Il y a un appauvrissement idéologique de la réflexion syndicale sur le service public et la fonction publique (faible commémoration du 60° anniversaire de la loi du 19.10.1946).
La mise en perspective témoigne du fait que le statut général des fonctionnaires n’a cessé d’évoluer de se transformer (1946, 1959, 1983-86) ; d’environ 1 million à 5,2 millions ; de 145 articles en 1946, 57 en 59, plus de 500 aujourd’hui pour la FP « à trois versants » respectant l’extrême diversité des fonctions et des activités.
L’unité de démarche est fondée sur la référence aux principes républicains : égalité, indépendance, responsabilité.
À l’évidence, l’élection du nouveau président de la République marque une nouvelle étape significative. J’ai pu parler à son sujet de « forfaiture », je voudrais expliciter cette appréciation, donner un avis sur certaines des propositions avancées dans son discours à l’IRA de Nantes le 19.9.07 et m’interroger ce qu’il faudrait faire pour contrecarrer l’entreprise présidentielle engagée.
Sur la notion de « forfaiture »
– Robert : « Crime dont un fonctionnaire public se rend coupable en commettant certaines graves infractions dans l’exercice de ses fonctions. » . L’expression est a fortiori extensible aux plus hautes autorités de l’État, c’est ainsi que le président du Sénat avait qualifié en 1962 la décision du président Pompidou de prendre l’initiative du recours au référendum sur la base de l’article 11 de la constitution (et non l’article 89) pour instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel.
– Il y donc, forfaiture lorsqu’une autorité publique outrepasse ses compétences par une action délictuelle ou lorsqu’un mandat est détourné des engagements qui le constituent et qui ont été strictement consacrés par le suffrage universel.
– En l’espèce, l’engagement de Nicolas Sarkozy en matière de fonction publique a été exprimé pendant la campagne électorale dans son discours de Périgueux du 13 octobre 2006, il tient en six lignes :
« Au fonctionnaire qui se sent mal payé, je dis que ma volonté est qu’il y ait moins de fonctionnaires mais qu’ils soient mieux payés et mieux considérés. Au fonctionnaire qui se sent démotivé parce que ces efforts ne sont jamais récompensés, je dis que mon objectif est que le mérite soit reconnu et les gains de productivité partagés. Au fonctionnaire qui est prisonnier des règles de gestion des corps je dis que mon objectif est de supprimer la gestion par corps pour la remplacer par une gestion par métier qui ouvrira des perspectives de promotion professionnelle beaucoup plus grandes. Je ne veux pas que la seule voie de réussite soit celle des concours et des examens. »
– Si plusieurs des mesures annoncées à Nantes peuvent être devinées dans ces formulations générales on ne saurait en déduire le dispositif annoncé avec, ce qui a été rappelé : le rejet de la distinction public-privé, la gestion par corps réduite à l’exception, l’encouragement à quitter la fonction publique au bénéfice d’un pécule, le choix à l’entrée entre « le statut et un contrat de droit privé négocié de gré à gré », l’extension à la fonction publique du « travailler plus pour gagner plus » notamment par le moyen d’heures supplémentaires et le rachat des heures accumulées dans les comptes épargne-temps avec parallèlement réduction des effectifs, l’individualisation des carrières sur la base d’une réflexion sur la « culture du concours et sur la notation » afin d’échapper au « carcan des statuts »… le tout étant baptisé « révolution culturelle ».
– Je considère donc que Nicolas Sarkozy n’a pas été mandaté pour engager ce qui est en réalité une « contre-révolution » dans la fonction publique, et c’est pourquoi je parle de forfaiture. Je dois ajouter d’ailleurs que c’est de sa part une constante s’agissant de sa pratique des institutions, mais il s’agit d’un autre sujet que j’ai traité par ailleurs sous le titre de « Dérive bonapartiste ».
Sur quelques-unes des réformes envisagées
On rappelle les trois principes républicains fondant l’unité de la fonction publique « à trois versants » : égalité, indépendance, responsabilité. La réforme contrevient à ces trois principes sur trois points au moin : le contrat est opposé au statut, le métier à la fonction, l’individualisation des rémunérations à la recherche de l’efficacité sociale.
* Le contrat opposé au statut
– Je veux tout d’abord souligner que les réformes proposées s’inscrivent dans un contexte de déréglementation et de privatisation dont on ne finirait pas d’exposer les cas multiples et les modalités (La Poste et France Télécom, Service des Poudres, SEITA, GIAT, IN, DCN) ; d’affaiblissement des organismes de programmation (CGP, intégration de la DP dans la DGTPE, disparition du CNE) ; d’extension du champ de la contractualisation au détriment de la loi, y compris dans la FP régalienne.
– Pourquoi le fonctionnaire a-t-il été placé par la loi vis-à-vis de l’administration dans une situation statutaire et réglementaire et non contractuelle ( art. 4 T I) ? et pourquoi les emplois permanents des collectivités publiques doivent-ils être occupés par des fonctionnaires (art. 3 T I) ? Parce que le fonctionnaire est au service de l’intérêt général à l’inverse du salarié de l’entreprise privée lié à son employeur par un contrat qui fait la loi des parties (art. 1134 du Code Civil). Remettre en cause cette spécificité c’est déconnecter le fonctionnaire de l’intérêt général pour le renvoyer vers des intérêts particuliers, le sien ou celui de clients ou d’usagers.
– Et c’est aussi parce que la loi est l’expression de la volonté générale qu’aux termes de l’article 6 de la DDHC (art. 6) « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » Ainsi le principe de l’égalité des citoyens entraîne nécessairement l’égal accès aux emplois publics. Et nous en avons déduit que, sauf dérogation prévue par la loi, les fonctionnaires sont recrutés par concours conduisant à une situation statutaire et réglementaire.
– Le choix à l’entrée (avant ou après le concours ?) entre le statut et un contrat de droit privé conclu de gré à gré tourne ainsi le dos au principe d’égalité. En réalité on voit clairement ce qui découle de l’alternative ainsi proposée : la mise en extinction du statut général par recrutement parallèle et de manière croissante de personnels contractuels, le cas échéant bénéficiant de conditions avantageuses ce qui conduira à élever leur proportion comme le mouvement en est d’ailleurs amorcé, jusqu’à ce qu’ils deviennent plus nombreux que les fonctionnaires eux-mêmes. Il y a des précédents : le pdg de La Poste Jean-Paul Bailly ne vient-il pas d’annoncer (Le Figaro, 25.10.07) qu’en 2012 il y aurait autant de salariés de droit privé que de fonctionnaires à La Poste ? Or on sait que le statut général qui n’écarte pas, par dérogation au principe, le recrutement de contractuels en circonscrit strictement les motifs (art.4 TII).
La réforme proposée est donc franchement contraire principe d’égalité.
* Le métier opposé à la fonction
– La façon dont on appréhende la notion de fonction publique dépend du niveau où l’on souhaite situer les activités qu’elle regroupe. Pour ma part je déclarais le 15 décembre 1983 : « Dans le système dit de la carrière, propre à la conception française, on ne sert pas l’État comme on sert une société privée. C’est une fonction sociale qui s’apparente aussi bien à la magistrature, au sens donné à ce mot dans l’ancienne Rome, qu’au service public moderne dans toute la gamme des technicités requises pour la mise en œuvre des fonctions collectives d’une société développée comme la société française ». On retiendra de cette quasi-définition la référence de la fonction publique à une magistrature et sa conception globale : le système de la carrière considère des travailleurs collectifs dont l’activité est nécessairement gérée sur l’ensemble d’une vie professionnelle.
– Aujourd’hui on nous propose le métier comme concept de référence. C’est celui du secteur privé et assez largement celui de la fonction publique territoriale avant la réforme de 1983-84. Je ne considère pas la notion de métier comme péjorative dans la fonction publique ; elle peut avoir une utilité pour analyser les fonctions, et synthétiser un ensemble d’activités élémentaires, mais son usage n’est pas neutre selon qu’il s’agit d’activités régies par le marché ou relevant d’une fonction publique. Dans le premier cas c’est la donnée de base des activités participant à la production de biens ou de services. Dans le second cas c’est l’éclatement des fonctions en composantes parcellaires qui ne peuvent prendre sens que par rapport aux fonctions publiques intégrées, elles-mêmes ordonnées par rapport à l’intérêt général.
– Ainsi la substitution du concept de métier à celui de fonction vise à rien moins que de substituer la logique du marché à celle du service public, une fonction publique d’emploi à une fonction publique de carrière. Elle est accordée à la substitution du contrat à la loi, du contrat au statut.
– Elle touche donc au cœur la conception française de fonction publique en remettant en cause le principe d’indépendance.
* L’individualisation des rémunérations opposée à la recherche de l’efficacité sociale
– Le mérite est mis en avant pour mettre en accusation les pratiques actuelles. Personne n’a jamais contesté que le mérite doive être considéré pour rémunérer les fonctionnaires. On ne trouvera aucune déclaration de ma part prônant un égalitarisme généralisé, j’ai toujours affirmé le contraire, c’est-à-dire que le fonctionnaire qui travaille mal ne doit pas être rémunéré comme celui qui travaille bien. Le statut le permet, ce qui manque c’est le courage. En réalité, l’évocation du mérite et le thème de l’individualisation des rémunérations recouvre une remise en cause d’un ensemble des caractéristiques de la conception française de la fonction publique.
– D’abord la notion de corps, c’est-à-dire de ces ensembles fonctionnels, regroupant le cas échéant plusieurs métiers dans une structure hiérarchique, organisés pour assumer certaines fonctions publiques spécifiques participant de fonctions publiques plus globales. On en critique le nombre en avançant des chiffres fantaisistes. Selon la DGAFP il y a aujourd’hui 300 à 500 corps et non pas 1500 et il ne faut jamais perdre de vue que 2 % des corps regroupent 70 % des fonctionnaires. Si la pratique n’est pas satisfaisante les possibilités statutaires de mobilité existent par la voie du détachement, de la mise à disposition et ce n’est pas ceux qui, par la loi Galland du 13.7.87 ont supprimé la comparabilité entre FPE et FPT de se plaindre du défaut de mobilité, pas davantage ceux qui ont pratiqué d’année en année le gel indiciaire pour critiquer ensuite la rigidité des carrières.
– Ensuite, les modalités de rémunérations. J’ai connu le temps où des négociations salariales actives bien que conflictuelles avaient lieu chaque année. Elles ont disparu et le système a été profondément dénaturé par la confusion sciemment entretenue entre les différentes composantes de la rémunération : rémunération indiciaire, GVT, primes, bonifications, etc. À l’évidence le gouvernement actuel veut pousser plus loi la confusion par l’individualisation, vraisemblablement sur le modèle que suggérait le rapport 2003 du Conseil d’État (p. 360) : une rémunération en trois parties dépendant respectivement : de l’indice, de la fonction, de la performance. La part discrétionnaire pourrait dans ces conditions croître considérablement, en dehors de tout contrôle.
– Enfin, cette atomisation salariale, s’ajoutant l’atomisation fonctionnelle et contractuelle, m’apparaît dangereuse en tant qu’elle isole le fonctionnaire des travailleurs collectifs auxquels il appartient dans l’organisation statutaire. Elle le rend par là plus vulnérable dans un contexte qui tendra à devenir plus clientéliste, plus sensible aux pressions administratives, politiques ou économiques. C’est au bout du compte l’intégrité de la fonction publique qui risque d’être mise en cause et la responsabilité que conférait à l’agent public l’article 15 de la DDHC : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
C’est donc aussi le principe de responsabilité qui est mise en cause et, au-delà, la pleine citoyenneté du fonctionnaire.
Sur la démarche à développer en réponse à la « contre-révolution culturelle »
– Écartons les faux débats : la question n’est pas de savoir s’il faut évoluer ou pas. À cet égard il est peu de texte de l’importance du statut général qui aient autant évolué sur une si longue période. Il n’y a pas de texte sacré et un tel système qui ne s’adapterait pas aux besoins et aux techniques dépérirait. Ce n’est pas, pour autant, une raison pour remettre en cause les principes qui participent du pacte républicain. Fermeté sur les principes, souplesse dans la mise en œuvre.
– La « contre-révolution culturelle » introduit en réalité un nouveau modèle, une autre conception de la fonction publique, une fonction publique d’emploi dominante au sein de l’Union européenne. C’est la FPT (« maillon faible » de la fonction publique « à plusieurs versants ») qui devient progressivement la référence et non plus jusqu’à présent la FPT. Il s’agit d’une stratégie cohérente que le rapport annuel du Conseil d’État de 2003 « Perspectives pour la fonction publique » avait déjà théorisée. À cette cohérence, il faut répondre par une autre cohérente. Celle-ci passe toujours à mon avis par la réaffirmation des principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité. Cet aspect idéologique a malheureusement été négligé au cours des dernières décennies, par le mouvement syndical, les fonctionnaires et l’opinion publique. Pire, lorsque des gouvernements de droite ont porté des atteintes au statut général, comme en 1987 (loi Galland, amendement Lamassoure, 3° voie de l’ENA), les gouvernements de gauche les ont consacrées lorsqu’ils sont revenus au pouvoir. Ce débat droit prendre place dans le cadre du « Pacte service public 2012 » annoncé par le président de la République et, à cours terme, dans les conférences prévues jusqu’en mars 2008.
– Pour autant cela ne doit pas empêcher la formulation de propositions de réformes statutaires ou non-statutaires. De mon point de vue, elle pourraient concerner, par exemple : la mise en œuvre de la double carrière (sur la base du rapport de Serge Vallemont) ce qui nécessiterait une politique de formation sans commune mesure avec ce qui existe ; les conditions d’affectation, de détachement et plus généralement de mobilité ; une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétence (en lieu et place de cet aveugle non remplacement de la moitié des départs en retraite) ; l’amélioration de l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs de la fonction publique ; la remise en ordre des classements indiciaires et statutaires ; la résorption de la précarité et la titularisation des contractuels indûment recrutés sur des emplois permanents ; l’instauration de modalités sérieuses de négociation et de dialogue social ; le développement de l’évaluation des politiques publiques, etc.
– Il y a nécessité d’une mise en mouvement syndical sur ces questions en même temps que celles portant sur le pouvoir d’achat et les effectifs. Au-delà, participation à la formation de l’opinion à une meilleure connaissance de la conception française de la fonction publique, du service public et de l’intérêt général.
Monsieur Anicet le Pors,
J’ai beaucoup d’attache avec vous ( oui je sais c’est facile Anicet le Port, on vous la fait 100 fois ).
j’ai eu comme prof Bocarat, à l’université d’Amiens, un trés bon bon acteur dans le film « capitalisme monopoliste d’état » et cotoyé Herzog et je suis trés heureux de retrouver le blog d’un communiste qui ne ne parle pas pour ne rien dire, puisque vous écrivez.
Vous l’écrivez tellement que je n’ai rien lu.
Et n’oubliez pas tout est bon dans le cochon, sauf le cri.
Haie
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