Évolution et avenir de la Fonction publique
Cette rencontre sur l’avenir du service public est particulièrement importante au moment ou la fonction publique disparaît de l’énoncé des ministères constitutifs du gouvernement pour être englobée au sein ministère chargé de l’Action et des Comptes publics. Le service public est ainsi réduit à la dépense publique pour être plus aisément stigmatisé en escamotant l’essentiel : le service de la population.
lus généralement, la dépense publique et la réduction du nombre des fonctionnaires ont occupé une place majeure dans le débat politique des derniers mois. Il s’accélère aujourd’hui. Pour s’interroger sur son avenir, je pense qu’il convient de situer le service public dans l’histoire longue, puis d’analyser plus précisément son évolution au cours des dernières décennies afin d’éclaire l’état des lieux auquel on aboutit, et c’est sur cette base que l’on peut raisonner utilement sur ses perspectives.
Au risque de surprendre je pense tenir un discours optimiste, mais sous réalisation de certaines conditions dont nous aurons à débattre.

1. L’expansion de l’administration dans l’histoire
1.1. Une sécularisation du pouvoir politique
Dès la fin du Moyen Âge, le roi n’est plus seulement souverain « par la grâce de Dieu » mais en raison de sa propre autorité (Philippe le Bel). Sous la monarchie absolue, on assiste à une autonomisation de l’appareil d’État qui s’accompagne d’un renforcement administratif (Louis XIV). Les Lumières conduisent à la désignation du Peuple comme souverain (Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, 1762). L’État est enjeu de pouvoir des citoyens aux XIX° et XX° siècle. La sécularisation est portée aujourd’hui au niveau mondial. On va ainsi de l’hétéronomie à l’autonomie de da société (Marcel Gauchet).
1.2. Une socialisation du financement des besoins fondamentaux
Dépenses publiques et prélèvements obligatoires croissent inéluctablement de ce fait en raison d’une socialisation accentuée des financements sociaux. Ces derniers passent de 10% du PIB au début du XX° siècle à 45 % aujourd’hui marquant la nécessité d’une couverture sociale de plus en plus élevée des besoins fondamentaux. Les effectifs d’agents publics passent, en France, de 200 000 au début du XX° siècle à 5,6 millions aujourd’hui. Pour autant la France se situe dans la normalité des pays développés avec, en 2015 ; selon l’OCDE, 126 agents pour 1000 habitants dans les secteurs non marchands (131 aux États Unis) dont 83 dans la fonction publique (37, 30 et 16 respectivement dans les trois fonctions publiques de l’État, territoriale et hospitalière). Une récente étude de France-Stratégie confirme cette situation[1]. Ce qui caractérise la France c’est le principe statutaire du fonctionnaire (nature législative du statut).
1.3. La création historique de concepts et des principes
L’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers, un simple optimum social économique. Selon le juge administratif c’est au politique de le définir ; il peut varier, dans le temps, dans l’espace, il n’est pas toujours dégagé des transcendances, de l’hétéronomie. Le service public est, à l’origine, une notion simple devenue complexe ; théorisé par l’École de Bordeaux (intérêt général, personne morale de droit public, droit administratif) il est couvert par l’impôt et dispose de prérogatives ; son succès en élargit le champ, le rend plus hétérogène et ouvre la voie au contrat. L’Union européenne complique son affirmation. Deux lignes de force caractérisent l’évolution de la fonction publique : autoritaire avec le fonctionnaire-sujet et responsable avec le fonctionnaire-citoyen, ce dernier s’impose dans le statut fondateur de 1946. L’avènement de la V° République et le mouvement social de 1968 en conserveront les principales dispositions. Mais il y a une certaine contradiction entre l’évolution à long terme et celle des trois dernières décennies.
2. Les régressions sous l’ultralibéralisme
2.1. La situation au début des années 1980
Le secteur public étendu est conforté par de nouvelles nationalisations en 1982. L’administration d’État (CGP, DATAR, RCB …) est confortée par la réforme territoriale de l’Acte I. Le statut fédérateur des fonctionnaires de 1983 s’organise selon plusieurs choix (fonctionnaire-citoyen, système de la carrière, équilibre unité-diversité, principes républicains : égalité, indépendance, responsabilité). Les syndicats sont très influents.
2.2. La régression libérale
Puis le secteur public est affaibli par privatisations et dérégulations. La gestion administrative est déstabilisée par la LOLF, la RGPP et l’idéologie managériale (NPM). Le statut des fonctionnaires subit des offensives (1987, 2003, 2007) et dénaturations (225 législatives en 30 ans), mais manifeste solidité et adaptabilité. Le service public est regardé comme un « amortisseur social » dans la crise financière de 2008. La fonction publique territoriale est la cible principale par son implication dans une réforme territoriale déstabilisatrice (niveaux économiques favorisés, métropoles).
2.3. État des lieux
Sous le quinquennat de François Hollande on a assisté à la poursuite de l’affaiblissement du secteur public, aucune réforme administrative d’envergure (MAP) mais pas non plus d’attaque frontale contre le statut général. On relèvera la faible portée de la loi Lebranchu du 20 avril 2016 et des autres initiatives (rapport Pêcheur, mission Valls au CESE). Les caractéristiques observées traduisent un manque de courage et d’ambition. La relance des attaques anti-fonctionnaires s’accentuent après la réforme du code du travail. Le service public et la fonction publique sont plus que jamais des enjeux politiques.
La politique de Macron peut être ainsi résumée : ferveur pour l’élitisme, collectivités territoriales mises au pas, Parlement abaissé, Gouvernement aux ordres, exécutif opaque et autoritaire, «jupitérien ». Dans un premier temps il s’est cantonné à la réforme du code du travail. Mais il avait déjà jugé durant la campagne présidentielle le statut général des fonctionnaires « inapproprié » et prévu une réduction de 120 000 emplois, décidé de contraindre les collectivités territoriales dans la gestion de leurs personnels, notamment par la diminution des crédits de 13 milliards, le recours accentué au spoil system concernant les postes de hauts fonctionnaires, envisagé la différenciation de la valeur du point d’indice selon les fonctions publiques, etc.
La stratégie macroniste est devenue plus claire à l’automne 2017 avec le lancement du CAP22. Derrière un affichage d’objectifs d’une grande banalité et l’installation d’un comité technocratique qui doit remettre un rapport fin mars 2018[2], se profile une contestation de la place du service public dans la société et le développement d’une logique de marché. Une campagne idéologique est d’ores et déjà lancée depuis début février. Elle tend à la réduction du champ statutaire aux fonctions régaliennes et à la généralisation de relations contractuelles dans la majeure partie du service public placées dans le cadre des dispositions du code du travail. Mais il convient cependant de se garder de faire preuve de défaitisme : en tout état de cause, le long terme n’est pas invalidé.
3. Des perspectives pour les services publics de demain
3.1. Des actions immédiates
La situation statutaire nécessite un assainissement et l’élimination des dénaturations (loi Galland, amendement Lamassoure, etc.). Les revendications du personnel sont du domaine syndical.
3.2. Mettre en place des chantiers structurels
La question de la propriété publique reste posée. La réforme administrative et la réforme territoriale appellent une clarification. Dix chantiers ont été présentés au CESE[3] : rétablir les moyens d’expertise des collectivités publiques, gestion prévisionnelle des effectifs, dispositifs de mobilité, multi-carrières, circonscription des contractuels, égalité femmes-hommes, numérique, relations internationales, concertation. Une question décisive doit être simultanément abordée : le statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé. La CGT a tenu un important colloque le 21 janvier 2017 pour le 70° anniversaire du statut général de 1946 pour renforcer l’unité des fonctionnaires des trois versants et la convergence des actions des travailleurs des secteurs public et privé.
3.3. De la « métamorphose » à l’ « âge d ‘or »
Nous sommes dans une situation de « décomposition sociale » profonde et de « métamorphose ». Récusation de la fin de l’histoire et de la prévalence de l’idéologie ultralibérale managériale. Vers un monde d’interdépendances, de coopérations, de solidarités. Le XXI° siècle peut et doit être l’ « âge d’or » du service public[4].
(1) France Stratégie – Tableau de bord de l’emploi public – décembre 2017.
(2) A. Le Pors, « CAP22, une machine de guerre contre le service public », L’Humanité , 3 novembre 2017.
(3! Voire leur explicitation sur mon blog.
(4) On lira le développement de ces idées dans : Anicet Le Pors, Gérard Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Éditions de l’Atelier, 2016.