Fonction publique – mensuel de l’UGFF-CGT – juillet 2013
30° anniversaire du Statut Général des Fonctionnaires (XII)
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Le 13 juillet prochain, il y aura 30 ans qu’a été votée la loi portant statut général des fonctionnaires. L’occasion de revenir sur le contexte et les conditions de cette avancée sociale bien sûr.
Mais aussi de se poser les questions du présent et de l’avenir du statut.
Loin de tout esprit d’une commémoration formelle, c’est à un échange, prenant appui sur les enseignements du passé et en prise avec les besoins de la Fonction publique d’aujourd’hui et de demain, de ses personnels, du service public et de ses usagers, que nous avons convié nos invités.
Anicet Le Pors, Ministre de la Fonction Publique et des Réformes administratives de juin 1981 à Juillet 1984.
Bernadette Groison, Secrétaire générale de la FSU.
Baptiste Talbot, Secrétaire général de la Fédération des services publics CGT
Jean Marc Canon, Secrétaire général de l’UGFF-CGT
Animation
Patrick Hallinger
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« Fonction Publique » : Le statut général des fonctionnaires est une des grandes conquêtes démocratiques de la libération. Dans le contexte de 1981-1983, il y a eu une nouvelle avancée démocratique avec la loi du 13 juillet 1983 et un statut qui désormais intègre dans son champ la Fonction publique d’Etat, la Fonction publique Territoriale et la Fonction publique Hospitalière.
C’est une situation inédite en Europe, peut-être une référence, et nous fêtons cette année le 30ème anniversaire du statut. Pourtant les attaques n’ont pas manqué !
Comment analysez–vous cette construction, ses fondements, la force qui s’y attache?
Anicet Le Pors :Avant d’arriver au gouvernement, avec mon ami René Bidouze – prédécesseur de Thérèse Hirzsberg à la tête de l’UGFF et qui sera directeur de mon cabinet – nous avions travaillé sur les ajustements du statut général des fonctionnaires qui nous apparaissaient nécessaires pour le moderniser. La démarche générale était d’intégrer dans le statut ce qui avait été écarté par l’ordonnance de 1959 qui avait opéré un partage différent de la situation antérieure entre la loi et le décret : le statut de 1946 comptait 145 articles, l’ordonnance de 1959, 57. Nous souhaitions également mettre dans la loi ce qui était cantonné jusque-là dans la jurisprudence en améliorant et rationalisant l’ensemble. Le renforcement de la base législative du statut général nous semblait une meilleure garantie pour l’avenir et la condition d’une cohérence satisfaisante.
Arrivés au gouvernement, il a fallu répondre à la priorité donnée à la loi de décentralisation décidée par le Président de la République François Mitterrand. Des garanties statutaires étaient promises par le ministre de l’Intérieur Gaston Defferre en charge du dossier. Ce projet ne pouvait manquer d’avoir des implications sur les fonctionnaires de l’État, les seuls fonctionnaires existant à l’époque, les agents des collectivités territoriales étant régis par le Livre IV du code des communes. Nous avons eu rapidement le sentiment que Gaston Defferre entendait essentiellement améliorer ce texte qui caractérisait une Fonction publique d’emploi, plus précaire que le régime de la carrière du statut général. Il y avait là, outre que l’amélioration de la situation statutaire des agents des collectivités territoriales aurait été limitée, un risque de dénaturation du statut général existant. Nous avons alors décidé de défendre l’idée du système de la carrière pour tous. Des tensions avec le ministère de l’Intérieur se sont développées et j’ai demandé et obtenu du Premier ministre Pierre Mauroy, de pouvoir intervenir dès l’ouverture du débat sur la décentralisation à l’Assemblée nationale aussitôt après le ministre de l’Intérieur le 27 juillet 1981 soit à peine plus d’un mois après notre entrée au gouvernement.
Passons sur les péripéties qui ont suivi. Finalement, Pierre Mauroy a arbitré en faveur d’une Fonction publique de carrière pour tous. Restait à mettre en forme un système qui devait à la fois marquer l’unité de la Fonction publique française et sa diversité. Il n’était pas facile de trouver le bon équilibre. Finalement il a été décidé de construire un ensemble unifié avec un premier titre consacré aux droits et obligations de tous les fonctionnaires, puis trois titres consacrés respectivement à la Fonction publique de l’État, des Collectivités Territoriales, Hospitalière. Ultérieurement, un projet statutaire m’a opposé au ministre chargé de la Recherche, Jean-Pierre Chevènement, qui souhaitait un statut autonome pour les agents des établissements publics de recherche ; ils ont finalement été intégrés à la Fonction publique de l’État en position très dérogatoire. C’est ce qu’on a appelé une Fonction publique « à trois versants ».
« Fonction Publique » : Pourrait-on avoir quelques précisions sur la manière dont chacun se situait au regard des propositions formulées.
Anicet Le Pors : Quel était le contexte ? S’agissant des syndicats, s’ils se sont montrés finalement d’accord avec la solution proposée à l’issue d’une concertation sans précédent, ils ne marchaient pas du même pas, ce qui explique l’échelonnement dans le temps des différentes lois, de 1983 à 1986. Les élus et leurs associations étaient plutôt réservés, craignant de voir leurs prérogatives réduites par un encadrement statutaire plus strict. L’opposition politique nous a successivement accusés de vouloir faire un statut communiste, puis socialiste, avant de réduire ses critiques faute de grain à moudre devant l’affirmation qu’il s’agissait d’un statut républicain. Nous avons bénéficié de deux chances. La première, a été le soutien constant du Premier ministre Pierre Mauroy, lui-même ancien fonctionnaire, syndicaliste, auquel je veux rendre hommage. La seconde, est le peu d’intérêt porté par le Président de la République à ces questions. Il ne se manifestera guère qu’en 1985 lors du passage en conseil des ministres de la loi sur la Fonction publique hospitalière, regrettant cette architecture selon lui trop lourde et pronostiquant : « Je ne suis pas sûr, en définitive, que ces lois aient longue vie ». Ce trentième anniversaire témoigne de son erreur de jugement.
Si le statut a résisté à toutes les attaques dont il a été l’objet durant cette période, c’est sans doute en raison de sa solide architecture juridique. Mais c’est surtout parce qu’il a été fondé sur des valeurs, des principes enracinés dans notre histoire. Le principe d’égalité, qui a sa source dans l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui indique que l’on accède aux emplois publics sur la base des « vertus » et des « talents » et dont nous avons déduit que c’est par concours que l’on entre dans la Fonction publique. Le principe d’indépendance, issu de la loi sur les officiers de 1834 d’après laquelle « le grade appartient à l’officier et l’emploi au Roi », la séparation du grade et de l’emploi caractérisant le système de la carrière et protégeant le fonctionnaire de toutes pressions. Le principe de responsabilité, par référence à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme imposant à l’agent public de rendre compte de sa mission à la Nation et fondant la conception du fonctionnaire-citoyen opposée à celle du fonctionnaire-sujet.
Jean-Marc Canon :Revenir sur la période de 1983-86, ce n’est pas de considérer qu’en fêtant le trentième anniversaire du statut, on est dans la commémoration d’un vestige. On serait en train de saluer une création du passé qui n’aurait d’intérêt que parceque,justement, ce serait une création du passé.
Au contraire, ce qui est en question, c’est reconnaître que le statut de 1983-86 constitue encore aujourd’hui un dispositif résolument moderne et constitutif d’un socle porteur d’avenir.
Car, ce qui a été posé en 1983 est quelque chose qui est non seulement contemporain et contemporain au sens ou cela appelle toujours des choses positives pour le futur.
3 axes extrêmement forts ont été fondateurs du statut de 1983 :
La réaffirmation, pas simplement principielle, dans la réalité du texte, du fonctionnaire citoyen. Le statut de 1946 en avait déjà porté les jalons. Une des forces du statut de 1983 a été de le transcrire de manière plus forte, c’est à dire en rompant radicalement avec l’idée qui avait prévalu pendant des décennies, que certains portaient encore en 1983 et portent encore aujourd’hui, que le fonctionnaire est un sujet et avant tout au service de l’Etat en se taisant. Des thèses ont été réalisée sur le sujet ainsi celle d’Olivier Baruch sur « servir l’Etat français ».
Dans les textes de 1983, des choses très fortes sont marquées dans la loi. La citoyenneté de fonctionnaires est inscrite dans le marbre. Et comme, il n’y a pas de citoyenneté sans droit syndical et sans droit de grève, le statut reconnait ces droits et les assoit sans ambiguïté.
Les dispositions autour du droit syndical portent des choses extrêmement importantes que je n’hésiterai pas à qualifier de révolutionnaires tant elles portent des choses extrêmement importantessur l’aspect expression, liberté, citoyenneté de l’agent de la Fonction publique.
Deuxième point, un axe qui garde encore aujourd’hui toute sa pertinence, c’est la Fonction publique de carrière. Le statut de 83-86 arrime la conception d’une Fonction publique de carrière, dans laquelle le grade est distinct de l’emploi et qui se distingue de beaucoup de fonctions publiques qui nous entourent où nous avons des fonctions publiques d’emploi.
Dans cette conception d’une Fonction publique de carrière, les droits et garanties des fonctionnaires sont autant de droits et garanties pour les citoyens. La Fonction publique de carrière n’est pas simplement un avantage supposé qu’on donnerait aux agents de la Fonction publique, c’est avant tout le fait de dire qu’on donne les moyens à l’agent public d’être indépendant et neutre dans l’intérêt de ses missions au compte de l’intérêt général.
Troisième point, c’est un statut qui pose le fait qu’on a 3 versants de la Fonction publique qui s’organisent à partir d’un titre 1 qui porte les droits et obligations et qui, avec les titres 2, 3 et 4, s’articule autour du titre 1 avec leurs spécificités, de manière complémentaire.
Une partie des attaques de la droite libérale au cours de ces années visait à revenir sur cette conception d’un statut commun.
Enfin, pourquoi ce statut est contemporain et moderne, c’est qu’il a su traverser le temps. Aujourd’hui, le statut est là. Dans les 30 années écoulées, il a subi des modifications répétées, 200 modifications législatives et 300 modifications réglementaires. On est loin de l’image d’Epinal d’un fonctionnaire et d’un statut qui ne bougerait pas. En dépit de ces modifications, des attaques frontales et des reculs imposés (loi Galland, 30ème indivisible,…), l’essentiel de ce qui fonde le statut depuis 1983 est demeuré, ce qui montre que cette conception du statut était extrêmement bien pensée et forte. Elle n’a pu être complètement détricotée en dépit des boutons qu’elle générait –et qu’elle génère toujours- à un certain nombre de responsables politiques qui se sont succédé aux affaires.
Baptiste Talbot :Je n’ai pas vécu la période, mais je souligne l’émotion réelle avec laquelle les camarades qui ont vécu cette époque évoquent la période 1982-1984 qui a vu s’opérer de manière complémentaire la décentralisation et la mise en place du Statut de la Fonction publique territoriale.
Cela aurait été une erreur profonde de donner davantage de pouvoirs aux élus locaux, s’il n’y avait pas eu à côté des garanties statutaires pour les agents, garanties qui sont d’abord des garanties pour les usagers. Elles sont aussi un garde-fou indispensable par rapport aux élus (favoritisme, clientélisme).
Cette période a été vécue comme une forme d’accession à la majorité pour l’agent public, pour le service public territorial et pour la démocratie locale. Cela a été un saut démocratique extrêmement important.
Les critiques portées à l’époque demeurent, en particulier le pouvoir trop important laissé aux élus locaux en matière de gestion de personnel. On n’a pas pu aller jusqu’au bout de la logique de gestion collective, comme l’illustre le maintien du pouvoir de nomination laissé aux élus.
De manière rétrospective, alors que le Statut a toujours été attaqué, de l’après-guerre jusqu’à nos jours, ce qui frappe, c’est sa vitalité. Si on considère le corpus statutaire, y compris les décrets qui font référence au statut, on a une matière extrêmement vivante qui évolue au quotidien, en fonction des besoins et bien entendu du rapport de forces.
Le Statut concerne plus de 5 millions de salariés et est, de ce fait, un cadre de référence pour l’ensemble du salariat de notre pays, voire au-delà. Sa vitalité atteste du fait qu’il existe dans le pays un besoin profond d’une puissance publique forte, structurée dans son intervention et ses règles de fonctionnement.
Je veux en outre mettre en évidence le lien entre garanties statutaires et maîtrise publique des missions, c’est aussi cela la vitalité du statut. Ces garanties ont joué un rôle clé dans le maintien dans le giron de la Fonction publique d’un certain nombre de missions essentielles pour la population.
Bernadette GROISON : Ce qui est intéressant en fêtant un anniversaire, ce n’est pas tant l’événement que ce que l’histoire nous enseigne. Il est donc important de voir les raisons qui ont amené à la construction du statut de la Fonction publique.
1983 a marqué un tournant positif dans cette histoire. Cela a été possible parce que certains portaient alors une certaine conception de la société et de la Fonction publique. C’est bien la définition d’un modèle social qui s’est jouée autour de la fonction publique en 1983.
Il y a eu une prise de conscience de la nécessité de faire évoluer les choses. Le propos que rapporte Anicet Le Pors sur F. Mitterrand disant que « ces lois ne dureront pas longtemps » montre qu’il n’avait pas compris,alors que l’on était à un moment historique, que ces lois étaient indispensables, qu’elles correspondaient à un besoin et qu’il n’y aurait pas de retour sur l’histoire.
Par rapport à ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui, notamment avec le projet de loi sur la déontologie, ce qui est important, c’est le choix politique qui est porté pour la Fonction publique et la conception que cela en induit.
L’anniversaire nous lègue 3 principes, sans cesse remis en cause et qui pourtant ont encore du sens aujourd’hui. Les gouvernements successifs, surtout ceux de droite, ont cherché à les vider de leur sens par exemple en renonçant à des recrutements statutaires, développant une précarité importante, en essayant de remettre en cause la Fonction publique de carrière, en mettant à mal le principe de responsabilité… Ce principe de responsabilité qui est un principe très important. D’ailleurs c’est un débat d’actualité : le fonctionnaire doit-il obéissance, silence ou est-ce que c’est un fonctionnaire-citoyen, c’est-à-dire en responsabilité ? C’est un sujet très contemporain. Savoir, pour les agents qui font vivre la Fonction publique, les principes et moyens d’intervention qui leur sont reconnus donne la conception qu’une société se fait de l’action publique.
Ce qui est intéressant à travers cette histoire, est de voir ce qu’elle nous apprend pour aujourd’hui, faire vivre la Fonction publique au regard de besoins qui évoluent. La Fonction publique doit s’adapter parce que la société évolue mais sans trahir les principes fondateurs qui restent d’une actualité criante.
A la FSU, on parle souvent de LA Fonction publique car il y a bien une conception de la Fonction publique qui fait sens commun. Et ensuite, nous entrons de manière plus précise sur les différents sujets propres à chacune des fonctions publiques. Il y a eu ces dernières années une volonté d’harmoniser les 3 versants. Nous avons toujours été vigilants face à cela car d’une part il existe des spécificités mais aussi parce que la plupart du temps, cette volonté vise à aligner vers le bas les droits des uns ou des autres. L’enjeu est bien de faire vivre ces spécificités dans le cadre d’une seule et même Fonction publique.
Anicet Le Pors :J’ai souligné l’importance des valeurs fondatrices de la conception française de la Fonction publique et de son statut général. Ce sont les produits essentiels d’une histoire longue. Philippe le Bel, en créant le Conseil d’État du roi, a la fin du XIII° siècle, a entendu faire une différence entre les affaires du royaume, le domaine public, et les affaires privées. La monarchie a pratiqué la vénalité des charges, mais a aussi doté notre pays d’une administration forte et structurée. La Révolution française a posé des principes que j’ai précédemment évoqués. Le XIX° siècle et la première moitié du XX° siècle ont été dominés par le principe hiérarchique, mais ont connu aussi la théorisation de l’École française du service public. Progressivement les fonctionnaires ont acquis des droits et des garanties par la loi et la jurisprudence (accès au dossier, rémunérations, détachement, rapprochement des couples de fonctionnaires, reconnaissance de fait des syndicats). Passons sur un statut inspiré de la Charte du travail du régime de Vichy en 1941. On mesure l’importance du statut général des fonctionnaires de 1946 qui a posé les principales bases de la conception statutaire qui est la nôtre aujourd’hui.
Je crois utile de préciser que, si au sens strict le statut est constitué par les quatre titres législatifs précités, on peut lui rattacher également nombre de décrets, notamment en ce qui concerne la Fonction publique d’État. C’est le cas, par exemple, de quatre décrets du 28 mai 1982 sur les organismes de gestion paritaire de la Fonction publique et sur le droit syndical, comportant, en particulier, l’institution de l’heure mensuelle d’information syndicale. D’ailleurs, dès le mois d’août 1981 avaient été signées des circulaires sur l’utilisation des locaux administratifs pour des besoins autres que de service – ce que le journal Le Figaro avait interprété par un titre « La chienlit au bureau » – et sur la réactivation des comités techniques paritaires.
S’agissant de la revendication parfois évoquée d’un statut unique ou unifié. Je comprends que cette revendication a un fondement légitime : des textes comme la loi Galland du 13 juillet 1987 ont introduit ou développé des différences entre fonctions publiques et notamment entre les fonctionnaires territoriaux et les fonctionnaires de l’État, par exemple,en remplaçant les corps par des cadres d’emploi dans la Fonction publique Territoriale. Toutefois, la dialectique unité-diversité a rencontré et correspond toujours à certaines justifications. Comme je l’ai indiqué, lors de l’élaboration il n’y avait pas unité de vue dans la concertation. Ensuite, l’article 72 de la constitution posant le principe de libre administration des collectivités territoriales imposait que soient traitées par la loi des dispositions qui, dans la Fonction publique de l’État, relevaient d’un simple décret. Enfin, l’articulation des quatre titres constitue en tout état de cause un ensemble unifié. La revendication de statut unifié est ambiguë : à quel niveau se ferait cette unification ? Nicolas Sarkozy était favorable à une unification généralisant le recrutement par contrat de droit privé conclu de gré à gré. Olivier Schrameck, alors conseiller technique au cabinet de Gaston Defferre, proposait il y a quelque temps la Fonction publique Territoriale comme avenir de toute la Fonction publique. Je doute qu’il y ait une expression satisfaisante à ce sujet et, pour ma part, je préfère parler d’ « égalité des droits et des garanties » pour tous les fonctionnaires.
« Fonction Publique » : Dans le secteur privé, 2013 est l’année de l’ANI avec une attaque sans précédent contre le droit du travail.
Dans la fonction publique, la situation est à première vue contradictoire : le projet de l’ancien président qui voulait que le nouvel entrant dans la Fonction publique puisse avoir le choix entre le statut et le contrat de droit privé a échoué. On peut mettre cela au compte des luttes et de l’attachement de la population au service public.
Il demeure des attentes fortes, celles de voir abroger un certain nombre de textes régressifs. Ces attentes sont aussi liées à ce que vivent les agents publics : le gel de la valeur du point d’indice, des carrières bloquées pour beaucoup. Il y a aujourd’hui un million de non-titulaires.
Une loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires est en cours d’élaboration.
Répondra-t-elle aux attentes?
Jean-Marc Canon : Regarder l’histoire, c’est comprendre aujourd’hui et demain. Regarder la construction du statut général dans sa forme de 1983, les enjeux politiques de la période, ce n’est pas simplement regarder l’histoire pour l’histoire mais pour nous enseigner sur ce que nous sommes aujourd’hui et seront demain.
Le statut n’est pas une abstraction. Regarder cette construction apporte énormément aux enjeux de la société aujourd’hui.
Le statut général a été l’objet de nombreuses attaques des gouvernements successifs et je n’exempte pas les gouvernements de gauche. Mais, il est objectif de dire : « ils n’ont pas gagné ». Ce qui fonde le statut, le grand ensemble, reste d’actualité. En dépit des multiples rapports de Longuet à Picq, qui auraient conduit à une Fonction publique réduite aux acquêts à 300 000 fonctionnaires…ou une Fonction publique essentiellement constituée de non titulaires.
On n’en n’est pas du tout là, c’est le résultat des luttes. Le statut actuel concentre aujourd’hui encore des questions fondamentales, au centre des enjeux de citoyenneté de la société.
Sur les points les plus saillants, sur lesquels nous avons besoin de porter notre réflexion:
La politique de l’emploi public. Pour la CGT, il y a certes une différence entre la politique de non remplacement d’un départ en retraite sur deux et la politique de la gauche de stabilisation globale des emplois de la Fonction publique, mais elle ne peut pas être satisfaisante.
En stabilisant l’emploi, la majorité actuelle consacre les suppressions massives intervenues sous la présidence Sarkozy.
La politique actuelle créée des emplois dans les ministères prioritaires, mais on fait porter sur d’autres secteurs des coupes massives d’emplois publics de manière supplémentaire ainsi, par exemple, dans l’administration fiscale alors que la fraude fiscale est estimée à 60 à 80 milliards par an, à un poids supérieur au paiement de la dette. Il y a là une aberration importante. Le niveau de l’emploi doit correspondre aux missions qui sont dévolues à la Fonction publique et non pas à des visions macro économiques qui font de l’emploi public une variable d’ajustement.
Aujourd’hui, il y a entre 800 000 et un million d’agents non-titulaires sur les 3 versants. C’est un sujet majeur parce que cela a des conséquences pour les agents en situation de précarité et pour le statut avec l’atteinte au principe que, dans la Fonction publique, les emplois permanents doivent être pourvus par des fonctionnaires.
Il s’agit là d’un enjeu nécessitant des luttes solidaires de tous les instants.
Que l’on soit pour ou contre, il y a eu au moins 3 plans pluriannuels de titularisation depuis 1983. On constate qu’à l’issue de ces plans, les employeurs publics embauchent encore plus de non-titulaires. Il faut titulariser les agents en place, mais il faut surtout se donner les moyens statutaires par la loi et les décrets d’arrêter le recours massif au non titulariat.
Il faut rompre avec la RGPP et les soubassements d’une partie de la MAP. On ne peut réfléchir la nécessaire modernisation de l’Etat uniquement en voulant adapter les structures à une volonté de réduire l’intervention publique. Il est nécessaire de rompre avec l’assujettissement aux intérêts particuliers et aux lois du marché.
Evidemment, on ne peut passer sous silence la question des salaires y compris sous l’angle que, avoir un traitement qui permettent aux fonctionnaires d’avoir les moyens de vivre dignement, c’est un des fondements de la Fonction publique de carrière. On ne peut continuer avec la politique actuelle qui fait que, un agent de catégorie C quand il est recruté au SMIC, au bout de 17 ans gagne moins de 29 euros par moisau dessus de celui-ci !
Pour terminer, il est impossible de penser la Fonction publique dans un cadre de politique d’austérité qui fait de la compression des dépenses utiles l’unique moyen qu’on aurait de résoudre la dette et les déficits publics.
Bernadette GROISON :La remise en cause de la Fonction publique se fait généralement en tentant de faire croire qu’elle appartient à la seule histoire.
Ces dernières années, le gouvernement de droite a tenté de faire croire à l’opinion que la Fonction publique était une idée ancienne. Un tel statut était de fait archaïque et n’avait paraît-il rien à voir avec la société moderne, ses évolutions, la construction de l’Europe…De plus cela venait de la libération, du Conseil National de la Résistance donc d’un gouvernement de gauche et donc c’était suspect…Il est assez facile, dans une société où l’histoire en tant qu’élément d’enseignement n’est pas forcément entretenue et intégrée par tout un chacun, dans une société qui doute, de faire passer l’idée que pour dépoussiérer tout cela il faudrait purement et simplement abandonner certains principes et un statut considéré comme un frein à toute évolution. La droite a même essayé d’introduire des éléments de gestion venant du privé, le fameux « management », qui n’ont pas leur place dans la Fonction publique parce qu’ils reposent sur une logique d’individualisation (salaires et primes au mérite, logique de mise en concurrence…) alors que la Fonction publique repose sur l’intérêt général. Tout cela a contribué à déstabiliser la Fonction publique.
Mais les citoyens y sont attachés même si dans le même temps, des dysfonctionnements appellent parfois des critiques. La question de la Fonction publique, des services publics, est une question de société. Les choix qui sont faits en cette matière sont des choix de société. Stéphane Hessel nous a laissé dans la préface de notre ouvrage « Fiers du service public », cette définition selon laquelle les services publics sont une question de « dignité humaine et de cohésion sociale ». C’est une formule intéressante à l’aube du XXIème siècle. Et nous, qui sommes porteurs d’un syndicalisme de transformation sociale, nous sommes porteurs de cette idée que la Fonction publique est une organisation sociale qui repose sur des principes et valeurs : solidarité, égalité, justice…Le modèle social que nous défendons est un modèle de cohésion sociale dont la Fonction publique et les services publics sont des éléments clés. Il s’agit aussi de garanties dans le fonctionnement démocratique de notre société.
Et le statut est en cela un outil qui a fait la preuve de sa capacité d’adaptation pour assurer toujours mieux ce rôle social. Il est un ensemble de droits et obligations pour les agents qui sont autant de garanties pour les usagers. Il est l’expression de la différence entre intérêts particuliers et intérêt général, ce qui est bien plus que la somme des intérêts particuliers.
C’est cela qui est souvent remis en cause. Dans le contexte de crise et de celui de la RGPP, ce gouvernement comme le précédent prône de réduire toujours plus les dépenses publiques, ce qui par ailleurs conduit à condamner le rôle de l’Etat et fait l’économie d’un débat sur les origines de la crise (subprimes et spéculation…).Il faut cependant se rappeler le premier discours de N.Sarkozy concernant le non remplacement d’un fonctionnaire sur 2 partant à la retraite. Il n’expliquait pas cela en raison de la crise (c’était juste avant) mais en raison d’un projet politique. Il s’agissait de diminuer le rôle de l’Etat sur l’ensemble du territoire. Nous ne sommes pas aujourd’hui sortis véritablement de cette logique.
Le premier enjeu, la FSU l’a dit la conférence sociale, est donc maintenant que le gouvernement ait un discours fort sur le rôle que doit aujourd’hui jouer l’Etat, et donc la Fonction publique, pour sortir de la crise et pour préparer l’avenir. Ce qui est attendu c’est un engagement qui conforte la Fonction publique dans son action comme dans ses moyens et que soit clairement soutenu qu’il s’agit bien d’un investissement d’avenir. Cela suppose de sortir des logiques des politiques d’austérité.
Il y a ensuite un véritable enjeu en termes d’emploi. La Fonction publique c’est déjà 20 % de l’emploi en France. Et dans le contexte de chômage actuel, le gouvernement doit faire de l’emploi public un levier. Or, si des emplois sont créés dans certains secteurs, ce qui est positif, cela se fait au détriment d’autres secteurs. On est dans une logique de redéploiement qui ne permet pas de répondre aux besoins de la société. La question essentielle est de partir non pas d’une logique comptable mais des besoins, besoins qui évoluent dans le temps et sur l’ensemble du territoire. Cela doit amener à réinterroger les périmètres de l’Etat. Ainsi par exemple au regard des évolutions démographiques, nous pensons à la FSU qu’il est nécessaire de mettre en place un service public de la petite enfance tout comme il faut un service public pour accompagner les personnes âgées ; qu’au regard de la nécessaire transition écologique, la Fonction publique a un rôle plus important à jouer. Tout cela interroge les principes comme l’égalité, mais aussi l’action publique comme la question de savoir quels servicesvont remplir quelles missions pour quelle proximité pour les usagers, ou encore la question des coûts…La décentralisation aurait dû être ce rendez-vous avec un véritable débat sur le rôle de l’Etat, décentralisé comme déconcentré. Ce raté sur la décentralisation est révélateur du manque d’ambition du gouvernement sur ce sujet. Il y a une responsabilité syndicale à faire de la Fonction publique un enjeu du 21ème siècle.
Baptiste TALBOT : Le Statut a passé un test de résistance et de modernité avec la période Sarkozy. Celui-ci n’a pas gagné dans sa bataille culturelle contre la Fonction publique. D’une certaine manière, nous avons été aidés par la crise qui fait apparaître encore plus le besoin d’intervention publique.
Pour autant, la Fonction publique a été présentée durant de longues années comme un carcan et un fardeau financier pour la Nation. Cette campagne a fait des dégâts. Ce qu’on paie encore aujourd’hui avec un gouvernement sur la défensive sur cette question et une forme de culpabilité quand il s’agit d’assumer le fait que l’intervention publique a un coût.
Il nous faut pousser l’idée que la Fonction publique c’est d’abord un investissement indispensable, pour la réponse aux besoins et pour le développement économique.
Il est important par ailleurs de prendre en compte sur ce qui se passe dans la tête des fonctionnaires, dans un contexte global de montée de l’individualisation. Les agents s’interrogent légitimement sur leur propre devenir. Il y a une série de tensions qui traversent la Fonction publique avec l’aspiration des individusà être reconnus et à se réaliser, dans un cadre régi par des règles collectives. Tension aussi entre les contraintes liées au service de l’intérêt général et la reconnaissance du travail, notamment en terme salarial. Cela renvoie à la problématique des moyens.
On a aussi une société qui se technicise et se complexifie, et la professionnalisation et la spécialisation qui en découlent peuvent entrer en tension avec le service de l’intérêt général. Il y a fort besoin de développer le sens de l’intérêt général dans les recrutements et la formation, et d’entretenir cette culture du service de l’intérêt général au cours de la carrière.
Anicet Le Pors:S’agissant de la Fonction publique, je soutiens que l’on ne peut pas mettre un signe d’égalité entre les présidents Sarkozy et Hollande. Nicolas Sarkozy avait préconisé en 2007 une « révolution culturelle » dans la Fonction publique à base de contractualisation. Le Livre Blanc de Jean-Ludovic Silicani en avait engagé la réalisation. Mais l’aggravation de lacrise financière ayant montré la fonction d’ « amortisseur social » du service public, l’entreprise a échoué. Il ne fait pas de doute, pour moi, que s’il avait été élu, la suppression du statut général des fonctionnaires aurait figuré parmi ses premières priorités. Avec François Hollande, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Ce que l’on peut craindre, c’est le manque d’ambition. On pourrait s’attendre avec ce gouvernement à une annulation des atteintes portées au statut, ce qui est facile à faire et ne coûte rien. Il est vrai que les conditions dans lesquelles a lieu le débat sur l’Acte III de la décentralisation ne créent pas des conditions favorables. La déontologie est une préoccupation juste, mais peut entrainer une confusion sur le terrain statutaire en créant une sorte de concurrence à l’égard du statut général. Car de deux choses l’une, ou bien le statut présente des points faibles sur certaines questions, alors il faut le compléter, ou bien ce n’est pas le cas, alors il suffit de décrets ou de circulaires pour préciser tel ou tel point. René Cassin, membre du gouvernement de la France libre et prix Nobel de la paix n’auraittrouvé dans aucun code de déontologie ce qu’il devait faire durant la seconde guerre mondiale.
Car, dans le cadre général du statut et sur la base des principes républicains qui le fondent, c’est sur la responsabilité personnelle du fonctionnaire qu’il faut se situer. On utilise couramment des expressions telles que « principe hiérarchique », « obligation de réserve » ou « devoir d’obéissance », mais aucune de ces formules ne figure dans le statut général, et s’il en est ainsi c’est parce que nous l’avons voulu. Non pour contester une certaine réalité de ces concepts, mais pour mettre d’abord l’accent sur la responsabilité propre du fonctionnaire qui n’est niun soumis, ni un sujet, ni un exécutant passif, mais un homme, une femme, exerçant la plénitude de sa citoyenneté.
Jean Marc Canon :L’acte 3 de la décentralisation est dans les rendez-vous majeurs manqués. Il n’y avait pas d’urgence absolue à traiter le dossier. On aurait du prendre le temps nécessaire pour le traiter à bien.
Je pense qu’il aurait fallu une réflexion sur une autre répartition de compétences, entre l’Etat et les différents niveaux des collectivités territoriales, région, département, communes.
Le projet de loi porte pour l’essentiel sur la réorganisation des strates de la Territoriale plus qu’elle ne transfère des missions de l’Etat. Il aurait fallu un état des lieux.
Certes il y a un manque d’ambition et de lisibilité totale de la réforme. Plus personne ne sait très bien où on en est. Par ailleurs le premier projet qui porte sur les métropoles pose question. Les richesses vont se concentrer sur un certain nombre d’entités, en même temps qu’elles vont concourir au dépérissement de territoires.
« Fonction Publique » : Le statut est une référence forte pour les agents de la Fonction publique mais également pour l’ensemble de salariés. Quelles propositions aujourd’hui pour faire vivre le statut, le renforcer, répondre aux enjeux de société, mais aussi aux attentes nouvelles des personnels en matière de mobilité ou de déroulement de carrière par exemple ? Cette revendication peut-elle s’entendre alors que dans le privé, le droit du travail se fragilise et que le chômage atteint des chiffres record ? Cette revendication de droits nouveaux peut-elle s’entendre pour les usagers citoyens qui subissent la dégradation du service public, les fermetures des services publics de proximité. Autrement dit, les droits des fonctionnaires n’ont-ils pas à voir avec les droits du citoyen?
Baptiste TALBOT : Anicet a dit qu’il n’est pas possible de régler le débat sur unité et spécificité, mais c’est une question qui doit continuer à nous animer. L’analyse qu’en fait la CGT est qu’il y a, de fait, une complémentarité de plus en plus étroite entre l’Etat et les collectivités.
Cela pose des questions statutaires, on est davantage sur un statut unifié qu’un statut unique, avec cette idée qu’il y a besoin d’unifier davantage dans le cadre d’un processus. Il s’agit aussi de répondre à la question des aspirations des agents à évoluer, tant professionnellement que géographiquement, en développant des passerelles entre versants.
Les évolutions de la société font que l’on finit de moins en moins sa carrière où on l’a commencée, évolutions qui correspondent à la fois à des besoins collectifs en constante mutation et aussi à des problématiques individuelles.
J’insiste sur le fait que les principaux défenseurs de la spécificité territoriale sont les employeurs. Cela doit nous interpeller en tant qu’organisation syndicale. Ils sont toujours les premiers à sortir du bois sur cet aspect, car il y a bien là un enjeu de pouvoir.
La CGT considère, du point de vue des intérêts des agents et des usagers du service public, qu’on a besoin de travailler à une unification.
D’un point de vue plus général, il y a besoin de développer les droits d’intervention des personnels et des usagers.
On défendra toujours mieux la Fonction publique si on en fait toujours plus un outil démocratique dont les usagers sont également acteurs. Acteurs au sens plein, avec les décisions et appréciations qu’ils portent au moment des échéances démocratiques mais aussi acteurs de leur service public avec la possibilité régulière d’expression sur les besoins et la manière dont il est rendu.
Ce pourrait être un beau sujet de travail avec nos camarades de la FSU dans la période qui s’ouvre.
Sur la question du débat national nécessaire sur ce qu’est et devrait être le service public et le bilan des réformes passées, privatisations comprises, nous devons rester offensifs, d’autant que le gouvernement commence à se ranger à cette idée avec un début d’engagement lors de la conférence sociale.
Bernadette GROISON : Comment faire vivre le statut ? Le gouvernement dit, au travers du projet de la loi déontologie, qu’il faut conforter le statut, dont acte. Il y a un début de prise en compte lors de la dernière conférence sociale, du rôle que joue dans notre pays la Fonction publique, le service public, c’est un premier pas. Mais il faut maintenant aller au-delà du discours.
Et défendre le statut, le conforter, le faire vivre suppose une conviction qui aille au-delà de mesures pour les agents. Cela concerne tous les citoyens. Encore faut-il que cette idée que le statut est une garantie pour tous soit partagée. La place des usagers dans le fonctionnement des services publics, qui n’existent pas ou assez peu, est importante. A la fois pour cette prise de conscience sur une Fonction publique qui appartient à tous mais aussi comme enjeu démocratique. Nous avons quelques exemples, certes perfectibles, mais qui existent comme dans l’Education où les parents d’élèves participent à des instances de consultation avec des formes de représentativité reconnues. Si nous pensons que la Fonction publique est révélatrice d’un choix de société, du « vivre ensemble » et du fonctionnement démocratique, on ne la confortera pas sans les usagers. C’est un vrai enjeu de démocratie. Bien évidemment conforter la Fonction publique, c’est aussi traiter mieux ses agents. En termes d’emploi, de formation et de qualification mais aussi de salaires et de déroulement de carrière. Nous avons ensemblefixé des perspectives pour obtenir la fin du gel du point d’indice et une revalorisation des salaires. C’est une reconnaissance importante. Il nous faudra aussi être offensifsdans le débat qui s’ouvre sur les retraites.
Il faut aussi apporter des réponses aux attentes des agents comme par exemple en matière de mobilité et de déroulement de carrière, de mobilité choisie…Cela fait partie d’un travail de propositions que l’on peut faire ensemble. Il s’agit bien ainsi de faire vivre le statut. De même en matière de droits et libertés syndicales, nous avons commencé de porter ensemble des revendications pour obtenir des avancées (droit de grève…). Nous devons continuer car si cela ne se fait pas sous un gouvernement de gauche, elles n’auront jamais lieu…Il s’agit bien à travers les évolutions de la Fonction publique, de donner des perspectives pour l’avenir.
Jean Marc Canon :Dans les enjeux d’avenir, qui se posent dès maintenant, il faut se réapproprier le débat sur l’appareil d’Etat et la Fonction publique. On a besoin de réfléchir parce que, en face, les gouvernements et le patronat réfléchissent de leur côté à l’appareil d’Etat dont ils ont besoin et qu’ils veulent.
Le statut des fonctionnaires est aussi une des conséquences de ce qu’on pense de l’appareil d’Etat.
On a besoin de réfléchir aux enjeux du statut avec les besoins de population et de la société, dans les termes contemporains dans lesquels ils se posent et qui ne sont plus les mêmes qu’il y a 30 ans, ainsi, par exemple, pour la petite enfance ou les personnes âgées. A cet égard, une des vertus cardinale de la Fonction publique est l’adaptabilité.
Dans les enjeux à porter dans le futur proche, figurent les accords de Bercy. On n’a pas encore pris à cet égard la donne de ce qu’ils impliquent à tous les niveaux, au travers des processus de négociation, d’accords majoritaires même s’il ne s’agit pas de cogérer et si on reste dans une disposition statutaire et réglementaire.
Anicet a dit les dangers qu’il y aurait eu avec la réélection de Sarkozy. Il y aurait eu, à l’évidence, une attaque frontale contre le statut général des fonctionnaires. Il faut renforcer le statut général. Mais également, celui-ci doit apporter les réponses nouvelles. Enfin, on parle souvent de statut unique, unifié, cela provoque débats et interrogations.
« Fonction publique » : Oui, mais au delà du terme, quel contenu ?
Jean Marc Canon : Cela veut dire élargir et renforcer les garanties des fonctionnaires notamment via le titre I. Il faut abroger et revenir sur un certain nombre de dispositions régressives, abroger la loi Galland et revenir dans la Fonction publique Territoriale à la notion de corps, abroger le dispositif sur les reçus-collés. Lorsqu’on passe unconcours, on doit avoir la possibilité d’être nommé. On ne doit pas confondre la libre administration territoriale avec une espèce d’autonomie de gestion qui confèrerait aux autorités territoriales le pouvoir de se dispenser des normes statutaires.
Pour l’Etat, il faut abroger le trentième indivisible. Il faut revenir à l’esprit de la loi de 1982 et qu’on puisse cesser le travail sur des plages horaires et avoir des retenues de salaires proportionnelles.
Sur ce que j’appelle le statut unifié, il faut réfléchir en terme positif et de valeur ajoutée. Sur les 2 versants, voir les 3, il y a des enjeux de complémentarité énormes. Sans gommer les spécificités, il faut renforcer les passerelles, autour des garanties des agents qui y sont. Qu’on soit pour ou contre, il y a aujourd’hui des entités publiques qui ont, en leur sein, sur des missions complémentaires, des personnels qui sont de l’Etat et de la Fonction publique Territoriale. C’est vrai de la communauté éducative, lycées et collèges, ou dans le secteur des routes et des infrastructures. Un des enjeux est de se poser les questions de savoir comment on renforce les garanties et comment on favorise des garanties statutaires homogènes et cohérentes pour des agents qui travaillent sur le même secteur de missions.
Anicet Le Pors : Pour ma part, je hiérarchiserais mes propositions en quatre niveaux.
Tout d’abord, il faut réaliser un assainissement de la situation actuelle. J’entends par là que le statut ayant fait l’objet depuis trente ans de régressions, de dénaturations, il faut supprimer celles-ci. J’ai précédemment donné les exemples de la suppression de la liste d’aptitude et de la notion de cadre d’emploi, leur remplacement par des concours conduisant à une liste par ordre de mérite et la généralisation des corps. On peut également ajouter la suppression de la règle de la retenue du trentième indivisible en cas de grève d’une durée inférieure à la journée restaurée en 1987 par abrogation de la loi du 19 octobre 1982 ; ou encore le rétablissement de l’intégrité de la loi créant la 3° voie d’accès à l’ENA. Il semble que le gouvernement s’engage dans une telle démarche concernant les dispositions de la loi de 2007 dite de « modernisation » qui favorisait l’interpénétration public-privé. Je pense qu’il faut poursuivre en ce sens.
La Fonction publique constituant un ensemble structurel, le statut général des fonctionnaires en étant une expression, on peut évoquer un certain nombre de chantiers de cette nature qui, certes, demanderaient du temps et des moyens importants pour être mis en œuvre, mais qui pourraient, au moins, être situés en perspective. Je pense, par exemple, à la gestion prévisionnelle des effectifs et des qualifications qui pourrait faire l’objet d’une rationalisation, voire d’une modélisation poussée – opération que je n’étais pas parvenu à mettre en place pendant mon passage ministériel. On peut évoquer encore : une application plus satisfaisante de la « garantie fondamentale » de mobilité, l’organisation concrète de bi- ou multi-carrières, l’égal accès des femmes et des hommes aux emploissupérieurs des fonctions publiques qui dépend largement de décisions discrétionnaires de l’exécutif.
Je veux évoquer une question qui me tient particulièrement à cœur : comment contester efficacement l’idée répandue, bien qu’inexacte et injuste, selon laquelle les fonctionnaires seraient des privilégiés sociaux ? Les adversaires traditionnels des fonctionnaires répondent : en rapprochant le plus possible, voire en confondant les situations sur le mode du privé. C’est le type de discours qui a été développé récemment s’agissant du calcul des retraites. Je pense qu’il convient de renforcer la base législative du code du travail permettant l’instauration d’une véritable « sécurité sociale professionnelle » dans le privé, ce que j’ai appelé « un statut des travailleurs salariés du secteur privé ». Sur cette base pourrait être organisée une réelle convergence progressiste des salariés du public et du privé dans le respect de différences essentielles. Les fonctionnaires et les autres salariés sous statuts doivent aussi s’intéresser aux salariés sans statut.
Enfin, il est important, dans cette situation générale d’affaissement idéologique, d’attacher une importance particulière à la réflexion et à l’approfondissement sur les valeurs du service public et de la Fonction publique, les principes que j’évoquais précédemment (égalité, indépendance, responsabilité). Le terrain syndical et associatif me semble avoir une responsabilité particulière en ce domaine. Il faut rompre avec l’entreprise privée comme modèle du service public et le vocabulaire qui va avec. L’enracinement historique des principes appelle leur inscription dans l’histoire à venir, celle d’un monde qui voit monter les exigences d’interdépendances, de coopérations, de solidarités, c’est-à-dire, ce que nous appelons en France le service public. Le choix de la modernité, c’est le choix du service public, avec la Fonction publique et son statut général au cœur.
En conclusion des échanges (qui n’en est pas une pour le sujet) :
Les participants à la table ronde conviennent de la nécessité de poursuivre sur les premières pistes tracées. Cela appelle de la part de la CGT et la FSU d’être à l’initiative pour poser les grands éléments du débat sur la Fonction publique et faire vivre ce qu’on partage ensemble.