CAP22, une stratégie en difficulté – séminaire syndical FSU, 4 octobre 2018 / CAP22 et GRAND PARIS, journée d’étude de la CGT « Petite Couronne »‘, Bourse du Travail de Paris, 18 octobre 2018.

 

La Comité action publique 22 (CAP22) lancé le 13 octobre 2017 par le Premier ministre Édouard Philippe est apparu comme une « machine de guerre » contre le service public[1]. Mais qui était aussi un leurre destiné à accréditer l’idée d’un chantier sérieux parce que complexe. Car Emmanuel Macron n’avait nul besoin de ce comité pour savoir ce qu’il entendait faire des personnels sous statuts : promouvoir le contrat contre la loi. Qu’en est ?il aujourd’hui ?

 

Une démarche chaotique

En ce qui concerne la fonction publique, CAP22 s’inscrit dans la filiation d’une succession de tentatives de même nature destinées à contester le statut dans ses principes et son champ d’application. La loi Galland du 13 juillet 1987 dénature les dispositions de la fonction publique territoriale. Rn 2003, après la cohabitation Chirac-Jospin, le rapport annuel du Conseil d’État (dit rapport de Marcel Pochard) préconise de faire du contrat « une source autonome du droit » de la fonction publique. Nicolas Sarkozy le 19 septembre 2007 appelle la fonction publique à une « révolution culturelle » par le développement du « contrat de droit privé négocié de gré à gré » ; à cet effet, le Livre blanc que lui a remis en avril 2008 Jean-Ludovic Silicani contenait nombre de mesure qui n’ont pu être mises en œuvre en raison de la crise financière, le service public apparaissant alors comme un « amortisseur social » dans la crise. On notera, pour mémoire, pendant le quinquennat de François Hollande, le rapport de Bernard Pêcheur en 2013, la loi Lebranchu en 2016 et le rapport demandé par le Premier ministre Manuel Valls au Conseil économique social et environnemental (CESE) rendu public en janvier 2017, rédigés dans un autre esprit que les précédents, mais de faible portée.

La ligne directrice suivie aujourd’hui par le gouvernement est celle initiée par le rapport Pochard. Durant la campagne des présidentielles, Emmanuel Macron a jugé le statut général des fonctionnaires « inapproprié ». En août 2017, après son élection il a stigmatisé les insiders (profiteurs d’un système) les personnels à statuts.[2] Dans une lettre aux ministres, le 13 octobre, Édouard Philippe a annoncé l’opération CAP22, compotant une succession de comités interministériels, l’étude de 21 chantiers et de 5 actions transversales, la mise en place d’un forum d’expression, et surtout un comité de 34 membres la moitié énarques, de nombreux dirigeants d’entreprises et de start up chargé de lui remettre un rapport fin mars 2018. Le comité bénéficie d’un crédit de 700 mimions d’euros sur le quinquennat Dans le même temps, après la réforme du code du travail, ést engagée la réforme de la SNCF et la suppression du statut des cheminots. S’engageait ainsi la croisade contre les statuts dont la montée en puissance devait conduire à imposer le contrat de droit privé individuel comme référence sociale majeure aussi bien pour le privé que pour le public, et à remettre en cause le statut général des fonctionnaires.

Cependant, dès le 1er février 2018, le Premier ministre faut des annonces substantielles, sans rapport avec l’opération CAP22 : recrutements importants de contractuels, plans de départs volontaires, rémunérations au mérite, etc. sans en préciser toutefois les modalités. Le rapport attendu ne paraitra pas fin mars, ni les mois suivants, jusqu’en juillet où le gouvernement fait savoir que ce rapport CAP22 qui devait opérer la synthèse de tout le dispositif ne serait pas publié et qu’il n’y serait fait référence qu’au fur et à mesure des décisions prises. Mais quelques semaines plus tard un rapport émerge de source inconnue et est diffusé comme rapport du CAC22. Il sera très peu commenté. La fonction publique n’est pas retenue en septembre comme l’une des réformes prioritaires du gouvernement en 2018 et un projet de loi serait inscrit pour être soumis au Parlement en 2019 après les élections européennes. Pendant ce temps tous les syndicats se plaignent d’un manque de concertation. Une grande incertitude pèse donc sur l’opération CAP22 qui prétendait proposer à l’origine une approche « radicalement différente » de la réforme de la fonction publique.

 

Un rapport « réputé CAP22 »  médiocre

Sur la centaine de page du rapport la fonction publique n’en occupe qu’une dizaine sous le thème d’un nécessaire changement de modèle. Le vocabulaire utilisé est celui des managers de l’entreprise privée. Est dénoncée la rigidité du modèle actuel, l’insuffisante liberté dont disposent les managers, le conformisme des acteurs auxquels est demandé plus de mobilité et … d’agilité[3].

Le système de rémunération est particulièrement contesté en tant qu’il accorde trop d’importance à la valeur du point d’indice et prend insuffisamment en compte la fonction et le mérité. Les commissions administratives paritaires (CAP) sont critiquées en raison de l’ampleur excessive de leurs attributions qui devraient se limiter aux cas litigieux et à la discipline. Le recours aux contractuels est jugé insuffisant par rapport aux recrutements de fonctionnaires par concours. La promotion de la gestion managériale est encouragée sans considération des règles statutaires qui ne sont pas distinguées des actes de gestion. Les dispositions actuelles du statut général des fonctionnaires semblent largement ignorées des rédacteurs du rapport qui mettent en avant des revendications qui figurent déjà dans les textes en vigueur : la mobilité qui y est posée comme un garantie fondamental, le droit à la la formation permanente, les multiples modalités du dialogue social, la promotion interne, etc.

Aucune référence n’est faite à la définition de l’intérêt général, à la théorisation du service public, à la conception française de la fonction publique tels que ces concepts et principes se sont forgés au cours de l’histoire. Les fondements scientifiques de l’efficacité sociale sont négligés. La place des services publics et de la fonction publique dans le pacte républicain est ignorée au profit d’un « nouveau contrat social » entre l’administration et ses agents, ce qui, sauf à n’être entendu que comme une figure de style contredit le caractère unilatéral du statut. On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles gouvernement n’a pas souhaité la publication officielle du statut : forme excessivement ostensible, fondement juridique insuffisant, médiocrité d’ensemble ?

 

Un contexte dégradé

Le contexte actuel est bien différent de celui qui prévalait lorsque CAP 22 a été conçu et il est franchement dégradé pour l’action publique. Les sondages de popularité sont défavorables, les enquêtes d’opinion traduisent une baisse de la confiance, l’accusation portée au Président de la République d’être le « président des riches » perdure. Les nouvelles réformes envisagées risquent d’être de plus en plus difficiles à engager.

Toutefois, a nature du macronisme se révèle plus clairement. Emmanuel Macron a été mandaté par les puissants : la finance internationale dont il émané, les cercles dirigeants de l’Union européenne, le MEDEF, la technocratie administrative, la quasi-totalité des médias. Les lignes de force de sa politique étaient prévisibles, elles se confirment : les faveurs pour l’élite et le mépris des travailleurs, la mise sous contraintes des collectivités territoriales, l’abaissement du Parlement, la mise au pas du Gouvernement, l’autoritarisme de l’exécutif[4].

La portée l’affaire Benalla va bien au-delà du fait divers puisqu’elle à eu pour première conséquence le report sine die du débat parlementaire sur la loi constitutionnelle et, renforçant l’opposition du Sénat, fragilisé l’ensemble de la réforme envisagée des institutions comme réforme emblématique par le pouvoir présidentiel. Elle met à mal également la mesure phare de la réforme de la fonction publique, le recrutement massif de contractuels à l’instar du chargé de mission Benalla. Elle conduit une partie de la haute fonction publique à se différencier de l’exercice actuel de la fonction présidentielle. Ainsi, selon un processus connu, le temps ne travaille pas pour Emmanuel Macron

 

Un échec envisageable

Pour toutes les raisons exposées (échecs des prédécesseurs, démarche chaotique, rapport médiocre, contexte dégradé), un échec du Président de la République est aujourd’hui possible sinon prévisible. La réforme dite de l’État, de la fonction publique et du statut général des fonctionnaires qui devait être bouclée au Parlement avant la fin 2018, a été reportée à la fin du premier semestre 2019, au moment des élections européennes et à un an des élections municipales alors que les associations d’élus locaux manifestent une opposition résolue au président. Dans l’immédiat, on notera la faiblesse relative des décisions prises en application des engagements présidentiels : réduction seulement de 6 000 emplois de fonctionnaires de l’État sur deux ans (sur un engagement de 50 000 pour le quinquennat), réduction des 3 points du taux de la dépense publique par rapport au produit intérieur brut PIB, actuellement 57%) et de 1 point du taux des prélèvements obligatoires (actuellement 45% du PIB). Les enquêtes montrent que le Français conservent majoritairement une bonne opinion des services publics et des fonctionnaires. Et on ne saurait exclure un développement du mouvement revendicatif.

Ainsi, les évolutions récentes ne contredisent pas les tendances lourdes de l’expansion pluriséculaire de l’administration. Celle-ci tient tout d’abord à la sécularisation du pouvoir politique depuis la fin du Moyen Âge conduisant à une autonomisation de l’appareil d’État. C’est ensuite une socialisation des financements des besoins fondamentaux et de la cohésion sociale entrainant une croissance du nombre des agents publics., la France n’étant pas à cet égard en position atypique Enfin, c’est une maturation et une théorisation de concepts et de principes : intérêt général, service public, fonction publique[5]. Ce constat des tendances lourdes qu’aucun gouvernement n’est parvenu à renverser entraine l’obligation d’en assurer la perpétuation en mettant en place les chantiers de la modernisation du service public et de la fonction publique : la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, l’organisation de multi-carrières, la circonscription du recours aux contractuels, l’égalité femmes-hommes, le développement d’un dialogue social authentique, la gestion du numérique, l’essor de relations internationales entre services publiques, etc. Ces chantiers sont étroitement liés à deux autres actions publiques majeures : la restauration de la propriété publique et la définition d’un statut législatif .des travailleurs salariés du secteur privé[6].

Cette problématique doit être placée dans le contexte actuel d’une décomposition sociale profonde, au sein d’une « métamorphose » selon l’expression d’Edgard Morin. Il s’agit d’une transition entre un XXe siècle « prométhéen » et un XXIe _ siècle largement indéterminé. Pour certain le capitalisme l’aurait définitivement emporté, le néolibéralisme serait un horizon indépassable, ce serai la « fin de l’histoire » selon l’auteur américain Francis Fukuyama. L’affaissement idéologique de ces tenants du vieux monde prend, en France, la forme d’une interrogation récurrente : qu’est-ce que le macronisme ? Or, la nouvelle civilisation apparaît déjà comme celle des interdépendances, des interconnections, des coopérations, des solidarités qui se traduisent en France par la notion de service public. Il y a là, la perspective d’un « âge d’or »’ du service public[7]. Il faut donc tourner e dos à la fatalité et réfléchir à la stratégie des temps nouveaux.

[1] 1Anicet Le Pors, « Une machine de guerre contre le service public », l’Humanité, 3-4-6 novembre 2017.

[2] Le POINT, 31 août 2017.

[3] CAP 22 ? Service public, se réinventer pour mieux servir, juin 2018

[4] Anicet Le Pors, « Emmanuel Macron : cet homme est dangereux », Mediapart, 5 mai 2017.

[5] Anicet Le Pors, « Les fonctionnaire, voilà l’ennemi » Le Monde diplomatique, avril 2018 (cf. blog).

[6] Voir le détail des propositions faites à l’occasion de mon audition au CESE (cf. blog).

[7] Anicet Le Pors et Gérard Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Éditions de l’Atelier, 2015.

Un commentaire sur “CAP22, une stratégie en difficulté – séminaire syndical FSU, 4 octobre 2018 / CAP22 et GRAND PARIS, journée d’étude de la CGT « Petite Couronne »‘, Bourse du Travail de Paris, 18 octobre 2018.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s