Jacques Brunhes, Chevalier de la Légion d’Honneur, Gennevilliers 30 septembre 2008

Intervention d’Anicet Le Pors

Je suis heureux de me retrouver en mairie de Gennevilliers où, en septembre 1982, je remettais la Légion d’honneur à Waldeck L’Huillier. Comme j’ai eu également l’occasion d’officier, il y a quelques années, pour notre ami Bernard Sobel, j’en arrive à me demander si je ne suis pas investi dans ces fonctions d’une mission de service public à Gennevilliers.

Je veux le dire très simplement : j’ai été très honoré que Jacques Brunhes me demande le parrainer aujourd’hui son entrée dans l’ordre de la Légion d’honneur. D’abord, parce que nous nous connaissons depuis longtemps et qu’à travers les vicissitudes de la vie politique notre amitié a été préservée, et même confortée. Ensuite, parce j’ai pensé qu’il aurait peut être pu choisir un parrain plus conforme, en tout cas au statut moins compliqué ; aussi son choix me touche. Enfin, parce que c’est l’occasion, comme dans ce type de circonstance, d’une rencontre conviviale qui permet à chacun et ensemble de faire une pause et un point.

Si cet événement n’intervient qu’aujourd’hui c’est, chacun le sait ici, parce que les parlementaires ne peuvent se voir décerner une décoration pendant l’exercice de leur mandat. Les états de service de Jacques Brunhes témoignent surabondamment qu’il réunissait les conditions de sa désignation depuis longtemps. Qu’on en juge.

Jacques Brunhes a couvert toute la gamme des mandats de la République, de conseiller municipal à membre du gouvernement. Je ne  peux en faire qu’un survol.

Il est élu conseiller municipal de Gennevilliers en 1983.

Il devient maire en 1987, succédant à Lucien Lanternier. Il le demeurera jusqu’en 2001 où il sera remplacé par Jacques Bourgoin, actuel maire.

Il est conseiller général des Hauts-de-Seine de 1985 à 1988 ; nous nous fréquenterons alors au sein de l’assemblée départementale, plus précisément comme membres du groupe communiste dont il sera le président. Gennevilliers a toujours été fortement représentée au Conseil général du 92.

Il est conseiller régional de l’Ile-de-France de 1978 à 1985.

Député-suppléant de Waldeck L’Huillier de 1967 à 1978, il est élu député en 1978 et sera (sauf la parenthèse de 1986-1988) constamment réélu jusqu’en 2007 ; il sera alors remplacé par Roland Muzeau, actuel député de la circonscription.

Enfin, il exercera des fonctions ministérielles, chargé du Tourisme en 2001 et 2002.

Je ne devrais pas dire enfin car, après ce bilan, je constate que Jacques n’a jamais siégé au Sénat ni à l’Élysée. Mais n’anticipons pas…

En attendant, je veux revenir sur le mandat de député qu’il a exercé pendant si longtemps, mandat qui tient une place particulièrement importante dans sa notoriété et les raisons qui ont conduit à la désignation qui l’honore aujourd’hui.

L’intérêt que Jacques Brunhes porte à la question institutionnelle, et dont je peux témoigner car nous en avons souvent discuté – généralement d’accord, mais pas toujours – s’explique aisément par l’importance des fonctions qu’il a assumées au sein de l’Assemblée nationale. En effet, il a été  :

– membre du bureau de l’Assemblée nationale de 1979 à 1986 ;
– vice-président de la commission des Affaires culturelles de 1981-1986 ;
– vice-président de l’Assemblée en 1993-1994 ;
– questeur en 1997-1998 ;
– membre de plusieurs délégations du bureau de l’Assemblée : communication, activité internationale en particulier :
– il faut y ajouter la vice-présidence du groupe communiste de 1981 à 2001.

Je me dois également d’évoquer – en m’obligeant à résumer – sa participation à d’innombrables commissions et groupes de travail :

– la commission des lois en premier lieu, mais aussi l’office parlementaire d’évaluation de la législation ;
– des groupes de travail ou commissions d’enquête : sur les voies d’eau et les voies navigables, le contrôle parlementaire de la dépense publique, la situation des prisons françaises, l’aéronautique et le spatial ;
– il a été rapporteur de plusieurs projets et propositions de loi : sur l’accès au droit et à la justice, aux fonctions électives locales ;
– il a fait partie d’un très grand nombre de groupes d’amitié avec, en particulier, le Vietnam, la Lettonie, l’Afrique du Sud, la Chine et l’Inde : il a été particulièrement actif dans les relations avec le Québec ;
– j’ajouterai enfin qu’il a été vice-président de la section française de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, ce qui allait de soi pour le professeur de lettres et d’histoire qu’il avait été au début de sa vie active.

Voilà pour la partie officielle. Mais cela ne suffit évidemment pas pour présenter Jacques Brunhes.

Je passerais à côté de mon sujet si je ne disais pas bien vite que Jacques est un enfant du Cantal. Cette région aux paysages superbes, où l’herbe est toujours verte, où il ne pleut pas plus que dans mon Finistère-nord, où le choux farci et l’aligot, s’ils ne relèvent pas de la cuisine moderne, tiennent solidement à l’estomac. C’est de là que vient Jacques, qui pratique le patois cantalou chaque fois que l’occasion se présente, mais qui aime aussi l’italien, et s’est toujours constitué en défenseur sourcilleux de la langue française et du bon choix des mots exacts. Passant par l’école normale, il a fait la fierté de son père, chauffeur de taxi. Enseignant, il a passionnément aimé le métier de ses débuts dans la vie professionnelle. Sportif, tous les sports l’intéressent, avec peut être une mention spéciale pour le vélo et le rugby. J’ai surpris la semaine dernière une conversation téléphonique qu’il avait avec Roland, de laquelle il ressortait que la rencontre de samedi dernier entre Aurillac et le Racing, à laquelle il lui enjoignait d’assister, revêtait un enjeu, peut être pas planétaire, mais presque.

Plus sérieusement, le nom de Jacques est étroitement associé aux luttes ouvrières de la région parisienne. Les conflits de Davum, des chantiers navals à Villeneuve, de Diffusuille, de Renault  marqué, à l’Assemblée nationale, par une bataille de procédure de plusieurs dizaines d’heures, et des prises de parole dans les ateliers de l’Ile Seguin et à Billancourt. Et puis, à Gennevilliers même, les luttes de plusieurs décennies autour de Chausson pour la dignité des travailleurs, la sauvegarde de leurs conditions de vie matérielles et morales, l’avenir de l’automobile française. Et il faudrait encore évoquer les actions importantes qu’il a soutenues, dans lesquelles il a pris une grande part et qui ont nom : SNECMA, General Motors, Valentine, Carbonne Lorraine.

Fort de ses origines populaires dans la France profonde, formé dans le creuset républicain le plus authentique, acteur dans les luttes pour l’émancipation, Jacques en a porté naturellement la parole politique au Parlement. C’est dans ces combats que se sont forgés ses liens, on pourrait dire sa complicité, avec Dominique Frelaut dans une égale passion du développement du territoire de la circonscription Gennevilliers-Villeneuve-Colombes. C’est aussi dans ce contexte que se sont formés les militants qui agissaient à leur côtés : Jacques racontera peut être une nouvelle fois les réunions dans lesquelles il voyait Roland Muzeau arriver de la SNECMA en bleu de travail et repartir aussi vite qu’il était venu pour ne pas se faire sanctionner. Comment ne pas associer également à cette vraie vie, dense, chaleureuse, et pour tout dire aimante : Malika et Françoise, dont la présence et la contribution, pour être discrètes, n’en ont pas moins été indispensables et essentielles.

Je voudrais, pour terminer, mettre l’accent sur trois idées que m’inspirent le témoignage de Jacques Brunhes et l’amitié qui nous lie. Je ne sais s’il les partagera, mais nous aurons toute la vie à venir pour en discuter.

La première est la question institutionnelle. J’ai dit l’intérêt de Jacques Brunhes pour les questions relatives à l’élaboration de la loi et plus généralement aux institutions. Nous en avons discuté à une époque où ces questions n’intéressaient que quelques spécialistes et il était même difficile d’aborder le sujet car il y avait toujours quelqu’un pour rétorquer que les questions sociales étaient plus urgentes et plus importantes : le chômage et le pouvoir d’achat, par exemple. Cette remarque n’était pas fausse, c’était pourtant une erreur politique. La France est, historiquement, un véritable laboratoire institutionnel : quinze constitutions en deux siècles. C’est à mes yeux un signe de vitalité politique que nous avons la responsabilité d’entretenir, sans pour autant recourir la facilité d’une VI° République indéterminée. Mais nous ne pouvons surtout accepter aujourd’hui cette marche engagée vers une constitutionnalisation d’un pragmatisme sans principe qui tourne le dos à la tradition républicaine.

La deuxième concerne la responsabilité politique dans l’exercice des mandats. On évoque de manière récurrente la question du cumul des mandats, question qui en soulève d’autres comme celle du statut de l’élu qu’annonçait la loi de décentralisation du 2 mars 1982, dite loi Defferre, et qui n’a pas reçu depuis de véritable solution. Ce n’est pas seulement une question de réglementation comme la preuve en a été apportée à Gennevilliers. J’ai maintes fois cité l’exemple donné par Jacques qui a su, le moment venu, transmettre ses responsabilités à des militants qu’il avait contribué à former : Jacques Bourgoin maire, Roland Muzeau député, Patrice Leclerc conseiller général, et qu’il a accompagnés ensuite dans leur travail d’élus. Il a constitué des équipes de femmes et d’hommes unis et combatifs dans la conduite des affaires municipales. Il y a malheureusement peu d’exemples d’une telle maîtrise de l’exercice du pouvoir politique dont le mérite revient à Jacques Brunhes. Cela tient aussi sans doute à la liberté de pensée qui a toujours caractérisé les élus gennevillois ; je pense en particulier à la forte personnalité de Lucien Lanternier.

C’est sans doute – troisième idée – en raison de cette indépendance d’esprit que l’on peut ici, à Gennevilliers, se dire encore communiste sans être renvoyé vers le mot qui subit son passé ou qui peine à dire son futur. Jacques Brunhes est militant communiste depuis l’école normale. Enseignant, il a collaboré à l’École et la Nation et toujours suivi de près le budget de l’Éducation nationale. Tout au long de sa vie militante et jusqu’à aujourd’hui, il a gardé cette fidélité tout en s’interrogeant sur la signification profonde de son engagement ; cela mérite le respect. Mais au-delà de ce choix, une valeur surplombe l’ensemble des responsabilités qu’il a assumées aux niveaux national, régional, départemental, municipal : l’esprit de service public, le sens de l’intérêt général. Il est juste qu’aujourd’hui les vertus et les talents de Jacques Brunhes, au sens de l’article 6 de la Déclarations des droits de l’homme et du citoyen de 1789, soient enfin consacrés au nom de la République.

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