L’asile est-il aujourd’hui en danger en France ? Il n’y a pas de réponse catégorique à cette question. Certes, il est plus confortable, dans le culte entretenu d’une bonne conscience, de répondre péremptoirement par l’affirmative. Mais c’est quelque part sous-estimer – et aussi mépriser – l’effort de ceux qui, devant des situations complexes, ne nient pas la difficulté de rendre une justice aussi bonne que possible dans un État de droit souvent critiquable dans nombre de ses dispositions. C’est encore tenir pour inexistante une tradition de l’asile, qui a beaucoup compté dans la formation historique de notre citoyenneté, de notre identité nationale, et dont il subsiste de multiples expressions. C’est aussi un domaine où l’on ne peut trancher sous la forme du bilan « globalement » négatif ou positif. Reste alors à faire un point, inévitablement contradictoire, dans les principaux domaines d’appréciation.
Une réforme positive de la juridiction de l’asile sous quelques réserves
Rappelons tout d’abord le parcours compliqué du demandeur d’asile ; il comporte de nombreux obstacles. S’il se présente à la frontière sans visa l’étranger est mis en zone d’attente. S’il demande l’asile, un minimum d’instruction appréciera si sa demande n’est pas « manifestement infondée », le délai de placement en zone d’attente est de quatre jours, mais il peut être prolongé jusqu’à 26 jours. Si cette appréciation est favorable, il recevra un visa provisoire pour se présenter en préfecture dans les huit jours. Il y retirera un dossier de demande d’asile et se verra remettre une autorisation provisoire de séjour d’un mois pour déposer sa demande à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) sous 21 jours. Son autorisation de séjour sera ensuite renouvelée tous le trois mois. Il sera convoqué à un entretien à l’OFPRA, assisté d’un interprète. Si sa demande est rejetée, il disposera d’un mois pour faire un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). S’il est entré irrégulièrement en France, son parcours est le même à partir du moment où il se présente en préfecture (à condition qu’il ne se soit pas fait intercepter avant, auquel cas ila procédure est dite « prioritaire » avec des garanties moindres).
La CNDA est constituée d’un président (conseiller d’État, conseiller maître à la Cour des comptes, magistrats du judiciaire), d’un assesseur nommé par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR (sur avis conforme du vice-président du Conseil d’État ; c’est une exception à la fois dans notre État de droit et dans le monde, qu’un magistrat nommé par une instance internationale siège dans une formation de jugement nationale) et d’un assesseur nommé par le vice-président du Conseil d’État, issu des administrations concernées. Elle est assistée par un rapporteur et un secrétaire de séance. La CNDA juge les recours des demandeurs d’asile déboutés par l’OFPRA. Au-delà, une cassation est possible devant le Conseil d’État.
Depuis le 1er janvier 2008, la CNDA a remplacé la Commission des recours des réfugiés (CRR) qui était soumise administrativement, budgétairement et statutairement à l’OFPRA ; situation aberrante d’une juridiction placée sous la tutelle de l’organisme administratif dont elle contrôlait les décisions et que plusieurs rapports avaient dénoncée .
La CNDA est désormais rattachée au Conseil d’État depuis le 1er janvier 2009. C’est une normalisation et un progrès. Avec toutefois des réserves : la titularisation des rapporteurs (pour la plupart officiers de protection de l’OFPRA, mais près de la moitié des rapporteurs sont des contractuels) qui exercent une mission évidente de service public est effectuée selon des modalités trop lentes ; la titularisation des contractuels de toutes catégories n’est pas engagée et on en recrute de nouveaux ; l’effet de la nomination de dix présidents permanents sur la jurisprudence, si elle peut concourir à son unification, peut aussi en modifier la teneur, d’autant plus qu’une proposition de loi (pendante au Parlement) prévoit l’intervention de la CNDA en recours des décisions de refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile déposées en zone d’attente. Ces derniers éléments peuvent faire dériver le droit d’asile vers les normes de la police administrative qui prévalent dans le droit des étrangers.
Depuis le 1er décembre 2008 les demandeurs d’asile, même entrés irrégulièrement, peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle ; c’est un progrès incontestable. Ils sont assistés d’un interprète. Le fonctionnement de la juridiction spécialisée qu’est la CNDA souligne l’importance de l’oralité dans l’administration de la justice.
La reconnaissance de la qualité de réfugié (pour l’essentiel par référence aux motifs de persécution de la Convention de Genève : race, religion, engagement politique, nationalité, appartenance à un certain groupe social), ouvre un droit à un titre de séjour permanent de dix ans renouvelable. Le bénéfice de la protection subsidiaire (menaces graves hors Convention de Genève) à un an renouvelable sous réserve de l’actualité des craintes. La protection subsidiaire a été introduite en droit interne par le droit communautaire, mais aucune justification réellement fondée n’est apportée au fait que les durées des titres de séjour soient si inégales, les craintes étant pareillement établies, seuls différant les motifs. Dès lors la protection subsidiaire apparaît bien comme une protection … subsidiaire, dévalorisée, de substitution.
L’état statistique de la politique du droit d’asile présente des résultats contrastés
Le HCR évalue à 10 à 12 millions dans le monde le nombre de réfugiés sous sa protection au cours des dernières années. En 2008, 77 % des réfugiés sont en Asie et en Afrique, seulement 15 % en Europe. La France en protège 140 000, soit environ son poids démographique relatif dans le monde ; c’est la moitié du Royaume Uni, le quart de l’Allemagne. La France est donc loin d’accueillir « toute la misère du monde ». Et si elle en prend une part, celle-ci reste modeste.
En 2009, il y a eu en France 47 690 demandes d’asile devant l’OFPRA (y compris les mineurs accompagnants et les demandes de réexamens), dont 33 275 primodemandeurs. Les flux de demandeurs d’asile sont donc repartis à la hausse car on avait observé une baisse de 52 200 en 2003 à 23 500 en 2007. Sur la base du nombre de demandes enregistrées, la France serait la première destination en Europe pour cette année.
Les entrées irrégulières sur le territoire, principalement par voie terrestre, sont très largement majoritaires. À la frontière, en 2009, le plus souvent en aéroport (la quasi-totalité des demandes examinées sont déposées à Roissy-Charles de Gaulle), l’OFPRA a eu à donner 2 796 avis d’entrée sur le territoire en zone d’attente. Il a estimé que seulement 749 des demandes correspondantes n’étaient « pas manifestement infondées ».
L’OFPRA a pris 35 420 décisions en 2009, (la CNDA 20 040). Ensemble les deux instances ont prononcé 10 373 accords (dont 23,6 % au titre de la protection subsidiaire, en hausse vive, 9 % en 2007)). Le taux d’accord global est de 29,4 % des décisions (14, 3 % directement par l’OFPRA et 15,1 % par annulation par la CNDA de décisions de rejet de l’OFPRA, le taux d’annulation de ces décisions s’étant élevé, en 2009, à 26,5 % ; en légère hausse). Ce taux est voisin de 60 % – soit le double – pour les pays d’origine sûrs (32,9 % par l’OFPRA, 26,3 % au titre des annulations de la CNDA), ce qui invalide le concept lui-même.
La procédure prioritaire (comportant de moindres garanties) représente 22, 2 % du total des affaires instruites ; elle est en baisse (30,7 % en 2008) après une vive progression.
14, 6 % des décisions de la CNDA étaient prises par voie d’ordonnances en 2009 (9,4 % pour les ordonnances dites « nouvelles », c’est-à-dire ne comportant aucun élément jugé sérieux de contestation de la décision de l’OFPRA), par un juge unique, sans procédure orale. Ce taux est en légère baisse par rapport à 2008 (16 %).
Ainsi, si certaines données (notamment le taux global d’accords) caractérisent une relative ouverture à l’asile, d’autres comme le recours important à la procédure prioritaire, la vive hausse de la protection subsidiaire et l’importance (bien qu’en baisse) des décisions prises par ordonnances caractérisent une précarisation de la procédure et de la protection accordée.
Une évolution jurisprudentielle inquiétante
Les démarches des politiques de l’asile des États membres de l’Union européenne s’inscrivent dans une longue marche vers un régime d’asile européen commun marquée par le renforcement de préoccupations sécuritaires et de contrôle des frontières extérieures. Elles se traduisent par la définition stricte de l’État responsable de l’examen de la demande d’asile par la procédure dite de Dublin II, l’introduction de notions telles que celles de l’asile interne ou de pays d’origine sûrs. C’est aussi, plus récemment, le durcissement envisagé des conditions de rétention (durée maximale portée à dix-huit mois, possibilité d’enfermement des mineurs y compris isolés, interdiction de séjour de cinq ans), l’externalisation à l’est de l’Europe et au nord de l’Afrique des demandeurs d’asile.
Le gouvernement français a anticipé certaines de ces mesures restrictives, notamment à l’occasion de la loi du 10 décembre 2003. La création d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire a contribué à mettre l’accent sur le contrôle des flux plutôt que sur la protection du demandeur d’asile. Les mesures prise au plan national ont eu pour effet de rendre plus difficile la pratique du droit d’asile : réduction des délais, durcissement des conditions de recevabilité, recours aux ordonnances et à la procédure prioritaire, restriction de l’accès aux droits sociaux, application de Dublin II sans considération des critères humanitaires et des possibilités offertes par la clause de souveraineté.
L’évolution jurisprudentielle est de plus en plus restrictive. Par décision du Conseil d’État, le principe d’unité de famille a été strictement réservé aux demandes relevant de la Convention de Genève (non à la protection subsidiaire) . Par décision de la CNDA , la reconnaissance du groupe social persécuté a été réduite (au profit de la protection subsidiaire) pour des parents maliens d’une fille née en France ; la protection subsidiaire a également été préférée à la reconnaissance de la qualité de réfugié au Sri Lanka pendant la dernière période .
À l’inverse, plusieurs décisions du Conseil constitutionnel apparaissent constructives : affirmation de la souveraineté nationale, droit de la défense, plénitude des garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs. Elles apparaissent tout à fait conformes à la tradition de la France terre d’asile, telle que la proclamait la constitution de 1793 : « le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » (art. 118) ; « il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. » (art. 120), que reprend le 4° alinéa du préambule de 1946 : « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Ce motif caractérise l’asile dit constitutionnel, repris à l’article L. 711-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) mais il n’est malheureusement que très rarement retenu (une douzaine d’annulation en 2009).
Enfin, on relève des décisions audacieuses comme l’interprétation par les sections réunies de la CNDA de l’article 1 D de la Convention de Genève concernant des Palestiniens demandeurs d’asile , malheureusement cassée récemment par le Conseil d’État .
Malgré quelques exemples constructifs de ce type et le rappel des principes constitutionnels, on assiste donc à une dérive en faveur de la protection subsidiaire, moins protectrice (durée de séjour réduite avec comme conséquences de plus grandes difficultés en matière d’emploi et de logement notamment), qui tend à l’alignement de la France sur la moyenne européenne (51 % des décisions favorables le sont au titre de la protection subsidiaire, contre seulement 16 % en France en 2008).
La formation de l’intime conviction du juge : une question culturelle
Trois questions peuvent être évoquées.
Nécessite de la preuve ou intime conviction ?
Aucun texte juridique relatif au droit d’asile n’évoque la nécessité de la preuve. Nombre de juges de l’asile admettent difficilement qu’ils forment leur intime conviction sous l’éclairage de ce que la vie les a faits, quelle que soit leur volonté d’indépendance et le souci d’honnêteté qui peuvent présider à leurs décisions. En prendre conscience est encore le meilleur moyen de faire la part de ce qui relève du subjectif dans l’appréciation des faits qui pèsent lourd en matière d’asile et d’en tirer les conséquences dans le jugement de la cause. Les convictions philosophiques, religieuses, politiques, voire les préjugés du juge jouent évidemment un rôle dans l’interprétation de cultures, des motifs et des faits eux-mêmes rapportés par le citoyen venu d’ailleurs.
Appliquer le droit ou rendre la justice ?
L’intime conviction n’est pas non plus indépendante de la situation politique générale du pays d’accueil et des campagnes qui y sont menées à un moment donné, comme celle sur l’ « identité nationale » lancée par le ministre chargé de l’immigration et de l’asile à l’automne 2009. La pratique du droit d’asile est évidemment un domaine où le poids des cultures, des mentalités, des préjugés est important. Car il ne s’agit pas seulement d’appliquer le droit existant mais de rendre la justice « Au nom du peuple français », le droit positif n’en étant que l’instrument.
Le mensonge est-il indispensable ?
De fait, on observe une forte dispersion statistique des décisions des formations de jugement selon la composition de celles-ci. Certaines études ont même caractérisé un mythe du « réfugié menteur », justifié du côté du demandeur d’asile par la difficulté à franchir des obstacles sécuritaires et juridiques de plus en plus élevés et, du côté du juge, par le confort que lui permet l’idée qu’il est détenteur d’une prérogative de souveraineté nationale et que, face au mensonge, fut-il présumé, occasionnel ou appelé par la pression des circonstances, il juge à bon droit, en juge « bien pensant » . Par ailleurs, il existe aussi des écarts notables persistants entre les taux d’accord de l’OFPRA et de la CNDA pour quelques pays (Serbie, Turquie, Angola, Sri Lanka, Bangladesh), ce qui indique une certaine résistance de l’établissement public à appliquer, pour ces pays, la jurisprudence de la juridiction. En ce domaine des mentalités, étroitement dépendantes du contexte social et politique dans lequel elles se forment et s’expriment, l’évolution ne peut se développer qu’à l’échelle de l’histoire.
En conclusion, il convient donc de prendre la mesure des atteintes, mais ne pas ignorer pour autant les points d’appui : une réforme de la juridiction de l’asile plutôt positive, mais avec des inquiétudes sur la séparation des politiques d’asile et d’immigration ; des chiffres qui caractérisent un dispositif sélectif, mais des résultats contrastés ; une évolution défavorable du droit, mais une tradition qui existe et qui résiste.
Quelles propositions ?
Il ne s’agit pas ici d’exposer ce que pourrait être une autre politique de l’asile que celle qui est conduite aujourd’hui, mais d’évoquer quelques propositions que suggèrent les analyses qui précèdent dégagées d’une expérience dix années de « juge de l’asile ». On peut distinguer les trois domaines de la gestion administrative, de la procédure et du fond.
Une gestion administrative respectant rigoureusement les principes du service public
On pourra s reporter utilement à ce sujet aux conclusions du rapport que j’avais remis au président de la CRR en 2006 sur la situation statutaire des personnels de la CRR et la juridiction elle-même. Je ne retiendrai aujourd’hui que trois recommandations
Les activités concourant à l’instruction des demandes d’asile doivent être exercées par des fonctionnaires dont la professionnalisation doit être assurée. Les contractuels en fonction à la CNDA doivent être titularisés dans les corps du Conseil d’État et de nouveaux recrutements de contractuels prohibés. Une formation initiale et continue approfondie des secrétaires de séance et des rapporteurs doit être mise en place. Les conditions de travail des rapporteurs doivent être aménagées pour adapter leur charge de travail à l’importance des dossiers traités.
Les juges doivent bénéficier d’une formation et d’une information approfondies leur permettant une étude méthodique des dossiers inscrits à l’audience. La spécificité des activités juridictionnelles du droit d’asile, souligne l’importance de l’oralité et de la collégialité. La professionnalisation des juges doit être développée afin de créer les conditions d’une expérience se développant sur une période suffisamment longue. La diversité des regards des membres de la formation de jugement est indispensable à l’appréciation la plus complète des situations.
L’application de la jurisprudence du droit d’asile dégagée par la CNDA et le Conseil d’État doit être accompagnée d’une concertation soutenue entre la CNDA et l’OFPRA afin d’améliorer les fonctionnements respectifs de l’établissement public et de la juridiction. Cette concertation peut être favorisée par la coordination conjointe de moyens d’information et de traitement des données et des échanges périodiques sur les problèmes rencontrés.
La procédure pourrait connaître plusieurs aménagements
Le recours suspensif en zone d’attente doit être effectif. L’appréciation de la recevabilité de la demande d’entrée à la frontière des demandeurs d’asile ne doit pas aller au-delà de l’évaluation du simple caractère « manifestement infondé » de la demande. Le recours contre la décision refusant l’entrée sur le territoire doit pouvoir être exercé dans un délai raisonnable. L’appréciation au fond après instruction doit rester de la compétence de l’OFPRA et de la CNDA dont il n’est pas souhaitable, dans ces conditions qu’elle intervienne en recours contre les refus d’entrée sur le territoire.
Le recours à la procédure prioritaire doit être l’exception. Le recours à la procédure prioritaire qui prive le demandeur d’asile de droits essentiels s’il a diminué demeure très élevé. Les délais d’instruction doivent être élargis et un droit de recours suspensif instauré. Il convient à cette fin que soient mieux définis les critères conduisant les services préfectoraux à décider de cette procédure.
Le recours aux ordonnances nouvelles doit être strictement limité. L’expérience a maintes fois montré que le rejet par ordonnance d’un juge unique des recours qui ne présentent « aucun élément sérieux » susceptible d’infirmer la décision de l’OFPRA pouvait conduire à des appréciations erronées. Se trouve par là soulignée l’importance d’un recours effectif devant les formations collégiales de la CNDA faisant toute sa place à l’oralité des débats.
Le demandeur d’asile n’a pas la charge de la preuve ; sous réserve de la crédibilité de son récit, il doit bénéficier du doute. La spécificité du droit d’asile entraîne une exception au principe général du droit mettant la preuve à la charge du demandeur. L’établissement des faits doit résulter de l’effort conjoint du demandeur et du juge. La crainte de persécution doit être fondée sur la prise en compte simultanée de la perception subjective du demandeur et de la situation objective du pays d’origine.
Les formations de jugement doivent créer des conditions permettant à tout demandeur d’asile de comprendre la procédure pour être en mesure d’en mesurer l’enjeu, d’être complètement informé, de formuler ses observations en toute sécurité et de s’exprimer sans crainte. Les comportements de domination des membres des formations de jugement vis-à-vis des demandeurs d’asile et de leurs conseils doivent être bannis. Les règles d’un procès équitable doivent être respectées, avec impartialité et sans préjugé. L’asile est accordé « Au nom du Peuple français » ce qui confère aux formations de jugement la responsabilité importante d’assurer la continuité de la tradition de la France terre d’asile.
Sur le fond, la France doit demeurer fidèle à sa réputation de terre d’asile
En premier lieu, la spécificité du droit d’asile au regard du droit des étrangers doit être respectée. La juridiction administrative spécialisée du droit d’asile doit demeurer distincte des juridictions administratives de droit commun traitant de l’entrée, du séjour et de la reconduite à la frontière. La différenciation du droit d’asile et du droit des étrangers qui a marqué l’évolution du système français de l’asile dans le but de soustraire le droit d’asile aux règles restrictives de la police administrative doit être préservée.
La pratique du droit d’asile doit s’inscrire dans une conception ouverte et généreuse. La France n’est en aucune manière menacée d’une invasion du Sud ou de l’Est. La part des réfugiés dont elle assure la protection est du même ordre de grandeur que son poids démographique dans le monde, la moitié de celle du Royaume Uni et le quart de celle de l’Allemagne. Le système mis en place dans les années 1950 a pour objet d’accorder l’asile conformément à une tradition ancienne de notre pays consacrée par ses dispositions constitutionnelles.
La convention de Genève doit rester le mode d’accès prioritaire à l’asile. La protection conventionnelle est la seule à offrir la garantie d’une protection internationale. Elle doit être appliquée de manière conforme à l’esprit et à la lettre de la Convention de Genève, telle qu’elle a été notamment interprétée dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCR.
L’asile constitutionnel doit exprimer l’attachement historique de la France aux combattants pour la liberté. Réintroduit par la loi en 1998 en droit positif, l’asile constitutionnel, rappelé à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel, doit faire l’objet d’une élaboration jurisprudentielle qui pourrait le conférer aux étrangers ayant manifesté un engagement exemplaire pour cette cause, quand bien même ce motif pourrait également relever de l’asile conventionnel.
La protection subsidiaire doit rester limitée aux cas ne relevant en aucune façon des motifs de la protection conventionnelle et bénéficier du même niveau de protection La loi en limite strictement le champ aux demandes des personnes qui ne remplissent pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié. Rien ne justifie que la protection accordée au titre de la protection subsidiaire soit contaminée par des considérations sécuritaires et soit inférieure à celle de la protection conventionnelle : elle doit donc ouvrir droit également à un titre de séjour de dix ans.
Le principe d’unité de famille doit s’exercer de manière étendue et sûre. Le principe d’unité de famille doit être érigé en principe général du droit d’asile et s’appliquer en matière de protection subsidiaire. La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire doivent être conservés par le conjoint et le mineur sous tutelle en cas de rupture de leur lien avec le réfugié principal.
Les catégories d’ « asile interne » et de « pays d’origine sûrs » doivent être rendues inopérantes. Ces concepts, d’origine communautaire en France, extraits de la problématique d’ensemble de la reconnaissance de la qualité de réfugié, se sont révélés d’utilisation difficile et arbitraire, susceptibles d’avoir de graves conséquences individuelles. La liste des pays d’origine sûrs établie par l’OFPRA, déjà partiellement censurée par le Conseil d’État, doit être supprimée et la notion d’asile interne réintégrée dans l’instruction générale de la demande.
Le droit d’asile n’est pas seulement l’instrument juridique qui permet d’apprécier le bien fondé d’une demande d’asile. Il juge le juge lui-même. De quel droit le citoyen d’ici peut-il, en effet, se prévaloir pour donner ou refuser l’hospitalité à un étranger, si ce n’est celui de membre d’une communauté historiquement constituée sur un territoire déterminé. Le droit du premier occupant que les générations dont il est issu ont affirmé et qu’elles ont opposé avec plus ou moins de rigueur à tout nouvel arrivant. Dès lors, droit de cité et droit d’asile ne sont que les deux versions d’une même question. Il s’ensuit que le droit de cité détermine le droit d’asile tout autant que le droit d’asile rend compte du droit de cité.
« Dis-moi qui et comment tu accueilles et protèges, je te dirai qui tu es. »