LA POLITIQUE DÉCOMPOSÉE, OU EST LA REPUBLIQUE? – Loge « Conscience de l’Armor » du Grand Orient de France – Vannes, 1er décembre 2011

De d. à g. : Marc Chapiro, Marie-Ève Malouines, Anicet Le Pors

 

PRÉSENTATION PAR MARC CHAPIRO

Marie Eve Malouines

En écrivant « le pouvoir et la peur », un livre consacré aux peurs de Nicolas Sarkozy, Marie-Eve Malouines lui a peut-être rendu un très grand service. Elle évoque sans détour l’enfance du Président, le divorce douloureux des parents et la peur de l’absence ressentie par Sarkozy dès sa plus tendre enfance. Un père qui quitte la famille et qui refuse de l’aider y compris financièrement, et une mère guettée anxieusement pour qu’elle ne l’abandonne pas. La peur de tous les instants, moteur pour cet homme politique qui est le Président de la République française depuis bientôt 5 ans.
En écrivant ce livre, Marie-Eve Malouines l’a peut être aidé à mieux dominer ses anxiétés et à sortir de sa bulle d’angoisse, c’est en tous cas une hypothèse défendue par un proche de Nicolas Sarkozy, fier service rendu !
Mais Marie Eve Malouines a aussi écrit « la madone et le culbuto » sur Ségolène Royal et François Hollande, ainsi que « deux hommes pour un fauteuil», sur la cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin.
Marie Eve Malouines est aujourd’hui chef du service politique de France Info, après un parcours de plus de 15 années au service de l’information politique à Radio-France. Elle est connue de tous pour ces rubriques précises et sans concession, toujours très fouillées, et prononcées d’une voix ferme, assurée et chaleureuse à la fois.
Elle est connue aussi pour ses interviews si caractéristiques ou elle laisse s’exprimer sans interrompre, jamais de petite phrase réductrice ou assassine, et où elle encourage toujours l’argument et l’intelligence. Une exception récente, lorsqu’elle a interrompu Rachida Dati, ancienne Garde des Sceaux, en attirant son attention sur les mots qu’elle prononçait lorsqu’elle accusait son rival aux élections législatives de Paris, le premier ministre François Fillon, de détourner illégalement des moyens publics pour sa campagne.
Son sens aigu de l’éthique en journalisme lui avait valu il y a 2 ans de se retrouver sur la liste des promus dans l’Ordre de la Légion d’Honneur, « je ne vois vraiment rien, dans mon parcours, qui puisse justifier une telle distinction » a t’elle déclaré, en refusant cette décoration.

Anicet Le Pors

Anicet le Pors est breton, d’ailleurs, il a retrouvé plus de 1000 de ses ancêtres qui se sont succédés dans le canton de Lannilis dans le Finistère, depuis 1580. Comme breton, il a pour lui de bien s’y connaître pour prévoir le temps : pendant 12 ans, au début de sa vie professionnelle, il sera ingénieur à la météorologie nationale. Et de la prévision météorologique à la prévision économique il n’y a qu’un pas : comme il est aussi Docteur d’Etat en sciences économiques, il sera l’un des experts du Parti communiste lors de l’élaboration du Programme commun de la gauche sur les questions des nationalisations et de la politique industrielle.
Anicet Le Pors est bien sûr aussi connu comme l’un des 4 ministres communistes du gouvernement de Pierre Mauroy en 1981, dont la présence seule a fait gronder la diplomatie américaine de l’époque.
Ministre de la Fonction Publique et des réformes administratives de 1981 à 1984, Il est le père de l’actuel statut des fonctions publiques d’Etat, des collectivités territoriales et hospitalière. Membre du PCF pendant 36 ans, il a été longtemps un dirigeant très écouté et très respecté au sein du Comité Central. Sénateur communiste, Conseiller général communiste des Hauts de Seine, Anicet Le Pors a connu toutes les facettes et la richesse militante de la vie politique locale et nationale. Il quitte le PCF en 1994, sans claquer la porte mais en tournant la page, il se présente alors aux élections européennes avec Jean-Pierre Chevènement et Giselle Halimi, sur une liste qui revendique une opposition de gauche au traité de Maastricht.
Anicet le Pors a été nommé Conseiller d’Etat en 1985, membre de la section du contentieux et de la section des travaux publics. Il le restera jusqu’en 2000, le temps de devenir pour notre République une référence dans des domaines aussi variés que la citoyenneté, l’intégration, le droit d’asile, la continuité du service public, l’égalité homme femme, le statut des saisonniers du tourisme, etc…
Anicet le Pors est actuellement Président de section à la Cour nationale du droit d’asile et Président de l’Association française des juges de l’asile.
Auteur de très nombreux ouvrages dont plusieurs « que sais-je? » toujours d’actualité et régulièrement mis à jour, il a publié l’an dernier « les racines et les rêves » où il revient sur son parcours et pose des questions précises sur notre sujet de ce soir, la décomposition des sociétés et de la Politique.


INTERVENTION DE MARIE-ÈVE MALOUINES

Premier constat, oui la politique est décomposée…
Elle n’est plus cohérence, au regard des aspirations des français, ni envers elle-même..
• la politique décomposée du point de vue des français.
L’augmentation de l’abstention, d’élections en élections, le montre bien les français participent de moins en moins à la vie politique, ils développent une abstention active, qui exprime un message de défiance.
Cet perception se vérifie dans l’enquête du Cevipot (1500 personnes interrogées, marge d’erreur 1 à 2,5) révèle une évolution qui confirme ce que chacun ressent. Les discussions politiques sont très animées, les gens sont assez avertis de l’actualité économique, mais beaucoup ne votent pas.

Quelques chiffres
58% (+3) disent s’intéresser à la politique
57% (+9) estiment que la démocratie fonctionne mal en France
83 (+2) pensent que les responsables politiques ne prennent pas, ou prennent pe leurs avis en compte.

Il y a donc un décalage entre l’offre politique et les attentes des français. La défiance des français est grande vis-à-vis du personnel politique ,
Le premier sentiment que leur inspire la politique, c’est 39% de la méfiance,
23% du dégout
15% de l’intérêt
12% de l’ennui.

Les sentiments ressentis sont forts, seulement 12% disent ressentir de l’ennui, ce qui traduit véritablement une attente, les gens ne sont pas indifférents vis-à-vis de la politique, ils sont déçus.

La politique décomposée, vis-à-vis d’elle même. Les responsables politiques ont eux-mêmes déstructuré leurs repères.

Le problème, le fait déstructurant, c’est la cohabitation.
En 1986, François Mitterrand estime qu’il a été élu pour 5 ans, que son mandat personnel ne doit pas être remis en cause par la victoire de la droite aux législatives.
L’originalité de la cohabitation française est qu’elle s’opère au sein de l’exécutif. Aux etats unis, la cohabitation régit les relations entre l’exécutif et le législatif, en France, le sommet du pouvoir devient schizophrène

Cohabitation Mitterrand Chirac
S’ensuit une cohabitation qui dure deux ans, elle s’opère comme une préparation de la présidentielle suivante. C’est une cohabitation de combat. Elle préfigure le second tour de la présidentielle.
Cette forme de pratique politique, reste fondée sur une relation binaire, le méchant est en face.
En 88, c’est le plus offensif, le plus agressif qui gagne. François Mitterrand a fait campagne sur le thème au secours la droite revient, les méchants sont à droite, mais le plus offensif est François Mitterrand qui lance sa campagne sur le thème des clans..

Seconde cohabitation Mitterrand Balladur
La cohabitation est moins agressive, puisque le président ne se représentera pas. La cohabitation s’exaspère à l’intérieur de la droite entre Chirac et Balladur. Une nouvelle fois le plus agressif l’emporte, c’est-à-dire Chirac.

Autant la première cohabitation était un combat, autant celle-ci commence a installer le sentiment qu’après tout, cette opposition est vivable, sur certains dossier la querelle n’est plus nécessaire.
C’est une cohabitation que l’on dit courtoise.

Troisième cohabitation est celle de la décomposition.
On retrouve les deux prochains acteurs de la présidentielle suivante, ce qui engendre un combat permanent, mais cette cohabitation se situe à un moment de quête de ressourcement idéologique à gauche (suite à la chute du mur), le fond du discours est un peu faible, fragile (débat Blair 3è voie les marchés offrent des marges de manoeuvre, schroder le pragmastisme, Jospin l’arcjaique avec les communistes)
À droite, l’adversaire idéologique repoussoir a disparu, Jacques Chirac s’était approprié le thème de la fracture sociale (transgression, triangulation)
Jospin veut s’emparer thème de la sécurité.

Donc les deux acteurs sont paralysés sur le fond de leur idéologie, et se disoutent sur la forme, mais pas sur le fond des choix politiques importants.
L’idée forte est même l’inverse, nous cohabitons, nous nous tapons dessus, mais sur l’essentiel, le politique étrangère et l’Europe nous sommes d’accord.
La gauche (et toute la gauche européenne n’a pas su inventer un discours européen de gauche après la chute du mur)

Donc cette troisième cohabitation a amené cette notion que la différence entre la droite et la gauche est infime sur les vrais, les grands sujets, et qu’elle s’applique presque au superflu.
On en est même arrivé à l’idée qu’une polémique est une mauvaise chose. Qu’est qu’une polémique, c’est un débat, une discussion entre deux défenseurs de point de vue différents. C’est devenu un gros mot. Imagine-t-on de dire « je ne réponds pas à votre question, c’est un débat ? ou je refuse de débattre ? »

Donc le débat n’existe plus, la confrontation d’idée relève d’un jeu superflu, qui remplit les journaux mais qui n’est pas essentiel.

À l’issue de cette cohabitation, qui gagne ? comme à chaque fois, le (ou les en 2002) les plus offensifs, Jacques Chirac et Jean Marie Le Pen. Lionel Jospin qui a accepté cette cohabitation consensuelle sur l’essentiel est sanctionné.

C’est là que nous arrivons au rôle de la presse, et de la presse qui relate le débat politique.

Les journalistes n’inventent rien. Ils appuient leur commentaire sur le discours des politiques. Si les politiques ne suscitent pas le débat sur le sens à donner à la construction européenne, aucun journal en France n’est positionné pour le faire
Faute de disposer de matière sur les gros enjeux, elle commente le superflu, c’est-à-dire des querelles de personnes, et les responsables politiques deviennent des héros de séries Tv avec la saison 1, 2 et 3, des personnages secondaires, et un peu de vie familiale. Ce n’est pas un hasard si cette époque correspond aussi à l’apparition des politiques dans la presse people. Sans compter les couples politiques journalistes.
Alors, les journalistes se rendent compte du fait qu’ils se cantonnent au superflu. Et dans les rédactions, on se met à faire du fond, mais ce n’est pas du fond, en fait, c’est du technique.

Le débat technique, c’est tenter de simplifier le débat en répondant oui ou non
oui ou non à l’encadrement militaire des jeunes délinquants, oui ou non, aux centres fermés, oui ou non au code pénal pour les mineurs.
Le débat de fond, ça prend plus de temps à trancher, c’est de s’interroger sur la nature de la délinquance des mineurs. A-t-elle évolué ces dernières années, pourquoi ? quelles sont ses origines, quelle réponse la société veut-elle apporter, et à quoi . Veut elle se protéger des mineurs délinquants, et définir le moyen de les tenir à l’écart, ou les réinsérer au plus vite, et revoir éventuellement la construction du système de valeur des adolescents aujourd’hui ?

Donc la presse est suiviste, si les responsables politiques sont faibles, la presse est faible.

D’autant plus que la presse est vénale. Elle valorise ce qui fait vendre, ce qui par nature, n’encourage pas à elever l’esprit.

La presse est un amplificateur.
Comment en sortir, la république, oui, le retour à la chose publique.

 

INTERVENTION DE ANICET LE PORS

Je voudrais me situer dans une perspective historique et, d’abord, m’interroger sur la trajectoire pour éclairer le moment actuel qui est bien une situation de décomposition sociale et esquisser des éléments d’avenir.

1. La trajectoire

À titre personnel, je me suis interrogé sur le sens de mon histoire pour considérer que j’étais le produit de multiples influences : géographiques, professionnelles, politiques, religieuses, idéologiques … J’en ai déduit qu’aucune dimension ne devait l’emporter sur les autres et qu’il importait de ne pas se laisser réduire à quelque labellisation que ce soit. J’ai retrouvé le même type de réflexion chez Amartya Sen, prix Nobel d’économie dans son livre Identités et violence.

Nous devons aussi nous interroger sur le sens de l’histoire: Quelle est encore la validité du matérialisme historique qui se fondait sur le développement des forces productives pour définir une succession de modes de production : féodalisme, capitalisme, socialisme communisme ? Doit-on reprendre l’analyse de Marcel Gauchet dans Le désenchantement du monde qui décrit le long effort du genre humain pour se dégager de toute transcendance à travers étapes et échecs historiques ? Réné Raymond dans Regars sur le XX° siècle caractérise ce siècle comme siècle prométhéen guidé par les idées de peuple, de science et de progrès ; qu’elle peut en être la suite ?

2. La décomposition

La suite c’est, dans l’instant une multiplicité de symptômes de décomposition sociale profonde : croissance des taux d’abstentions et montée des sectes, multiplicité des crises dont la crise financière, développement des affaires de corruption, des jeux de hasard et croissance du chômage, désagrégation morale, etc.

Cette situation de décomposition sociale a des précédents : la Renaissance, la période qui a précédé la II° République (Alfred de Musser dans Confessions d’un enfant du siècle, en 1836) …Aujourd’hui, Edgar Morin parle de « métamorphose », Pierre Nora de « régime des identités.J’ai moi-même écrit Pendant la mue le serpent est aveugle en 1993 (expression empruntée à Ernst Jünger), Éloge de l’échec en 1999. Le premier chapitre d’Alain Badiou L’hypothèse communiste est intitulé « Qu’appelle-t-on échouer ? ».

Quelles sont les causes de cette décomposition ? Je me bornerai à avancer quelques hypothèses : La régression de la référence à l’État-nation ou son exaspération nationaliste, la dénaturation de la notion de classe sociale, les bouleversements spatiaux et géopolitiques, l’évolution rapide des mœurs et, surtout, l’effondrement des grandes idéologies messianiques : la théorie néoclassique pour le libéralisme, l’État-providence pour la social-démocratie, le marxisme pour le mouvement communiste.

Alors que faire ?

3. Où est (va) la République ?

Ce moment de décomposition se situe à l’articulation de cycles trentenaires. Le premier qui va de la seconde guerre mondiale au tournant des années 1970-1980 est une période de croissance et d’économie administrée (la planification « à la française »). Elle est suivie d’une période d’ultralibéralisme qui débouche sur la crise profonde dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Dans la crise, on en appelle au « retour de l’État », certes comme instrument des marchés financiers, mais il s’agit là également d’une opportunité pour défendre l’idée d’une conduite des affaires publiques fondée sur la volonté et la raison au service de l’intérêt général.

La réponse des formations politiques n’est pas à la hauteur de l’enjeu.Pour reprendre une formule de Marcel Gachet « la stratégie finale du sarcomateuse, c’est la banalisation de la France ».Pour le président actuel de la République la laïcité, le service public, le droit du sol, les 36 000 communes ne seraient que des « anomalies » et la France devrait être normalisées selon les exigences des marchés et de l’Union européenne. La politique du « care » n’est que le dernier avatar de l’Étata-providence pour les socialistes. Le parti communiste peine à exister. Les institutions sont malades : la constitution a été modifiée 19 fois depuis 1992

Pour ma part, je continue de penser que la perspective progressive de la République doit être socialiste. Les fondements du socialisme dans la théorie marxiste reposaient sur trois piliers : la propriété des grands moyens de production, d’échange et de financement, le pouvoir de la classe ouvrière et de ses alliés, l’émergence de l’homme nouveau désaliéné.Je pense qu’il faut remettre ces concepts sur le chantier sur la base des trois thèmes refondés : l’appropriation sociale, la démocratie institutionnelle, la citoyenneté.

La citoyenneté est, pour moi, le concept fondamental ede la recomposition. On en trouvera l’explicitation dans mon Que sais-je ? sur La citoyenneté.C’est le moyen de reprendre le thème de l’homme nouveau en en faisant non une conséquence des transformations économiques et structurelles mais comme un objectif essentiel en soi. C’est renouer avec notre histoire : l’irruption du citoyen sur la scène de l’histoire pour remplacer le sujet sous la Révolution française. C’est surtout, aujourd’hui, un concept fédérateur de refondation.Des valeurs : une conception de l’intérêt général avec le service public comme fer de lance, une affirmation du principe d’égalité à la base de la parité femme-homme et du modèle français d’intégration, une éthique de la responsabilité dont la laïcité est la base. Des moyens : le statut du citoyen, essentiellement politique mais aussi économique et social, de la livre administration des collectivités territoriales, de la démocratie institutionnelle ? De la dynamique de la citoyenneté qui aujourd’hui doit se concevoir dans une crise systémique, en référence aux droits de l’homme et dans une mondialisation qui n’est pas seulement éthique (les valeurs universelles), juridique, technique et culturelle.

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