Le droit d’asile, son histoire, nos fondamentaux – Syndicat des Avocats de France – Colloque de Lille, 5 avril 2014

L’asile est d’abord le privilège du souverain, même lorsque l’action de celui-ci s’inscrit dans le cadre d’une réglementation internationale à laquelle il a souscrit. Le souverain c’est le peuple ou la nation, c’est la communauté des citoyens. C’est pourquoi le droit d’asile nous apprend beaucoup sur la citoyenneté. C’est en quelque sorte le miroir de la citoyenneté. Le citoyen d’ici se définit aussi par son comportement vis-à-vis du citoyen d’ailleurs. On lèvera tout une confusion fréquente. Le demandeur d’asile ne doit pas être confondu avec la personne sollicitant la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire. Il s’agit de notions distinctes : l’asile ouvre droit à un titre de séjour pour des motifs divers, la reconnaissance de la qualité de réfugié correspond à un statut juridique.

1. Quelques repères historiques de l’asile

Copie de Droit-d-asile2-CouvertureL’asile existe depuis des temps immémoriaux, mais on se limitera ici à quelques repères explicatifs du système aujourd’hui en place dans notre pays.

Par l’ordonnance  de Villers-Cotterêts en 1539, François Ier supprime l’autorité de l’Église – qui avait jusque-là le monopole de l’asile sur ses dépendances – en matière d’asile pour motif civil. Par la suite, plusieurs papes abandonneront d’autres catégories de bénéficiaires et les sanctions pour violation d’immunités. L’Ancien Régime ne se signale pas par une propension à favoriser l’asile.

La Révolution française innovera. D’abord, avec l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui classe la « résistance à l’oppression » parmi les « droits naturels et imprescriptibles ». Ensuite, et bien qu’elle ne soit jamais entrée en vigueur, la constitution de 1793 est significative à cet égard. C’est le droit à l’insurrection « le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » (art. 35) ; « Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » (art. 118) ; « Il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » (art.120).

Par la suite, au XIX° siècle et jusqu’à la première guerre mondiale, l’affirmation des nationalités en Europe fera de la France une « terre d’asile » sans grand formalisme.

Toute différente sera la période postérieure d’un XX° siècle qualifié parfois de « siècle des réfugiés », leurs flux prenant un caractère permanent. L’entre-deux guerres avec la crise des années 1930 verra se développer les réactions xénophobes qui influenceront les gouvernements. C’est au lendemain de la seconde guerre mondiale que seront créés les organismes et les instruments juridiques encore en place aujourd’hui : l’article 14 sur le droit d’asile de la Déclaration universelle des droits de l’homme de1948, la création du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) en 1950, la convention de Genève du 28 juillet 1951 actualisée par le protocole de New York en 1967. La France suivra avec la loi du 25 juillet 1952 créant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et une juridiction spécialisée, la Commission des recours des réfugiés (CRR) devenue en 2008 la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Aujourd’hui, la politique nationale de l’asile tend à s’intégrer à la politique communautaire définie au sein de l’Union européenne : d’abord par le moyen de relations intergouvernementales, puis à partir de la définition de l’espace Schengen en 1995 par la voie d’une harmonisation progressive, et aujourd’hui dans la perspective d’un régime d’asile européen commun.

Si l’on veut dégager le sens de cette histoire longue, on identifiera peut être deux tendances : d’une part, on relèvera que l’on est passé d’un asile surtout caractérisé par un espace (les dépendances de l’Église) à l’idée de protection de la personne ; d’autre part, d’un caractère discrétionnaire à une réglementation nationale et surtout internationale de grande ampleur. À cet égard, on pourra qualifier de régressives les politiques mises en place en Europe depuis une vingtaine d’années renforçant les références aux territoires avec l’espace Schengen et Dublin II et  faisant prévaloir les objectifs de sécurité et de contrôle des flux, entrainant une précarisation du demandeur d’asile et du réfugié, sur la protection de la personne dans le cadre d’une réglementation internationale.

2. Plusieurs catégories d’asile en découlent

Cette histoire a produit plusieurs catégories d’asile.

En premier lieu, l’asile constitutionnel : c’est chronologiquement le plus ancien par ses origines, la constitution de 1793, c’est le premier cité par l’article L 711-1 du code le l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Il a trouvé un écho au 4° alinéa du Préambule de la constitution de 1946 : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». En 1993, suite à une décision du Conseil constitutionnel, une révision de la constitution est intervenue prévoyant en un article 53-1 que, nonobstant les accords passés avec d’autres États européens, « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ». On remarquera que l’on est alors passé d’un droit de la personne à un droit de l’État. Mon intérêt pour l’asile constitutionnel se justifie par plusieurs raisons : notamment, c’est à mes yeux « le tableau d’honneur » de l’asile, il souligne la responsabilité propre des pouvoirs publics de notre pays en matière d’asile. Mais on sait que sa portée est très faible : une douzaine de cas par an dans lesquels je pense avoir une part bien supérieure à celle de mon influence au sein de la CNDA.

En deuxième lieu, l’asile des réfugiés relevant du mandat du HCR. Il concerne « toute personne sur laquelle le HCR exerce son mandat au titre des articles 6 et 7 de son statut tel qu’adopté par l’assemblée générale des Nations unies le 14 décembre 1950 ». Sa justification remonte donc au lendemain de la deuxième guerre mondiale et ses motifs sont de même nature que ceux de la convention de Genève dont la limitation dans le temps a alors pu être contournée. Cette catégorie connait une nouvelle vocation en ce qui concerne les conséquences qu’entraîne encore la décolonisation que la France n’interprète que de manière stricte. Toutefois, les compétences de l’OFPRA et de la CNDA sont liées.

En troisième lieu, la Convention de Genève pour un asile dit conventionnel, texte majeur en matière d’asile et de reconnaissance de la qualité de réfugié dont elle donne en fait la définition et sur laquelle je reviendrai dans un instant. Je veux simplement indiquer ici que, après que les autorités françaises se soient déshonorées en livrant pendant la guerre aux autorités allemandes des réfugiés qu’elle internait, la France durant la discussion du projet de convention a adopté une attitude très stricte, a minima. Elle ne ratifiera la convention, comme le protocole de New York qu’au bout de plusieurs années.

En quatrième lieu, j’évoquerai, en raison de la place importante qu’elle a prise au cours des dernières années (de l’ordre du quart des protections accordées, en hausse ), la protection subsidiaire bien que l’on ne parle pas à son sujet de réfugié mais de bénéficiaire de la protection. La protection subsidiaire a remplacé en 2003 l’asile territorial discrétionnaire, prérogative du ministère de l’Intérieur. Elle accorde l’asile à toute personne qui, ne relevant pas des motifs de la convention de Genève, est exposée dans son pays à des menaces graves (mort, traitement inhumain ou dégradant, personne dans un contexte de violence généralisée). Le bénéficiaire ne se voit alors délivrer qu’un titre de séjour d’un an, au lieu de dix ans pour les réfugiés.

Enfin, en cinquième lieu, je cite pour mémoire plusieurs catégories d’asile : l’unité de famille reconnue par le HCR en 1977 ; la protection temporaire en cas d’afflux massif de populations, catégorie définie par directive du Conseil de l’Union européenne en 2001 ; l’asile discrétionnaire qui s’apparente à la raison d’État.

Je signale également les concepts d’asile interne et de pays d’origine sûrs dont la signification résulte de leur énoncé même et qui ont été abondamment discutés et contestés, y compris par les juridictions ; le premier strictement encadré par le Conseil constitutionnel en 2003, le second dont la liste a été fréquemment remise en cause par le Conseil d’État (recours en 2014 contre l’inscription de l’Albanie, du Kosovo et de la Géorgie).

3. Un texte majeur : la convention de Genève

Son rôle majeur s’exprime d’abord par la statistique : si l’asile ne compte que pour 7% des titres de séjour délivrés chaque année, la reconnaissance conventionnelle de la qualité de réfugié en représente la quasi totalité. Il tient ensuite en ce que la convention explicite les principaux motifs qui conduisent à cette reconnaissance (art. 1A2 CG). Il résulte enfin, du fait que l’article L 711-1 du CESEDA y renvoie pour les dispositions qui régissent toutes les personnes reconnues réfugiées pour quelque motif que ce soit.

Selon la convention, la qualité de réfugié est reconnue à toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle ».

Quelques précisions peuvent être apportées sur ces différents motifs de persécution

En ce qui concerne les opinions politiques, il s’agit d’opinions constatées, militantes ou imputées,, elles peuvent inclure des motifs de conscience.

Les raisons tenant à l’appartenance à une minorité nationale ou ethnique (souvent liées et conséquences des découpages opérés sous domination coloniale), il s’agit de plus souvent d’actions de purification ethnique à l’encontre de minorités, souvent accompagnées de spoliations.

La confession religieuse inclut aussi bien les fidèles d’une religion reconnue que les membres de sectes ou des personnes se disant athées ou laïques.Enfin, l’appartenance à un certain groupe social est de définition complexe, caractérisant une identité ou un comportement transgressif au regard des autorités du pays d’origine ou du contexte coutumier.

Sans diminuer l’importance de la convention de Genève je veux évoquer une difficulté que j’ai personnellement rencontrée : la convention s’expose sous forme de critères qui invitent à se démultiplier en nouveaux critères lesquels, à la limite, peuvent faire perdre de vue, la cohérence d’ensemble et nuire à la crédibilité du récit.

4. Réalité de l’asile

La procédure, pour le demandeur d’asile, reste un véritable « parcours du combattant ». Le parcours est long, les délais courts, les modalités concrètes compliquées, les rapports avec l’administration parfois difficiles, le coût non négligeable. La précarisation du demandeur semble s’être aggravée.

Les structures administratives et juridictionnelles ont été améliorées au cours des dernières années avec : l’entrée en vigueur du CESEDA en 2005, la transformation de la CRR en CNDA en 2008, avec placement consécutif de cette dernière sous la tutelle du Conseil d’État, la généralisation de l’aide juridictionnelle en 2008. À l’inverse, je n’aurai garde d’oublier de mentionner les difficultés relatives à la procédure évoquées par les avocats lors de leur mouvement du printemps 2012, des nombreux rapports sur le sujet.

Les chiffres de l’asile sont contrastés. En 2012, la France, qui protège environ 200 000 personnes, a enregistré 61 000 demandes (2° ou 3° des pays développés au cours des dernières années), la procédure prioritaire a représenté 31,2%, les jugements par ordonnances 22,2% (dont 14,7 % pour les ordonnances dites « nouvelles »), la protection subsidiaire 25,7 %. Le taux global d’accord est de l’ordre de 23 % ; la part de la CNDA en représentant souvent la majorité.

L’évolution jurisprudentielle est régressive sous l’influence de l’Union européenne qui est à l’origine de la définition de l’espace Schengen, de la protection subsidiaire, de Dublin II, de l’asile interne, des pays d’origine sûrs, de nombreuses directives (parfois anticipées en droit interne) qui ont pu clarifier certaines notions mais ont aussi engagé vers des politiques sécuritaires dans la perspective, après la gestion intergouvernementale de l’asile, les efforts d’harmonisation des régimes, de l’établissement d’un régime d’asile européen commun. 

On notera néanmoins les contributions souvent constructives de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil constitutionnel en France.

5. Une réflexion d’amont indispensable

Cette réflexion, au demeurant, ne caractérise pas seulement les juges. Je pense qu’une juste pratique du droit d’asile suppose, pour chacun des praticiens, une réflexion d’amont : politique, idéologique et philosophique.

Politique. La France accueille-t-elle trop d’étrangers et accorde-t-elle trop d’asile ? Non, elle en a accueilli dans le passé bien davantage qu’aujourd’hui, de l’ordre de un million,  avant la deuxième guerre mondiale avec une population de 38 millions d’habitants. Dans un État de droit, il n’est pas normal qu’un juge, même bienveillant, crée plus de clandestins qu’il ne reconnaît de réfugiés, généralement plus de la moitié des dossiers audiencés. Les autorités publiques devraient également être attachées à défendre la tradition de « terre d’asile » de notre pays que les demandeurs d’asile nous rappellent parfois.

Idéologique. Un renversement d’optique est nécessaire. Le contexte français et européen est aujourd’hui sécuritaire et suspicieux. Il convient au plan international de revenir à la préoccupation première de protection de la convention de Genève et des principales références juridiques de l’après seconde guerre mondiale. Cela doit aussi s’accompagner d’un changement des mentalités (rendu de la justice plutôt qu’application sèche du droit positif, intime conviction plutôt qu’exigence de preuve – voir le rapport publié sur le sujet par le HCR et, plus généralement son Guide des procédures -, appréciation de la crédibilité du récit plutôt qu’obsession de débusquage du mensonge).

Philosophique. Je pense sur ce terrain aux lignes bien connues d’Emmanuel Kant sur le devoir d’hospitalité dans son ouvrage de 1795  Pour la paix perpétuelle, où il explique que la Terre étant une sphère, les hommes ne peuvent se disperser à l’infini ; que la propriété indivise de la Terre étant celle du genre humain, elle ouvre en principe à toute personne le droit de s’établir en tout point du globe ; mais que les choses étant ce qu’elles sont, il existe un doit du premier occupant qui doit néanmoins inviter tous les citoyens d’ici et les citoyens d’ailleurs à essayer de s’entendre. Une conception utopique sans doute, mais qu’il est peut être bon d’avoir en permanence en arrière-plan de notre réflexion et de notre pratique. 

Et puisque la mode est au « droit souple » pourquoi ne servirait-il pas en la circonstance ?

 

Anicet Le Pors

 

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