Fédération des services publics CGT – Bagnolet, 19 novembre 2015

Réforme territoriale et situation des fonctionnaires

(Résumé)

 Pendant les décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale on parlait d’aménagement du territoire. Progressivement, ensuite, de réforme territoriale.

L’Acte I de la décentralisation, en 1982, a fait des agents publics des collectivités territoriales des fonctionnaires. Un statut de l’élu était prévu ainsi que de nouveaux pouvoirs d’intervention des citoyens et de leurs associations.

L’Acte II, en 2003, a affirmé que l’organisation de la République était décentralisée, que les transferts de compétences devaient être accompagnés des financements correspondants et qu’une expérimentation législative décentralisée était possible sous conditions.

’Acte III a été initié par Nicolas Sarkozy (loi du 26 décembre 2010), continué par François Hollande. Il va entrainer de profonds bouleversements dans les services publics et dans les conditions de travail et de vie des fonctionnaires.

 

Réforme Territoriale en France

 

1. Une organisation bouleversée dés structures et des compétences

A St-Dizier, le 20 octobre 2009, Nicolas Sarkozy a dit préférer les « pôles et les réseaux » aux « frontières et aux circonscriptions ».

Dans cet esprit, 14 métropoles seront en place au 1er janvier 2016 (loi du 27 janvier 2014, ce sont les « pôles »). Elles recueilleront les compétences des EPCI et celles des communes concernées. Leur champ d’action s’inscrit dans un cadre international plus particulièrement celui de l’Union européenne (le « réseau »).

De même, 13 régions ont été crées (loi du 15 janvier 2015). Elles absorberont certaines des compétences des départements (transports). Il y a suppression de la clause de compétence générale des régions et des départements (loi NOTRE du 5 août 2015). On relèvera aussi le renforcement de l’autorité du préfet de région, véritable gouverneur de celle-ci.

l y a en fait complémentarité métropoles-régions-intercommunalités sur une base technocratique et autoritaire car il n’y a pas eu de concertation sur ces enjeux. Des transferts drastiques des effectifs et des qualifications seront exigés en dehors de tout système de formation continue et de moyens d’appui. On peut craindre alors un renforcement de la contractualisation et des risques de clientélisme et de corruption accrus.

 

2.Des restrictions financières causes d’affaiblissement du service public

Une réduction des crédits affecte les financements décentralisé. Une diminution de 11 milliards d’euros de l’aide de l’État aura lieu sur la période 2015-2017 (DGF). Le remplacement de la taxe professionnelle par la contribution économique territoriale ne garantit pas un financement pérenne. Il y a menace sur la fonction sociale des départements (RSA). Mais on doit souligner aussi le rôle de contrepouvoirs des collectivités territoriales.

Il y a eu simultanément réduction des financements des services déconcentrés dans le cadre de la mise en œuvre de la LOLF et de la RGPP ainsi que par le non remplacement d’un emploi sur deux des fonctionnaires partant à la retraite. La politique de restrictions budgétaires actuelle va dans le même sens.

Ces restrictions financières combinées vont avoir un effet négatif sur les investissements, le fonctionnement, les personnels, les capacités d’études avec souvent augmentation de la fiscalité. D’où un risque de recentralisation et la disparition des départements devenus inutile

 

3. Des réformes administratives et statutaires discutables

Sous Nicolas Sarkozy s’est produit un démantèlement de l’administration « rationalisante ». Une diminution des directions régionales et départementales (respectivement 8 et 3) était envisagée ; cet objectif a été reconduit. On pouvait se féliciter de la création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP, rebaptisé France Stratégie) et de la Modernisation de l’action publique (MAP), mais leur action effective reste peu probante. Par ailleurs, l’idéologie managériale continue d’inspirer les autorités administratives (NPM et réforme des études de l’ENA).

Depuis sa création (1983-1984-1986) le Statut général des fonctionnaires a prouvé sa solidité mais aussi connu de multiples dénaturations. En 30 ans on a compté 225 modifications législatives (respectivement 30, 50, 84 et 61 pour les quatre titres) principalement concernant la fonction publique territoriale (loi Galland du 13 juillet 1987 notamment), alors désignée comme « maillon faible » du statut et présentée en même temps comme une « avant-garde ». Le gouvernement actuel manque d’ambition, faute d’intervenir porc assainir la situation dénaturée et de mettre en perspective des chantiers de transformations structurelles. La loi Lebranchu comporte des points positifs mais appelle aussi des réserves.

On peut donc conclure à une déstabilisation territoriale dont il faut craindre une certaine inefficacité sociale et des régressions démocratiques. Les actions convergentes des populations, des élus et des fonctionnaires doivent être la réponse à ces craintes.

Association lanestérienne d’initiative démocratique (ALID) – Lanester, 16 novembre 2015

Migrants, droit d’asile et identité française

(mise à jour 2014)

La question de l’étranger est présente dans toutes les dimensions de la citoyenneté. Dans ses valeurs puisque l’intérêt général se définit sur la base de la communauté nationale, que le principe d’égalité détermine le modèle d‘intégration, que la responsabilité se fonde sur le principe de laïcité. Dans son exercice et les moyens prévus à cet effet : les droits et obligations du sujet de droit, la démocratie locale et la capacité à intervenir dans les décisions de proximité, les institutions et la représentation populaire. Dans sa dynamique qui s’exprime aujourd’hui dans une crise de civilisation et conduit à s’interroger sur la nature de la mondialisation et le genre humain comme sujet de droit.

Le droit d’asile se situe dans toutes les interfaces de ces thèmes. Les réponses apportées au fil du temps au problème de l’immigration ont beaucoup varié. La question plus spécifique de l’asile a donné lieu, selon les pays, à des conceptions diverses et la France a pu, en raison de sa longue expérience en ce domaine, servir de référence. Pour éclairer les problèmes d’aujourd’hui il est donc utile de revenir sur l’émergence et la réalité du droit d’asile dans notre pays et son insertion dans une réglementation internationale de plus en plus déterminante.
Les déterminants des politiques publiques

Copie de Droit-d-asile2-CouvertureAprès la seconde guerre mondiale, c’est l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui a fixé le cadre juridique des conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Maintes fois modifiée elle a néanmoins été largement admise et les étrangers accueillis en période de croissance soutenue jusqu’aux années 1970, malgré les évènements dramatiques associés à la décolonisation. Une régression de l’accueil a lieu ensuite en raison du ralentissement de l’activité économique . L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a conduit, jusqu’en 1993, à des régularisations de séjour assez importantes au cours des premières années de la période, puis à des mesures coercitives de renvoi tandis que prenait naissance une politique intergouvernementale de l’asile au niveau européen . Se développe ensuite, de 1993 à 1997 une politique coercitive vis-à-vis des étrangers tandis que s’engage un transfert de compétences, une harmonisation des politiques d’asile au niveau européen dans le cadre des accords Schengen du 14 juin 1995. La cohabitation de 1997 à 2002 enregistre des modifications juridiques substantielles sans pour autant modifier beaucoup la situation dans l’immédiat : traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, loi Chevènement du 11 mai 1998, Charte des droits fondamentaux adoptée au sommet de Nice le 27 décembre 2000. De 2002 à 2012 se développe une politique sécuritaire à partir des lois de novembre-décembre 2003 anticipent des directives européennes jusqu’à la récente loi de transposition du 29 juillet 2015. L’influence de l’Union européenne est croissante dans la perspective d’un régime d’asile européen commun (Règlement Dublin II en 2003, plusieurs directives successives dites « qualification », « procédure », « retour », directives du « paquet asile » en 2009). Il résulte de tout cela que les politiques migratoires suivies dépendent essentiellement de trois facteurs : le niveau d’activité économique, l’influence de l’Union européenne, l’orientation politique du gouvernement en place.

Ces politiques ont une influence directe sur la part prise par la France dans les flux migratoires. Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR) a comptabilisé au cours des dernières années de 10 à 12 millions de réfugiés dans le monde et 1,1 million de demandeurs d’asile. Il faut également tenir compte des 5 millions de Palestiniens assistés par l’UNRWA, autre organisme de protection des réfugiés des Nations Unies. Fin 2013, 78 % d’entre eux se trouvaient en Afrique et en Asie, 15% en Europe et 7% dans les Amériques. La France en protègeait 232 000, derrière l’Allemagne 572 000, les États Unis 264 000, le Royaume Uni 126 000, la Suède 114 000 ; mais rapporté au nombre d’habitants, la France protège trois fois moins que ce dernier pays.

L’asile ne représente qu’environ 7% des titres de séjour accordés. En 2014, la France a délivré 209 800 titres de séjour se répartissant selon les catégories suivantes : économique 19 100, familiale 92 000, étudiants 66 200, humanitaire 19 900 dont 14 500 au titre de l’asile.
La conception de l’asile

De tous temps les peuples ont pratiqué l’asile, mais selon des motifs et des modalités très divers. En France, l’Église en a eu le monopole pendant tout le Moyen Âge. Elle accueillait qui elle voulait dans les lieux placés sous son autorité et pouvait frapper d’excommunication le monarque qui violait ces dépendances. Par l’Édit de Villers-Cotterêts de 1539 François 1er a mis fin à ce monopole. Par la suite la monarchie s’est montrée peu favorable à l’asile. La Révolution française va initier la réputation de la « France terre d’asile » par l’article 2 de la Déclaration des droits de 1789 qui appelle à la résistance à l’oppression, mais surtout par les rédactions de la constitution de 1793 qui outre qu’elle décrète le droit à l’insurrection s’exprime ainsi sur l’asile : « Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » (art. 118) « il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » (art. 120). Le XIX° siècle sera accueillant en France (Frédéric Chopin, Heinrich Heine). Le XX° siècle pourra être considéré comme le siècle des réfugiés concernant successivement les Arméniens, les Russes, les Allemands, les Espagnols, les Juifs. Des instruments juridiques internationaux vont alors se mettre en place dans l’entre deux guerres mais surtout après la seconde guerre mondiale : le droit d’asile figure à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le HCR est créé en 1950, la Convention de Genève est adoptée le 28 juillet 1951, ne concernant à l’origine que les réfugiés antérieurs à son adoption elle sera de portée générale par le Protocole de New York de 1967. En France, en raison de la crise et des séquelles de la guerre, des sentiments xénophobes se développeront, elle accueillera néanmoins 1 millions de demandeurs d’asile à la fin des années 1930 (pour une population de 38 millions d’habitants), mais l’État français se déshonorera en livrant nombre d’entre eux à l’occupant nazi. La France ne ratifiera qu’avec retard les conventions internationales. Par la loi du 25 juillet 1952 elle créera l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission de recours des réfugiés (CRR) qui deviendra la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en 2008. À grands traits on peut caractériser l’évolution historique du droit d’asile en disant que l’on est passé, d’une part de la désignation d’un lieu à la protection de la personne et, d’autre part, d’un droit discrétionnaire à une protection nationale mais surtout internationale.

Réfugiés. Cour Nationale du Droit d'Asile.La procédure du droit d’asile est organisée dans la plupart des pays en deux phases. Une phase administrative se dédouble en une séquence d’admission au séjour pour vérifier que la demande n’est pas « manifestement infondée », elle a lieu en France en zone d’attente ; puis une séquence de dépôt de la demande d’asile à l’OFPRA, établissement public qui instruit cette demande, prend sa décision et en cas d’accord assure la protection administrative et juridique du réfugié. La deuxième phase est juridictionnelle auprès de la CNDA instance de recours contre les décisions de rejet de la demande par l’OFPRA ; il existe ensuite une possibilité (très limitée) de pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. On retrouve ces quatre séquences dans la plupart des pays. Les possibilités d’intervention du HCR aux différents niveaux sont très variables.

Des garanties couvrent le demandeur d’asile et le réfugié. S’agissant du demandeur, l’article 33 de la Convention de Genève pose tout d’abord, le principe de non refoulement de l’étranger sur le territoire d’accueil. Après le dépôt de sa demande, l’intéressé reçoit une autorisation provisoire de séjour(APS) de trois mois renouvelable. Il peut être hébergé dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) pendant toute la procédure ; à défaut il touche une allocation temporaire d’attente (ATA). Il reçoit une allocation sociale globale (ASG). Il bénéficie de la couverture médicale universelle (CMU) ou de l’aide médicale d’État s’il est entré irrégulièrement. Sauf exceptions le droit au travail lui est opposable.

.Reconnu réfugié, celui-ci bénéficie de droits et de garanties prévus d’une part par la Convention de Genève, d’autre part par la législation interne du pays d’accueil. En France, ces droits sont proches de ceux des nationaux, à l’exception du droit au travail qui connaît des restrictions (accès à la fonction publique, par exemple) et du droit de vote. Outre l’effet suspensif de toute décision de renvoi durant la procédure, des garanties sont prévues en cas de renvoi (nécessité d’une décision de justice, pas de renvoi vers un pays à risques).
L’octroi de l’asile

Il convient donc de ne pas confondre le demandeur d’asile et le réfugié. L’asile correspond à une situation de fait en même temps qu’il est un terme générique couvrant toute la matière. La qualité de réfugié est un statut juridique. Le droit d’asile permet de distinguer plusieurs catégories : l’asile constitutionnel, l’asile des réfugiés relevant du mandat du Haut commissariat des réfugiés des Nations Unies (HCR), l’asile des réfugiés au sens de la Convention de Genève, l’asile au titre de l’unité de famille, la protection subsidiaire, la protection temporaire, les asiles discrétionnaire et de fait. Le mot migrant, lui, n’a pas de signification juridique particulière. C’est l’article 1er de la Convention de Genève qui définit le plus clairement la qualité de réfugié : « Le terme « réfugié » s applique à toute personne qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social, ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays … ». Se trouvent ainsi combinés un élément subjectif (craignant) et un élément objectif (avec raison ). La crainte de persécution doit être actuelle, personnelle et d’une certaine gravité. La qualité de réfugié est « reconnue », c’est-à-dire qu’elle a un caractère rétroactif. L’État qui reconnaît substitue sa protection à celle de l’État de nationalité. Les principales catégories de réfugiés ont été reprises par l’article 711-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elles peuvent s’analyser de la manière suivante.

L’asile constitutionnel ouvre droit à la reconnaissance de la qualité de réfugié bien que, comme d’autres catégories mentionnées ci-après il ne soit pas expressément mentionné par la Convention de Genève, mais est l’écho des dispositions de la constitution de 1793 précédemment mentionnées et que l’on retrouve sous forme du 4° alinéa du Préambule de la constitution de 1946 : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Au surplus, a été ajouté à la constitution un article 53-1 aux termes duquel, nonobstant les accords passés avec d’autre pays européens en matière d’asile, « … même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ». Bref, la France accorde l’asile a qui elle veut.

L’asile dit conventionnel par référence à la Convention de Genève couvre la plupart des situations par les motifs qu’il retient.

Les opinions politiques peuvent être celles de l’opposition au pouvoir en place, avoir un caractère ouvertement militant ou résulter d’une simple imputation. Des motifs de conscience peuvent être reconnus à ce titre.

L’appartenance à une minorité nationale ou ethnique est souvent la conséquence des découpages arbitraires de l’histoire, notamment à la suite de la décolonisation ou de l’effondrement de l’empire soviétique. La persécution pour ce motif peut se traduire par le bannissement, la spoliation, la purification ethnique.

Le motif de confession religieuse englobe tout à la fois l’appartenance à une religion interdite, à une secte, voire aux partisans de la laïcité ou aux agnostiques ou aux athées.

L’appartenance à un certain groupe social vise des caractéristiques communes identifiant ce groupe et le caractère transgressif de cet état. Il s’agit souvent de l’homosexualité dans les pays où elle est condamnée.

Depuis 2003 existe un autre type de protection relevant du droit d’asile : la protection subsidiaire qui est instruite comme les demandes d’asile par reconnaissance de la qualité de réfugié. Elle a remplacé la protection dite territoriale dont l’attribution dépendait discrétionnairement du ministère de l ‘Intérieur. Cette protection donne à son « bénéficiaire » un titre de séjour renouvelable de un an. Ses motifs se situent en dehors des motifs de la Convention de Genève et concernent : des menaces graves contre la vie, des traitements inhumains ou dégradants, des menaces directes et individuelles concernant un civil en situation de violence généralisée.

La pratique de l’asile montre qu’il est erroné de distinguer radicalement les demandeurs d’asile et les migrants économiques. Tous les demandeurs d’asile au titre de l’un des critères énoncés précédemment ont aussi des raisons économiques : comment imaginer qu’un étranger persécuté dans son pays puisse y obtenir un emploi et y mener une vie normale ? Et il existe des exploitations économiques qui relèvent de la persécution ; l’esclavage existe toujours en Mauritanie, par exemple.

Les auteurs de persécution considérés sont soit les autorités étatiques du pays d’origine ou, à défaut, de résidence habituelle. Il peut s’agir aussi d’organisations paraétatiques (partis, milices) ; ou encore d’autorités de fait installées de manière stable.

Le HCR a introduit la notion d’asile interne : le demandeur d’asile devrait pouvoir se retrouver en sécurité dans une partie de son pays non concernée par les persécutions. Le conseil constitutionnel a encadré cette solution en exigeant que les conditions de vie dans la partie sécurisée permettent une vie normale (emploi, logement).

L’Union européenne avait décidé d’établir une liste de pays d’origine sûrs (POS) conduisant à une procédure accélérée en cas de demandeurs d’asile ayant la nationalité de ces pays, mais elle n’y est pas parvenue en raison des désaccords entre pays membres. Certains pays ont alors décidé d’établir la leur, dont la France sous la responsabilité de l’OFPRA. Cette liste est régulièrement contestée par le Conseil d’État et les juges de l’asile n’en tiennent généralement pas compte.

Outre le rejet à l’issue d’une procédure normale, l’asile peut être refusé par la voie de l’exclusion lorsqu’il y a de sérieuses raisons de penser que le demandeur s’est lui-même rendu coupables de crime contre la paix, d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité. Le titre de séjour, de dix ans pour un réfugié, peut être retiré si les conditions qui l’avaient justifié cessent, en cas de changement politique intervenu dans le pays d’origine notamment. Il peut aussi y avoir remise en cause prétorienne dans le cas de fraude ou de changement de situation individuelle.
Un système « à bout de souffle » ?

quel-droit-d-asile,M250483C’est un véritable « parcours du combattant » que doit effectuer le demandeur d’asile pour tenter de faire aboutir son projet. La retenue en zone d’attente pour vérifier si sa demande n’est pas « manifestement infondée » peut durer jusqu’à 26 jours. Il dispose ensuite d’un visa de 8 jours pour retirer un dossier de demande en préfecture. Il doit déposer son dossier en français à l’OFPRA dans un délai de 21 jours. Il reçoit alors une autorisation provisoire de séjour de 3 mois renouvelabl. L’OFPRA entendra le demandeur et statuera dans un délai moyen de 5 mois. En cas de rejet de la demande l’intéressé pourra exercer un recours devant la CNDA dans le délai d’un mois suivant la notification du rejet de sa demande. La juridiction statuera dans un délai moyen de l’ordre de 6 mois. Le pourvoi en cassation est réduit et incertain. Pour le demandeur d’asile, il s’agit donc d’une procédure à délais courts, difficile dans la constitution du dossier en français, coûteuse, avec des relations parfois difficiles devant les administrations concernées.

Le système a connu cependant une évolution structurelle plutôt positive au cours des dix dernières années. En 2005, le CESEDA a remplacé l’ordonnance de 1945. La CRR est devenue la CNDA en janvier 2008 et sa gestion a été placée sous l’autorité du Conseil d’État l’année suivante échappant ainsi au nonsens de la gestion administrative, budgétaire et statutaire de l’OFPRA l’organisme dont elle est chargée de réviser les décisions. L’aide judiciaire a été attribuée sans condition de régularité de séjour à compter du 1er décembre 2008.

La statistique de l’asile révèle traduit une régression de l’attractivité de la France au cours des dernières années. Selon le HCR, la France a accueilli en 2014, 59 030 demandeurs d’asile contre 60 461 en 2013. Elle se situe désormais derrière l’Allemagne avec 173 000, les États Unis, la Turquie, la Suède et l’Italie. Encore première destination en Europe en 2011, elle n’est plus qu’en 4e position. De 2013 à 2014, la progression des demandes dans l’ensemble de l’Union européenne a été de 44%, 58% pour l’Allemagne, 38% pour la Suède, 96% pour le Danemark, tandis que la demande régressait de 1,2% en France. La position de la France est aujourd’hui encore plus défavorable si on rapporte les demandes à la population : 2,2 pour 1000 habitants contre 24,4 en Suède, 17,5 à Malte, 12, 2 au Luxembourg. La situation pourrait se dégrader encore en 2015.

Le taux global de décisions de protection a été jusqu’en 2012 de l’ordre d’un quart des demandes dont une majorité du fait de la CNDA, ce qui pouvait surprendre de la part d’une juridiction chargée seulement de réviser les décisions d’un organisme administratif compétent. À partir de 2013 toutefois les pourcentages se sont inversés puisque sur un taux d’accords global de 24,4%, la part de l’OFPRA atteint 12,8%. En 2014 14 500 décisions d’admissions ont été prises dont 8 800 par l’OFPRA et 5 700 par la CNDA. Les procédures accélérées, moins protectrices, se sont élevées cette année-là à 26%. La protection subsidiaire a représenté 24% des accords. 20,5 % des décisions de la CNDA ont été prises par voie d’ordonnances, sans audience devant une formation collégiale de jugement, dont 17% pour insuffisance de réponse à la motivation de l’OFPRA. En 2014, la CNDA a rendu 37 300 recours et renvoyé 24% des affaires. 90% des affaires ont été jugées avec l’assistance d’un avocat dont 54% au titre de l’aide judiciaire. En 2014, il y a eu 727 pourvois en cassation (10 émanant de l’OFPRA), ; sur les 45 admis 30 on donné une satisfaction partielle ou totale au requérant.

L’évolution jurisprudentielle est de plus en plus restrictive sous l’influence de l’Union européenne guidée par des préoccupations de contrôle des flux et de sécurisation. Étaient déjà d’origine européenne : la protection subsidiaire, la procédure Dublin II (le pays responsable de l’instruction de la demande est le pays d’entrée dans l’espace Schengen), l’asile interne, la liste des POS, l’allongement des durées de rétention, de la durée d’interdiction de séjour, le développement de l’externalisation, etc. Le gouvernement français a souvent anticipé ces dispositions. Les juridictions européennes ont joué un rôle plutôt positif. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) reçoit les requêtes en interprétation. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille au respect des droits dans le traitement de l’asile. Elle a donné des définitions et des interprétations. Le Conseil constitutionnel, de son côté, dans plusieurs décisions, a rappelé un certain nombre de principes : affirmation de la souveraineté nationale, respect des droits de la défense, plénitude des garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs.

La loi du 29 juillet 2015 a effectué la transposition en droit interne de directives européennes. Elle traduit une tonalité plus soucieuse de protection que celle qui se manifestait durant le quinquennat précédent. Une claire distinction est maintenue entre le droit d’asile et le droit des étrangers. On peut retenir comme avancées significatives : l’assistance au demandeur d’un conseil lors de l’entretien à l’OFPRA ; le caractère suspensif du recours en procédure accélérée ; le développement rapide des capacités d’hébergement des Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA). Toutefois, on peut émettre des réserves concernant la décentralisation des résidences des demandeurs d’asile sur le territoire national sous peine de suppression des allocations en cas de refus. ; le raccourcissement des délais à 4 mois devant l’OFPRA et 5 mois devant la CNDA est souhaitable sous la condition que des moyens suffisants soient accordés à ces deux instances pour leur permettre une instruction approfondie de chacune des demandes d’asile ; la limitation à 5 semaines du délai d’instruction et de jugement par la CNDA en cas de procédure accélérée n’est pas compatible avec la tenue de formations de jugement collégiales, en tout état de cause le recours élargi au juge unique est fort critiquable. Cette loi apparaît donc insuffisante pour répondre aussi bien aux problèmes de l’heure qu’aux nécessités de la mondialisation en ce domaine.

Un référé du 20 octobre 2015 a été adressé par la Cour des comptes au Premier ministre sur la politique d’asile. La juridiction, corrigeant une « fuite » antérieure de ses services estime que seulement 3,5% des déboutés du droit d’asile sont reconduits à la frontière . D’où des propositions, notamment : meilleur suivi des parcours des déboutés, programmation triennale des places d’hébergement. La Cour évalue à 690 millions d’euros le cout de la politique d’asile en 2013 (hors dépenses de santé et d’éducation).
Pour une « révolution culturelle » de l’asile

L’asile pose la question des relations qui peuvent être établies entre le citoyen d’ici et le citoyen d’ailleurs qui lui demande protection à défaut de pouvoir bénéficier de celle de son pays d’origine en raison des craintes de persécution qui serait les siennes s’il devait y séjourner. Cette rencontre forme leurs citoyennetés respectives, mais leurs situations ne sont pas égales : l’accueillant est en position dominante en tant qu’occupant du lieu d’accueil sollicité. C’est cependant à lui qu’incombe la responsabilité de donner sens à son hospitalité, d’établir des règles de doit qui en permettent la mise en œuvre dans un cadre national et de contribuer à l’établissement d’un régime d’asile commun au plan international et mondial puisque la question se place désormais principalement à ce niveau.

Le fonctionnaire de l’OFPRA comme le juge de la CNDA doivent posséder de sérieuses compétences tant en matière de droit d’asile que de connaissances géopolitiques. Mais cela n’est pas suffisant, ils doivent aussi s’interroger en permanence sur leur responsabilité de citoyen dans les décisions qu’ils prennent d’accorder ou de refuser l’asile. Pour le juge notamment, il y a là une question de mentalité qui implique que la clarté soit faite sur trois questions.

4-PUF_LEPOR_2011_01_L148S’agit-il simplement d’appliquer le droit ou de rendre la justice ? Le droit positif n’est qu’un instrument et, en matière d’asile, l’appréciation des faits concourt de manière déterminante à la formation de l’intime conviction du juge laquelle est décisive. La décision est rendue « au nom du Peuple français » ce qui investit le juge d’une parcelle de souveraineté nationale faiblement susceptible d’être contestée. Or le juge admet difficilement qu’il dépend de lui même malgré les efforts qu’éventuellement il peut faire pour objectiver sincèrement ses décisions. Il dépend de son éducation, de sa religion ou de sa philosophie, de ses engagements, de ses intérêts personnels, des circonstances, etc.

La preuve de la persécution est-elle exigible ? Aucun texte national ou international ne prévoit la nécessité de la preuve à la charge du demandeur d’asile. Le Guide des procédures du HCR met l’accent sur la crédibilité et la cohérence d’ensemble du récit qui doit servir de base à la formation de l’intime conviction du juge. La procédure du jugement doit donc avoir pour objectif d’être un réducteur d’incertitude quand bien même ne peut être complètement réduit le doute qui subsiste. Si celui-ci n’est pas trop important il doit bénéficier au demandeur. Le juge doit donc être capable d’évaluer sa propre subjectivité comme celle du demandeur dans l’appréhension de ses craintes de persécution.

Quelle est la portée des contradictions voire du mensonge affectant la demande d’asile ? Face aux obstacles de toute nature élevés devant le demandeur d’asile dans le parcours qu’il doit effectuer il n’est pas étonnant que celui-ci tente de lever ses difficultés en adaptant son comportement : il peut s’être remis au départ à un rédacteur occasionnel en français qui a pu prendre quelque liberté avec son récit ; rectifiant par la suite le demandeur introduira des différences qui ne manqueront pas de lui être opposées ; les repères en vigueur dans sa vie antérieure ne sont pas ceux qui lui sont désormais utiles (composition familiale, coutumes, calendrier) ; il peut souhaiter améliorer son argumentation en prenant quelque liberté avec la réalité, etc. Un comportement de « débusqueur de mensonge » aura vite fait d’invalider un discours en soulevant une contradiction alors que c’est la crédibilité d’ensemble qui doit être retenue. Au mythe du « réfugié menteur » on peut opposer celui du « juge bien pensant ».

La qualité du jugement en matière d’asile requiert donc une citoyenneté éprouvée du juge, ce qui n’est pas toujours le cas. D’où de fortes disparités dans les taux d’accord d’asile selon les présidences des formations de jugement, même si l’écart révélé par la statistique de ces disparités semble s’être réduit. En tout état de cause, d’importantes réformes pourraient être introduites dans la réglementation nationale. Leur inventaire devrait être le résultat du travail des parties concernées, mais on peut néanmoins avancer, à titre d’exemple : le rattachement de l’OFPRA au Premier ministre ; l’alignement du délai de recours devant la CNDA sur celui de droit commun dans la juridiction administrative, soit deux mois ; la limitation stricte du champ des jugements par voie d’ordonnances ; le maintien corrélatif des formations de jugement collégiales, ; la suppression de la liste des POS ; la suppression de la notion d’asile interne ; l’alignement de la durée du titre de séjour de la protection subsidiaire (actuellement un an) sur celle des réfugiés reconnus (dix ans), etc.

Enfin, en raison de son histoire et de sa tradition ancienne, la France est légitime à faire des propositions d’évolution de la réglementation internationale, tant au niveau européen que mondial, le contexte ayant beaucoup changé depuis la Convention de Genève de 1951 et même du protocole de New York de 1967. Il ne s’agirait pas de modifier ces dispositions consacrées, mais de les compléter en tenant compte notamment du fait que plus des trois quarts des réfugiés se trouvent en Afrique et en Asie ; que la reconnaissance ou la place de la protection subsidiaire et d’autres formes d’asile doivent être révisés ; que le rôle du HCR doit être accru ; que les droits et les garanties juridiques doivent être consolidés, etc.

 

« Hospitalité signifie le droit qu’a un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas être traité en ennemi par ce dernier […], le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la surface de la Terre, laquelle étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint à supporter malgré tout leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre. Cependant, ce droit à l’hospitalité, c’est-à-dire le droit accordé aux nouveaux arrivants étrangers, ne s’étend pas au-delà des conditions de la possibilité d’essayer d’établir des relations avec les premiers habitants. C’est de cette manière que les continents éloignés peuvent établir entre eux des relations pacifiques, qui peuvent finir par être légalisées. »

Emmanuel Kant
Pour la paix perpétuelle, 1795

Quel avenir pour la Fonction Publique Territoriale ? – CIDEFE, 10 novembre 2015

Service public, Fonction publique

Histoire, concepts, avenir


L’histoire éclaire le présent et l’avenir. Les principes y sont forgés. Notre responsabilité : explorer et ouvrir un avenir à cette exception française dans une perspective universaliste.

 

1. L’émergence de l’autorité administrative

1.1. Le processus de sécularisation du pouvoir politique

Première mutation : du souverain par la « »grâce de Dieu » à l’autonomisation du pouvoir monarchique. Les actions décisives de Louis IX, Philippe Le Bel, François 1er, Louis XIV. La Renaissance fait retour aux anciens, au droit romain.

Deuxième nutation : de la personne du Roi à l’autonomisation du pouvoir d’État. Conversion sous Louis XIV. La primauté de la raison s’affirme sous les Lumières. La notion de peuple souverain s’impose (Du contrat social de J-J Rousseau) L’État-nation s’affirme comme souverain.

Troisième mutation : le pouvoir d’État face aux doits de l’homme et du citoyen. à partir de là, la Révolution française. Luttes et organisations pour la conquête du pouvoir d‘État autour de la République, du socialisme, de la sortie de la religion. Le XIX° siècle, celui de l’affirmation des nationalités, des conquêtes coloniales, des lois sociales, de la laïcité, du service public, de l’internationalisme (Internationales de 1876, 1889, 1919). Débouché sur le XX° siècle « prométhéen », les religions séculières, les États totalitaires. Échec au tournant de 1990.

Aujourd’hui, situation post-prométhéenne avec bipolarisation individuation-mondialisation (cf. infra) ; est-ce une nouvelle mutation ?

1.2. Les repères historiques des trois fonctions publiques

La fonction publique du XXIe siecle_HDL’administration se développe avec l’activité intellectuelle et économique à partir du XV° siècle. Les officiers puis les commissaires détiennent des charges marquées par la vénalité, la patrimonialité, l’hérédité. L’administration se technicise (intendants au XVI°, ingénieurs des Ponts au XVIII°) en dépit de la corruption. La Révolution française supprime les privilèges et pose des principes (égalité, responsabilité, mérite). Une conception autoritaire et conformiste se développe durant le XIX° siècle favorable aux grands corps marqués par la soumission au pouvoir et par les conflits d’intérêts. La II° puis la III° République tentent de reprendre la main en exigeant une loyauté républicaine. La fonction publique de l’État (FPE) se féminise dans les catégories d’exécution. Les fonctionnaires s’organisent sur la base de la loi de 1901 puis de la reconnaissance du fait syndical par le Cartel des gauches en 1924. S’opposent alors les conceptions du « statut carcan » et du « statut jurisprudentiel » (dispositions successives de 1905, 1911, 1913, 1921, 1924). Premier statut sous Vichy par la loi du 14 septembre 1941 avant le statut démocratique fondateur de la loi du 19 octobre 1946 portant Statut général des fonctionnaires (Debré – Thorez : minimum vital, rémunérations, classification, protection sociale et retraite). Il sera peu modifié au fond par l’ordonnance du 4 février 1959 et par les évènements de 1968 (constat Oudinot).

La fonction publique territoriale (FPT) a elle-même une origine très ancienne (statut de « tambour public » en 1294 »), les cités en développement voulant supplanter les anciennes administrations seigneuriales. Les étapes de son développement à partir d’un certain mimétisme par rapport à l’État (charges) mais dans une situation de précarité : arrêt Cadot du Conseil d’État en 1889reconnaissant sa compétence ; injonction aux communes en 1919 de créer un statut des communaux ou de mettre en œuvre un statut type ; loi de finances du 31 décembre 1937 plafonnant la situation des agents publics territoriaux aux situations des agents publics de l’État comparables, ; loi du 28 avril 1952 codifiée dans le Livre IV du code des communes. Il s’agit d’une fonction publique d’emploi,

La fonction publique hospitalière (FPH) est encore plus loin de la FPE. Elle est dominée par l’Église : l’évêque préside l’assemblée générale des établissements hospitaliers. Une sécularisation est engagée à partir d’une ordonnance de 1821 : en fonction de la taille de l’établissement le receveur est nommé par le ministre ou le préfet. Â partir de 1851 un texte statutaire écarte le pouvoir religieux de la gestion des personnels. Des textes de 1941 et 1943 ont une portée très générale ; puis le décret-joi du 20 mai 1955 codifié dans le Livre IX du code de la santé publique constituera la base statutaire des personnels des établissements hospitaliers publics.

Évolution dominée par deux lignes de forces : autoritaire se réclamant du pouvoir hiérarchique mais aussi su service public ; participative, fondée sur le principe de responsabilité. Elles débouchent sur les conceptions antagoniques de fonctionnaire-sujet et de fonctionnaire-citoyen.

1.3. L’expansion administrative

L’évolution des prélèvements obligatoires et de la dépense publique en longue période constituent des indicateurs de socialisation : les prélèvements obligatoires de l’ordre de 10-15 % du PIB avant la première guerre mondiale sont aujourd’hui au voisinage de 45 % marqués par un « effet de cliquet » par les guerres et les crises. La dépense publique à 57 % est la contrepartie de services publics étendus et d’une dette importante.

Pour autant y a-t-il trop de fonctionnaires ? En termes d’agents publics le Conseil d’analyse stratégique (CAS) a calculé qu’il y en avait environ 90/1000 habitants en France (même ordre de grandeur que le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis) entre le Japon (40) et le Danemark (140). L’exception de l’Allemagne (50/1000) s’explique par le fait que l’essentiel des services sociaux et de santé est assuré par les Églises.

La fonction publique compte 5, 4 millions d’emplois (FPE 2,4, FPT 1,8, FPH.1,2) ; y compris environ 20 % de contractuels de droit public. (900 000) Si l’on y ajoute les entreprises publiques (environ 700 000) et les organismes financés sur fonds publics, le service public occupe environ le quart de la population active et la fonction publique les quatre-cinquièmes du service public.

 

2. L’affirmation des principes

.1. La prééminence de l’intérêt général

Il s’est appelé successivement : bien commun,, utilité commune, nécessité publique, bien être commun, etc. L’Idée s’est Incarnée dans de fortes personnalités.

Les économistes néo-classiques se sont efforcés de définir un « optimum social », préférence révélée des acteurs économiques dans des conditions de concurrence parfaite. Ses adaptations ont été de portée limitée.

Le juge administratif a considéré qu’il revenait au pouvoir politique de le définir, mais il a su l’identifier dans certaines activités sociales (défense, justice,…). L’intérêt général a un caractère évolutif (arrêt CE Ville de Tarbes, 1985 et Ville de Gennevilliers, 1995) et peut donner lieu à des conflits de principes (arrêt CE Ville de Morsang-sur-Orge, 1995).

Il se définit au niveau de la communauté des citoyens nationaux et non de communautés infra et supranationales (non ratification de la convention-cadre sur les droits des minorités (CE 1995 ; charte sur les langues régionales, CC 1999). Toutefois, le Conseil d’État retient la notion d’ « intérêt public local » (arrêts sur la laïcité de 2011).

La notion est contestée par les défenseurs d’intérêts exclusifs de classes. Mais aussi par les partisans d’intérêts communautaires, d’une loi naturelle de transcendances (argument c. mariage pour tous, charia …).

2.2. L’enjeu du service public

L’inscription concrète de l’intérêt général dans la société est le fait du service public. L’expression figure dans les Essais de Montaigne en 1580. Une théorisation est formulée par l’École de Bordeaux à la fin du XIX° siècle. La notion simple à au départ est devenue complexe. À l’origine : mission d’intérêt général – personne morale de droit public – droit et juge administratifs. La couverture devait se faire par l’impôt et non par les prix. Le concept entrainait l’existence de prérogatives de droit public (ex. : responsabilité pour faute lourde).

Succès de la notion, extension entrainant une hétérogénéité croissante : régie, concession, délégation de service public. Progressivement, extension du contrat au détriment de la loi. Essais de dissociation de la propriété et du statut de la gestion, pour un service public « hors sol ». Il s’agit d’un argument pour des privatisations, la création d’autorités administratives indépendantes, des délégations de service public, des organismes de régulation … A l’inverse, reconnaissance d’une marge de diversification admissible des entreprises publiques prolongeant le mode monopolisation – spécialisation instauré après la seconde guerre mondiale.

Il y a ignorance de la notion au sein de l’Union européenne dominée par la logique économique libérale et ses critères essentiellement économiques. Le principe de concurrence est dominant, mais progresse l’idée d’une protection croissante des services d’intérêt général (SEIG et SNEIG) par la jurisprudence et certaines dispositions des traités. Le problème de la propriété publique liée est formellement évoqué (art. 345 du TFUE) mais lds privatisations sont néanmoins exigées (Grèce).

2.3. La conception française de la fonction publique

La fonction publique représente aujourd’hui la majeure partie du service public (80 %). Elle est la résultante historique de la confrontation des deux « lignes de forces » précédemment dégagées. Le statut général des fonctionnaires (SGF) qui régit aujourd’hui les fonctionnaires repose sur quatre choix majeurs qui en procèdent.

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« Fonctionnaire sujet ou citoyen ? »- « Tome 1 de René Bidouze

Le choix du fonctionnaire-citoyen contre celui du fonctionnaire-sujet. Ce qui signifie la consécration de la conception exprimée dans le statut général fondateur de 1946 et confirmé depuis, en rupture avec la conception qui avais prévalu pendant un siècle et demi. Cette formulation avait été introduite par René Bidouze auteur d’un ouvrage en deux tomes précisément intitulé : « Fonctionnaire, sujet ou citoyen ? ».

Le choix du système de la carrière contre celui de l’emploi. La priorité attribuée à la loi de décentralisation en 1981 (loi du 3 mars 1982) a conduit au choix du système de la carrière pour tous (déclaration à l’Assemblée nationale du 27 juillet 1981). Le système de la carrière considère l’activité du fonctionnaire au sein de travailleurs collectifs et sur l’ensemble de sa vie professionnelle ; celui de l’emploi se réfère à la qualification intrinsèque de l’agent et à la notion de métier.

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Assemblée nationale le 27 juillet 1981 : Gaston Defferre, Anicet Le Pors, René Bidouze et Olivier Schrameck lors de l’ouverture de la discussion sur la loi de décentralisation loi du 2 mars 1982)

Le choix d’un équilibre entre unité et diversité. Ce qui a conduit à l’élaboration d’un statut à « trois versants » en quatre titres, le premier, en facteur commun correspondant à la définition et aux droits et obligations des fonctionnaires, les trois autres correspondant aux trois fonctions publiques : d’État, territoriale et hospitalière. Les syndicats ont apppoyé cette réforme avec certaines hésitations, les élus ont été réservés, l’opposition s’est résignée, Pierre Mauroy l’a soutenue, François Mitterrand s’est montré indifférent avant d’exprimer des réserves sérieuses.

Le choix de principes ancrés dans l’histoire. Le principe d’égalité conduisant au recrutement par concours (art. 6 DDHC de 1789) ; le principe d’indépendance et de séparation du grade et de l’emploi (loi sur l’état des officiers de 1834) ; le principe de responsabilité (art. 15 DDHC). C’est la plus claire expression du fonctionnaire-citoyen contre celle du fonctionnaire-sujet de Debré exprimée en n 1947. Le principe hiérarchique, l’obligation de réserve et le devoir d’obéissance ne figurent pas expressément dans le statut.

Trente-deux ans après le vote du titre 1er (loi du 13 juillet 1983) le SGF a démontré sa solidité due à l’architecture juridique et aux principes affirmés. Il a aussi manifesté une grande adaptabilité ayant été modifié législativement 225 fois en 30 ans (les quatre titres respectivement 30, 50, 84 et 61 fois). La FPT la plus modifiée a pu être regardée à la fois comme « maillon faible » du SGF ou comme « avant-garde » en tant que contre-pouvoir et en raison de ses qualités propres, mais aussi par les tenants d’un retour à un système de l’emploi. Le SGF a fait l’objet de nombreuses contestations ou offensives : loi Galland du 13 juillet 1987, rapport du Conseil d’État de 2003 (rapport Pochard), « révolution culturelle » de Sarkozy en 2007 et Livre Blanc de Silicani en 2008.

La réforme territoriale en cours sous le vocable d’Acte III permet de parler de continuité territoriale Sarkozy-Hollande. La réforme en cours aura des effets préjudiciables sur le service public et les conditions de travail et de vie des fonctionnaires. Tout d’abord en raison du bouleversement des structures et des compétences. De la priomauté donnée à l’axe métropole-région-intercommunalités contre l’axe nation-département commune. Ensuite, du fait des restrictions financières décentralisées et déconcentrées qui vont peser sur l’investissement, le fonctionnement et l’emploi. Enfin, par suite de réformes administratives inopérantes comme la MAP France Stratégie et la persistance des effets de réformes antérieures non remises en cause : LOLF, RGPP, réduction des administrations d’expertise, promotion de l’idéologie managériale, du NPM. Avec les risques accrus de privatisations, de clientélisme, voire de corruption, il y a celui du développement de la contractualisation et de la mise en extinction du statut général.

 

3. Une mise en perspective

3.1. Des réformes immédiates souhaitables

L’avenir commence par des revendications immédiates qui supposent d’abord un assainissement consistant à revenir sur des dénaturations : la loi Galland dans la FPT (cadres d’emplois, listes d’aptitude, contractuels) ; l’amendement Lamassoure sur le droit de grève ; la 3° voie d’accès à l’ENA). Le gouvernement actuel y renonce alors même que ces décisions n’auraient aucun coût.

Des chantiers structurels devraient être mis en perspective : gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, traduction juridique plus satisfaisante de la garantie fondamentale de mobilité, multi-carrières, égalité femmes-hommes, limitation du recours aux contractuels, etc. Le gouvernement actuel manque d’ambition si la tonalité est favorable à la conception française de fonction publique (rapport Pêcheur, projet de loi Lebranchu sur les droits et obligations, accord avec les syndicats sur les parcours et la réformes des grilles, etc.).

Il est aussi nécessaire de prendre en compte la situation des personnels du privé qui ne sont pas dans une position statutaire et réglementaire mais sont soumis au contrat. La contradiction à résoudre est d’améliorer la situation de l’ensemble des salariés en respectant la spécificité du service de l’intérêt général que servent les fonctionnaires qui disposent d’un statut législatif qui n’est pas une privilégiature mais garantit leur indépendance. La convergence public-privé doit être mise en perspective, ce qui suppose l’instauration d’un « statut des travailleurs salariés du secteur privé », base essentielle de leurs droits fondamentaux permettant une véritable « sécurité sociale professionnelle ».

3.2. Le XXI° siècle « âge d’or »  du service public ?

34746_HRIl est indispensable préalablement d’analyser avec lucidité la situation de décomposition sociale actuelle. René Rémond a caractérisé le XX° siècle comme siècle « prométhéen » débouchant sur une « perte de repères ». À trois décennies d’économie administrée après la deuxième guerre mondiale ont succédé trois décennies d’ultralibéralisme débouchant sur une crise financière s’élargissant en crise de civilisation au sein de laquelle on a pu caractériser le service public comme « amortisseur social » et en appeler au « retour de l’État ». L’interprétation de la situation actuelle est un préalable indispensable que traduisent certaines expressions  : « Pendant la mue le serpent est aveugle » (Ernst Jïnger-A.LP, , « métamorphose » d’Edgar Morin. La recherche des causes de la crise permet d’avancer des hypothèses  : affaiblissement de la référence à l’État-nation, la complexification de la notion de classe, les bouleversements géopolitiques, l’évolution des mœurs, le déclin de l’influence des idéologies messianniques. À l’issue de la confrontation de la troisième mutation État-citoyens (cf. supra) se profilerait donc une quatrième mutation marquée par la bipolarisation individuation-mondialisation, impliquant deux sujets de droit l’individu et le genre humain.

L’individuation, c’est la refondation d’une citoyenneté émancipée des déterminismes totalitaires et des transcendances. Cette refondation suppose pour chaque individu une entière prise de responsabilité qui doit le conduire à s’interroger sur les valeurs, l’exercice et la dynamique de sa citoyenneté. L’ensemble de ses choix personnels constituerait son « génome se citoyenneté », à partit duquel se pose la question de l’invention de centralités socialement efficaces et démocratiques.

La mondialisation concerne tous les aspects de la vie sociale et pas seulement la finance. Elle se caractérise par l’émergence de valeurs universelles : Déclaration des droits de l’homme de 1948, paix, sécurité, droit au développement, protection de l’écosystème, etc., avec en perspective : service public, ou laïcité ? De nombreuses activités prennent aussi une dimension universelle et, avec elles, le besoin de services publics est croissant pour la gestion de l’eau, des ressources du sol et du sous-sol, de productions alimentaires, d’énergie, de télécommunication, de météorologie et d’exploration spatiale, de certaines productions industrielles stratégiques, de services administratifs, etc. Ces services publics développés au niveau planétaires doivent s’accompagner de diverses formes d’appropriation sociale (patrimoine commun, biens à destination universelle, biens de haute nécessité) et de construction d’un droit commun (Mireille Delmas-Marty) qui correspond déjà à de multiples conventions et textes divers de portée internationale et mondiale. Le XXI° siècle sera ainsi celui d’exigences accrues en matière d’interdépendances, de coopérations, de solidarités qui se condensent en France dans la notion de service public.

3.3. La contribution de la France et de ses fonctionnaires

La dialectique qui donne vie à la bipolarisation individuation-mondialisation (citoyen-genre humain) nécessite l’existence d’un opérateur. La nation est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et du général. L’État-nation est l’opérateur de cette dialectique. Le démantèlement de l’État est aujourd’hui très avancé dans la métamorphose et sa « main visible » a cédé beaucoup de champ là la « main invisible » du marché.

Dans de telles conditions, la France, en raison de son histoire et de son expérience aurait une importante contribution à apporter au monde en ce qui concerne le service public, le droit du sol, sa réputation de terre d’asile et de patrie des droits de l’homme, sa culture juridique et institutionnelle. Il s’agit là d’une prise de conscience politique, la lucidité étant la qualité première du citoyen d’aujourd’hui.Médaille FP copie[1]

Il résulte de tout ce qui précède que les fonctionnaires sont des acteurs de premier rang dans la métamorphose. Il reste à les en convaincre.

Communiqué de presse de la FSU du 10 novembre 2015

 » Qui ne dit mot consent ?

Après avoir en septembre dernier déclaré, concernant les fonctionnaires, que « la justification d’un emploi à vie garanti sur des missions qui ne le justifient plus sera de moins en moins défendable », le Ministre de l’économie précise sa pensée en déclarant qu’ « il faut accroître la part de mérite, la part d’évaluation, dans la rémunération de la fonction publique ».

Sur ce nouveau sujet qui fait polémique, la Ministre de la Fonction publique s’est déclarée favorable, non pas pour le traitement principal mais pour le régime indemnitaire.

Ces propos, dans un contexte où la stigmatisation et les discours anti-fonctionnaire font florès, sous-entendent, quoi qu’il s’en défende, que le Ministre de l’Économie estime que certains fonctionnaires ne rempliraient pas correctement leurs missions. Comment comprendre sinon ce management du « bâton et de la carotte » pour qu’enfin les fonctionnaires deviennent efficaces ? C’est en tout cas ainsi qu’une fraction significative de l’opinion publique entend ces propos et finit par les faire siens.

Pour la FSU, ces provocations permanentes et cette vindicte incessante sont insupportables pour des agents qui aiment leur travail et mettent toute leur conscience pour l’accomplir. Cela ne peut pas et ne doit pas tenir lieu d’orientation politique sur le sujet de la Fonction publique. Lorsque l’on constate des dysfonctionnements, il convient alors de regarder de près : problèmes de reconnaissance, de sens du travail, de temps pour accomplir l’ensemble des missions, de salaires, de conditions de travail dégradées, de motivation aussi parfois ; questions d’encadrement, de formation… autant de sujets qu’il faut traiter. D’autant que ceux-ci peuvent affecter la motivation des agents tant l’absence persistante de réponse les met en difficulté. Mais faire croire que le salaire au mérite réglera tout est tout simplement un non-sens.

La FSU rappelle par ailleurs que l’ensemble des fonctionnaires font l’objet d’évaluations régulières et que le rythme d’avancement dans leur carrière est directement lié à ces évaluations. Il est indispensable que les agents de la Fonction publique soient à l’abri des pressions, de quelque lobby qu’elles viennent, et de solidariser les équipes plutôt que d’opposer les personnels.

Elle s’est adressée au Premier Ministre le 22 septembre dernier, lui demandant « de clarifier les intentions du gouvernement quant à son projet pour la fonction publique et ses agents ». Elle n’a aujourd’hui toujours pas de réponse, et ne peut qu’interpréter cette absence de réponse selon l’adage bien connu : « qui ne dit mot consent » !

Continuité territoriale

 

La réforme territoriale initiée par Nicolas Sarkozy en 2009-2010 à été reprise sous le vocable inchangé d’Acte III par François Hollande dans un esprit et selon des modalités indifférenciés.

Rappelons que le cadre de l’organisation territoriale de la France a été mis en place par la création des départements en 1790, la loi municipale de 1884 et la reconnaissance de la région comme collectivité territoriale en 1982. Les débats autour des thèmes de l’aménagement du territoire ou des réformes territoriales ont toujours été éminemment politiques. On se souvient que c’est l’échec du référendum sur la création des régions qui entraina la démission du généra l de Gaulle le 28 avril 1969. Depuis, la réforme territoriale a été rythmée par trois actes.

L’Acte I est consécutif à l’alternance de 1981. Il a été formalisé par la loi du 2 mars 1982 qui a réalisé notamment le transfert de l’exécutif départemental du préfet au conseil général, imposé le contrôle de légalité a posteriori du préfet, annoncé un statut de l’élu et des garanties statutaires renforcées pour les agents publics des collectivités.

L’Acte II est marqué par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République qui modifie la constitution en ce sens. Elle institue un référendum local pouvant être décisionnel, élargit le droit de pétition, prévoit l’autonomie financière des collectivités avec transferts de compétences et la possibilité d’une expérimentation législative encadrée.

L’Acte III a été initié par Nicolas Sarkozy avec la loi du 16 décembre 2010. Il est poursuivi par François Hollande par le moyen de plusieurs lois, ce qui rend particulièrement difficile une vue d’ensemble des réformes.

 Une organisation bouleversée

Réforme Territoriale en FranceDans un discours prononcé à St-Dizier le 20 octobre 2009, le Président de la République Nicolas Sarkozy disait vouloir privilégier les « pôles et les réseaux » plutôt que les « frontières et les circonscriptions ». Pour remettre en cause l’organisation traditionnelle, il évoquait l’image du « mille-feuilles », largement reprise ensuite. Cette démarche met en cause l’organisation traditionnelle qui se structure sur la base de six niveaux ayant en réalité une influence déterminante sur l’aménagement du territoire : la commune, la communauté de communes (ou intercommunalité), le département, la région, la nation et l’Europe. Or, trois de ces niveaux sont à dominante politique (la commune, le département et la nation), les autres sont à dominante économique. En démocratie le choix qui s’impose est celui de la supériorité du politique sur l’économique. C’est ce choix qui est contesté par la réforme en cours.

La métropole en est l’instrument principal, c’est le « pôle » annoncé. 14 métropoles seront en place au 1er janvier 2016. La loi du 27 janvier 2014 les a dotées de compétences très larges. Elles reçoivent les compétences jusque-là dévolues aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Elles récupèrent également les compétences des communes membres : développement économique, aménagement de l’espace, politiques locales de l’habitat et de la ville, la gestion de services d’intérêt collectif et de protection de l’environnement. Mais c’est sans doute la vocation qui leur est assignée de promotion internationale du territoire dans le « réseau » européen qui caractérise le mieux la spécificité de cette nouvelle entité.

La loi du 15 janvier 2015 a délimité 13 nouvelles régions par agrégation de 15 des 22 anciennes régions. La loi du 7 août 2015 portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRE) en a précisé les compétences. La clause générale de compétence des départements et des régions a été supprimée. La région affirme son rôle important en matière de développement économique, notamment de soutien aux PME. Il revient à la région d’élaborer un Schéma Régional de Développement Économique, d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII), fixant les orientations régionales pour cinq ans. Elle est également chargée de rédiger un Schéma Régional d’Aménagement Durable du Territoire (SRADDT) portant en particulier sur : des orientations d’aménagement, la mobilité, la lutte contre la pollution de l’air, la valorisation de l’énergie, le logement et la gestion des déchets. Les compétences des départements en matière de transport doivent être transférées aux régions dans les dix-huit mois, le département restant responsable de la voirie. La loi tend également à renforcer les intercommunalités, témoignant ainsi de l’affinité région/intercommunalité. La Corse deviendra collectivité avec statut particulier en 2018.`

La complémentarité métropole-région-intercommunalité est évidente, elle conduit à un profond bouleversement des structures existantes, notamment l’existence des communes, spécialement les communes rurales. Les foyers de démocratie que représentent les 36 000 communes sont affaiblis au profit d’un pouvoir technocratique siégeant dans les métropoles en liaison avec le préfet de région qui devient un véritable gouverneur. On peut craindre avec un recul de la démocratie locale un accroissement de la bureaucratie. Le maintient des compétences des communes apparaît ainsi comme une condition de la démocratie locale. Si la nécessité d’une juste et efficace répartition des compétences entre les niveaux d’administration est souhaitable, cela n’entraine pas nécessairement la suppression de la clause de compétence générale, la solution pouvant être recherchée dans l’application d’une subsidiarité démocratique respectueuse tout à la fois des principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales et celui d’unité et d’indivisibilité de la République.Escaro

Une austérité financière

Les collectivités territoriales jouent un rôle important dans les investissements publics et le fonctionnement des services publics de proximité. Elles assurent 73% de l’investissement public et n’émargent que pour 10% dans l’endettement public. Au cours des dernières décennies, les gouvernements n’ont eu de cesse de transférer des compétences de l’État aux collectivités territoriales en s’engageant à transférer également les financements correspondants au nom de l’autonomie financière des collectivités, condition indispensable du respect du principe de libre administration posé par l’article 72 de la constitution. Ce qui a été rarement le cas, les collectivités étant de ce fait appelées à supporter une part croissante des politiques d’austérité.

La situation est aggravée par le projet de réduire de 11 milliards d’euros les dotations de l’État aux collectivités de 2015 à 2017. Les élus de toutes tendances ont protesté et manifesté mais ils doivent se résoudre à restreindre leurs dépenses, principalement celles d’investissement, puis celles de fonctionnement ; beaucoup envisageant également une hausse de la fiscalité locale. La suppression de la taxe professionnelle en 2010 et son remplacement par la contribution économique territoriale (CET) dont une partie est basée sur le foncier des entreprises et une autre sur leur valeur ajoutée ne garantit pas pour autant un financement pérenne des collectivité. La réforme peut s’analyser comme un transfert global favorable aux entreprises au détriment des ménages. Le système de financement des collectivités territoriales est devenu si complexe qu’il manque de visibilité, ce qui contribue à accentuer les inégalités entre les collectivités[1]. On peut également nourrir quelque inquiétude concernant la fonction sociale du département affaibli par les politiques engagées. Ainsi, le financement du Revenu de solidarité active (RSA) n’est que très partiellement couvert par l’État alors que le nombre de bénéficiaires croit ; l’État devra financer les déficits avant, vraisemblablement, re-centraliser son financement.

es restrictions financières locales portent également sur les crédits des services déconcentrés soumis aux politiques publiques de l’État. La Loi Organique relatives aux Lois de Finances (LOLF) et la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) ou le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ont eu des conséquences négatives sur la satisfaction des besoins sociaux et le fonctionnement des services publics locaux. Les collectivités territoriales ont ainsi subi la pression combinée des réductions de crédits décentralisés et déconcentrés. Dans ces circonstances ces collectivités ont pu constituer des contrepouvoirs pour contenir les politiques d’austérité qui ont permis, par exemple, de ne pas subir les suppressions d’emplois à l’instar de celles enregistrées dans les services de l’État.

À partir de 2012, sous le thème de la modernisation de l’action publique de nouveaux instruments ont été mis en place, sans donner pour le moment des résultats convaincants. Ses objectifs sont classiques : réforme de l’État, réduction de la dépense publique, motivation des agents, simplification des relations avec les usagers, etc. Dans ce contexte assez confus on voit mal comment pourrait être mise en œuvre une politique de péréquation verticale ‘(de l’État vers les collectivités locales) et horizontale (des collectivités entre elles) afin de résoudre les inégalités territoriales, faute également d’une véritable politique d’aménagement du territoire, la logique de développement des métropoles se référant à un espace plus européen que national.

Un service public affaibli

La multiplicité des réformes intervenues depuis une trentaine d’années a eu des conséquences sur l’organisation des services et les conditions de travail et de vie des personnels. La création des métropoles, la définition de nouvelles régions, les incertitudes sur l’avenir des départements, les réaménagements incessants entre communes et intercommunalités vont entretenir un contexte défavorable tant à l’efficacité du service public qu’à la sérénité des fonctionnaires et, partant, à leur dynamisme et à leur satisfaction dans l’accomplissement de leurs missions.

L’évolution statutaire des fonctionnaires des services extérieurs des ministères et des collectivités territoriales fait partie de la réforme territoriale. Le statut des fonctionnaires de 1983 a intégré les agents publics territoriaux et hospitaliers dans une fonction publique unifiée « à trois versants ». En trente ans, ce statut a fait l’objet de 225 modifications législatives, la fonction publique territoriales ayant été la plus réformée, 80 fois, apparaissant ainsi comme le ‘ « maillon faible » d’une architecture juridique qui, cependant, n’a pas été remise en cause dans son ensemble. Mais elle a pu, dans le même temps être considérée comme l’ « avant-garde » de la fonction publique à venir à la fois en raison de ses qualités propres, que de la part de ceux qui souhaitent revenir à un système d’emploi fondé sur la notion de métier. Le gouvernement actuel, acquis à la conception française de la fonction publique, répugne néanmoins à revenir sur les dénaturations apportées au statut, et refuse, pour des raisons d’austérité, de s’engager dans des chantiers de transformations structurelles qui seraient de nature à ouvrir des perspectives à une fonction publique du XXIe siècle[2].

D’une manière générale, l’influence croissante des règles du marché et de l’idéologie managériale traduite dans le service public par la promotion du New public management a eu pour conséquence de priver les collectivités publiques des outils de rationalisation qui avaient accompagné les décennies d’économie administrée de l’après guerre. Après la suppression du Commissariat Général du Plan (CGP) et de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) dans sa vocation originelle, la RGPP a supprimé la plupart des organismes de prévision et d’expertise publics (Conseil national d’évaluation, Haut conseil du secteur public, de la coopération internationale, réintégration de la direction de la Prévision au sein de la direction du Trésor, etc.). Dans la réforme en cours il a été annoncé que les directions locales des ministères seraient réduites à huit dans les régions et à trois dans les départements[3]. Il va de soi que les restrictions des dotations affecteront en priorité les crédits d’étude. La création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP rebaptisé France Stratégie) et l’instance de Modernisation de l’Action Publique (MAP) ont pu laisser envisager une réorientation en faveur de la rationalisation de l’action publique. Elle n’a pas été suivie, pour le moment, de résultats probants.

41zU3fpSWEL._SL500_AA300_Le risque encouru par l’évolution actuelle de la réforme territoriale est celui d’une régression de la démocratie et d’un affaiblissement des services publics dont les segments les plus rentables pourraient être convoités par le secteur privé à l’occasion de la mise en place des métropoles, ce qui constituera également un terrain favorable à la contractualisation des personnel dans la perspective de la mise en extinction du statut général des fonctionnaires. Seule la convergence des actions des usagers, des fonctionnaires et des élus peut empêcher cette dérive.

[1] La Dotation globale de fonctionnement (DGF) est la principale source de financement des colletivités territoriales pal l’État. Elle s’élèvera à 32,9 Mds d’euros en 2016 (dont 19 Mds pour les communes, contre plus de 36 Mds en 2015) et pourrait faire l’objet d’une réforme en … 2017.

[2] A. Le Pors et G. Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Éditions de l’Atelier, 2015.

[3] Le 31 juillet 2015 a annoncé de nouvelles répartitions des services déconcentrés de l’État. Ainsi, pour la région Aquitaine-Lilousin- Poitou Charentes, Bordeaux accueillerait 4 DR, Poitiers 1 et Limoges 1.