« Les réformes annoncées notamment dans le cadre de CAP22 répondent-elles aux enjeux du service public sur les territoires de la République ? Le service public local : bouée de sauvetage des Territoires ? ».
Table ronde : Marylise Lebranchu, Michel Hiriart, Ronan Doaré, Robert Massimi, Béatrice Thomas-Tual – Anicet Le Pors
Introduction(résumé)
L’opération CAP22 (Comité action publique 2022) a-t-elle été une machine de guerre contre le service public où n’est-elle qu’un leurre ? Depuis le congrès de la Fédération nationale des centres départementaux de gestion (FNCDG), le 7 juin dernier, la situation générale est devenue plus complexe. Les tensions entre associations n’élus et l’exécutif se sont renforcées. Les organisations syndicales sont mécontentes en raison de l’absence d’un véritable dialogue social. Le ton s’est donc durci ce qui ne rend pas facile mon introduction à cette table ronde.
Sur la démarche Action publique 22
La démarche actuelle se situe dans une filiation claire de substitution du contrat à la loi dans le public comme dans le privé : Loi Gallant (1987), rapport Pochard (2003), révolution culturelle Sarkozy (2007), rapport Silicani (2008), tous en échec. Ont prospéré en revanche, 225 « transformations souterraines » en 30 ans.
Durant la campagne des présidentielles Emmanuel Macron avait jugé le statut général des fonctionnaires (SGF) inapproprié et prévu la suppression de 120 000 emplois. Élu, il a poursuivi la réforme du code du travail pour faire du contrat individuel de droit privé une référence sociale majeur et entrepris une croisade anti-statutaire en commençant par le statut des cheminots. Puis, le 13 octobre 2017, il a installé la CAP22 : un comité de 34 membres de caractère managérial, des comités interministériels de transformation publique (CITP), 21 chantiers sectoriels, 5 actions transversales, un forum en ligne, un crédit de 700 millions. Un rapport était prévu pour la fin mars 2018.
Le Premier ministre fait de premières annonces dès le 1er février 2018 (première CITP). Le rapport n’est pas publié mais fuite par une voie syndicale en juillet. Une seconde CITP a lieu le 29 novembre qui avance trois proposition principales : recrutement massif de contractuels, plans de départs volontaires, rémunérations au mérite. Il s’agit d’une stratégie chaotique sur les causes de laquelle on peut s’interroger.
Par ailleurs, le premier ministre a, parallèlement à CAP2,2 lancé diverses missions s’ajoutant aux très nombreux rapports des inspections de l’administration au cours des dernières années. C’est le cas de la mission confiée à deux parlementaires M. Arnaud de Belenet sénateur et M. Jacques Savatier député. Il leur est demande de faire le point et de présenter des propositions concernant les réseaux du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et des centres départementaux de gestion (CDG). Leur rapport devait être remis le 15 novembre.
Sur le contenu des décisions annoncées
Le rapport apocryphe est médiocre dans la forme et dans le fond : vocabulaire managérial d’entreprise privée, méconnaissance du SGE, sans référence à des principes, non opérationnel en l’état, remises en causes essentielles : la rémunération indiciaire, le rôle excessif des commissions administratives paritaires (CAP).
Les deux CITP mettent en avant essentiellement trois thèmes. Le recours massif de contractuels pourrait prévoir des contrats de 5, 10 et 15 ans par analogie avec les militaires. Les plans de départs volontaires dont les conditions ne sont pas précisées seraient assortis d’une amélioration de l’indemnité de départ volontaire (IDV) et de l’accès à l’assurance chômage. La rémunération au mérite par augmentation de la part variable est reprise. D’autres mesures sont notées : polyvalence accrue des fonctionnaires, déconcentration renforcée, dématérialisation, rétablissement du jour de carence en cas de grossesse.
Les propositions gouvernementales ne font aucune référence à la formation historique de la conception française de la fonction publique, à la nécessité de l’expertise scientifique, à l’éthique de service public. Elles sont dominées par la problématique du Nouveau management public (NMP).
Sur les perspectives
Ces propositions surviennent dans un contexte profondément dégradé un an après l’installation de CAP22. La confiance a baissé dans l’opinion publique. Les stigmatisations du service public se sont multipliées. L’affaire Benalla a des conséquences sur la réforme de l’État (recrutement de contractuels, renvoi du débat sur les réformes constitutionnelles). Les marges de manœuvre budgétaires sont limitées (réduction de 3 points de PIB de la dépense publique et de 1 point des prélèvements obligatoires. Risque de réaction des organisations de fonctionnaires et d’élus locaux. Les perspectives de consultations électorales de 2019 et 2020 créent un contexte délicat pour les autorités publiques.
L’offensive frontale contre le SGF dans l’acception actuelle que représentait l’opération CAP22 sera de ce fait abandonnée. Dans ces conditions, seront poursuivies sur les terrains signalés les transformations souterraines pouvant conduire à un « mitage » du SGF. Des modifications seront introduites par la voie de décrets lorsque cela sera possible et les fonctionnaires seront impliqués dans la réforme des retraites. Le SGF serait conservé mais seulement pour les fonctions régaliennes. L’évolution des relations entre l’exécutif et les élus aura des conséquences sur la FPT et la FNCDG devra considérer le sort fait à ses propositions du congrès de La Baule (mutualisation, aménagement du recrutement des contractuels – 40£ des recrutements en 201 7-, coordination des CDG …).
Les perspectives immédiates devraient conduire à exiger un assainissement des modifications réalisées au cours des dernières décennies. À moyen terme, des chantiers structurels de modernisation devraient être engagés, de même qu’une réhabilitation du secteur publique (propriété publique) et la création d’un statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé. Enfin, il ressort de ce qui précède que les régressions récentes ou à venir ne sont pas de nature à inverser les tendances historiques lourdes d’expansion administrative sur la base d’une sécularisation du pouvoir politique, la socialisation des financements des besoins fondamentaux et la maturation de concepts et des principes républicains. De quoi nourrir un optimisme raisonné
