Laïcité et citoyenneté – Cahors, 30 mai 2008

Sauvegarder la laïcité de la République : c’est l’affaire de tous !

 

Le principe de laïcité peut être considéré comme une composante de la citoyenneté, mais on peut tout autant le regarder comme inspirant la totalité de la problématique de la citoyenneté telle que je me suis efforcé de la proposer (Que sais-je ? « La citoyenneté », PUF, 3° éd.) autour de trois affirmations :

– il n’y a pas de citoyenneté sans valeurs reconnues par la communauté des citoyens ;
– il n’y a pas de citoyenneté sans exercice effectif doté des moyens nécessaires ;
– il n’y a pas de citoyenneté sans dynamique propre la refondant aujourd’hui dans une crise sociale profonde, prenant en compte l’émergence de dimensions infra et supranationales, et faisant la clarté au regard de l’idéologie des droits de l’homme.

1. La laïcité et les valeurs de la citoyenneté

En France, la conception de l’intérêt général en fait une catégorie éminente, distincte de la somme des intérêts particuliers ; c’était le « bien commun » sous la monarchie qui a concouru à la sécularisation du pouvoir politique. Cette conception a nourri une culture du service public qui a conduit à la constitution d’une « École française du service public » sur la base de principes juridiques (égalité, continuité, adaptabilité) marqués par une forte rationalité, et une fonction publique elle-même fondée sur des principes de même nature (égalité, indépendance, responsabilité).

L’affirmation du principe d’égalité est lui-même marqué par l’esprit laïc. C’est le service public de l’enseignement qui en a été le support principal en jouant le rôle déterminant dans l’égal accès au savoir hors tous les particularismes. C’est aussi en s’adossant au principe de laïcité qu’a pu être affirmée l’égalité dans tous les domaines de l’homme et de la femme en arrachant la condition de celle-ci à la soumission à l’ordre ou à tout présupposé. On le retrouve dans la conception du modèle français d’intégration : droit du sol et égalité des citoyens, opposé au droit du sang et à la logique des minorités. Cicéron distinguait déjà la « patrie d’origine » de la « patrie de droit ».

L’exigence d’une éthique de la responsabilité est consubstantielle à la laïcité. Ses différentes déclinaisons en droit (civile, pénale – « nul n’est pénalement responsable que de son propre fait » -, administrative) sont placées sur un terrain strictement juridique. Mais c’est au plan politique et moral que s’affirme surtout le principe de laïcité. La responsabilité personnelle de l’homme politique et du fonctionnaire existe («notion de « crime administratif » et art. 28 du titre 1er du statut général des fonctionnaires). Les règles de la morales sociales ne relèvent ni d’une transcendance, ni d’un état de nature, ni d’une fatalité, mais que ce sont les citoyens et les citoyennes qui les établissent en pleine responsabilité.

2. La laïcité et l’exercice effectif de la citoyenneté

Les droits et devoirs constitutifs du statut du citoyen ne doivent comporter aucune référence aux critères qui caractérisent généralement minorités ou communautés, à savoir : la culture (la diversité est richesse), la langue (ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 et art. 2 de la constitution), la religion (loi de séparation des églises et de l’État de 1905) ou l’ethnie (art. 1er de la constitution). Il est juste que la France n’ait pas signé la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (avis du Conseil d’État du 6 juillet 1995) et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (avis du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999). La laïcité ne concerne pas seulement le particularisme religieux.

Évoquer le rapport de la laïcité à la démocratie locale, lieu privilégié d’exercice de la citoyenneté, c’est nécessairement faire référence à la loi Falloux, aujourd’hui formellement abrogée. Je veux néanmoins rappeler la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 1994 considérant notamment « qu’un financement plus libre des établissements privés par les collectivités territoriales est contraire au principe d’égalité et qu’il risquerait de mettre, dans certaines communes, les établissements privés dans une situation plus favorable que les écoles publiques, ce qui serait contraire à la laïcité en France ». Ce qui n’a pas empêché la manifestation mémorable du 16 janvier réunissant un million de personnes à Paris.

La laïcité est évidemment parti prenante des institutions. L’article 1er de la Constitution de la V° République reprend une disposition qui figurait déjà dans la constitution de 1946 : « La France est une République indivisible , laïque, démocratique et sociale. » Ce qui n’empêche pas de multiples dérogations structurelles (le régime concordataire de l’Alsace-Moselle, les fêtes fériées), financières (financements de l’enseignement confessionnel) ou de comportement (discours de Latran de Nicolas Sarkozy, rappelant les relations des Bonaparte et de l’Église). Ne relève pas non plus de l’État de veiller à l’égalité de traitement des religions, contrairement à ce que soutenait la commission Stasi.

3. La laïcité dans la refondation dynamique de la citoyenneté

Dans la situation de crise sociale où se trouve aujourd’hui la France, le rôle de la laïcité est déterminant dans l’affaiblissement ou la perte des repères (États-nations, classes, territoires, mœurs, idéologies) la crise des représentations. Il y a nécessité de refonder la citoyenneté à partir du libre arbitre, de l’esprit critique sur la base de la pleine responsabilité individuelle, conduisant chacun à la constitution de « génome de citoyenneté » ouvrant la voie à la constitution de nouvelles « centralités ».

L’émergence de dimensions transnationales de la citoyenneté défie le principe de laïcité, la France étant le seul pays à le mentionner formellement dans sa loi suprême, même si des dispositions peuvent être regardées comme équivalentes dans certaines constitutions. Au sein de l’Union européenne l’accent est mis sur la liberté de conscience plus que sur la neutralité de l’État. La dimension mondiale de la citoyenneté peut être un vecteur de promotion de la laïcité par la voie de la tolérance réciproque.

La problématique des droits de l’homme incline davantage à la reconnaissance des libertés de la personne qu’à celle de la neutralité des instances publiques qui présentent aujourd’hui de fortes inégalités quant à leurs rapports avec les religions dont certaines sont dans la nature même des États. Il s’ensuit que la régulation de la sphère sociale par les seuls droits de l’homme est insuffisante pour assurer la neutralité d’intervention des puissances publiques. La reconnaissance de la laïcité comme valeur universelle pose ainsi les questions de la démocratie politique, de l’efficacité économique et de la justice sociale et ne peut être imposée comme un dogme. Amartya-Sen refuse l’enfermement communautariste unidimensionnel (Identité et violence, Odile Jacob, 2007).

La laïcité est une question difficile qui demande un travail d’approfondissement constant puisqu’elle est consubstantielle à la citoyenneté. Qualifier la laïcité d’ouverte ou de quelque manière que ce soit, c’est la dogmatiser.

Ainsi, contrairement à la commission Stasi qui soutenait que « le temps de la laïcité de combat est dépassé », la laïcité reste un combat.

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