L’asile, une valeur républicaine, un droit constitutionnel et une obligation internationale – Association Primo Levi – Mémoires, n° 39-40, décembre 2007

Si certaines dispositions de la récente loi relative à l’asile et à l’immigration ont provoqué de vives réactions, peut être celles-ci ont-elles masqué à quel point les nouvelles dispositions s’inscrivent à l’inverse de notre tradition nationale. Celle-ci n’a pas été sans faux-pas, mais elle a fait néanmoins que la France a été souvent considérée comme une terre d’asile par excellence, comme elle a pu également être regardée « patrie des droits de l’homme ». La constitution de 1793 proclamait solennellement que « Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres … Il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie, il le refuse aux tyrans ». Sous la Révolution, la France a même fait place au sein de la Convention à l’Américain Thomas Paine et au Prussien Anacharsis Cloots. Elle a accueilli au XIX° siècle Frédéric Chopin et Heinrich Heine, élu député Garibaldi. Elle a admis sur son sol près d’un million de réfugiés dans les années 1930. Mais elle a connu également ses moments de honte : des poussées récurrentes de xénophobie, l’internement et la livraison aux autorités nazies de réfugiés allemands, espagnols et polonais sous l’Occupation, la tentation toujours actuelle de stigmatisation de l’autre venu d’ailleurs. Car aujourd’hui encore est brandie la menace d’une invasion étrangère ; or celle-ci ne résiste pas à l’énoncé de quelques données : selon les statistiques pour l’année 2006 du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 63 % des 9,9 millions de réfugiés du monde se trouvent en Afrique et en Asie et 18 % seulement en Europe. L’Allemagne en accueille 605 000, le Royaume Uni 300 000 et la France 125 000, ce qui correspond à peu près à son poids démographique relatif dans la population mondiale.

Il est vrai que la France est restée en 2006, malgré une forte baisse, le principal pays de réception des demandeurs d’asile en Europe avec 34 900 demandes et qu’elle présente, sur des bases comparables, l’un des taux d’admission à l’asile les plus élevés : 19 % des demandeurs. Un tel constat devrait être regardé comme une manière pour notre pays de renouer avec sa tradition d’accueil, plutôt que comme un mal à conjurer, ce à quoi s’obstine le gouvernement en recourant à l’amalgame de la demande d’asile et de l’immigration. Depuis l’arrêt officiel de l’immigration du travail en 1974, cette confusion a été sciemment entretenue et même institutionnalisée récemment par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), la création du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement intégrant l’asile sans le mentionner, et quatre lois réductrices en quatre ans. Or, s’il est vrai qu’une personne persécutée est le plus souvent privée également de droits économiques et sociaux et peut aussi souhaiter s’expatrier pour ces raisons, la confusion de l’asile et de l’immigration a pour objet et pour effet de tirer les critères de l’asile vers ceux, restrictifs, de la police administrative de l’entrée, du séjour et de la reconduite à la frontière. Cela est d’autant plus inadmissible que les entrées au titre de l’asile sont en forte baisse : de 26 % au premier semestre 2007 par rapport au premier semestre 2006

Les motifs de l’asile ne sont pas ceux avancés par les tenants de la politique restrictive de l’accueil des demandeurs d’asile. Sans exclure la possibilité qu’a l’État d’accorder l’asile discrétionnairement – ce dont il n’a pas toujours usé à bon escient (Bokassa, Duvallier, Komeyni) – et d’appliquer l’asile constitutionnel en faveur des combattants pour la liberté, c’est la convention de Genève du 28 juillet 1951, à laquelle ont adhéré quelque 146 États, qui constitue aujourd’hui la clé de voûte du système de protection internationale en retenant comme critères de reconnaissance de la qualité de réfugié les persécutions motivées par la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social et les opinions politiques, à quoi il convient d’ajouter les menaces graves conduisant au bénéfice de la protection subsidiaire peu utilisée en France (2% des décisions pour la Commission des recours des réfugiés). La portée de ces dispositions a été réduite au cours des dernières années par l’introduction de nouvelles notions, comme celles d’ « asile interne » ou de « pays d’origine sûrs » auxquelles il est heureux qu’il soit peu fait recours en France tant leur appréciation est hasardeuse.

Il reste que le système administratif et juridictionnel français est aujourd’hui hautement critiquable. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), établissement public qui examine les demandes d’asile, se trouve placé sous la tutelle du nouveau ministère de l’immigration, intimement lié au ministère de l’intérieur, notamment, en dernier lieu, par la nomination d’un préfet à sa tête. La Commission des recours des réfugiés (CRR), juridiction qui examine les recours contre les décisions de rejet de l’OFPRA, est entièrement sous la dépendance budgétaire, administrative et statutaire de cet organisme dont elle contrôle les décisions. Les rapporteurs en séance publique des formations de jugement de ladite commission sont des fonctionnaires de l’OFPRA ; ils sont présents au délibéré qui arrête la décision et ils formalisent celle-ci. Ces caractéristiques, outre qu’elles heurtent le bon sens et le bon ordre administratif, risquent surtout dans un proche avenir d’être jugées contraires à la notion de procès équitable par les juridictions européennes et censurées de ce fait. Le changement de dénomination de la Commission des recours des réfugiés en Cour nationale du droit d’asile, aussi pertinente qu’elle soit (au qualificatif national près, aucune juridiction française n’étant ainsi caractérisée), n’est pas de nature à changer cet état des lieux. Cette situation appelle donc des réformes urgentes qui peuvent d’ailleurs prendre appui sur de nombreux travaux conduits récemment dans ce but, et notamment, en dernier lieu, le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme de juin 2006.

Ainsi elle se prononce sans ambiguïté : « La CNCDH demande que soit reconnue l’indépendance de la CRR, conforme au principe d’indépendance de la juridiction administrative réaffirmé par le Conseil constitutionnel (décision 2003-485 du 4 décembre 2003) et nécessaire à son bon fonctionnement. La CNCDH souhaite souligner que le rattachement de l’instance de recours au ministère de la Justice, et plus spécifiquement au Conseil d’État, sous le contrôle duquel elle est en tout état de cause placée, semble à terme la solution la plus satisfaisante ». La CNCDH demande en outre que le délai de dépôt de la demande d’asile devant l’OFPRA soit porté de vingt et un jours à un mois, que les frais de traduction soient pris en compte par l’OFPRA et qu’une assistance juridique gratuite soit systématiquement prévue. Elle appelle l’OFPRA, compte tenu de la brièveté des délais, à faire preuve de la plus grande souplesse dans l’appréciation de l’exigence de complétude des dossiers. Elle insiste fortement sur le principe du contradictoire, devant l’OFPRA pour rendre compte le plus objectivement possible de l’entretien, devant la CRR pour que le demandeur d’asile et son conseil puissent avoir accès à l’intégralité du dossier dans des délais suffisants, connaître avec précision les questions qui se posent et les demandes de clarification souhaitées, enfin avoir connaissance avant l’audience des conclusions du rapporteur. La CNCDH appelle encore à une extrême prudence dans la possibilité pour la CRR de rejeter par ordonnance des recours qui ne présentent « aucun élément sérieux » susceptible d’infirmer la décision de l’OFPRA et demande la transposition rapide de la disposition issue de la directive « procédure » levant la condition d’entrée régulière pour l’octroi à tous les demandeurs d’asile sans ressources suffisantes de l’aide juridictionnelle.

Plus généralement, l’essentiel est que soit préservée l’inspiration républicaine qui fonde la France comme terre d’asile, et que celle-ci guide l’administration compétente et la juridiction administrative spécialisée dont il convient de rappeler qu’elle se prononce « au nom du peuple français ». Droit de cité et droit d’asile concourent conjointement à la formation de la citoyenneté française. Dans les conditions de l’État de droit, la vocation du système est d’accorder l’asile et non de le refuser.

* Auteur du Que sais-je ? (PUF) sur Le droit d’asile

Un commentaire sur “L’asile, une valeur républicaine, un droit constitutionnel et une obligation internationale – Association Primo Levi – Mémoires, n° 39-40, décembre 2007

  1. « Le changement de dénomination de la Commission des recours des réfugiés en Cour nationale du droit d’asile, aussi pertinente qu’elle soit (au qualificatif national près, aucune juridiction française n’étant ainsi caractérisée) »

    Il existe pourtant plusieurs juridictions nationales: CNITAAT, CNTSS, CNOM (probablement aussi d’autres juridictions ordinales), CNESER, CNRD, l’ex-JNLC. J’ai cependant l’impression que la CNDA est unique en ce qu’elle se prononce uniquement en premier et dernier ressort, alors que les autres juridictions « nationales » statuent en appel.

    Le changement de nom, dans la loi, ne semble pas subordonné à un décret d’application: le changement de nom de la CRR en CNDA est-il déjà effectif (la partie réglementaire du CESEDA et le site de la CRR conservent l’ancienne appellation), et dans le cas contraire, est-il normal qu’il y ait une incohérence entre les parties législative et réglementaire du CESEDA ?

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