vis du contrôleur aérien. Je me suis attelé personnellement a alors à lever cet obstacle au développement d’une assistance météorologique diversifiée.
D’abord, dans le cadre de mon action syndicale en imaginant la création d’un fonds de concours qui recevrait des ressources de différents secteurs assistés à l’instar des taxes perçues dans l’aéronautique ; je l’ai présenté à l’occasion d’une délégation syndicale au ministre des transports de l’époque Marc jacquet en 1964 qui a trouvé l’idée intéressante mais Le lui a donné aucune suite. Ensuite, m’étant engagé dans un cursus universitaire de sciences économiques pour mieux contrer la politique de planification gaulliste promue à l’époque comme ardente obligation, j’ai présenté en 1965 à mémoire de diplôme d’études supérieures (qui occuper la place de la maîtrise aujourd’hui) sous le titre significatif d’une volonté de diversification : « Aléas météorologiques et planification ». Enfin, ; j’ai utilisé la voie politique en élaborant un projet de proposition de. loi portant, d’une part sur la réorganisation de l’établissement météorologie nationale et, d’autres part sur le développement de l’assistance et de la recherche, qu’après validation par mon organisation syndicale, je l’ai présenté à divers groupes de l’Assemblée nationale et du Sénat en leur demandant de le déposer, ce que certains ont fait. Une anecdote significative à ce sujet : lorsque j’ai présenté mon projet au président du groupe communiste du Sénat, Jacques Duclos, celui-ci m’a accueilli les bras au ciel « Ah la météo, c’est d’autant plus beau que c’est inutile !». ». Il déposa cependant le projet.
À la même époque, à l’occasion d’un voyage à Berlin, j’avais pu assister à la présentation télévisée des prévisions météorologiques, ce qui n’existait pas encore en France. J’en ai parlé aussitôt de retour au directeur du service météorologiques métropolitain qui a été intéressé mais a reculé devant les obstacles administratifs et financiers qu’il pensait excessifs. J’ai eu la satisfaction un peu plus tard de voir mon camarade de promotion Guy Larivière, puis mon ami Jacques Lorblanchet inaugurer cette fonction. C’est, toujours dans cet état d’esprit, que lorsque le directeur de la Météorologie nationale, André Lebeau, m’a demandé mon opinion, j’étais alors au Conseil d’État, sur la transformation du service en l’établissement public administratif Météo-France je lui ai donné un avis réservé mais plutôt favorable. Depuis, j’ai nourri un doute sur la pertinence de ce point de vue en raison d’une marchandisation croissante de la société pouvant affecter le service public et ses agents.

Quoi qu’il en soit l’ampleur et la diversité du champ d’intervention de la météorologie se sont aujourd’hui imposées dans la société.
L’égalité météorologique
S’agissant du principe d’égalité, le problème majeur que j’ai rencontré à la météorologie en matière d’égalité est celui de l’égalité entre les femmes et les hommes. J’en ai pris conscience en participant en février 1958 à une Conférence nationale des travailleuses où mon syndicat m’avait demandé de le représenter. J’ai été frappé par le sérieux des réflexions développées et me suis aussitôt demandé pourquoi il n’y avait pas de représentantes des femmes de la météo dans cette conférence et plus généralement pourquoi il n’y avait pas de femmes, à l’exception des mécanographes, dans les corps techniques de la Météorologie nationale. Je me souviens d’avoir écrit dans le bulletin syndical dont j’étais responsable le Météo parisien un article dont je n’ai retrouvé que le titre « Féminisme et féminité » : je me demande aujourd’hui ce que j’ai bien pu écrire sur ce thème. À l’occasion de vol-obs dans des pays étrangers je m’étais renseigné sur la place des femmes dans les services météorologiques pour constater que dans de nombreux pays il n’y avait pas de discrimination entre les sexes. Je me suis ouvert de ce que je considérais comme une anomalie auprès de la direction. On me répondit qu’il ne pouvait pas y avoir de femmes dans les corps techniques de la météo en raison du travail de nuit… J’ai poursuivi mon action en faveur de l’égalité de recrutement des femmes et des hommes dans une indifférence assez générale. Détaché de la Météorologie nationale en 1965 je n’ai pu assister à la réforme du début des années 1970 mais je me réjouis aujourd’hui que l’on compte 25% de femmes météorologistes dans l’ensemble des corps techniques, ce qui est encore loin de la parité mais représente néanmoins un progrès certain.
Pendant ma période ministérielle entre 1981 et 1984 j’ai poursuivi cette action qui a été dominée par l’existence de nombreux concours séparés entre hommes et femmes en raison de la nature des fonctions exercées. Ma première intervention a été de modifier le statut pour remplacer le mot « nature » par « conditions déterminantes de l’exercice des fonctions ». Durant la période considérée le nombre de cas de concours séparés a été réduit de 35 à 15. Il ne doit plus subsister aujourd’hui au sein de la fonction publique civile que le recrutement séparé entre les femmes et les hommes dans l’administration pénitentiaire. J’ai également initié alors la publication de rapports pour préciser l’état des lieux. J’ai aussi décidé la féminisation des intitulés des corps de fonctionnaires (administrateurs et administratrices, par exemple), recommandations vite oubliées..
De 2000 à 2005, sur proposition du ministre de la Fonction publique d’alors Michel Sapin, j’ai présidé le Comité de pilotage pour l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs de la fonction publique. Ce comité a produit trois rapports intéressants à la Documentation française, mais je peine à mesurer les résultats de cette réflexion. Je me réjouis de voir aujourd’hui que c’est une femme, Madame Virginie Schwarz, qui dirige Météo-France comme présidente directrice générale.
S’il reste sans doute des progrès à réaliser en matière d’égalité entre femmes et hommes dans la météorologie, le principe est aujourd’hui devenu indiscutable.
L’éthique météorologique
Enfin, je pense qu’il y a une spécificité de l’éthique en météorologie. Sans doute parce qu’elle s’inscrit d’emblée sur le terrain de la mondialisation, elle est source d’universalité soulignant l’importance des interdépendances et des coopérations. J’ai connu à la météo des relations de travail davantage fondées sur l’échange que sur le commandement. Passant de la prévision météorologique à la prévision économiques au ministère de l’économie et des finances en 1965, j’ai eu la chance d’y trouver des conditions voisine où la compétence l’emportait sur l’autoritarisme et le conformisme. Et c’est cette conception du fonctionnaire citoyen fondée sur la responsabilité qui explique que l’on ne trouve pas dans le statut général des fonctionnaires, malgré de nombreuses dénaturations infligées depuis 40 ans, des expressions telles que pouvoir hiérarchique, obligation de réserve, devoir d’obéissance ; mais au contraire des exigences élevées sur la responsabilité propre du fonctionnaire quel que soit le niveau hiérarchique.
Je dois beaucoup à la météorologie nationale ai-je dit. J’y ai accompli mes premières formations professionnelles, associative, syndic al, politiques. Et ces catégories ne se sont pas concurrencées mais ce sont éclairés mutuellement en veillant toutefois à conserver la primauté à l’activité professionnelle. J’ai conservé cette conviction jusqu’à aujourd’hui : c’est ma conception du fonctionnaire citoyen. Je dois beaucoup aussi à mes collègues météos. Nombreux dans les années 1950–1960 étaient issus de la Résistance, ils se répartissaient en fonction des diplômes qu’ils détenaient aux différents niveaux de la hiérarchie administrative, mais ils entretenaient entre eux des relations fortes. Des noms me reviennent de ce temps-là : Laporte, Bonnet, Corfa, Bernadet, Jalu, Van der Elst, Ledoux, etc. Plus près de nous : Labrousse, Cazalé, Nicod, vassal, Heissat, Lartigue, etc. Je n’ai pas connu par la suite de milieux professionnels où il existait autant de fraternité. J’ai une pensée pour eux en cet anniversaire ;
Je terminerai par une idée qui m’est chère : la météo comme espace de culture. Dès le début j’ai été charmé par des mots : cirrus incinus ou spisatus, cumulus humilis ou congestus, etc. Mais plus que tout par la « température pseudo-adiabatique potentielle du thermomètre mouillé » ; Génial ! J’ai rencontré la météo dans tous les univers professionnels Ainsi, une éminente juriste disparue en début d’année Mireille Delmas-Marty, professeure au Collège de France, qui a beaucoup travaillé sur l’émergence d’un droit mondial commun a comparé ce dernier à un banc d’altocumulus présentant une identité évidente tout en respectant les différents éléments de sa composition, ceux-ci symbolisant les états de droit des différents pays. D’ailleurs, il y a beaucoup d’artistes à la météo, notamment des peintres. J’ai animé avec d’autres quai Branly une antenne de l’association nationale Travail et Culture et nous avons organisé plusieurs expositions de photos et de peintures auquel les météos ont toujours très largement répondu. Vous avez aussi la chance à Toulouse de bénéficier de l’œuvre picturale d’une grande sensibilité d’Emmanuel Celhay.
La météo imprègne toute la littérature poétique, jusqu’à l’intime. Originaire du Nord Finistère, point de veille de l’arrivée des perturbations atlantique, si souvent cité dans les bulletins de prévisions météo, vous comprendrez que j’aie retenu. Jacques Prévert comme point final : « Rappelle-toi Barbara, il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là … »

