La politique de l’emploi dans la Fonction publique en 1981 et 2021

Pendant la campagne des élections présidentielles de 2017 les candidats de droite ont rivalisé par leurs propositions de suppression du nombre de fonctionnaires. Ainsi François Fillion en proposait 500 000, Alain Juppé 300 000 et Emmanuel Macron 120 000. Mais la pression des besoins sociaux (gilets jaunes, pandémie) ,l’importance du rôle joué par les services publics ont été telles au cours de l’actuel quinquennat que le président de la République a du y renoncer.

Déjà dans la nouvelle campagne de la présidentielle de 2022, Valérie Pécresse propose la suppression de 150 000 emplois de fonctionnaires. N’en doutons pas, d’autres suivront.

En réalité, le débat sur les effectifs de fonctionnaires recouvre celui sur l’importance qu’un gouvernement accorde au service de l’intérêt général et, par là, à la place des services publics dans la nation. Le néolibéralisme aujourd’hui au pouvoir veut aligner le public sur le privé et,, par voie de conséquence, déréguler l’action publique et réduire le champ public au minimum des fonctions régaliennes.

Par contraste on rappellera que le 2e gouvernement Mauroy a, deux mois après sa constitution, a annoncé la création de 37 700 emplois dans la fonction publique de l’État et pris des mesures législatives et réglementaires pour stimuler l’emploi dans les collectivités territoriales et les établissements publics hospitaliers et de recherche.

C’est pour brocarder ces mesures que Le Figaro du 21 août 1981 avait publié le dessin ci-dessus de Jacques Faisant dont l’humour peut être regardé aujourd’hui comme une dure critique de la politique actuelle dont le service public, à l’évidence, n’est pas la priorité.

Liberté d’expression et responsabilité des fonctionnnaires

Regards croisés n° 40, revue de l’institut de recherche de la FSU septembre – décembre 2021

Le statut des fonctionnaires leur garantit la liberté d’opinion et l’obligation de réserve n’y figure pas. C’est la responsabilité du fonctionnaire-citoyen qui garantit le mieux une liberté d’expression étendue et maîtriséeMais celle-ci est de plus en plus menacée par des tentations managériales autoritaires

« La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires ». Le statut général est clair. S’ensuivent deux conséquences.  La première  est d’entraîner un autre principe, celui de non-discrimination des fonctionnaires : toute discrimination entre les fonctionnaires fondée notamment sur leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques, est interdite.

La deuxième est de permettre au fonctionnaire de penser librement, principe posé dès l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui vaut pour les fonctionnaires comme pour tout citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

 Ce principe a été repris dans le statut en 1983 et un large débat s’est ouvert aussi bien avec les organisations syndicales qu’au Parlement sur la portée et les limites de la liberté d’opinion qu’il convenait éventuellement d’expliciter dans le statut lui-même, sous la forme, d’une part, de la liberté d’expression et, d’autre part, de l’obligation de réserve. J’ai rejeté à l’Assemblée nationale le 3 mai 1983 un amendement tendant à l’inscription de l’obligation de réserve dans la loi en observant que cette dernière « est une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie » et qu’il revenait au juge administratif d’apprécier au cas par cas. Ainsi, l’obligation de réserve ne figure pas dans le statut général. Le fonctionnaire est un citoyen de plein droit.

Plutôt que la contrainte du  pouvoir hiérarchique, c’est la responsabilité du fonctionnaire-citoyen qui constitue le meilleur garant d’une liberté d’expression étendue et maîtrisée. Les dispositions statutaires spécifiques relatives à la discrétion et au secret professionnels ne sauraient lui être opposées. En revanche celles fondant sa responsabilité sont significatives. 

Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Il n’est dégagé d’aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés. A titre individuel le fonctionnaire garde toujours une marge d’appréciation et comme membre de collectifs de travail il partage une responsabilité commune.

Le conformisme et l’autoritarisme sont souvent à l’origine des atteintes portées à la liberté d’expression dans la fonction publique. Les dernières réformes législatives sont de nature à aggraver  le développement de nouvelles menaces. D’abord, un risque accru de sollicitation abusive des textes en raison de confusions juridiques, la catégorie d’agents publics regroupant fonctionnaires et contractuels par exemple. Ensuite, une préférence accordée à la déontologie  non normative contre le droit positif traduction du courant du soft power américain ; la référence aux valeurs plutôt qu’aux principes favorisant une appréciation plus subjective sinon arbitraire du pouvoir hiérarchique. Enfin, la codification et l’éclatement qu’elle entraine de l’architecture du statut renforce les tendances discrétionnaires et managériales de la gestion du service public. La liberté d’expression est toujours un combat.

Témoignages et réalités

Le Centre départemental de gestion de Haute-Garonne a organisé le 30 septembre dans les locaux de la Dépêche du midi de Toulouse une table ronde sur le thème indiqué ci-dessous.  Après une introduction de la Présidente Madame Sandrine Giel-Gomez, sont intervenus : Clémence Lapuelle avocate, Irène Gaillard maître  de conférence, Laurent Rey consultant, Adrien Cazako dirigeant d’entreprise. Anicet Le Pors grand témoin devait faire la conclusion dont on trouvera ci-après un résumé.

« Quel service public territorial en 2030 ? »

J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt les différentes interventions de la table ronde, contributions positives et dynamiques sous le thème proposé de l’avenir de la fonction publique territoriale : sociologie du travail, éducation, ergonomie, management des organisations publiques et privées, transformations digitales, droit de la fonction publique. À  ce sujet je voudrais apporter une information : aujourd’hui même se tient une réunion importante du conseil supérieur commun des  trois fonctions publiques pour qu’il formule un  avis sur le projet de code de la fonction publique qui intègre à  droit constant les quatre lois de 1983-1986. Pour des raisons tenant à la  nocivité de la  loi du 6 août 2019 modifiant le statut et en raison des conditions de la concertation, une partie des organisations syndicales a refusé de participer à cette réunion, les autres y ont participé en récusant le projet. Tel est aujourd’hui l’état des lieux.

Témoignages

Convoqué dans ce débat comme grand témoin j’évoquerai de simples constats qui me semblent significatifs de l’évolution sur la période.

Avant 1983 les agents publics des communes se  eux vivaient en position humiliante par rapport  à leurs homologues de l’État. Ils se disaient souvent eux-mêmes « assimilés fonctionnaires ». Couverts par le nouveau statut ils sont alors reconnus fonctionnaires de plein droit. Malheureusement, la majorité des fonctionnaires territoriaux étant féminine et classée en  catégorie C . Ils ont subi particulièrement les effets des politiques d’austérité et la précarité les a gravement pénalisés. Pour autant la fonction publique territoriale  a trouvé sa place,  notamment grâce aux centres départementaux de gestion.

Le contraste entre le début et la fin de la période est particulièrement  fort s’agissant du rôle des organisations syndicales. Après des centaines d’heures de discussions et en dépit au départ d’hésitations et de réserves, toutes les organisations syndicales auxquelles le statut avait reconnu leur droit à la négociation ont soutenu le statut. Aujourd’hui, toutes les organisations syndicales sont opposées à la politique de l’exécutif dans la fonction publique, notamment sa politique statutaire.

Beaucoup d’élus s’inquiétaient des répercussions possibles des réformes engagées au début des années 1980 et notamment des effets du nouveau statut sur leurs compétences. Au fil du temps ils ont pu être rassurés en constatant que le statut conférait une sécurité juridique à l’exercice de leurs prérogatives et je ne reçois plus de doléances à ce sujet. Au contraire j’ai rencontré une compréhension chez les élus lors des assemblées des centres de gestion et du congrès de la Rédération nationale des centres de  gestion en 2018 sous la présidence de Michel Hirriart. Je me suis aussi toujours trouvé en accord avec Philippe Laurent maire UDI de Sceaux qui a présidé pendant de nombreuses années le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Je note aussi le désaccord manifesté par toutes les associations d’élus locaux vis-à-vis de la politique territoriale de l’exécutif.

Enfin, je rappellerai que le Parlement d’alors  avait approuvé toutes les réformes proposées. J’ai même pu espérer un moment que le statut nouveau pourrait, comme en 1946, être adopté à l’unanimité de l’Assemblée nationale. Ce ne fut pas le cas pour des raisons de tactique politicienne, mis plusieurs députés de l’opposition le votèrent néanmoins. 

Réalités

On ne peut avoir l’ambition de dire l’avenir du  service public territorial en 2030 sans s’interroger préalablement sur la réalité multidimensionnelle de la fonction publique.

La fonction publique, une réalité historique. Le statut fondateur de 1946 a  fait le choix du fonctionnaire-citoyen responsable contre la conception  du fonctionnaire-sujet qui avait prévalu durant le XIXe et la première moitié du XXe siècle. Le statut fédérateur se 1983 a fait le choix du système de la carrière pour tous contre celui de l’emploi lié au seul métier, la recherche d’un équilibre entre unité et diversité, le choix de fonder la fonction publique « à trois versants »  sur des principes ancrés dans l’histoire : égalité, indépendance, responsabilité.

La fonction publique, une réalité collective. Comme la crise sanitaire l’a bien montré le service public c’est un ensemble de travailleurs collectifs représentant 25% de la population active en France. Toute réforme importante  implique donc un large accord des fonctionnaire et  l’appui par la négociation de leurs  organisations représentatives. C’est dans ces conditions qu’une codification aurait un sens, la matière législative ayant été préalablement  épurée des dénaturations des quatre dernières décennies.

La fonction publique, une  réalité structurelle. Au service de l’intérêt général elle doit en permanence s’adapter aux évolutions, : besoins sociaux, technologies, cultures, territoires, relations internationales, etc. Cela doit conduire à une révision générale du classement  des qualifications et des grilles indiciaires correspondantes. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut réaliser une gestion prévisionnelle sérieuse des effectifs et des compétences alors que ces structures n’ont pas changé depuis des dizaines d’années que l’on pourra donner sens à la mobilité et à l’adaptabilité grâce à un système de formation continue de grande ampleur.

La fonction publique, une réalité de long terme. Les  grandes fonctions du service public (éducation, santé, recherche, sécurité, défense…) ne peuvent être définies que sur le long terme. Ainsi est-il nécessaire de faire des hypothèses rationnelles sur ce que devront être les effectifs et les compétences  des enseignants à échéance de dix ou vingt ans. Or la fonction publique demeure sous la contrainte du principe de l’annualité budgétaire et gérée en fait par la direction du Budget. Il y a peu la fonction publique avait même disparu des intitulés ministériels et ses services intégrés au ministère des comptes publics, conception archaïque aberrante, le service public ainsi réduit à un coût comptable. Une remiseen cause complète doit donc être opérée.