Le futur de la citoyenneté

Rencontre de la Pensée critique – Nice, 15 mars 2012

(pour plus de développement, voit le Que sais-je ? sur « La citoyenneté » et l’article ci-dessous « La citoyenneté entre décentralisation et mondialisation »)

Faire des hypothèses sur le futur de la citoyenneté suppose une connaissance de la trajectoire du concept dans l’histoire et une analyse concrète de sa signification actuelle.

I. LE CONCEPT DE CITOYENNETÉ DANS L’HISTOIRE

Athènes, cinq siècles avant notre ère, introduit l’idée de la démocratie directe comme expression de la citoyenneté ; mais les citoyens ne représentent que le dixième de la population.

Rome promeut le droit et la régulation sociale par la loi dans une société très inégale. Elle fait de la citoyenneté un moyen d’assimilation des populations soumises.

Après l ‘absence du concept de citoyenneté dans le monde féodal, le bourgeois-citoyen des villes réclame plus de liberté. Philippe Le Bel introduit la distinction public-privé par la création du Conseil d’État du roi. On étudie à nouveau les Anciens, la Renaissance est prolifique en œuvres de libération intellectuelle que les Lumières parachèveront.

La monarchie permet de passer du droit divin à la sécularisation du pouvoir politique. La révolution française parachève l’irruption du citoyen sur la scène de l’histoire.

Le XIXe siècle enrichira la notion de citoyenneté dans toutes ses dimensions politiques, économiques et sociales : Révolution de 1848, Commune de Paris, droits de grève, syndical, du travail.

Le XXe siècle « prométhéen » poursuivra cette affirmation à travers les deux guerres mondiales, la colonisation et la décolonisation, les luttes sociales, et politiques, les crises économiques et financières, la mondialisation. Une citoyenneté européenne est introduite en 1992.


2. LE CONCEPT DE CITOYENNETÉ AUJOURD’HUI

Il n’y a pas de citoyenneté sans valeurs

Une conception de l’intérêt général distincte de la somme des intérêts particuliers. Le service public, notion simple à l’origine qui se complexifie en s’étendant. En son sein, le contrat le dispute à la loi. La contradiction est poussée à son paroxysme dans le cadre de la construction européenne qui fait du marché la règle majeure et le service public l’exception.

Une affirmation du principe d’égalité qui conduit à rechercher l’égalité sociale réelle au-delà de l’égalité juridique. Cela ouvre le champ des actions positives et le risque de stigmatisation qu’elles comportent. Le principe d’égalité trouve à s’exprimer dans la recherche de l’égalité femmes-hommes qui n’a pu être réglé par la loi. Le modèle français d’intégration est également un champ d’expression du principe.

Une éthique de la responsabilité qui se décline juridiquement dans ses dimensions pénale, civile, administrative, mais aussi sur le terrain politique et concerne aussi élus et fonctionnaires. La responsabilité personnelle devient de plus en plus difficile à cerner dans les sociétés complexes où les assurances couvrent les principaux risques. Ce sont les citoyennes et les citoyens qui fixent les règles de la morale sociale et c’est le principe de laïcité qui le leur permet.

Il n’y a pas de citoyenneté sans exercice effectif

Cela suppose un statut du citoyen. Celui-ci est d’abord politique et comporte les droits civiques avec le droit de vote comme droit emblématique ce qui soulève la question du vote des étrangers. Mais la dimension économique est également importante : ensemble des acquis du droit du travail, droits constitutionnels, choix budgétaires de couverture des besoins sociaux, combinaisons techniques capital-travail. Il y a aussi une dimension sociale du statut veillant à ce que les citoyens ne soient pas privés de la satisfaction de besoins fondamentaux.

Le citoyen trouve dans la cité le lieu le plus approprié pour intervenir dans la satisfaction des aspirations des populations par la mise en œuvre des moyens nécessaires. Le principe de libre administration des collectivités territoriales rencontre cependant d’autres principes (unité de la République) et des contraintes (contrôle de légalité, budgétaire. Le caractère présidentialiste des institutions marque aussi les collectivités territoriales. Les trois actes successifs de la décentralisation ne sont pas parvenus à une répartition satisfaisante des compétences entre les niveaux nationaux et infranationaux.

La France est un véritable laboratoire institutionnel : quinze constitutions en deux siècles avec deus modèles, l’un démocratique (constitution de l’An I), l’autre césarien (constitution du 14 janvier 1852). La constitution de la Ve République est un hybride, elle a connu une forte évolution : parlementarisme rationalisé, monarchie aléatoire, dérive bonapartiste. Les questions majeures semblent aujourd’hui les suivantes : définition de la souveraineté nationale et populaire, modalités de la démocratie directe, rôle du référendum, caractère général du régime présidentiel ou parlementaire, nature de l’exécutif, le citoyen dans l’État de droit.


3. HYPOYHÈSES SUR LE FUTUR DE LA CITOYENNETÉ

Les droits de l’homme comme avenir de la citoyenneté

Toute hypothèse doit partir d’une situation de crise de l’individualité, de la représentation, de la médiation. Crise qui s’exprime par la montée des incivilités et de multiples symptômes, le discrédit de la représentation politique, l’asservissement des médias à la finance et au marché.

La multiplicité des dimensions caractérise une crise de système. Les causes en sont diverses : relativisation de l’État-nation, dénaturation de la notion de classe, bouleversements géographiques, évolution accélérée des mœurs, effondrement des idéologies messianiques.

La citoyenneté comporte une dimension de transmission intergénérationnelle et une dimension caractérisée par une conception individualiste dont les droits de l’homme constituent la référence majeure. Le discrédit politique donne vigueur à l’idée de « nouvelle société » fondée sur un spontanéisme local. L’idéologie des droits de l’homme repose sur un ensemble disparate, privilégiant la révolte et la médiation, jouant un rôle de régulateur social. Cela ne justifie pas pour autant l’évocation d’un « droitdel’hommisme ».

La projection de la citoyenneté nationale dans les dimensions européenne et mondiale

La citoyenneté, définie sur une base nationale a toujours comporté des dimensions infra et supranationales.

Le traité de Maastricht a décrété une citoyenneté européenne de définition problématique. Citoyenneté qui complète la citoyenneté nationale, elle est de faible densité et ne comporte qu’un ensemble de droits limité. La citoyenneté européenne n’a pas de valeurs propres. Elle a mis en place des moyens largement asservis aux marchés qui ne parviennent pas à fonder une unité politique convaincante. Elle connaît une grande désaffection dont témoignent les taux d’abstention aux élections européennes.

Il semble aujourd’hui plus convaincant et plus efficace de travailler à l’idée d’une citoyenneté mondiale dans la perspective déjà évoquée par E. Kant à la fin du XVIIIe siècle. L’émergence de valeurs universelles, l’accumulation de moyens économiques, juridiques, culturels, la dynamique qui anime le mouvement de mondialisation et de globalisation des problèmes constituent une base convaincante de la prise de conscience de l’unité de destin du genre humain et d’une citoyenneté mondiale.

La citoyenneté dans une perspective socialiste

Au sortir d’un siècle « prométthéen », dans un moment pluriséculaire de « désenchantement du monde » (M. Gauchet), se pose la question de l’inscription de la citoyenneté dans une perspective volontariste.

L’analyse marxiste proposait une vision fondée sur la succession de modes de production. Le socialisme devait résulter de la contradiction du système capitaliste entre le caractère public de la production et le caractère privé des moyens de production. Le socialisme reposait sur trois piliers : la propriété publique des grands moyens de production, d’échange et de financement ; le pouvoir politique de la classe ouvrière et de ses alliés ; l’émergence d’un « homme nouveau », à la fois conséquence et composante des changements structurels et superstructurels.

Entre repli orthodoxe et fuite en avant idéologique, il semble pertinent de remettre sur le chantier les trois bases précédemment évoquées sous la forme de : l’appropriation sociale articulée à une économie des besoins et l’intervention des travailleurs ; la démocratie institutionnelle ; la citoyenneté conçue comme un objectif en soi et fondement de recomposition dans la crise.