l’Etat et la question des institutions – PCF Bassin d’Arcachon – 8 décembre 2012

Quelle était la première revendication dans les cahiers de doléances présentés le 5 mai 1789 lors de la réunion des États généraux du 5 mai 1789 ? C’était l’exigence de doter la France d’une constitution écrite. C’était l’aboutissement d’un long processus marqué par une sécularisation croissante du pouvoir politique (Philippe le Bel, François 1er, Louis XIV), puis une émancipation de l’État de la personne du monarque (Montesquieu, J-J. Rousseau), puis une bipolarisation État-citoyen (déclaration des droits ou préambule – constitution).

Après la Révolution française, la question institutionnelle est demeurée une donnée permanente de la vie politique française : la France est un véritable laboratoire institutionnel, 15 constitutions en deux siècles. Elle présente deux modèles antagoniques : l’un démocratique avec la constitution du 24 juin 1793, l’autre autoritaire avec la loi de Louis-Napoléon Bonaparte du 14 janvier 1852.

 

 I. ENSEIGNEMENTS SUR LA QUESTION INSTITUTIONNELLE DEPUIS LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE

 1.1. La Constitution de la IVème République

À la Libération, personne ne voulait revenir à la IIIe République. Le PCF influent avait comme référence la constitution de 1793, le général de Gaulle inclinait en faveur du modèle des États Unis. Un premier référendum le 24 octobre 1945 ouvre la voie à l’élaboration constitutionnelle, mais de Gaulle démissionne le 20 janvier 1946. Un premier projet est rejeté par référendum  le 5 mai mais un second approuvé le 27 octobre 1946. Le PCF dépasse le quart des voix aux élections. Le général de Gaulle prononce son discours de Bayeux en faveur du régime présidentiel ?

Il s’agit d’un régime parlementaire. Un important préambule pose des principes ; il est toujours en vigueur. Sont évoqués Et évoqués les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Le Parlement est composé de l’Assemblée nationale (élue à la proportionnelle, modifiée en 1951 par la loi sur les apparentements) et le Conseil de la République. Le rôle du Parlement est décisif pour l’élaboration de la loi, l’élection du Président de la République, pour la formation du Gouvernement qu’il doit investir après la désignation du Premier ministre par le Président. Il y eut 25 gouvernements en douze ans. Le professeur J-J Chevallier a caractérisé une constitution « rationnelle mais pas raisonnable ».

La IVème  République est tombée en raison des difficultés économiques de la reconstruction, les guerres d’indépendance d’Indochine et d’Algérie et la décolonisation, de la dénaturation du régime parlementaire, des évènements (guerre d’Égypte et détournement de l’avion de Ben Bella, finalement l’émeute du 13 mai à Alger. Le président de la République René Coty fait appel au général de Gaulle et l’autorise à élaborer une nouvelle constitution.

1.2. La Constitution de la Vème République

La loi du 3 juin 1958 fixera le cadre institutionnel du projet, mais de Gaulle y formalisera son projet de Bayeux, modéré par Michel Debré, Premier ministre, en faveur d’un « parlementarisme rationalisé ». Le projet est adopté par référendum du 28 septembre. Seul le PCF en temps que parti s’oppose au projet adopté par 80 % des votants. Le vote concerne l’indépendance pour les pays coloniaux (Guinée).

Domination du Président de la République, élu et rééligible pour 7 ans par un collège de grands électeurs. Pouvoirs considérables : nomination du Premier ministre et du Gouvernement, pouvoirs considérables des l’art. 16 et 11.

Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il a l’initiative des lois, le Premier ministre peut proposer un référendum, dispose du pouvoir réglementaire sur la base des art.34 et 37. Il peut légiférer par ordonnance, poser la question de confiance.

Le Parlement (Assemblée nationale et Sénat), élus selon des lois ordinaires. Rationalisé en tant que les présidents sont élus de manière irréversible, que sa consultation est obligatoire dans certains cas, que le Conseil constitutionnel peut être saisi. Ses pouvoirs sont réduits.

La constitution a fait l’objet de 24 modifications (dont 19 depuis 192). Les principales sont :

– 1962 : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

– 1974 : la réforme du Conseil Constitutionnel.

– 2000 : le quinquennat.

– 2003 : loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République

– 2008 : ratification du traité de Lisbonne

– 2008 : Loi constitutionnelle du 23 juillet sur la réforme des institutions, prévoyant notamment la possibilité de référendum parlementaro-populaire, la question prioritaire de constitutionnalité …

Dans cette évolution on peut distinguer trois phase : le parlementarisme rationalisé, la monarchie aléatoire[1], la dérive bonapartiste. Et maintenant ?

 

II.  LE CONTEXTE ACTUEL DE LA QUESTION INSTITUTIONNELLE

Les institutions sont une représentation par une société de son modèle d’organisation des pouvoirs. On peut distinguer les institutions idéales des institutions possibles. Elles dépendent aujourd’hui d’une situation de décomposition sociale et d’un affaissement idéologique sur la question.

2.1. Une situation de  décomposition sociale

Les symptômes en sont multiples (abstentions-diminution des mouvements revendicatifs,  montée des sectes-jeux de hasard, p. ex.). On peut en identifier des causes : relativisation des États-nations, complexification de la notion de classe, bouleversements spatiaux, évolution des mœurs, affaissement des idéologies messianiques.

Plusieurs écrits  en témoignent : Alfred de Musset (Confession d’un enfant du siècle, 1836, « On ne sais, à chaque pas qu’on fait si on marche sur un débris ou sur une semence »), Anicet le Pors (« Pendant la mue le serpent est aveugle » 1993 ; « Éloge de l’échec », 1999), Edgar Morin et la « métamorphose », Alain Badiou qui pose « Qu’appelle-t-on échouer ? » dans « L’hypothèse communiste ».

La question posée est aujourd’hui : de quel instrument politique institutionnel avons nous besoin à l’issue d’un cycle « prométhéen », marqué sur la période par un  cycle trentenaire d’économie administrée (planification à la française), puis d’un autre d’ultralibéralisme qui s’achève par la crise et appelle le retour de l’État et pose la question des services publics et des institutions.

2.2. Des projets contestables

La banalisation sarkozyste

Marcel Gauchet a écrit : « Le programme initial du sarkozysme, c’est un programme de banalisation de la France ». Il s’est agi en effet d’un « pragmatisme destructeur » d’anomalies : laïcité, service public, asile, intégration, collectivités territoriales. Ouverture d’un contrefeu avec la campagne sur l’identité française. Cela était de nature à provoquer une double déstabilisation : par la décentralisation envisagée et la mondialisation encouragée.

Au plan institutionnel, ancien Président de la République a contourné l’opposition populaire traduite par le rejet du projet constitutionnel européen en le faisant adopter sous forme du traité de Lisbonne par le Parlement en 2008. On lui doit également l’importante réforme institutionnelle de la loi du 23 juillet 2008 dont les principales dispositions sont : limitation à deux le nombre de mandats consécutifs du Président de la République ; possibilité pour un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits, de demander la tenue d’un référendum sur l’un des sujets prévus dans l’article 11 ; le président de la République peut convoquer le Congrès du Parlement français pour faire une déclaration ; les parlementaires sont remplacés temporairement en cas d’acceptation par eux de fonctions gouvernementales ; la discussion des projets et propositions de loi ne porte plus devant la première assemblée saisie sur le texte présenté par le gouvernement, mais sur le texte adopté par la commission saisie, sauf pour les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale ; les assemblées fixent maintenant elles-mêmes leur ordre du jour indépendamment du Gouvernement. celui-ci conserve néanmoins certaines prérogatives importantes ; les justiciables ont désormais la possibilité, depuis mars 2010, de contester la constitutionnalité d’une mesure qui leur est opposée, créant ainsi la possibilité de révision constitutionnelle a posteriori (QPC) ; le Conseil économique et social devient le Conseil économique, social et environnemental ; le Défenseur des droits est créé ; les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France.

Le rapport Jospin consacre la Ve République

Il ne semble pas que le pouvoir actuel soit en mesure de répondre à la nécessité d’une réforme institutionnelle profonde sur la base du rapport Jospin. Rappelons préalablement que l’on doit à l’ancien Premier ministre une vague de privatisation supérieure à celle réalisée par Alain Juppé ainsi que la réforme du quinquennat accompagnée de l’inversion du calendrier faisant précéder les élections législatives des présidentielles.

Les mesures proposées par celui-ci ne modifient pas le caractère de la Ve République. L’élection du ¨résident de la République au suffrage universel est maintenue avec seulement le remplacement du parrainage des candidatures de 500 élus par 150 000 électeurs dans 50 département, le scrutin majoritaire uninominal à deux tour des députés est inchangé sinon l’élection de 10 % des députés à la proportionnelle nationale. La composition du Sénat serait rééquilibrée au profit des départements et des régions avec plu  d’élus à la proportionnelle. Le cumul des mandats serait réduit. Le chef de l’État pourrait être jugé au civil comme au pénal pour faits hors mandat, non dans l’exercice de ses fonctions.

Une VIème République ?

L’idée la plus simple est d’opposer aux institutions actuelles une autre construction institutionnelle. C’est ce que j’avais proposé à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française sous forme d’un projet constitutionnel complet[2]. Celui-ci, une fois adopté a été aussitôt oublié.

Pour autant, je ne suis pas partisan aujourd’hui d’une VIe République pour les raisons suivantes. D’abord, parce qu’il s’agit d’une facilité qui, le plus souvent, dispense d’une réponse sérieuse au fond. Réclamée d’Olivier Besancenot à Marine Le Pen en passant par Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon et Cécile Dufflot, on espère qu’il ne s’agit pas de la même VIè  République. Ensuite, parce que les projets présentés sont le plus souvent formulés de manière sommaire et peu cohérente. L’exemple le plus frappant de cette vanité confuse est le projet de VIe   République dont Arnaud Montebourg avait fait un fonds de commerce et qui, à l’examen, de contours en concession, se révèle n’être rien d’autre qu’une Ve  République-bis. Enfin, il existe une autre raison qui fait de la VIe  République une revendication illusoire : aucune des cinq républiques qui ont marqué notre histoire récente n’est née d’une gestation spéculative. La Convention déclare le 21 septembre 1792 : « La royauté est abolie en France » et un décret du 25 septembre proclame : « La République est une et indivisible » ; ainsi est née la première République parachevant la Révolution française. La deuxième est issue des émeutes de février 1848 aboutissant à l’abdication de Louis-Philippe  et à la  constitution républicaine du 4 novembre 1848 ; elle sera, on le sait et l’on doit s’en souvenir, balayée par le coup d’État du 2 décembre 1851 et le référendum-plébiscite de Louis-Napoléon Bonaparte des 21 et 22 décembre. La troisième émerge à une voix de majorité de la confrontation des monarchistes et des républicains moins de quatre ans après l’écrasement de la Commune de Paris et la défaite du Second Empire à Sedan. La quatrième est issue de la seconde guerre mondiale, de l’écrasement du nazisme et de la résistance, promulguée le 27 octobre 1946. La cinquième voit le jour par le référendum du 28 septembre 1958, portée par le putsch d’Alger dans un contexte de guerre coloniale. S’il y a bien crise sociale aujourd’hui, qui oserait soutenir qu’elle s’exprime au niveau des évènements qui viennent d’être évoqués ? Jamais en France on a changé de république sans événement dramatique. Dans une société en décomposition sociale profonde, il manque encore l’ « Événement ».

La même argumentation pourrait être opposée aux partisans d’une Constituante. Toutes les constituantes sont survenues après des évènements majeurs et sur les décombres de l’ordre précédent. Ce n’est pas la situation actuelle et une telle proposition permet de ne rien dire du contenu ; c’est un mot-valise. C’est encore une facilité doublée d’ un risque : une constituante élue aujourd’hui serait dominée par une écrasante majorité PS-UMP. L’important et le préalable est donc le contenu.

 

III. LA QUESTION DES INSTITUTIONS AUJOURD’HUI

3.1. La souveraineté

Jean-Jacques Rousseau s’efforçait de définir ainsi les citoyens dans le Contrat social : « À l’égard des sociétés, ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s’appellent en particulier citoyens comme participant à l’autorité souveraine ». Il annonçait ainsi le transfert de la notion de souveraineté du monarque au peuple. La nation sera introduite par l’article 2 de la Déclaration des droits de 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». La constitution de 1793 ajoutera en son article 7 : « Le peuple souverain est l’universalité des citoyens français ». La constitution de la IVe   République retiendra la notion de souveraineté nationale  que l’on retrouve dans  la constitution de la Ve République en son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et la voie du référendum ».

La souveraineté est une en ce qu’elle légitime l’exercice du pouvoir politique et de ses instruments (création monétaire, État de droit, politiques publiques, relations internationales).  Il est courant d’en distinguer deux aspects, la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. La première ne prétend pas à la seule représentation des citoyens existants, mais veut aussi traduire les aspirations de la continuité des générations. La seconde tend à privilégier la démocratie directe par rapport à la démocratie représentative soutenue par la première. La souveraineté ne saurait être déléguée si certaines compétences peuvent l’être. C’est dans le contexte très particulier du lendemain de la deuxième guerre mondiale que le préambule de la constitution de 1946 a prévu que, sous réserve de réciprocité, « La France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix. ». Restera constante, par ailleurs, la règle selon laquelle « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois » (article 55 de la constitution).

La souveraineté ne saurait cependant être préservée par le seul respect formel des règles du droit positif.  On a vu comment le Gouvernement a pu contourner le rejet par le peuple français  du traité sur la constitution européenne en mai 2005, pour faire ratifier ensuite le traité de Lisbonne par le Parlement. Et puis la souveraineté c’est aussi la maîtrise des bases économiques nationales, gravement mise en cause par le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’union économique et monétaire récemment ratifié par le Parlement. La nation est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et du général.

3.2. La démocratie directe

L’intervention du peuple ne saurait faire l’objet d’une réglementation excessive. La démocratie directe c’est d’abord le plein exercice des droits et des libertés existants. C’est aussi le fortuit, l’incodifiable, l’initiative, l’épopée, le talent. Il serait vain et quelque peu totalitaire de prétendre en tout point réglementer la vie, non seulement privée mais aussi publique. Pour autant, la souveraineté nationale et la souveraineté populaire doivent pouvoir être traduites partiellement dans des règles de droit, si celles qui existent n’épuisent pas le sujet.

Des progrès peuvent être réalisés. On en donnera deux exemples. Le premier consisterait à accroître la portée du droit de pétition. Une question rédigée qui aurait réuni un certain pourcentage de signatures d’électeurs inscrits pourrait faire obligation à l’assemblée délibérante compétente d’en débattre et de prendre position. Cette décision pourrait ensuite, en cas d’approbation, conduire à l’élaboration des règles administratives, réglementaires ou législatives correspondantes. Le rejet du texte devrait être motivé et le débat se poursuivrait éventuellement dans l’opinion publique – la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 amorce le mouvement en ce sens -. Le second reviendrait, sous certaines conditions, à donner l’initiative des lois au peuple. Là encore un minimum de soutiens seraient exigés sur une proposition de loi entièrement formulée. Après quoi le texte pourrait être inséré dans une procédure parlementaire et devenir une loi au terme du processus qui pourrait faire intervenir des instances déconcentrées ou décentralisées. Ce ne serait à vrai dire pas une véritable novation : la Constitution de l’An I, pourtant réputée jacobine, prévoyait déjà l’intervention des communes et des assemblées primaires des départements dans l’élaboration de la loi[3].

C’est cependant le référendum qui constitue en matière de démocratie directe la question la plus délicate. En reconnaissant à tous les citoyens le droit de concourir personnellement à l’expression de la volonté générale et à la formation de la loi, la Déclaration des droits de 1789 (art. 6) ouvrait la voie aux consultations référendaires et à la mise en mouvement politique du peuple. Mais on a vite pressenti les dangers du référendum et les risques qu’il pouvait faire courir à la démocratie dans les mains d’un pouvoir autoritaire relevant de la ligne de force césarienne évoquée plus haut. Olivier Duhamel le souligne : « le référendum peut être liberticide : les Bonaparte en ont apporté la preuve »[4]. La Constitution de 1793 prévoyait que le peuple pouvait délibérer sur les lois proposées par le corps législatif. La Constitution de 1946 ne retenait le référendum qu’en matière constitutionnelle. La Constitution de 1958 le prévoit en deux dispositions : en matière d’organisation des pouvoirs publics, de réformes relatives à la politique économique ou sociale, de ratification des traités – art. 11, dont le champ a été élargi en 1995 – et en matière constitutionnelle (art. 89). Par ailleurs, la loi du 6 février 1992 a institué un « référendum communal » ; il est de faible portée.

Bien que les référendums sur le traité de Maastricht en 1992 et celui sur le récent projet de « traité établissant une constitution pour l’Europe », mis en échec le 29 mai 2005, aient été l’occasion de débats importants, il reste que, depuis 1793, seulement 3  référendums sur 24 ont dit « non » à ceux qui les ont organisés.

Le recours au référendum relève ainsi le plus souvent d’un pouvoir exécutif autoritaire à tendance plébiscitaire. Corrélativement, il dévoie le débat en le conduisant  le plus souvent à s’écarter de la question posée (vote contre un homme ou une politique). Appelant une réponse binaire  (oui ou non) il est peu approprié au traitement de questions complexes. Il doit donc être strictement limité aux matières constitutionnelles proprement dites.

3.3. La loi

Outre le référendum, le peuple exerce sa souveraineté par la médiation de ses représentants. L’article 6 de da Déclaration de 1789, qui fait partie du « bloc de constitutionnalité » actuel, proclame que la loi est l’expression de la volonté générale, tandis que l’article 34 de la constitution dispose que la loi est votée par le Parlement. En vertu du principe de séparation des pouvoirs et pour équilibrer les fonctions normatives de l’exécutif et du législatif, les articles 34 et 37 définissent les champs respectifs de la loi et du décret. Tel est du moins le schéma théorique car, dans la réalité, c’est le Gouvernement qui a largement l’initiative du travail législatif, en fixant pour l’essentiel l’ordre du jour du Parlement et en réservant la plus grande place à ses projets, tandis que les textes d’origine parlementaire, les propositions de lois, sont réduites à la portion congrue. Une telle pratique n’est pas conforme aux principes affichés et le préjudice est d’autant plus important que la Constitution a été modifiée en 1992 par l’introduction d’un article 88-2 disposant notamment que : « la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l’établissement de l’union économique et monétaire européenne … »,  ce qui se traduit par une entrée en force du droit européen en droit interne français et limite, en conséquence, les prérogatives du Parlement national. De plus, la montée en puissance du Conseil constitutionnel à partir de 1971 en a fait un organisme politique en forme juridictionnelle qui s’est doté, au fil du temps et par voie jurisprudentielle, d’un pouvoir constituant permanent en dehors de toute source de légitimité, même si on peut considérer qu’il n’en a pas abusé et qu’il a joué parfois un rôle positif en matière de défense des libertés publiques. La représentation est donc en crise, ce qui se traduit en particulier par une hausse générale des taux d’abstentions à toutes les élections, et notamment aux élections locales qui sont pourtant celles où le citoyen est le plus proche des lieux de pouvoir et qui devraient l’intéresser davantage.

La situation est encore aggravée par le fait que si l’article 20 de la Constitution prévoit bien que « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation », cela dépend de la concordance ou non des majorités présidentielle et législative. Lorsqu’il y a concordance, c’est le Président de la République qui est maître de l’exécutif ; dans le cas contraire, celui de la cohabitation, c’est le Premier ministre qui a l’essentiel des compétences, même si son but est de devenir, à son tour, président, avec une majorité conforme. Cette constitution, si souvent rapetassée au cours de la dernière période, est donc, au surplus, de caractère aléatoire, ce qui est un non-sens constitutionnel et très malsain pour la démocratie. L’instauration du quinquennat a aggravé le phénomène en accroissant la concurrence des compétences entre les deux têtes de l’exécutif. C’est donc le statut du Président de la République, aujourd’hui clé de voûte des institutions, qui est le point de départ de toute réforme institutionnelle conséquente.

C’est pourquoi le choix fait ici, est celui du régime parlementaire[5]. Selon cette conception, le pouvoir exécutif appartient, sous la direction du Premier ministre, au Gouvernement. Responsable devant le Parlement, il détermine et conduit effectivement la politique de la nation. La légitimité émane du corps législatif, élu selon un scrutin égal, c’est-à-dire se rapprochant le plus possible de la proportionnelle. Les arguments selon lesquels cela aurait pour conséquence de faire entrer le Front national au Parlement, ou bien que la priorité est la constitution d’une majorité forte plutôt que la fidèle représentation du peuple ne sauraient y faire obstacle. C’est au débat politique et non à la technique électorale de faire les majorités, de définir la voie à suivre et d’exprimer par la loi la volonté générale. On  discutera aussi le la question de savoir s’il faut une assemblée parlementaire ou deux en fonction de la concentration plus ou moins affirmée du pouvoir politique et de l’organisation administrative.

Il y a au sein de l’Union européenne une majorité de régimes parlementaires.

3.4. L’exécutif

C’est la question majeure. Le rejet de l’élection du Président de la République au suffrage universel est le point central de toute réforme démocratique. Ilrepose sur plusieurs raisons.

Premièrement, le caractère plébiscitaire de cette élection l’inscrit sur la ligne de forces césarienne ; les références historiques sont celles des deux Empires.

Deuxièmement, il ne saurait y avoir deux sources de légitimité concurrentes de la représentation nationale et populaire. Or, en France, pour des raisons historiques et par le jeu naturel des pouvoirs, la légitimité d’un président élu au suffrage universel l’emportera toujours sur celle que partagent plusieurs centaines de parlementaires élus localement au scrutin majoritaire. Il faut donc choisir : le Parlement ou le Président. Comment soutenir qu’est conforme à la ligne de force traditionnelle des Lumières, cette délégation massive de souveraineté que représente l’élection du Président de la République au suffrage universel ?

Troisièmement, la supériorité institutionnelle du Président élu en fait le guide de la nation et dérive fatalement vers un pouvoir autocratique sur le base des pouvoirs considérables qui lui sont conférés par la constitution, notamment en situation de crise. Au surplus, le passé récent a montré avec quelle désinvolture le Président a usé de la constitution pour s’arroger des prérogatives qui ne sont pas les siennes (art. 20, par exemple).

Quatrièmement, la conquête du pouvoir devient dans ces conditions le principal objectif des formations politiques et non le service de l’intérêt général, a fortiori la transformation sociale. Dès lors, les partis se transforment en machines électorales, le cas échéant subdivisées en « écuries » présidentielles, la communication prend le pas sur le débat et la politique devient spectacle, la bataille s’engage sur des critères de rassemblement superficiel et se gagne au centre.

Cinquièmement, cette élection confine ainsi au déni de démocratie et soumet le citoyen à la fatalité des contraintes extérieures, au conformisme opportuniste, à la pensée unique, à la résignation et à l’abaissement.

Dans une constitution démocratique, le Président de la République garderait néanmoins un rôle prestigieux : il représente la France vis-à-vis de l’étranger, il est l’expression symbolique de l’unité et de l’indivisibilité de la République, le garant de la continuité des pouvoirs publics. Il n’est plus élu au suffrage universel direct, mais soit par un collège de grands électeurs, soit par le Congrès du Parlement . La durée de son mandat est dès lors secondaire, la plus longue durée, sans possibilité de renouvellement, pouvant même correspondre à la plus grande banalisation. À cet égard, le mandat de sept ans non renouvelable est sans doute la solution la plus judicieuse dans la gamme des solutions possibles. L’argument selon lequel il faudrait tenir compte de l’idée que l’on se fait de la prétendue adhésion définitive du peuple français à l’élection du Président de la République au suffrage universel n’est que l’expression d’une résignation politique, indigne de notre histoire.

3.5. L’État de droit

Face à ce schéma, certains  évoqueront un  retour au régime d’assemblée. On n’ignore rien des critiques qui sont adressées à ce régime sur la base, principalement, de l’expérience de la IVe  République. En réalité, l’instabilité de la IVe  République n’a pas été causée par un excès de démocratie, mais au contraire par les atteintes que les manœuvres des clans politiques lui ont portées. Aucune constitution ne peut être, seule, la solution des contradictions sociales. Mais à tout prendre, il faut préférer les institutions qui les révèlent à celles qui les dissimulent. Les contradictions apparaissant clairement, les conditions sont meilleures pour leur apporter une solution efficace. C’est aussi un appel à la responsabilité des élus qui doivent alors savoir constituer des majorités d’idées quand c’est nécessaire et faire preuve de courage politique en toute circonstance, plutôt que de se résigner à l’allégeance au chef qui caractérise le régime présidentiel.

Toute proposition institutionnelle  doit veiller à s’inscrire dans une scrupuleuse cohérence de l’État de droit. On ne développera pas ici les conditions de la cohérence interne qui reposent essentiellement sur la séparation des pouvoirs et sur l’équilibre délicat à établir entre le principe d’autonomie de gestion des collectivités territoriales et celui d’unité et d’indivisibilité de la République. Il conviendrait aussi de préciser les formes nouvelles de la dualité des ordres juridictionnels administratif et judiciaire, dualité souhaitable car relevant de la distinction public-privé, classique en France. Un contrôle de constitutionalité est nécessaire. La souveraineté ne pouvant émaner que du peuple, c’est à lui ou à ses représentants qu’il revient en définitive d’assurer la conformité des lois à la Constitution ; sur les questions les plus importantes par le recours au référendum constituant en veillant à éviter toute dérive plébiscitaire ; sur des questions moins importantes par la recherche d’une compatibilité tant juridique que politique dans le cadre du Parlement puisque c’est lui qui vote la loi. Un Comité constitutionnel composé de représentants des différents groupes parlementaires auxquels s’adjoindraient des magistrats du Conseil d’État et de la Cour de cassation devrait être institué à cette fin. Il n’aurait pas le pouvoir d’empêcher la promulgation d’une loi non conforme à la Constitution, mais seulement d’identifier cette non-conformité en invitant le Parlement à la prendre en considération à l’occasion d’un nouvel examen qui conduirait, soit à modifier la loi, soit à provoquer l’engagement d’une procédure de révision constitutionnelle[6].

Une réflexion sur les institutions nationales ne peut aujourd’hui faire l’économie d’une prise en compte des institutions supranationales. Ele doit veiller à leur cohérence externe. C’est possible grâce au principe de subsidiarité introduit à l’article 5 du Traité sur l’Union européenne aux termes duquel : « Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire »[7]. Certes, cette formulation laisse une trop large place à l’appréciation de l’opportunité de l’intervention de l’Union européenne et il n’y a pas lieu de faire une confiance aveugle aujourd’hui à l’appréciation de la Cour de justice de l’Union européenne. Une articulation des institutions nationales et transnationales doit cependant être recherchée, notamment par une application convenable de l’article 55 de la constitution comme il a été dit.

3.6. La citoyenneté

Nous avons vu, au début que l’affirmation de l’autonomie de l’État s’était accompagnée de celle des droits de l’homme et du citoyen. On ne saurait en effet dissocier une réflexion sur le rôle de l’État de celle sur le contenu de la citoyenneté

La vocation des institutions est aussi de concourir à la formation d’une citoyenneté finalisée par des valeurs fortes, à vocation universelle : service public, droit du sol, laïcité, responsabilité publique, dans la tradition républicaine française[8]. Pour autant, des dimensions supranationales peuvent être mises en perspective.

Une citoyenneté européenne a été décrétée par le traité de Maastricht et est explicitée dans les articles 20 et suivants du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Mais il ne s’agit que d’une citoyenneté de faible densité, de superposition. On a pu parler à son sujet d’objet politique non identifié.

On peut s’attacher également à l’enrichissement des prémices d’une citoyenneté mondiale par l’affirmation de valeurs universelles, l’émergence d’un monde commun dans le cadre d’une mondialisation qui n’est pas seulement celle du capital.

La citoyenneté est aussi une préoccupation majeure d’une réflexion sur le socialisme – notion aujourd’hui largement ignorée ou dénaturée – . Le socialisme était fondé dans l’acception marxiste sur la propriété publique des grands moyens de production, d’échange et de financement, le pouvoir de la classe ouvrière et de ses alliés, l’émergence d’un « homme nouveau ». On sait que dans l’épopée des pays du « socialisme réel », ces trois fondamentaux se sont traduits par : l’étatisme, la nomenklarura et l’arbitraire, la persistance des aliénations. Il s’agit aujourd’hui de concevoir une nouvelle appropriation sociale, de construire la démocratie institutionnelle et de faire de la citoyenneté un objectif central et non une conséquence des transformations structurelles. Cela passe sans doute par une recomposition fondée sur les choix de chaque citoyenne et de chaque citoyen constitutif d’un « génome » de citoyenneté. Le problème serai alors de réaliser sur cette base des centralités sociales démocratiques et efficaces.


[1] J-M. Denquin, La monarchie aléatoire, PUF, 2001.

[2]  Projet constitutionnel du PCF et Rapport d’Anicet Le Pors, l’Humanité, 18 décembre 1989.

[3] «Art. 58. –  Le projet est imprimé et envoyé à toutes les communes de la République, sous ce titre : loi proposée.

Art. 59. – Quarante jour après l’envoi de la loi proposée, si, dans la moitié des départements, plus un, le dixième des assemblées primaires de chacun d’eux, régulièrement formées, n’a pas réclamé, le projet est accepté et devient loi. ».

[4] O. Duhamel, Droit constitutionnel et politique, Seuil, 1993, p. 116.

[5] A. Le Pors, « On fait clairement le choix du régime parlementaire », l’Humanité, 10 octobre 2005.

[6] A. Le Pors, « L’enjeu du contrôle de constitutionnalité », l’Humanité, 8 avril 2006.

[7] Dans tous les textes qui en émanent, la Communauté européenne a été remplacée par l’Union européenne.

[8] A. Le Pors, La citoyenneté, PUF, coll. Que sais-je ?, 2010  (4e  éd.).

Un commentaire sur “l’Etat et la question des institutions – PCF Bassin d’Arcachon – 8 décembre 2012

  1. Cher camarade (je pense que ce « vocable » est toujours accepté !)
    militant du Parti de Gauche, je m’intéresse aux questions institutionnelles et je souhaite avoir accès au « Projet constitutionnel du PCF » que vous avez développé en 1989. D’après les notes de cet article il a été publié dans l’Humanité du 18 décembre 1989 mais malheureusement les archives de l’Humanité ne sont en ligne qu’à partir de 1990. Merci de m’indiquer comment je pourrais me procurer ce document.
    Salutations militantes et fraternelles.

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