Nouveaux modes de recrutement et respect des principes
L’annonce de la suppression du classement de sortie de l’ÉNA par le président de la République a relancé le débat sur le mode de recrutement des fonctionnaires qui a lieu chaque fois que des transformations statutaires importantes sont envisagées. Le mode de recrutement, aujourd’hui essentiellement le concours, est en effet un bon indicateur de la conception plus générale de la place du fonctionnaire dans la société. Cette place est toujours justifiée par référence à des valeurs, à des principes, qui caractérisent le régime politique en place. On ne saurait donc juger de la pertinence d’une réforme des modes de recrutement sans s’interroger sur leur conformité à ces principes et au régime lui-même, scellé en l’occurrence par notre pacte républicain.
L’émergence du principe du concours
Lorsque Philippe Le Bel décide de retenir auprès de lui les meilleurs esprits du royaume au sein du Conseil du Roi il signifie à la fois que les affaires contentieuses impliquant le pouvoir central ne doivent pas relever des tribunaux ordinaires mais d’une juridiction administrative, ancrant ainsi durablement dans notre culture nationale une claire distinction public-privé et que le pouvoir royal doit disposer d’une administration hiérarchisée de qualité pour gérer les affaires du royaume. Sous l’Ancien régime, le recrutement de ce personnel est largement discrétionnaire dans les mains du monarque. Les intendants peuvent être regardés comme les ancêtres des grands corps administratifs de l’État, tandis que se constituent parallèlement les grands corps techniques (Ponts et Chaussées, Eaux et Forêts). L’accès à ces fonctions repose sur la patrimonialité des offices et la vénalité des charges, chasse gardée des sujets du Roi les plus fortunés. Dès le XVIII° siècle, la bourgeoisie dispute le terrain administratif à la noblesse ; la moyenne bourgeoisie commence également à occuper des fonctions administratives modestes.
C’est la Révolution française qui entreprendra de changer fondamentalement les bases de recrutement des agents publics. Elle en posera le principe dans l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 auquel je n’ai, pour ma part, cessé de me référer pour y reconnaître le fondement du concours comme mode de recrutement des fonctionnaires sur la base du principe d’égalité et que je crois devoir citer en entier tant il montre l’intégration du principe à la République :
« Article 6 – La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Le projet de l’élection des fonctionnaires, envisagé au début de l’ère révolutionnaire, sera vite abandonné et aucune conséquence formelle ne sera tirée du principe énoncé.
Sous le Consulat et l’Empire c’est une politique autoritaire qui sera mise en œuvre. La conception napoléonienne de la fonction publique affirme la primauté de l’intérêt du service sur tout autre considération, notamment les conditions matérielles et morales des fonctionnaires. Ils sont tenus en mains par une hiérarchie que l’arbitraire ne rebute pas, les ministres dans les administrations centrales, les préfets en province. Mais le besoin croissant d’administration au XIX° siècle va néanmoins conduire à fixer des règles qui vont peu à peu structurer l’univers de la fonction publique : la loi sur l’état des officiers en 1834 posera le principe dé la séparation du grade et de l’emploi ; les statuts particuliers vont se développer après la Révolution de 1848 qui esquissera la création de la première École nationale d’administration ; le Conseil d’État élaborera une jurisprudence très constructive de la fonction publique qui constituera la base du futur statut général, longtemps récusé par les associations et syndicats de fonctionnaires qui redoutaient la mise en place d’un instrument du principe hiérarchique, d’un « statut-carcan ». Un premier statut inspiré de la charte du travail du régime de Vichy verra le jour en 1941, vite submergé par les transformations radicales de la Libération qui permettront une véritable mutation des esprits en faveur d’un statut général, institué par la loi du 19 octobre 1946, après qu’aient été créées l’École nationale d’administration et la Direction générale de l’administration et de la fonction publique.
Le statut de 1946 pose sans ambiguïté le principe du concours comme mode de recrutement des fonctionnaires, tout en soulignant la complexité de sa traduction pratique appelant des mesures appropriées aux différences de situations. Après avoir défini les catégories A, B, C et D par ordre hiérarchique décroissant, la notion de cadre (expression malheureuse, eu égard à l’usage qui en est fait aujourd’hui, vite rectifiée en « corps »), le statut pose ainsi les règles de recrutement :
« Art. 26 – Ces cadres sont recrutés, soit séparément pour chaque administration ou service, soit en commun pour un groupe d’administrations ou de services.
Art. 27 – Sous réserve des dérogations prévues par la législation sur les emplois réservés et par règlements propres à chaque administration ou service, les fonctionnaires des catégories C et D sont recrutés par des concours propres à chaque spécialité professionnelle.
Art. 28 – Les candidats aux fonctions des catégories A et B sont recrutés par concours, suivant l’une des modalités ci-après ou suivant l’une et l’autre de ces modalités ; 1° Des concours distincts sont ouverts, d’une part, aux candidats justifiant de certains diplômes ou de l’accomplissement de certaines études, et d’autre part, aux candidats fonctionnaires ayant accompli une certaine durée de services publics ; 2° Des concours sont réserves aux fonctionnaires ayant accompli un temps de service déterminé et, le cas échéant, reçu une certaine formation.
Les règlements propres à chaque administration devront assurer, en tout cas à tous les fonctionnaires ayant les aptitudes nécessaires, des facilités de formation et d’accès aux catégories hiérarchiquement supérieures.
Lesdits règlements pourront, à titre exceptionnel et en vue d’assurer aux fonctionnaires de certains cadres le développement normal de leur carrière, autoriser cet accès, soit par voie d’examen professionnel, soit par voie d’inscription à un tableau d’avancement. »
L’ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires, opérant une mise en conformité du statut général avec les dispositions de la Constitution de la V° République concernant la nouvelle répartition des champs respectifs de la loi et du décret, modifiera peu les dispositions précitées, incontestablement législatives, précisant néanmoins :
« Art. 18 – […] Les concours donnent lieu à l’établissement de listes classant par ordre de mérite les candidats déclarés aptes par un jury. Les nominations sont faites selon cet ordre. »
La mise en œuvre nécessairement difficile du principe d’égalité
Le principe d’égalité d’accès aux emplois publics faisant du concours le moyen de droit commun de sa mise en œuvre a été le premier principe de la refonte statutaire opérée entre 1981 et 1986 ; il reconnaissait sa source dans l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 rappelé ci-dessus. Le deuxième principe était celui d’indépendance qui prenait appui sur la loi sur l’état des officiers précédemment évoquée, introduisant la séparation du grade et de l’emploi, caractéristique du système de la carrière, protégeant le fonctionnaire des influences économiques et politiques ainsi que de l’arbitraire administratif. Le troisième principe était celui de responsabilité, également fondé sur la Déclaration des droits de 1789 en son article 15 : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration », et conférant au fonctionnaire, pour l’exercice de cette responsabilité, la pleine citoyenneté. C’est sur la base de ces trois principes, qu’a été établie l’architecture de la nouvelle fonction publique « à trois versants » regroupant les fonctionnaires de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers, soit aujourd’hui 5,2 millions de fonctionnaires (un million de contractuels de droit public étant placés en position également statutaire et réglementaire) contre 520 000 titulaires au 1er janvier 1946. Constituant un ensemble unifié sur la base des mêmes principes évoqués et de l’articulation des quatre titres relatifs aux droits et obligations communs aux trois fonctions publiques, le dispositif respectait la spécificité de chacune de ces trois fonctions publiques en les distinguant dans des ensembles législatifs séparés. Cette dialectique de l’unité et de la diversité, explique sans doute que cet ensemble, souvent modifié depuis, ait cependant gardé sa cohérence. Il constitue à ce jour le statut général des fonctionnaires ayant connu la plus importante longévité.
Le principe du recrutement par concours des fonctionnaires qui a donc été au cœur de cette construction, n’a cessé d’être évoqué également à l’occasion des modifications statutaires intervenues durant cette période. Si le principe du concours comme moyen de l’égalité d’accès aux emplois publics et de l’indépendance des fonctionnaires était établi pour les fonctionnaires de l’État, ce n’était pas toujours le cas pour les agents publics des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers. Ainsi, avant 1984, le recrutement par concours n’existait, dans la fonction publique communale, que pour un nombre limité d’emplois. Anticipant sur les lois spécifiques des trois fonctions publiques, la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires a posé que : « Art. 16 – Les fonctionnaires sont recrutés par concours sauf dérogation prévue par la loi ». Les lois qui se sont ensuite succédé concernant la fonction publique de l’État (FPE), la fonction publique territoriale (FPT) et la fonction publique hospitalière (FPH) ont, à l’origine, adopté les mêmes dispositions, prévoyant deux types de concours : d’une part, un concours externe concernant les candidats justifiant de certains diplômes ou d’une certaine expérience, d’autre part, un concours interne réservé aux fonctionnaires ayant accompli une certaine durée de services publics ou reçu une certaine formation. Des dérogations à la règle du concours étaient prévues dès l’origine concernant : les emplois réservés, la constitution initiale d’un corps, certains recrutements de fonctionnaires de catégorie C, en application de la procédure de changement de corps. D’autres dérogations étaient mentionnées permettant l’accès direct à certains corps de catégorie A de la FPE et à certains emplois supérieurs de la FPT. Il convient encore de mentionner les catégories d’emplois qui pouvaient être pourvus par des personnels contractuels et les emplois à la décision du gouvernement. D’autres dérogations concerneront également les travailleurs handicapés recrutés sur contrat suivi de titularisation.
La réforme la plus spectaculaire fut la création, par la loi du 19 janvier 1983, d’une troisième voie d’accès à l’ÉNA réservée à des candidats ayant accompli huit années de services dans des activités caractérisées par leur vocation de service public telles que : les élus de conseils régionaux ou départementaux, les maires et les adjoints au maire des villes de plus de dix mille habitants ; les membres des organes de direction de syndicats représentatifs au plan national ; les membres dirigeants d’associations reconnues d’utilité publique. Des postes leur étaient réservés dans tous les corps de débouché de l’ÉNA, y compris les « grands corps ». Ce projet avait comme objectif de compenser, par une action positive, les inégalités sociales privant certaines catégories d’accéder aux plus hautes fonctions de l’administration, bien que les intéressés aient témoigné de leur attachement à l’intérêt général par l’exercice de fonctions associatives, syndicales ou électives à un niveau suffisant et pendant une période assez longue. Cette réforme fut alors vécue par certains chefs de l’opposition comme une atteinte intolérable à la conception de ce que j’ai alors appelé « l’élitisme bourgeois ». La loi votée fut déférée au Conseil constitutionnel qui la déclara conforme en ce qu’elle avait d’essentiel par le considérant classique en matière d’application du principe d’égalité : « Considérant que, si le principe de l’égal accès des citoyens aux emplois publics, proclamé par l’article 6 précité de la Déclaration de 1789, impose que, dans les nominations de fonctionnaires, il ne soit tenu compte que de la capacité, des vertus et des talents, il ne s’oppose pas à ce que les règles de recrutement destinées à permettre l’appréciation des aptitudes et des qualités des candidats à l’entrée dans une école de formation ou dans un corps de fonctionnaires soient différenciées pour tenir compte tant de la variété des mérites à prendre en considération que de celle des besoins du service public ». Mais ce n’était que partie remise pour les opposants à la loi : lors de l’alternance politique 1986-1988, la « troisième voie » d’accès à l’ÉNA fut transformée en « troisième concours » par la suppression du critère qualifiant d’attachement au service public et l’ouverture à toute activité professionnelle, ce qui dénaturait complètement la réforme de 1983 en banalisant un concours, réduit à un simple complément aux concours externes et internes existants.
Une autre atteinte majeure au principe du concours fut apportée par la loi du 13 juillet 1987, dite « loi Galland » modifiant substantiellement les conditions de recrutement des fonctionnaires des collectivités territoriales, en remplaçant la publication par ordre de mérite des candidats reçus au concours par une liste d’aptitude alphabétique, constitutive d’un vivier offert aux nominations discrétionnaires des élus, mais sans garantie de nomination effective. On revenait ainsi au système dit des « reçus-collés », antérieur au statut de la FPT de 1983-1984.
Constatons que la gauche revenue au pouvoir en 1988 n’a pas remis en cause ces atteintes statutaires et, par là, les a consacrées.
Les nouveaux modes de recrutement contre les principes républicains
Dans son discours du 19 septembre 2007 à l’Institut régional d’administration de Nantes, le président de la République, Nicolas Sarkozy, appelant à une « révolution culturelle », a tracé les grandes lignes d’une offensive sans précédent contre la conception républicaine de la fonction publique qui peut être résumée par la contestation de la loi par le contrat, de la fonction par le métier, de l’efficacité sociale par la performance individuelle. En ce qui concerne les modes de recrutement on retiendra surtout les déclarations suivantes : « Le corps doit devenir progressivement l’exception. Je souhaite que ce soit dans la plupart des cas une gestion par métier qui prévale. […] Je suis convaincu que pour certains emplois de la fonction publique, il serait souhaitable qu’on laisse le choix aux nouveaux entrants entre le statut de fonctionnaire ou un contrat de droit privé négocié de gré à gré. […] Pas de véritable échappatoire au carcan des statuts si le concours continue d’être la seule et unique règle pour la promotion ». Cette offensive, dont quelques orientations avaient été esquissées dans le rapport annuel du Conseil d’État en 2003, s’est donc brusquement accélérée, trouvant dans le Livre blanc de Jean-Ludovic Silicani rendu public en avril 2008 une formalisation plus précise. S’agissant du recrutement, la remise en cause du concours et par là des principes qui lui sont associés se présente notamment sous trois aspects.
Le développement de la contractualisation
La part des personnels non titulaires n’a cessé de croître : aujourd’hui, un agent public sur cinq est contractuel dans l’ensemble des fonctions publiques. Leur développement s’est fait dans un grand désordre au point qu’il est bien difficile d’en donner une représentation significative. Certes, ainsi qu’il a été dit, nombre de ces contrats sont des contrats de droit public qui ne peuvent être modifiés que par la voie réglementaire. Il n’en reste pas moins que le champ du recours aux personnels contractuels, qui avait été strictement circonscrit par l’article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, a fait l’objet d’extensions successives non justifiées par la nature des emplois concernés. La règle selon laquelle les emplois permanents pour l’exécution des services publics doivent être occupés par des fonctionnaires a été largement contournée avant d’être, le cas échéant, normalisée dans de nombreux cas : défaut de personnel compétent organisés en corps dans certaines spécialités faute de politique de formation correspondante ; carence de personnels dans certains secteurs faute de gestion prévisionnelle des effectifs, modalité encouragée par le projet de loi sur la mobilité ; occupation d’emplois à temps non complet ; besoins saisonniers entendus dans un sens très large. La loi dite « de modernisation » du 2 février 2007 permet en outre, aux employeurs publics des trois fonctions publiques, de bénéficier de la mise à disposition de personnes de droit privé lorsque les fonctions exercées nécessitent une fonction technique spécialisée. Au total, comme doit le reconnaître le Livre blanc : « il est bien difficile de dégager une ligne directrice dans le foisonnement des cas particuliers où le recrutement d’agents contractuels est autorisé. »
La promotion d’une diversité alibi
Sur le thème général de la « discrimination positive » diverses mesures ont été prises pour favoriser des populations en difficulté, réservant, par exemple, à certains de leurs membres des possibilités de scolarité à l’Institut d’études politiques, le critère qualifiant des candidats étant leur appartenance aux communautés considérées. Cette pratique a été reprise dans de nombreux secteurs, justifiée parfois par l’idée d’une fonction publique diverse « à l’image de la diversité de la population française ». Si l’on ne peut critiquer cette démarche qu’avec prudence, tant elle risque de heurter de bons sentiments parfois sincères, on ne saurait pour autant avaliser une pratique qui occulte les problèmes réels dans leur dimension et leur gravité. Si la fonction publique peut apporter une contribution à la justice sociale, elle n’est pas le moyen permettant de remédier aux inégalités de toute nature qui résultent des contradictions politiques, économiques et sociales dont la solution appelle des remèdes se situant au niveau d’ensemble où ces contradictions existent. Une certaine analogie avec l’ « action positive » que se proposait d’être la création de la « troisième voie » d’accès à l’ÉNA ne saurait être soutenue en raison du critère d’attachement caractérisé des candidats au service public qui déterminait leur qualification. Aussi sympathique que soit la justification du « parcours d’accès aux carrières territoriales et de l’État » (PACTE), se proposant de contribuer à l’intégration sociale des jeunes des quartiers défavorisés et les travailleurs de plus de 50 ans au chômage depuis plus d’un an par recrutement sans concours, le moyen est dérisoire, et par là trompeur, au regard de l’objectif ostensiblement affiché. Tant mieux pour les quelques bénéficiaires de la mesure, mais il faut dire clairement que la justification d’une discrimination positive par la création d’une fonction publique représentative de l’ensemble de la population est à court terme une tromperie. Cet objectif ne peut être atteint que par une politique de profonde transformation sociale comportant immédiatement d’importantes aides sociales au soutien des plus pauvres afin de réduire les inégalités. C’est le service de l’intérêt général qui, en toutes circonstances, doit guider la politique de recrutement. Et doivent être choisis ceux que désignent le mérite, le talent et la vertu pour reprendre les expressions de l’article 6 de la Déclaration des droits de 1789 précédemment rappelé.
La suppression du classement de sortie des écoles de service public
C’est la dernière des dérogations au classement par ordre de mérite, centrée sur le classement de sortie de l’ÉNA en raison de sa force symbolique supposée. La procédure complexe évoquée organise l’opacité du milieu : candidature libre des élèves sur fiches de poste des employeurs ; dossier « étoffé » mais anonyme (!) des élèves transmis aux employeurs ; audition des candidats sélectionnés par les employeurs sur la base de critères secrets ; choix par des formations collégiales non identifiées. Le tout supervisé par un comité ad hoc veillant à la bonne régularité de la procédure de sortie. On comprend, qu’en réponse à un élève qui l’interrogeait sur la date de mise en œuvre de la réforme, le ministre Éric Woerth ait répondu « On n’est pas prêt juridiquement, on a besoin de quelques mois ». Ce que l’on veut bien croire, car comment ne pas imaginer que dans le cadre de cette procédure certains candidats seront plus égaux que d’autres en fonction de leurs relations familiales, de leurs appuis économiques ou politiques, de leur connaissance interne des administrations concernées. Toutes les conditions du népotisme, à la limite d’un retour vers une certaine patrimonialité dynastique des offices seront en place (en sens inverse, des administrations pourront être tentées de disqualifier des élèves dont les attaches familiales sont trop proches du corps ou de l’institution, réaction tout aussi perverse). La suppression du classement de sortie des écoles du service public est donc inacceptable, quand bien même ce classement est critiquable. Le major d’une récente promotion de l’ÉNA, interrogé sur le sujet à la télévision au moment du passage de la réforme en Conseil des ministres, était parfaitement clair : dans le cadre du nouveau dispositif, son père étant menuisier, il n’aurait jamais pu accéder au Conseil d’État comme les capacités qu’il avait révélées au cours de sa scolarité, lui en avait donné la possibilité. En la circonstance, on assiste à une confusion sciemment entretenue entre, d’une part, le principe du concours et du choix réalisé sur la base d’une liste ordonnée par le mérite et, d’autre part, les graves défauts qui affectent la manière dont serait organisée la scolarité et partant le classement qui s’ensuit ainsi que les situations inégales des corps auxquels destine l’ENA sélectionnant des « grands corps » dotés d’avantages regardés comme privilèges. Ce faisant on se trompe de cible. Outre les changements à apporter à la scolarité et aux modalités du classement, une réforme de bon sens n’épuiserait pas le sujet, mais serait au moins de nature à réduire certaines inégalités : il conviendrait, d’une part, de réaliser l’harmonisation par le haut de toutes les carrières de ces corps, notamment en matière indiciaire et indemnitaire ; d’autre part, de créer des conditions de mobilité statutaire entre les corps en cours de carrière. Ainsi se trouveraient banalisés ceux que l’on regarde aujourd’hui comme les « grands corps », sorte de survivance des temps monarchiques rappelés au début. Ajoutons encore que le classement de sortie n’est pas nécessairement un obstacle à la mobilité statutaire : par exemple, actuellement, le conseil d’administration de l’Association des membres du Conseil d’État est composé en majorité de membres entrés au Conseil hors classements de sortie.
Quant à la création à l’ÉNA d’ une « classe préparatoire spécifiquement réservée aux publics défavorisés » de 15 élèves, il s’agit d’une mesure démagogique de la même eau que les discriminations positives évoquées au paragraphe précédent et appelant, par conséquent, la même appréciation.
Il y a certainement des réformes à opérer dans les modes de recrutement des fonctions publiques, mais cela ne peut être réalisé correctement si l’on ne fait pas d’abord la clarté sur des entreprises méconnaissant à la fois notre histoire, nos principes et le sens du service public.
Quel dommage de ne pas vous rencontrer à l’Ena lundi prochain 11 mai!
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