Les Amis de l’Humanité, Les Amis du Monde Diplomatique, le groupe ATTAC Centre Essonne – Grigny, 23 mai 2017

Le XXIe siècle  « âge d’or » du service public ?

(résumé)

 

Présentation de la conférence par Michel Nouaille

Je veux tout d’abord souligner l’opportunité de cette rencontre sur l’avenir du service public au moment ou la fonction publique disparaît de l’énoncé des ministères constitutifs du gouvernement Édouard Philippe mis en place par Emmanuel Macron la semaine dernière. En effet, il a fallu quelque temps pour découvrir que la fonction publique relevait du ministre chargé de l’action et des comptes publics. Le service public est ainsi réduit à la dépense publique pour être plus aisément stigmatisé.

Plus généralement, la dépense publique et la réduction du nombre des fonctionnaires ont occupé une place majeure dans le débat politique des derniers mois. Pour s’interroger sur son avenir, je pense qu’il convient de situer le service public dans l’histoire longue, puis d’analyser plus précisément son évolution au cours des dernières décennies et l’état des lieux auquel on aboutit, et c’est sur cette base que l’on peut raisonner utilement sur ses perspectives.

 

  1. L’expansion de l’administration dans l’histoire

 1.1. Une sécularisation du pouvoir politique.

Dès la fin du Moyen Âge, le roi n’est plus seulement souverain « par la grâce de Dieu » mais en raison de sa propre autorité (Philippe le Bel). Sous la monarchie absolue, on assiste à une autonomisation de l’appareil d’État qui s’accompagne d’un renforcement administratif (Louis XIV). Les Lumières conduisent à la désignation du Peuple comme souverain (Jean-Jacques Rousseau). L’État est enjeu de pouvoir des citoyens aux XIX° et XX° siècle. La sécularisation est portée aujourd’hui au niveau mondial. On va ainsi de l’hétéronomie à l’autonomie de da société (Marcel Gauchet).

1.2. Une socialisation du financement des besoins fondamentaux

Dépenses publiques et prélèvements obligatoires croissent inéluctablement de ce fait en raison d’une socialisation accentuée des financements sociaux. Ces derniers passent de 10% du PIB au début du XX° siècle à 45 % aujourd’hui marquant la nécessité d’une couverture sociale croissante des besoins fondamentaux. Les effectifs d’agents publics passent, en France, de 200 000 au début du XX° siècle à 5,4 millions aujourd’hui. Pour autant la France se situe dans la normalité des pays développés avec, en 2015, 126 agents pour 1000 habitants dans les secteurs non marchands (131 aux États Unis) dont 83 dans la fonction publique (37, 30 et 16 respectivement dans les trois fonctions publiques de l’État, territoriale et hospitalière). Ce qui caractérise la France c’est le principe statutaire du fonctionnaire (nature législative du statut).

 1.3. La création historique de concepts et des principes

 L’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers, un simple optimum social économique. Selon le juge administratif c’est au politique de le définir ; il peut varier, dans le temps, dans l’espace, il n’est pas toujours dégagé des transcendances, de l’hétéronomie. Le service public est, à l’origine, une notion simple devenue complexe ; théorisé par l’École de Bordeaux (intérêt général, personne morale de droit public, droit administratif) il est couvert par l’impôt et dispose de prérogatives ; son succès en élargit le champ, le rend plus hétérogène et ouvre la voie au contrat. L’Union européenne complique son affirmation. Deux lignes de force caractérisent l’évolution de la fonction publique : autoritaire avec le fonctionnaire-sujet et responsable avec le fonctionnaire-citoyen, ce dernier s’impose dans le statut fondateur de 1946. Mais il y a une certaine contradiction entre l’évolution à long terme et celle des trois dernières décennies.

 

  1. Les régressions sous l’ultralibéralisme

2.1. La situation au début des années 1980

Le secteur public étendu est conforté par de nouvelles nationalisations en 1982. L’administration d’État (CGP, DATAR, RCB …) est confortée par la réforme territoriale de l’Acte I. Le statut fédérateur des fonctionnaires de 1983 s’organise selon plusieurs choix (fonctionnaire-citoyen, système de la carrière, équilibre unité-diversité, principes républicains). Les syndicats sont très influents.

2.2. La régression libérale

Puis le secteur public est affaibli par privatisations et dérégulations. La gestion administrative est déstabilisée par la LOLF, la RGPP et l’idéologie managériale. Le statut des fonctionnaires subit offensives et dénaturations (225 législatives en 30 ans), mais manifeste solidité et adaptabilité. Le service public est regardé comme un « amortisseur social » dans la crise financière de 2008. La fonction publique territoriale est la cible principale par son implication dans une réforme territoriale déstabilisatrice (niveaux économiques favorisés, métropoles)

2.3. État des lieux

Sous le quinquennat de François Hollande on a assisté à la poursuite de l’affaiblissement du secteur public, aucune réforme administrative d’envergure (MAP) mais pas d’attaque frontale contre le statut général. Faible portée de la loi Lebranchu du 20 avril 2016 et des autres initiatives (rapport Pêcheur, mission Valls au CESE). Les caractéristiques sont un manque de courage et d’ambition. Il y a relance des attaques anti-fonctionnaires à droite. Le service public et la fonction publique sont des enjeux.

La politique de Macron semble marquée par des caractéristiques négatives : ferveur pour l’élitisme, collectivités territoriales mises au pas, Parlement abaissé, gouvernement aux ordres, exécutif opaque et autoritaire, «jupitérien ».

Le nouveau président de la République a déjà jugé le statut général des fonctionnaires « inapproprié », prévu à l’instar des candidats de la droite à l’élection présidentielle, une réduction de 120 000 emplois, décidé de contraindre les collectivités territoriales dans la gestion des personnels, notamment par la diminution des crédits de fonctionnement de 10 milliards, réduction de la fonction publique à la dépense publique, recours accentué au spoil system concernant 250 postes de hauts fonctionnaires, etc.

Il convient cependant de se garder de faire preuve de défaitisme : en tout état de cause, le long terme n’est pas invalidé.

 

3. Des perspectives pour les services publics de demain 

 3.1. Des actions immédiates

 La situation statutaire nécessite un assainissement et l’élimination des dénaturations. Les revendications du personnel sont du domaine syndical.

3.2. Mettre en place des chantiers structurels

La question de la propriété publique reste posée. La réforme administrative et la réforme territoriale appellent une clarification. Dix chantiers ont été présentés au CESE (cf. blog ALP) : rétablir les moyens d’expertise des collectivités publiques, gestion prévisionnelle des effectifs, dispositifs de mobilité, multi-carrières, circonscription des contractuels, égalité femmes-hommes, numérique, relations internationales, concertation. Une question décisive : le statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé (sur la base de la hiérarchie des normes suite à la loi El Khomri).

3.3. De la « métamorphose » à l’ « âge d ‘or »

 Nous sommes dans une situation de « décomposition sociale » profonde et de « métamorphose ». Récusation de la fin de l’histoire et de la prévalence de l’idéologie ultralibérale managériale. Vers un monde d’interdépendances, de coopérations, de solidarités. Le XXI° siècle peut et doit être l’âge d’or » du service public.

 

 

Anicet Le Pors, Gérard Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Éditions de l’Atelier, 2016.

 

Anicet Le Pors, Moments d’histoire de la fonction publique.

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