À PROPOS D’IDENTITÉ – Bretagne-Ile de France, avril 2008

« Identité et violence » d’Amartya-Sen, prix Nobel d’Économie *

C’est une grande leçon d’humanité que livre Amartya-Sen dans son dernier ouvrage Identité et violence, livre d’une grande utilité pour tous ceux qui s’interrogent sur la manière de concilier un engagement libre dans le monde et la fidélité à des origines que nous n’avons pas choisies, mais auxquelles il est légitime que nous tenions. Pour cet intellectuel indien des plus illustres, longtemps président du Trinity Collège à Cambridge, professeur à Harvard et prix Nobel d’Économie en 1998, le monde semble redevenir une fédération de « cultures », de « civilisations », de « religions » où chacun est sommé de se ranger. Il remet en cause l’idée d’Occident, d’Asie, d’Afrique monolithiques, chacun de ces ensembles ayant connu des périodes fastes et d’autres sombres, ainsi que toute idée de blocs prétendant enfermer des populations seulement identifiées par un critère dominant : la religion, l’ethnie, la culture, la langue. Pour se faire comprendre, il prend son propre exemple : « Je peux d’être à la fois asiatique, citoyen indien, bengali d’origine, résider au Royaume-Uni, être économiste, enseigner la philosophie, écrire des livres, connaître le sanskrit, croire dur comme fer en la laïcité, être un homme, féministe, hétérosexuel et défenseur des homosexuels, exclure la religion de mon mode de vie, être de culture hindoue, ne pas croire en la vie après la mort ». Et il ajoute : « L’individu doit décider seul de l’importance qu’il doit accorder aux différents constituants de son identité et cette importance dépend du contexte ».

L’auteur s’oppose ainsi farouchement à toute approche fondée sur le « choc des civilisations » particulièrement avancée depuis les attentats du 11 septembre 2001 dont il conteste le « chaos conceptuel ». Il dénonce la violence qui « naît de ces identités singulières et belliqueuses, imposées à des esprits crédules, cornaqués par les habiles artisans de la terreur ». Il dénonce la pensée communautariste qui enferme les individus dans ce qu’il appelle des « petites boites », démarche réductrice qui ne permet pas le plein épanouissement de la personne et lui masque les solidarités qui la lient aux autres en segmentant le genre humain. La liaison entre identité et violence lui semble étroitement associée à la conception que l’on a du multiculturalisme : dans une première acception, le multiculturalisme encourage la diversité culturelle résultant du libre choix de l’individu, la diversité est alors richesse ; dans le second cas, il s’agit de promouvoir la diversité en soi pour opposer sa singularité aux autres, elle est alors étroitesse et potentiellement dangereuse en ce qu’elle peut déboucher sur la confrontation et la violence. Elle n’est alors, selon Amartya Sen, qu’un « monoculturalisme pluriel » qui maintient les cultures à distance les unes des autres et ne laisse plus de place à la cohésion nationale et à l’exercice de la citoyenneté.

Cela l’amène à condamner la réduction de l’Inde à « la civilisation hindoue », les théories de « l’exclusivité islamique » mais aussi la « centralité de l’Occident » qui aurait apporté au monde le savoir et la démocratie ; il montre que cela ne correspond pas à la réalité, que l’histoire des idées, de la science, de la démocratie est mondiale. Il invite à contester ce type de terrorisme idéologique ségrégatif pour s’appuyer sur la multiplicité des identités qui composent l’individu. Dans cet esprit, il attire l’attention sur le danger qu’il y aurait à se contenter de dénoncer les différentes formes de communautarisme, attitude qui pourrait faire courir le risque de tomber soi-même, par simple esprit de contradiction, dans une forme de démarche communautariste. Il convient avant tout, pense-t-il, de se construire comme personne, partie prenante du genre humain. La leçon vaut pour ici et maintenant : ainsi peut-on, dans le même temps, se sentir Breton né ou non en Bretagne, être adhérent d’un syndicat, courir le marathon, militer dans un parti, goûter le cassoulet, rechercher les concerts de Cécilia Bartoli, aimer voyager à l’étranger, passer ses vacances dans le Léon, agir dans de multiples associations, aider les mouvements humanitaires dans les pays pauvres, fréquenter les banquets de l’Union des sociétés bretonnes de l’Ile de France. Et pour toutes ces raisons et par ces moyens, se vivre pleinement citoyenne ou citoyen français travaillant à l’avènement d’un monde fraternel.

Anicet Le Pors

* Amartya Sen, Identité et violence, Odile Jacob, 2007

 

 

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