Colloque de la Convergence nationale de défense des services publics – Bourse du travail de Paris, 22 juin 2013
La France s’est traditionnellement dotée d’une organisation centralisée. Pour administrer le territoire, elle a généralement préféré la déconcentration à la décentralisation. Les premières lois datent de la fin du XIX° siècle et concernent, d’une part le département et le conseil général, d’autre part le maire et le conseil municipal dans la commune. Leurs compétences sont limitées ; ces collectivités territoriales sont en fait placées sous la tutelle des préfets et des services de l’État. Après l’échec du référendum de de Gaulle du 28 avril 1969 qui se proposait de réformer la région et le Sénat, la situation change à partir de l’alternance de 1981 et la priorité donnée par François Mitterrand à la décentralisation qui conduit depuis à distinguer trois actes successifs.
Acte I : engagé par la Loi Defferre du 2 mars 1982. Elle est marquée par trois réformes principales : suppression de la tutelle du préfet dont le contrôle intervient a postériori par les moyens du tribunal administratif et de la chambre régionale des comptes ; transfert de l’exécutif du département du préfet au conseil général ; élévation de la région au rang de collectivité territoriale de plein exercice. Les compétences et l’allocation des ressources sont redéployées entre l’État et les collectivités. La loi prévoyait aussi l’élaboration d’un statut de l’élu et de nouvelles garanties statutaires pour les agents, ce qui aboutit à la loi du 26 janvier 1984 créant la fonction publique territoriale.
Acte II : c’est le fait de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, dite loi Raffarin. Elle porte sur : la démocratie locale directe (référendum pouvant être décisionnel dans certains cas, droit de pétition), l’autonomie financière des collectivités territoriales, le statut des collectivités d’outre-mer. L’expérimentation législative est introduite sous certaines conditions. Les termes région et décentralisation sont introduits dans la constitution. La loi prévoit de nouveaux transferts de compétences et de ressources (ATOS, formation professionnelle, transports ferroviaires régionaux). Les résultats décevants conduisent à envisager un nouvel acte.
Acte III : il avait été initié par Nicolas Sarkozy dans le cadre de ses entreprises de « banalisation » de la France (Maecel Gauchet, Le Débat, Gallimard, septembre-octobre 2010). Elle avait été mise en œuvre par la loi du 16 décembre 2010, essentiellement d’orientation. Cette politique n’a pas été sans conséquence sur le changement de majorité au Sénat en 2011.
Le projet est repris par François Hollande qui l’avait annoncé durant sa campagne, mettant l’accent sur la contractualisation qui a fait l’objet d’un rapport officiel en remis en janvier 2013.
Le projet extrêmement complexe transmis au Conseil d’État (175 pages pour une centaine d’articles) a finalement été divisé en trois parties pour des raisons de prudence dans la perspective des élections municipales de 2014 : 1/ Les métropoles et les grandes villes : les PLU seraient confiés aux intercommunalités (Conseil des ministres du 10 avril 2013). 2/ Les régions qui seraient promues « chef de file » économique, chargées des questions d’apprentissage, d’aide européennes et aux entreprises. 3/ Les solidarités territoriales précisant le statut des communes, intercommunalités et départements. Une conférence territoriale serait chargée d’assurer la cohérence d’ensemble. L’exposé des motifs de ces projets est d’une extrême généralité.
Mais l’analyse ne saurait être circonscrite au champ défini par ces trois projets de lois de décentralisation. Les modes d’élections départementales, municipales, aux communautés de communes font l’objet d’un texte législatif séparé. Les aspects financiers seront principalement traités par les lois de finances. Quant aux personnels travaillant dans les collectivités territoriales et appartenant aux trois fonctions publiques, ils feront sans doute l’objet de réformes spécifiques. Dès lors – en rappelant que l’Acte III a été initié par Nicolas Sarkozy – l’analyse, à ce stade, doit être menée avec une certaine réserve.
Toutefois on peut poser dès maintenant la question: continuité ou rupture ?
1. Structures et compétences
Les structures
(en italique, l’ Acte III tel que mis en œuvre par N. Sarkozy)
*** La réforme Sarkozy préconisait, pour freiner les délocalisations de s’appuyer sur les « pôles et les réseaux » plutôt que sur les « frontières et les circonscriptions » (St-Dizier, 20.10.2009). Il utilisait l’image du mille-feuilles alors qu’il n’y a que six niveaux significatifs : trois politiques (commune, département, nation) qui doivent dominer trois économiques (intercommunalité, région, Europe) et non l’inverse. La création des métropoles et des pôles métropolitains avaient le même effet de déstabilisateur des collectivités existantes . Des conseillers territoriaux devaient être mis en place en 2014 aux effets négatifs : réduction du nombre, parité contrariée, bipolarisation.
Un projet de loi devait être présenté au Parlement à l’automne 2012. Selon le Gouvernement, il ne s’agissait pas d’un « grand soir » des territoires. Le projet rencontre l’hostilité des élus. Les régions étaient chargées de l’économie et de l’innovation ; les départements de la cohésion sociale ; les communes et communautés de commines gardaient leurs prérogatives. La novation était la création d’une « Conférence territoriale de l’action publique» (CTAP – représentants de la région, des départements, des communes et communautés de communes, de l’État et des métropoles) présidée par la région et chargée de l’élaboration du schéma de développement économique et d’. La CTAP pourrait opérer une redistribution des compétences mettant en œuvre une décentralisation « à la carte ». Le PLU serrait de la responsabilité de la communauté de communes. Par ailleurs, des « binômes » homme-femme avec scrutin majoritaire et cantons redécoupés seront introduits aux élections au conseil départemental qui pourrait être reportées à 2015 (pas de proportionnelle, bipolarisation). Pour les municipales relèvement du seuil de proportionnelle à 1000 habitants. On procèdera à un fléchage pour les intercommunalités. Les métropoles seront définies pour villes de plus de 400 000 habitants. Le projet a du faire face à des problèmes de gouvernance à Paris et Marseille, à l’absence d’avis donné par le président du conseil de la Région Rhône-Alpes, à l’échec du référendum en Alsace. Les particularismes ont occulté l’intérêt général et l’unité de la République.
En première lecture la commission des lois du Sénat a profondément modifié le premier projet de loi du gouvernement en réduisant considérablement les prérogatives de la CTAP : son rôle se réduirait à rendre des avis et à des débats sur des sujets d’intérêts locaux ; le pacte de gouvernance serait transformé par le gouvernement en convention. Si la compétence générale des collectivités territoriales est rétablie, les métropoles se voient confirmées avec des compétences larges renforcées, leur seuil de création est cependant relevé à 450 000 habitants ce qui pourra en réduire le nombre (Paris, Lyon, Marseille, Nice), ces dernières connaissent une élaboration chaotiques. L’automaticité de création et d’adhésion aux métropoles est supprimée.
Les compétences
*** Les départements et les régions auraient eu des compétences spécifiques mais avec possibilité de transferts et de désignation de « chef de file ». Les métropoles (établissements publics d’un seul tenant) concurrencraient les collectivités constitutionnellement reconnues. Possibilité dé regroupement de ces collectivités. Pas de compétence générale des métropoles mais de larges capacités de conventionnement. Compétence importante des préfets dans la définition des schémas et regroupements. Le préfet de région-gouverneur.
Est réaffirmé le principe qu’il n’y a pas de tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre, ce qui aura lieu inévitablement mais dans le désordre au sein de la CTAP.
Les conséquences et les principes d’action
*** Affaiblissement des structures territoriales traditionnelles (notamment communes rurales) et de la démocratie locale au profit des regroupements, des métropoles et des préfets. Deux principes républicains doivent être rappelés : l’unité de la République qui implique que c’est au niveau national que se définit l’intérêt général (condamnation par voie de conséquence de l’expérimentation à conséquences législatives) ; le principe de libre administration des collectivités territoriales posé par l’article 72 de la constitution. Ajoutons-y un principe de subsidiarité démocratique qui doit se traduire par le renforcement des pouvoirs d’intervention des citoyens eux-mêmes. Cette situation et ces perspectives invitent à replacer la question de la réforme territoriale dans le cadre d’une réflexion sur les institutions.
2. Financements décentralisés et déconcentrés
Le financement public décentralisé
*** La réforme Sarkozy se traduisait par un important transfert financier des entreprises (presque toutes bénéficiaires) vers les ménages et une incertitude à terme sur le financement des collectivités territoriales (pas de compensation de la suppression de la taxe professionnelle). La réforme prévoyait la création d’une contribution économique territoriale se subdivisant en taxes sur les bases foncières (communes et intercommunalités) et sur le valeur ajoutée (départements et régions). La Cour des comptes a critiqué le non transfert des financements des compétences décentralisées ce qui pèse sur la satisfaction des besoins publics. Les collectivités territoriales assurent 73 % de l’investissement public et ne sont responsables que de 10 + de l’endettement. Les financements croisés ne représentent que 6 à 12 % des deux-tiers des financements spécifiques.
Les textes actuels ne prévoient aucun nouveau financement. Le gouvernement a annoncé une réduction des dotations aux collectivités territoriales de 4,5 milliards en 2014-2015. La part de l’État a beaucoup baissé en 10 ans dans le financement des prestations sociales au niveau départemental. Il est, en tout état de cause, difficulté de concilier le principe d’égalité et la libre administration des collectivités territoriales pose par l’article 72 de la constitution.En 2003, on avait prévu que les fonds propres devaient représenter une part « déterminante » des financement ; le conseil constitutionnel a imposé une part « importante ».Les départements jouent un rôle essentiel dans le service des prestations sociales (petite enfance, handicapés, RSA …). 3,5 millions de personnes en sont allocataires. À cet égard il existe de fortes inégalités entre départements. Péréquation (égalité difficile (libre administration). La part de l’État ne cesse de régresser.
Le financement public déconcentré
*** La LOLF et la RGPP (37 missions, 133 programmes, 620 actions, non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite – 2007-2012) ont eu pour effet de réduire les financements déconcentrés.
La Modernisation de l’action publique (MAP) prend la suite de la RGPP. Pour le moment c’est une coquille vide avec comme objectifs : la réforme de l’État, la réduction de la dépense publique, la motivation des agents, la simplification des relations avec les usagers ; on y inclut des évènements (challenge des administrations 2020). Le premier « projet de loi », a été déposé au Sénat, sous l’intitulé de « modernisation de l’action publique territoriale et de l’affirmation des métropoles ». Le CIMAP du 2 avril a enjoint à tous les ministères d’élaborer leurs programmes de MAP
Conséquences et principes d’action
*** Les services publics étaient atteints par la combinaison des restrictions financières déconcentrées et décentralisées et les réformes structurelles prévues.
La réduction des financements décentralisés et déconcentrés aura pour conséquences : l’affaiblissement des service publics, l’accaparement des plus rentables par le privé, la réduction des effectifs titulaires, le recrutement de contractuels, le clientélisme et la corruption. Une réforme des finances des collectivités territoriales est nécessaire ; elle doit assurer à travers des mécanismes de péréquations verticale et horizontale une véritable solidarité des collectivités territoriales pour qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle essentiel dans le fonctionnement démocratique du pays. Il ressort de ce qui précède que cela implique aussi une réhabilitation de la rationalité dans la conduite des affaires publiques, une remise en cause de la dérive managériale qui marque parfois la conduite de certains élus et du vocabulaire associé. Plus généralement, on doit évoquer aussi le rôle du secteur public industriel et financier et la question de la propriété publique (pôle public, nationalisations, appropriation sociale).
3. Question statutaire et réforme administrative
La fonction publique
*** Nicolas Sarkozy avait eu l’ambition d’une « révolution culturelle » dans la fonction publique (Nantes, 19.9.2009). Les agents publics des collectivités territoriales étaient devenus fonctionnaires en 1983 donc on célèbre cette année le 30° anniversaire. La fonction publique sortait d’une histoire humiliante, mais elle est apparue dès le départ comme le « maillon faible » de la construction statutaire de 1983-1984-1986. Des atteintes graves l’ont dénaturée largement (loi Galland du 13.7.1987). L’entreprise sarkozyste préparée par les rapports Pochard (2003) et Silicani (2008) a échoué en raison de la crise de 2007-2008 qui a souligné le rôle d’ « amortisseur social » du service public. Les gouvernement de gauche accédant au pouvoir n’ont jamais remis en cause les atteintes portées par la droite au statut général des fonctionnaires.
C’est sur le terrain statutaire sans doute que le contraste est le plus accentué entre l’objectif de démantèlement du statut général par Nicolas Sarkozy et les prévisions de réformes que le gouvernement semble envisager. Les réformes actuellement envisagées et qui doivent déboucher sur un projet de loi début juillet 2013 sont de caractère technique et souvent peu claires. Elles portent sur la déontologie et évoque les valeurs du fonctionnaire mais souvent par leurs contraintes ; on ne revient pas sur les mesures régressives de la droite (réduction de l’interpénétration public-privé, mais pas de retour sur la loi Galland). De nombreuses mesures de rénovation statutaires sont proposées mais elles sont marginales et ne constituent pas un ensemble cohérent. Une telle stratégie manque d’ambition mais ne remet pas en cause l’édifice statutaire des fonctions publiques.
Les réformes administratives
*** L’assujettissement de l’appareil d’État au marché a été activement mené. Le démantèlement de l’administration de rationalisation et de contrôle de la dépense publique a fait l’objet de nombreuses réformes au cours des dernières années (CGP, DATAR, CNE, HCEP, etc.). Au plan local, les directions représentant les ministères devaient être réduites au maximum à huit dans les régions et trois dans les départements
Le pouvoir actuel semble vouloir revenir partiellement sur cette orientation, notamment par la création qui se veut sans doute emblématique du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Mais la mission de ce dernier reste floue et contraire à la démarche générale du pouvoir.
Conséquences et principes d’action
*** Si la politique initiée par Nicolas Sarkozy devait être continuée, les conséquences seraient graves : recul de la démocratie locale, régression des services publics dont les segments les plus rentables seraient accaparés par le secteur privé, réduction corrélative des effectifs statutaires et recours accrus à la contractualisation, développement du clientélisme et risque accru de corruption.
La politique actuelle concernant la fonction publique présente quelques garanties. Celle relative aux réformes administratives est pratiquement inexistante en dehors des conséquences évoquées de la politique de décentralisation de l’Acte III.
La défense des valeurs et des principes républicains forgés par l’histoire doit être rappelé. Le préalable à toute proposition dans la fonction publique consisterait à revenir sur toutes les régressions introduites dans le statut par la droite (type loi Galland). Des revendications structurelles sont néanmoins nécessaires (gestion prévisionnelle, multi-carrière, mobilité, etc.). Cela doit être combiné avec l’élaboration d’un statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé. En matière de réformes administratives, les efforts de modernisation doivent être développés sur un terrain pratique dans la perspective d’un changement des mentalités. Elles doivent aussi progresser sur le terrain juridique (codification) et économique (rationalisation). Elles doivent concourir à la clarification et à l’efficacité des structures gouvernementales. Le XXI° siècle peut et doit être l’ « âge d’or » du service public.
Une autre réforme territoriale est nécessaire et possible tant en ce qui concerne les questions de structures, de compétences, de financements que de garanties statutaires des fonctionnaires territoriaux et de réformes administratives. Cela suppose une étroite convergence des actions de la population, des élus et des fonctionnaires.
bonjour,
je pense que la décentralisation manque d’ambition,les personnes publiques ont peut être peur à l’idée de leur compétence. Je souligne aussi que la décentralisation peut apporter des points positifs que négatifs pour un pays. Lors du discours de jean luc boeuf sur C dans l’air, le sujet m’a beaucoup intéressé. MERCI
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