« François Mitterrand dirigeant politique (1945-1981) » Institut François Mitterrand, 17 novembre 2016

François Mitterrand et le Parti communiste (1945-1981)

(résumé)

Quand bien même je puisse nourrir pour l’homme et ses qualités personnelles une admiration certaine, il ne me revient pas devant cette assemblée de me livrer à un discours hagiographique sur la personne au sujet de ses rapports avec le parti communiste français. J’ai beaucoup apprécié le travail sérieux des rapporteurs et notamment l’analyse des documents d’archives du PCF par Philippe Buton.

 

 Sans donc sous-estimer les qualités personnelles de François Mitterrand, je considère que le PCF a apporté une contribution majeure à sa consécration institutionnelle.

 220px-reagan_mitterrand_1984_cropped_2Il a ouvert la voie de cette consécration tout d’abord en 1965 en le reconnaissant comme candidat à l’élection présidentielle contre le général de Gaulle. Une campagne avait été lancée par l’Express en faveur d’une candidature à l’élection présidentielle sous l’appellation de « Monsieur X » qui dissimulait en réalité sous une opération centriste dite de « troisième force », la candidature de Gaston Defferre. Celle-ci provoqua de nombreuses réactions à gauche, notamment dans de multiples clubs où des avocats communistes, nombreux à l’époque, déployaient une intense activité. L’un deux, M° Jules Borker, proche de Charles Hernu entreprit de convaincre Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF, d’une réplique en promouvant la candidature de François Mitterrand. Cette candidature présentait de nombreux avantages pour le PCF : François Mitterrand avait voté non au référendum sur la constitution de la Ve République en 1958, le trouble de l’affaire de l’Observatoire s’estompait, il appartenait à une petite formation politique, l’UDSR, déclinante, il n’avait aucune chance d’être élu et, surtout, il permettait au PCF d’éviter l’isolement bien qu’il fut alors dominant à gauche. Guy Mollet, qui souhaitait aussi écarter Defferre, ne manifestait pas cependant d’adhésion spontanée à la candidature de François Mitterrand qu’il considérait comme un aventurier. Néanmoins l’accord se fit sur son nom et permit à l’intéressé d’annoncer sa candidature à l’hôtel Lutétia, seul à la tribune. Charles Fiterman raconte dans son livre Profession de foi (Éditions du Seuil, 2005) les efforts que déploya l’entourage de Waldeck Rochet pour que celui-ci croise le chemin de François Mitterrand à l’issue de la conférence de presse afin que l’Humanité puisse publier la photo de leur poignée de mains le lendemain. Était-ce naïveté ou sous-estimation du rôle des superstructures institutionnelles dans la vie politique ? Quoi qu’il en soit l’évènement faisait de Français Mitterrand un personnage désormais incontournable.

On en obtint la confirmation dès 1971, lorsqu’au congrès d’Épinay du parti socialiste François Mitterrand en prit le commandement. Une démarche de Claude Estier auprès de Georges Marchais enregistra l’accord de ce dernier sur la perspective de conclusion d’un programme commun de gouvernement entre les deux partis une fois l’élection de François Mitterrand acquise à la tête du PS. Le consentement bienveillant du PCF à cette stratégie était accordé sous réserve du contenu du programme, mais il pouvait légitiment en retirer un bénéfice politique car ce programme commun de gouvernement avait été réclamé par Maurice Thorez dès le XVe congrès du PCF en 1959 et les communistes pouvaient ainsi se présenter comme les partisans les plus résolus de l’union de la gauche.

changer-de-capUn an plus tard, le 27 juin 1972, le programme commun fut conclu entre le PCF, le PS et les Radicaux de gauche. Dans les années qui suivirent, le PCF eut comme préoccupation constante, au-delà de péripéties négatives, de préserver sa démarche d’union de la gauche. Ainsi, il limita ses critiques des déclarations de François Mitterrand devant l’Internationale socialiste à Vienne quelques jours seulement après la signature du programme, de réduire de trois millions le nombre de suffrages communistes ; l’incident fut évoqué au comité central du PCF suivant, mais l’explicitation n’intervint que bien plus tard sous forme du livre d’Étienne Fajon, directeur de l’Humanité, L’union est un combat (Éditions sociales, 1975). Ce fut encore le cas durant les négociations sur l’actualisation du programme commun au printemps et à l’été 1977. Le bon côté des circonstances fut toujours finalement souligné, même dans les mauvais moments, en 1978 et en 1981 notamment. On a souligné dans de précédentes interventions les visions prophétiques de François Mitterrand sur le déclin inéluctable du communisme. L’histoire lui a donné raison, mais cela ne suffit pas pour valider des talents de divination.

 

S’il y a bien d’autres causes, François Mitterrand a cependant accompagné activement le déclin historique du PCF

On doit reconnaître une importante contribution du PCF à la construction de l’union de la gauche au cours de la période considérée. J’ai rappelé l’antériorité de Maurice Thorez en 1959 dans la revendication d’un programme commun de gouvernement. Le PCF disposa pendant les décennies 1960-1970 d’un puissant outil idéologique avec la théorie du CME (capitalisme monopoliste d’État). Quoique l’on puisse en penser aujourd’hui, cela lui conférait un avantage incontestable qui a eu une influence certaine dans l’élaboration du programme commun. Il disposait alors d’une section économique qui comprenait plusieurs centaines de membres actifs. Mais cet atout présentait aussi l’inconvénient d’un économisme survalorisé. Le PCF prit aussi l’initiative d’une ébauche programmatique avec la rédaction de Changer de cap en 1971 qui entraina le Changer la vie du PS. Dans les jours qui ont suivi la signature du programme commun, je me souviens d’avoir participé à une réunion au cours de laquelle André Bouloche exprimait son admiration à la suite de la publication du programme commun en un livre imprimé dans les vingt-quatre heures suivant la signature, livre qui fut titré à un million d’exemplaires et diffusé essentiellement par les communistes. Ce sont aussi les dirigeants du PCF qui prirent l’initiative de l’actualisation du programme commun en avril 1977. Enfin, il est incontestable que les communistes ont prit une part militante majeure dans la réussite d’une majorité de gauche en 1981, consacrée par l’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981.

Ils n’ont pas été payés en retour de leurs efforts, notamment au plan électoral. Ils pouvaient espérer un bon score aux législatives de 1973 ; le résultat a été décevant puisque si le PCF devançait encore le PS , l’écart des pourcentages de suffrages obtenus était le plus faible enregistré depuis 1945 (21,4 % contre 20,7 %). Six élections partielles en 1974 permirent au PS de gagner deux sièges, aucun pour le PCF ce qui entraina le la part de ce dernier une accusation de « déloyauté » du PS en la circonstance. En revanche, les résultats des cantonales de 1975 et des municipales de 1977 furent favorables aux candidats d’union de la gauche et permirent notamment de gagner de nombreuses municipalités. L’espoir du rebond du PCF fut déçu par de mauvais résultats aux élections législatives de 1978 où le PS passa devant le PCF (22,8 % contre 20,6 %). L’échec fut consommé aux élections présidentielles de 1981 avec le score de 15,4 £ des voix au premier tour, puis l’élection de François Mitterrand permettant néanmoins l’entrée de ministres communistes au gouvernement malgré l’affaiblissement de leur parti.

L’élection de François Mitterrand à la magistrature suprême scella aussi la reconnaissance du caractère présidentiel des institutions de la Ve République par le PS. L’auteur du Coup d’État permanent, publié en 1954, paracheva ainsi sa mutation. Dans une logique présidentielle qui renforce les forts et affaiblit les faibles, il accéléra le déclin du PCF. Ainsi, par exemple, alors que la règle que François Mitterrand avait posée lui-même dans son dernier livre Ici et maintenant (Éditions Fayard, 1980), selon laquelle le gouvernement de la gauche serait constitué sur la base des effectifs de députés des différentes formations de la majorité présidentielle (alors que le PCF défendait une répartition sur la base des suffrages obtenus ) qui aurait conduit à réserver six postes ministériels au PCF, il n’en accepta que quatre, récusant au surplus les femmes et les responsables syndicaux et réservant les ministères stratégiques au parti majoritaire.images-1

Sans doute le déclin du PCF, comme composante du mouvement communiste, était-il inéluctable au terme d’un XXe siècle prométhéen. Plus qu’aucune autre formation politique, il avait porté l’espoir d’une émancipation du genre humain. À cet égard, François Mitterrand n’a joué qu’un rôle accessoire dans ce déclin.

Et s’il est utile, comme le fait ce colloque de l’Institut François Mitterrand, de centrer l’analyse sur le parcours d’un homme talentueux qui a contribué à la fabrication de l’histoire, il est tout aussi légitime de considérer la période que nous examinons 1945-1981 comme un « bloc » au sens que donnait Clémenceau à la Révolution française, ce qui autorise une conclusion.

La période 1945-1981, que nous considérons est un bloc que nous analysons en 2016 sur un champ de ruines. Qui en est responsable ? À chacun sa vérité.  

 

Anicet Le Pors

 Table ronde présidée par Marc Lazar

Chercheurs : Gilles Richard, Philippe Buton, Mathieu Fulla.

Grands témoins : Jean-Pierre Chevènement, Pierre Joxe, Anicet Le Pors, Alain Richard.

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