Union fédérale des syndicats de l’État CGT – Magazine, juin 2019
FP – Magazine : Pour la CGT, le projet de loi de transformation de la fonction publique constitue un bouleversement en profondeur du statut général et de ses principes fondateurs. Le recours accru aux contractuels, particulièrement sur les postes de direction, la volonté de faciliter les allers et retours du public vers le privé et inversement, le rapprochement du code du travail avec la création des CSA proches des CSE, l’introduction de la rupture conventionnelle etc. en sont pour nous l’illustration.
Etes-vous d’accord
avec cette analyse ou pensez-vous qu’il ne s’agit que d’une énième réforme du
statut qui ne remet pas en cause son équilibre ?
Quels sont les
éléments contenus dans le texte qui vous permettent d’étayer votre
position ?
Anicet Le Pors : Ce projet de loi est très dangereux pour la qualité et l’impartialité du service public et pour fonctionnaires qui en sont chargés dont les garanties sociales sont affaiblies. Pour autant c’est le dernier avatar d’une offensive constante des tenants du néolibéralisme pour lever les obstacles à la concurrence des marchés, au plein développement de l’idéologie managériale au sein même des administrations. Il y a eu la loi Galland en 1987 tendant à ramener la fonction publique territoriale vers une fonction publique d’emploi, plus précaire. Puis en 2003, le rapport annuel du Conseil d’État propose de faire du contrat « une source autonome du droit de la fonction publique ». En 2007, Nicolas Sarkozy se prononce en faveur d’un recrutement par « contrat de droit privé négocié de gré à gré ». Dans le même temps, pour le 30e anniversaire di statut général des fonctionnaires en 2013, on pouvait comptabiliser 225 modifications législatives du statut, la plupart des dénaturations entrainant un véritable « mitage » du texte. Aujourd’hui, Emmanuel Macron poursuit l’offensive là où ses prédécesseurs ont échoué. C’est grave, mais ce n’est pas sans précédent. Pour y parvenir, le gouvernement, qui savait parfaitement à quoi il voulait aboutir, a mis en place une machine de guerre dite CAP 22 qui s’est finalement avérée être un leurre qui s’est achevé en fiasco.
Mais sa stratégie est claire. Après la réforme du code du
travail érigeant le contrat individuel comme référence sociale majeure valable,
selon lui, pour le public comme pour le privé. Après la suppression du statut
de cheminots, il a lancé l’offensive contre le statut général des fonctionnaires
Mais le gouvernement sort considérablement affaibli des deux années d’exercice
du pouvoir pour de multiples raisons : opinion hostile, front syndical
uni, élus contestataires, affaires judiciaires en tous genres, reformes
institutionnelles mal engagées, etc. Ce qui explique sa tentative de passage en
force sur le projet fonction publique. L’aspect nouveau c’est l’intrusion du Nouveau
management public (NMP) que l’on espère promouvoir par le recrutement massif de
contractuels à tous niveaux, y compris aux postes de direction, qui vont se
combiner avec les allers et retours de hauts fonctionnaires entre le public et
le privé, à l’instar du parcours d’Emmanuel
Macron lui-même, pour gérer l’État et les collectivités publiques comme
des entreprises privées Pour y parvenir il leur faut déposséder les commissions
administratives paritaires de leurs principales prérogatives (mobilité,
avancements, etc.) créer des comités sociaux sur le modèle ce ceux existant
dans le privé, inscrivant leur action dans des lignes directrices de gestion
(LDG) renforçant une conception hiérarchique autoritaire de la gestion
administrative. Ces deux réformes majeures sont par ailleurs renforcées par de
nombreuses autres dispositions : plans de départs volontaires,
rémunérations dites au mérite en perspective, etc.
Ce projet n’est pas non plus le résultat d’un travail
sérieux, ce qu’a souligné le Conseil d’État dans son avis (étude d’impact
rédigée après coup, nombreuses imprécisions sur des points essentiels). Il
débouche sur la bureaucratie devant multiplier les dérogations, les précisons
techniques d’encadrement, les renvois à des décrets en Conseil d’État (près de
80 !). Pour compenser le recours risqué aux contractuels il multiple les
références à la déontologie, expression particulière du « droit
souple » qui n’est pas normatif mais préféré par les managers. Il bavarde
sur le dialogue social d’autant plus fort que les principaux intéressés, les
syndicats, dénoncent son inexistence. Sur le fond il y a plus grave. L’idéologie
managériale va introduire la confusion des finalités du public autour de l’intérêt général, et celles du privé, la
rentabilité ; à la responsabilité
du fonctionnaire citoyen sera substituée la mesure de la performance
individuelle du fonctionnaire redevenu sujet. L’hétérogénéité des recrutements
publics-privés va accroitre les risques de conflits d’intérêts, de
clientélisme, de corruption. ON s’engagera ainsi progressivement vers une
captation de l’action publique par des intérêts privés, la finance et, à la
limite, une privatisation masquée de l’appareil d’État. Tel est l’enjeu qui
doit mobiliser les fonctionnaires et la population pour illustrer, défendre et
promouvoir notre conception française de la fonction publique fondée sur
l’histoire, la science et l’éthique républicaine.
Anicet Le Pors
Ancien ministre de la
Fonction publique (1981-1984)
Pour bien comprendre les enjeux qui se jouent autour du projet de loi de transformation de la fonction publique menée par le gouvernement, pouvez-vous revenir sur la conception française républicaine de la fonction publique
Il faut d’abord rappeler que pendant le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle a prévalu une conception hiérarchique
autoritaire de la fonction publique. Le statut de 1946 a pris le contrepied de
cette conception d’un fonctionnaire-sujet en instituant celle du fonctionnaire-citoyen
garanti dans son emploi, doté de droits et d’obligations lui permettant de
résister aux pressions économiques et politiques, base de la neutralité et de
l’impartialité de l’administration. Le statut de 1983 a permis d’approfondir
cette conception en même temps que, au-delà
des fonctionnaires de l’État, le statut a été étendu aux agents publics
des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers. Le
statut actuel est ainsi fondé sur l’héritage du statut de 1946, porteur des aspirations
de la Libération, il respecte à la fois le principe d’unité de la République et
celui de libre administration des collectivités territoriales, l’autonomie de
gestion des établissements publics. L’ensemble regroupe aujourd’hui 5,5
millions d’agents publics, soit 20% de la population active du pays.
Près de 80 ans après
la création d’un stat des
fonctionnaires, c’est une transformation profonde de la fonction publique qui
est proposée, quelle est votre analyse sur cette reforme et quelles en
seraient les conséquences ?
La réforme du code du travail a érigé le contrat individuel de
travail de droit privé en référence
sociale majeure que le gouvernement veut
rendre applicable au public comme au privé. La croisade anti-statuts a commencé
avec les cheminots. Dans la fonction publique il pense y parvenir en
substituant massivement des contractuels aux fonctionnaires, en levant les
obstacles à une gestion managériale autoritaire par la réduction des garanties
des fonctionnaires, en organisant des plans de départs collectifs lors de
restructurations, en imposant une rémunération dite au mérite mais en réalité
très arbitraire et clientéliste. Le statut des fonctionnaires serait ainsi mis
en extinction. Cette reforme aurait pour effet de brouiller les objectifs de
service de l’intérêt général et ceux des intérêts privés. Les risques de
conflits d’intérêts seraient aggravés. L’action combinée de l’occupation
de postes de direction par des managers privés et les allers et retours de
hauts fonctionnaires entre l’administration et les sociétés privées
entraineraient une mainmise du privé sur l’administration. C’est finalement
l’appareil d’État et l’administration des collectivités publiques qui seraient
déstabilisés. Dans de telles conditions les fonctionnaires verraient leur
situation précarisée.
Selon vous, quelles
sont les perspectives à court et à long terme sur le devenir de la fonction
publique et des services publics ?
L’histoire n’est pas écrite à l’avance, tout dépend de l’évolution
des rapports de forces et des évènements. Si Emmanuel Macron et le gouvernement
parviennent à leurs fins, dans l’immédiat les conséquences que je viens
d’indiquer surviendront. Mais le pouvoir exécutif s’est beaucoup affaibli
depuis deux ans, ce qui explique sans doute sa volonté de passer en force cette
réforme au parlement avant l’été. L’opération dite CAP 22 qui avait été lancée
en octobre 2017 a été un fiasco, le président de la République a du revenir sur
son objectif de supprimer 120 000 emplois de fonctionnaires durant son
quinquennat. D’un aitre côté toutes les organisations syndicales agissent dans
l’unité. Le temps ne travaille pas pour Emmanuel Macron. Il importe donc que soient définis
les voies et moyens d’une véritable
modernisation efficace et démocratique. De nombreuses propositions ont été
faites à ce sujet et j’y ai pris ma part.
Je suis raisonnablement optimiste : le XXIe siècle peut
être le siècle des services publics.
Emmanuel Macron a décidé de s’en
prendre aux salariés sous statuts, que ceux-ci soient réglementaires ou
législatifs. Il a notamment stigmatisé au cours de la campagne présidentielle
le statut général des fonctionnaires, le jugeant « inapproprié ». Arrivé à la
tête de l’État il a d’abord parachevé la réforme du code du travail entreprise
sous le quinquennat de François Hollande, imposant comme référence sociale
majeure le contrat individuel de droit privé négocié de gré à gré tout en bas
de la hiérarchie des normes. Restait alors à en généraliser l’application, dans
le privé comme dans le public. Il y avait des précédents (La Poste, France
Télécom), mais le président de la République a choisi d’entreprendre sa
croisade néolibérale par la réforme de la SNCF pour supprimer le statut des
cheminots au sein d’un service public dégradé. La route était libre alors pour
une réforme de la fonction publique concernant un cinquième de la population
active du pays.
À cette fin, le premier ministre Édouard Philippe a lancé, le 13 octobre 2017, une gigantesque opération baptisée CAP22, à la fois un leurre au sens où l’exécutif savait parfaitement ce qu’il voulait faire, mais c’était aussi le moyen d’accréditer l’idée d’une politique sérieuse parce que complexe et d’une réelle élaboration collective. Mais la démarche s’est révélée chaotique, un rapport qui devait être rendu public n mars 2018 ne l’a pas été et l’opération a tourné au fiasco. Car dès le 1er février 2018 le premier ministre a annoncé les trois terrains principaux de la réforme : le recrutement massif de contractuels au lieu du recrutement par concours de fonctionnaires, l’établissement de plans de départs volontaires, la rémunération dite au mérite. Ces orientations ont été renouvelées lors d’un second comité interministériel de transformation publique le 29 octobre et un projet de réforme de la fonction publique a été présenté le 13 février 2019, dans la perspective d’une adoption définitive d’un projet de loi avant l’été.
Le statut général des
fonctionnaires n’a cessé d’être attaqué depuis la promulgation de son titre 1er
par la loi du 13 juillet 1983, soit sous forme d’offensives frontales (loi
Galland du 13 juillet 1987, rapport annuel du Conseil d’État en 2003, réforme
Sarkozy-livre blanc Silicani en 2007-2008), soit sous forme de plusieurs
centaines de modifications ponctuelles du statut général conduisant à un
véritable « mitage » du texte et le dénaturant partiellement. Il reste que, par
là et depuis 36 ans, le statut a néanmoins prouvé sa solidité et son adaptabilité.
L’opération CAP 22 relevait de la première catégorie. Inscrivant leur démarche
dans la seconde catégorie, les promoteurs de la réforme aujourd’hui présentée
au Parlement disent vouloir maintenir le statut, mais les nombreuses modifications
annoncées pourraient, à terme, le rendre inopérant. Ce qui singularise la
politique actuelle c’est une volonté de substituer l’idéologie managériale à
l’esprit de service public et pour cela lever tous les obstacles à sa marchandisation.
Les conséquences en seraient graves pour les administrations de l’État, des
collectivités territoriales et les établissements publics hospitaliers et de
recherche. Une politique profondément contraire à la conception française de la
fonction publique. Ce serait, pensent les managers qui nous gouvernent, l’heure
en n venue du New Public Management.
Un
projet qui aligne le secteur public sur le secteur privé
Le projet met d’entrée en cause
un statut qui n’offrirait pas aux fonctionnaires « la reconnaissance et les
perspectives professionnelles escomptées ». Mais outre qu’une telle affirmation
ne repose sur aucune enquête d’opinion, elle dispense ses auteurs de l’analyse
des causes d’une insatisfaction réelle des agents de la fonction publique qui
tiennent notamment à la nature des missions qui leurs sont assignées par les
exécutifs, aux conditions de vie et de travail qui leurs sont faites, à
l’insuffisance de leur pouvoir d’achat et à la précarité, aux entraves mises à
l’exercice des droits. Cette carence dans l’analyse scientifique des causes se
retrouve dans celle des effets des mesures envisagées. Aucune étude d’impact ne
figure au dossier communiqué aux organisations syndicales alors qu’une telle
étude devrait être préalable à toute formulation des réformes. Cette politique
est dépourvue de toute réflexion sur la gestion prévisionnelle des effectifs et
des compétences, de la mise en œuvre de multi-carrières assorties des
formations correspondantes, de justification sérieuse sur le recours aux
contractuels, de la mesure concrète des incidences sectorielles de la
numérisation, des conditions de promotion de l’égalité femmes-hommes, de la
participation effective des personnels à la gestion des services au lieu de
bavardages récurrents sur le dialogue social.
Toutes autres sont les
préoccupations du gouvernement qui n’aborde la réforme du statut que sous
l’angle d’une simple transposition de management de l’entreprise privée au
secteur public. Il s’agit de « responsabiliser les managers publics en
développant les leviers qui leur permettront d’être de vrais chefs d’équipe ».
On voit ici poindre une conception autoritaire antérieure au statut qui
nécessite la levée de toute contrainte à l’exercice d’un pouvoir hiérarchique
qui ne souffre pas la discussion. À cette fin la mesure principale consiste à
recruter massivement des contractuels à tous niveaux et dans toutes les
catégories de la fonction publique de l’État a n de disposer de personnels plus
dociles par conformisme ou intérêt. Il est significativement précisé que des
contractuels venant du privé pourront occuper des postes de direction. Les
contrats pourront prendre la forme de contrats de projets, lesquels projets
pouvaient tout aussi bien être conçus dans le cadre statutaire actuel. Un
nouveau type de CDD pour la fonction publique sera créé. La fonction publique
territoriale verra élargies les possibilités de contrats à temps non complets.
Le projet prévoit égale- ment, bien que de manière encore très imprécise, des
mesures clairement inspirées du code du travail, la possibilité de rupture
conventionnelle des contrats, plans de départs volontaires, etc. Toutes ces
dispositions visent à écarter progressivement les fonctionnaires en place au
pro t de personnels sous contrats.
Un projet
qui porte atteinte au service public et qui réduit les garanties statutaires
Cette politique qui vise à affaiblir
le statut en le contournant, est en premier lieu préjudiciable à
l’administration elle-même dont la neutralité et l’impartialité sont menacées
par un recrutement moins garanti dans son intégrité, une formation non
maitrisée et une stabilité réduite. D’où les références incantatoires à la
déontologie, expression particulière de l’extension recherchée du « droit
souple », non normatif. Le contrat assorti d’un code de bonne conduite est
généralement plus permissif que le droit positif. Au plan territorial ces
pratiques ont la faveur des gestionnaires des métropoles et des
intercommunalités, mais gagnent aussi certains élus locaux. Certaines des
dispositions du projet vont favoriser cette évolution. Un contrôle dit
déontologique sera renforcé sur des activités dites sensibles. Ce contrôle sera
également exercé sur les fonctionnaires effectuant des allers-retours entre le
public et le privé, ce qui est une manière d’en révéler l’existence sinon de
l’encourager. La pratique du « rétro-pantouflage » s’est beaucoup développée au
cours des dernières années, elle a été notamment le fait de l’Inspection générale
des Finances, Emmanuel Macron en est le meilleur exemple. Cette pratique vise à
rien moins qu’à privatiser l’État.
Les garanties statutaires des
fonctionnaires sortiraient affaiblies d’une telle réforme. Car il est d’autant
plus question de dialogue social dans le projet que ce dialogue est méconnu par
les pouvoirs publics : ainsi la place des négociations sur les rémunérations
n’a cessé de se restreindre depuis 35 ans jusqu’au blocage de 2010. Toutes les
organisations syndicales ont déploré la pratique de réunions multipliées qui ne
tiennent aucun compte de leurs propositions. Les instances de concertation
traditionnelles voient leurs compétences réduites. Les comités techniques
paritaires (CTP) qui avaient vocation à intervenir dans la gestion des services,
mais qui avaient perdu leur caractère paritaire au cours des dernières années
(devenus alors des CT) disparaissent dans des comités sociaux d’administration
(CSA) par fusion avec les comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de
travail (CHDCT. Les commissions administratives paritaires (CAP) voient leurs
compétences fortement diminuées. Leur avis préalable sur les questions
d’avancement, de promotion, de mutation, de mobilité est supprimé (sauf sur ces
deux derniers points pour la fonction publique hospitalière), ceci de manière
de l’intérêt général. La réforme de la fonction publique, dite aussi de l’État
est le dernier avatar de cette contre-révolution.
De g. à d. : Baptiste Talbot, Bernard Thibault, A.LP au Mans - CGT le 25 mai 2019
Le projet d’Emmanuel Macron est
contraire à la morale républicaine. Sans qu’il soit besoin de revenir sur les
turpitudes de l’entourage qu’il s’est choisi et ses observations méprisantes
pour ceux que la réussite n’a pas gratifiés, il est le représentant d’une
classe et d’une caste hautaine et dure aux plus faibles. La primauté de
l’intérêt général, l’affirmation du principe d’égalité, l’éthique de la
responsabilité sont des valeurs qu’il ne tient pas pour déterminantes. Ce
comportement se retrouve dans le projet de réforme de la fonction publique :
idéologie néolibérale au lieu de sens du service public et de l’État, autoritarisme
hiérarchique plutôt que discussion et négociation, le manager à la place du
citoyen.à « doter les managers des leviers
de ressources humaines nécessaires à leur action», avec les risques
d’arbitraire et d’autoritarisme subséquents. Le recours aux ordonnances pour la
validation de dispositions législatives en matière de négociation est très
discutable. La rémunération au mérite comme levier de gestion des ressources
humaines et l’entretien professionnel se substituant à la notation sont
également évoqués mais sans plus de précision que par le passé. Une reprise en
main de la gestion du temps de travail, notamment dans la FPT est clairement
annoncée mais ses modalités restent imprécises.
Un
projet qui tourne le dos à la conception française de la fonction publique
Le projet d’Emmanuel Macron
ignore l’histoire. Il n’y est fait référence à aucun moment dans le dis- cours
gouvernemental. Or, la fonction publique française d’aujourd’hui est
l’aboutissement d’un processus pluriséculaire qui a vu notamment la Révolution
française supprimer les privilèges, la vénalité des charges publiques, puis au
XIXe et au XXe siècle s’affronter deux lignes de forces, l’une autoritaire,
l’autre démocratique, jusqu’au statut général des fonctionnaires après la deuxième
guerre mondiale avec le statut général des fonctionnaires de l’État de 1946,
statut fondateur consacrant la conception du fonctionnaire-citoyen contre celle
du fonctionnaire-sujet qui avait prévalu jusque-là. Cette conception a été
réaffirmée par le statut fédérateur de 1983 qui en a enrichi le contenu et l’a
étendu aux agents publics des collectivités territoriales et à ceux des établissements
publics hospitaliers et de recherche. Cette histoire permet d’identifier des
tendances lourdes dont aucun gouvernement ne peut s’affranchir durablement.
Le projet d’Emmanuel Macron
ignore la démarche rationnelle, scientifique, plus que jamais nécessaire dans
un monde complexe. Le néolibéralisme a abandonné au marché les questions de
gestion au moment où elles en appelaient à plus d’intelligence et de volonté.
Les bases matérielles que constituait le secteur public ont été diminuées par
les privatisations, la programmation a cédé devant la dérégulation, l’État et
les collectivités publiques ont perdu leurs moyens d’expertise. En France, les
instruments de planification économique, d’aménagement du territoire, de
rationalisation des choix budgétaires, de prévision et de stratégie ont cédé le
pas aux dogmes de la concurrence, de réduction de la dépense publique, d’une
mondialisation financière ne souffrant aucune contestation. Cette régression de
la raison est particulièrement sensible dans le service public vecteur
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“ La pratique du « rétro- pantouflage » s’est beaucoup développée au cours des dernières années (…). Cette pratique vise à rien moins qu’à privatiser l’État. ”
“ La connaissance de l’histoire est indispensable pour éclairer
le présent et définir des perspectives également absentes du projet macronien qui ne se situe qu’ « ici et
maintenant »
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Anicet Le Pors
Ministre de
la Fonction publique et des Réformes administratives (1981-1984) Conseiller
d’État honoraire