Défense de la fonction publique et de ses statuts – Université de Bretagne Occidentale – Brest, 30 novembre 2007

L’histoire de la fonction publique, ni même celle du statut général des fonctionnaires, n’a pas commencé avec la loi du 19 octobre 1946. Pour donner toute sa signification à ce texte, il convient de le replacer dans une réflexion plus globale sur la conception française du service public, voire de l’intérêt général.

 

1. La conception française de l’intérêt général et du service public

 

La notion d’intérêt général a joué un rôle spécifique dans notre histoire nationale. C’était le « bien commun » sous l’Ancien régime. Il s’est incarné dans de grandes figures nationales de Richelieu à de Gaulle en passant par les acteurs de la Révolution française. Dès la fin du XIIIème siècle Philippe le Bel crée le Conseil d’État du roi pour traiter les affaires du royaume à part des affaires de droit commun. Pour autant sa définition est problématique. Les économistes parlent d’ « optimum social », ou de « préférence révélée des consommateurs ». Le juge administratif est prudent en droit positif : il parlera plutôt à l’occasion de déclaration d’utilité publique, d’ordre public.

 

L’évolution de la notion d’intérêt général s’est concentrée sous la forme du service public qui en est le vecteur. C’était une notion simple qui est devenue complexe en raison même de son enrichissement. En France, l’intérêt général est différent de la somme des intérêts particuliers, contrairement aux conceptions anglo-saxonnes. L’école française du service public a considéré très tôt qu’il y avait service public lorsqu’il y avait mission d’intérêt général, mise en œuvre par une personne morale de droit public et ayant recours à un droit et un juge spécifiques, le droit et le juge administratifs. Mais en s’étendant, le service public est devenu plus hétérogène. Régi par la loi et le règlement, il a dû subir progressivement la concurrence du contrat.

 

Les contradictions sont aujourd’hui exacerbées dans le cadre de la construction européenne qui ignore largement la notion de service public pour lui préférer celle de service d’intérêt économique général (SIEG) dont l’activité doit s’exercer, comme les activités privées dans le cadre de l’économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée. La Commission vient d’ailleurs de refuser une directive cadre sur les services publics au moment même où la Confédération européenne des syndicats lui a remis une pétition de plus de cinq cent mille signatures en faveur d’une telle directive. Cette influence, dominante dans l’Union européenne, pousse en France à la dérégulation, aux privatisations, à la remise en cause du monopole des entreprises publiques basées sur leur spécialisation, et par là également des statuts des personnels de ces entreprises adoptés à la même époque que le statut général des fonctionnaires.

 

Si le service public est le vecteur de l’intérêt général, la fonction publique est le cœur du service public.

 

2. La loi du 19 octobre 1946, premier statut démocratique des fonctionnaires

 

La loi du 19 octobre 1946 dont on a marqué le 60° anniversaire à la fin de l’année dernière peut être regardée comme la première expression majeure, en droit, de la conception française, démocratique, de la fonction publique. On en souligne d’autant mieux l’importance qu’on le situe dans une perspective historique, plutôt que de le statufier dans une sacralisation qui aurait une double conséquence négative. D’une part, cela tendrait à occulter les droits acquis avant 1946 par le mouvement social : la fixation par la loi de l’accès au dossier en 1905, les règles de l’avancement en 1911, du détachement en 1913, la loi Roustan en 1920, la reconnaissance de fait des syndicats de fonctionnaires en 1924 ; d’autres encore intégrés dans la jurisprudence du Conseil d’État qui ont conduit parfois à parler d’un « statut jurisprudentiel ». D’autre part, seraient sous-estimés les progrès enregistrés ultérieurement : l’obligation de négociation après 1968 puis, plus récemment, par exemple, l’inscription formelle dans le statut de droits aussi importants que le droit de grève, la liberté d’opinion ou la garantie de mobilité et surtout l’extension de la reconnaissance de la qualité de fonctionnaire, au-delà des fonctionnaires de l’État, à de nombreux agents de collectivités publiques : collectivités territoriales, établissements publics hospitaliers, établissements publics de recherche.

 

C’est souligner le caractère novateur du statut de 1946 que de rappeler qu’avant son adoption, l’idée même d’un statut était conçue par les gouvernants de l’époque comme l’instrument d’application du principe hiérarchique d’obéissance du fonctionnaire. C’est pourquoi le mouvement syndicat rejetait cette idée en parlant de « statut-carcan ». D’ailleurs le premier statut a été élaboré sous Vichy : c’était la loi du 14 septembre 1941, inspirée par la charte du travail de l’État français. Le statut de 1946 a donc ouvert la voie à l’affirmation d’une conception démocratique qui n’a cessé de s’affirmer et de se préciser ensuite. Car le statut de 1946 portait la marque de son époque, il reflétait nécessairement l’état de l’administration et de la société au lendemain de la seconde guerre mondiale. C’est ainsi, par exemple, qu’on y parle de « cadre » et non pas de « corps » de fonctionnaires, vocabulaire que nous ne reprendrions certainement pas aujourd’hui.

 

Si l’on se met ainsi dans une perspective historique, on peut avoir une appréciation positive sur l’évolution de la fonction publique et sur l‘enrichissement continu de la conception française de la fonction publique, en dépit des attaques et des atteintes dont elle a été constamment l’objet. On considère qu’il y avait environ 200 000 fonctionnaires de l’État en France au XIX° siècle, on en comptait moins de 700 000 avant la deuxième guerre mondiale, quelque 900 000 au 1er janvier 1946 (dont seulement 520 000 titulaires), 2,1 millions de fonctionnaires de l’État en 1981. Aujourd’hui, c’est 5,2 millions d’agents publics qui sont reconnus comme fonctionnaires, selon la définition qu’en donne la loi du 13 juillet 1983, c’est-à-dire salariés d’une collectivité publique dans une situation statutaire et réglementaire et non contractuelle.

 

3. La fonction publique « à trois versants », une création continue, une évolution contradictoire

 

Le statut lui-même s’est profondément transformé. Quantitativement, le statut de la loi du 19 octobre 1946 comptait 145 articles. L’ordonnance du 4 février 1959 ramena ce nombre à 57. Dans le dispositif actuel, il y en a plus de 500. Qualitativement, à ceux qui glosent sur la rigidité du statut général on peut répondre que peu de textes ont fait la preuve d’une telle capacité à évoluer sur une aussi longue période. Bien sûr, cette évolution a été marquée par des avancées et des reculs, et nombre de ses articles ne sont pas bons, mais je pense qu’il ne faut pas donner de cette évolution une vision unilatéralement négative qui n’aiderait pas dans la conquête de nouveaux droits. La conception française de la fonction publique est une création continue qu’il faut analyser objectivement.

 

Cela nous conduit à reconnaître dans l’extension considérable du champ d’application et d’influence du statut général, la raison d’une plus grande hétérogénéité de situation des agents et donc une plus grande difficulté à assurer l’unité de l’ensemble dans le respect des diversités qui font la richesse des services publics. Cette difficulté a été rencontrée entre 1981 et 1984 lorsque nous avons entrepris de bâtir une nouvelle architecture statutaire intégrant des agents publics régis par le livre IV du code des communes pour les territoriaux et le Livre IX du code de la santé publique pour les hospitaliers, qui importaient nécessairement leurs singularités, leurs différences, dans le nouvel ensemble. Cette dialectique de l’unité et de la diversité a été réalisée, d’une part en refondant l’ensemble sur les principes républicains de la conception française de fonction publique, d’autre part en respectant les spécificités à la fois juridiques et professionnelles des différentes catégories concernées.

 

Je crois encore utile de rappeler les trois principes que j’évoquais alors pour fonder cette unité. D’abord, le principe d’égalité, par référence à l’article 6 de la Déclaration des doits de l’homme et du citoyen qui dispose que l’on accède aux emplois publics sur la base de l’appréciation des « vertus » et des « talents » c’est-à-dire de la capacité des candidats ; nous en avons tiré la règle que c’est par la voie du concours que l’on entre dans la fonction publique. Ensuite, le principe d’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du pouvoir politique comme de l’arbitraire administratif que permet le système dit de la « carrière » où le grade, propriété du fonctionnaire, est séparé de l’emploi qui est, lui, à la disposition de l’administration ; principe ancien que l’on retrouve déjà formulé dans la loi sur les officiers de 1834. Enfin, le principe de citoyenneté qui confère au fonctionnaire la plénitude des droits des citoyens et reconnaît la source de sa responsabilité dans l’article 15 de la Déclaration des droits de 1789, lequel indique que chaque agent public doit rendre compte de son administration ; conception du fonctionnaire-citoyen opposée à celle du fonctionnaire-sujet que Michel Debré définissait ainsi dans les années 1950 : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait ».

 

C’est sur cette base qu’a donc été construite cette fonction publique « à trois versants », à la fois ensemble unifié et respectueux des différences comme l’indiquent ses quatre titres adoptés successivement de 1983 à 1986, l’un après l’autre car tout le monde ne marchait pas du même pas. Des conceptions contradictoires existaient aussi au sein même du gouvernement,, Gaston Deferre, ministre de l’Intérieur inclinant en faveur d’une fonction publique d’emploi pour les agents des collectivités territoriales alors que je défendais le système de la carrière. On peut discuter de l’équilibre ainsi retenu entre une unification intégrale (au demeurant impraticable sans modification constitutionnelle en raison du principe de libre administration de l’article 72) et une séparation complète des fonctions publiques qui aurait consacré une « balkanisation » conduisant inévitablement à leur hiérarchisation. Je pense pour ma part que la solution retenue était, dans l’ensemble, satisfaisante.

 

Outre cette extension et cette réorganisation d’ensemble de l’architecture statutaire, des apports spécifiques ont été réalisés par la réforme de 1983-1984-1986. Pour l’ensemble des fonctionnaires couverts par l Titre 1er : le remplacement de la bonne moralité comme condition d’accès à la fonction publique par les mentions au bulletin n° 2 du casier judiciaire, la suppression des références à la tuberculose, au cancer et aux maladies mentales (art. 5 actuel) ; la liberté d’opinion (art. 6) ; le remplacement de la nature des fonctions par la notion de condition déterminante de l’exercice des fonctions dans les recrutements séparés hommes-femmes, ainsi que la publication tous les deux ans d’un rapport sur l’égalité (art. 6 bis et s.) ; le droit à la négociation sur les rémunérations, les conditions et l’organisation du travail reconnu aux organisations syndicales (art.8) et dépôt d’un rapport tous les deux ans (art. 15) ; le droit de grève (art. 10) ; la mobilité entre et à l’intérieur des fonctions publiques comme garantie fondamentale (art. 14) ; le droit à la formation permanente (art. 22) ; l’obligation d’information (art. 27) ; etc. Pour les fonctionnaires de l’État qui disposaient déjà du statut général dans le Titre II : la 3° voie d’accès à l’ENA (art. 19) ; l’institution de la liste complémentaire (art. 20), de la mise à disposition (art. 41) ; la titularisation des contractuels (art. 73), etc. Par ailleurs, dans le domaine réglementaire ou des circulaires, par exemple : la circulaire du 7 août 1981 sur la pleine compétence des CTP ; la circulaire du 24 août 1981 sur l’utilisation des locaux administratifs pour des activités autres que de service ; les décrets du 28 mai 1982 (droit syndical dont l’heure mensuelle d’information syndicale, les CSFP, CAP, CTP, CHS) ; le décret du 28 novembre 1983 sur les relations entre l’administration et les usagers (abrogé à compter du 1er juillet 2007), etc.

 

Depuis, le système a résisté face aux multiples attaques dont il a été l’objet, mais pour autant son avenir n’est pas garanti. La première alternance politique entre 1986 et 1988 a permis au pouvoir politique, notamment avec la loi Galland du 13 juillet 1987, de s’attaquer au « maillon faible » du système : la fonction publique territoriale, de réintroduire des éléments de fonction publique d’emploi (listes d’aptitude, cadres d’emploi, recrutement de contractuels, etc.), de clientélisme, dans l’ensemble du statut général. La loi du 19 novembre 1982 sur les prélèvements en cas de grève a été abrogée par l’amendement Lamassoure, de même que la création de la 3° voie d’accès à l’ENA réservée aux détenteurs de mandats électifs, associatifs et syndicaux, etc. Je n’aurais garde d’oublier la mise hors fonction publique des PTT et de France-Télécom en 1990. Les attaques ont repris de 1993 à 1997 avec la réforme Hoëffel, et une stratégie de « mise en extinction » du statut général par la déréglementation, les privatisations, la contractualisation, etc., jusqu’à l’attaque frontale du rapport du Conseil d’État en 2003 proposant une autre conception de la fonction publique, une fonction publique d’emploi, alignée sur le modèle européen dominant. C’est ce modèle que voudrait imposer le président de la République.

 

On peut regretter, ensemble, que les conditions d’une riposte à ces attaques et remises en cause n’aient pas toujours été à la hauteur de l’enjeu. On ne s’étonnera pas que les adversaires d’une conception républicaine, démocratique, de la fonction publique, n’aient pas renoncé à tenter de la mettre à bas lorsque des gouvernements de la droite libérale ont été au pouvoir. Il est en revanche déplorable que les atteintes au statut général n’aient pas été remises en cause, et se soient trouvées par là consacrées, lorsque des gouvernements de gauche sont revenus au pouvoir, alors qu’il leur auraient suffit d’abroger purement et simplement les mesures prises par la droite.

 

4. Face à la « révolution culturelle » de Nicolas Sarkozy

 

Un certain nombre de facteurs ont pesé au cours de la dernière période sur l’avenir de la fonction publique et de ses statuts. On peut les résumer ainsi :

 

Le premier est la perspective récurrente de réforme statutaire. Un texte qui n’évolue pas, je l’ai dit, est promis à la sclérose et à terme à la disparition. Mais une chose est de s’interroger sur les modifications nécessaires, une autre est de remettre en cause les principes mêmes comme y tendait le rapport du Conseil d’État de 2003 et le projet Dutreil qui en faisait application tendant à fondre l’ensemble des corps de fonctionnaires en une trentaine de cadres d’emplois. L’affaire a été gelée jusqu’aux présidentielles, mais rapidement reprise aujourd’hui.

 

Le deuxième facteur est la mise en place de la LOLF dont je rappelle qu’elle a été adoptée sans opposition au Parlement. Elle pourrait être un moyen de rationalisation ; elle apparaît surtout aujourd’hui comme un instrument destiné a peser sur l’emploi dans la fonction publique et à favoriser l’arbitraire dans la gestion.

 

Le troisième est le développement de la contractualisation. C’est aujourd’hui un phénomène général : le contrat progresse au détriment de la loi, expression de la volonté générale. Comme le recommandait le rapport précité du Conseil d’État, dit « rapport Pochard », le contrat tend à devenir « une source autonome du droit de la fonction publique ».

 

Le quatrième facteur d’évolution est un nouveau retour probable sur le « maillon faible » du statut général, la fonction publique territoriale.

 

J’évoquerais pour mémoire, comme cinquième facteur, la place qui sera faite aux services publics en France et en Europe. À cet égard, le « non » opposé par le peuple français au traité constitutionnel européen le 29 mai 2005 demeure un point d’appui important pour la défense des statuts publics et pas seulement celui de la fonction publique. Le refus de directive sur les services publics par la Commission que j’ai évoqué montre que la question reste d’actualité.

 

Enfin, dernier facteur et non le moindre, le rapport des forces qu’il est possible d’établir en toute circonstance entre partisans et adversaires du statut général. Nos atouts sont nombreux et importants : une culture ancienne de l’intérêt général et du service public, des organisations syndicales expérimentées, un dispositif statutaire en place et qui a fait ses preuves.

 

C’est aujourd’hui à une offensive d’une tout autre ampleur que par le passé qu’il convient de faire face à ce qu’il a appelé une « révolution culturelle » et que j’ai qualifiée de « forfaiture ». Ce n’est plus une action de contournement du statut général, c’est une attaque frontale.

 

Sur la notion de « forfaiture »

 

Selon le dictionnaire Robert : « Crime dont un fonctionnaire public se rend coupable en commettant certaines graves infractions dans l’exercice de ses fonctions. » . L’expression est a fortiori extensible aux plus hautes autorités de l’État, c’est ainsi que le président du Sénat avait qualifié en 1962 la décision du président Pompidou de prendre l’initiative du recours au référendum sur la base de l’article 11 de la constitution (et non l’article 89) pour instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel.

 

Il y donc, forfaiture lorsqu’une autorité publique outrepasse ses compétences par une action délictuelle ou lorsqu’un mandat est détourné des engagements qui le constituent et qui ont été strictement consacrés par le suffrage universel. En l’espèce, l’engagement de Nicolas Sarkozy en matière de fonction publique a été exprimé pendant la campagne électorale dans son discours de Périgueux du 13 octobre 2006, il tient en six lignes :

 

« Au fonctionnaire qui se sent mal payé, je dis que ma volonté est qu’il y ait moins de fonctionnaires mais qu’ils soient mieux payés et mieux considérés. Au fonctionnaire qui se sent démotivé parce que ces efforts ne sont jamais récompensés, je dis que mon objectif est que le mérite soit reconnu et les gains de productivité partagés. Au fonctionnaire qui est prisonnier des règles de gestion des corps je dis que mon objectif est de supprimer la gestion par corps pour la remplacer par une gestion par métier qui ouvrira des perspectives de promotion professionnelle beaucoup plus grandes. Je ne veux pas que la seule voie de réussite soit celle des concours et des examens. »

 

Si plusieurs des mesures annoncées à Nantes peuvent être devinées dans ces formulations générales on ne saurait en déduire le dispositif annoncé avec, ce qui a été rappelé : le rejet de la distinction public-privé, la gestion par corps réduite à l’exception, l’encouragement à quitter la fonction publique au bénéfice d’un pécule, le choix à l’entrée entre « le statut et un contrat de droit privé négocié de gré à gré », l’extension à la fonction publique du « travailler plus pour gagner plus » notamment par le moyen d’heures supplémentaires et le rachat des heures accumulées dans les comptes épargne-temps avec parallèlement réduction des effectifs, l’individualisation des carrières sur la base d’une réflexion sur la « culture du concours et sur la notation » afin d’échapper au « carcan des statuts »… le tout étant baptisé « révolution culturelle ».

 

Je considère donc que Nicolas Sarkozy n’a pas été mandaté pour engager ce qui est en réalité une « contre-révolution » dans la fonction publique, et c’est pourquoi je parle de forfaiture. Je dois ajouter d’ailleurs que c’est de sa part une constante s’agissant de sa pratique des institutions, mais il s’agit d’un autre sujet que j’ai traité par ailleurs sous le titre de « Dérive bonapartiste ».

 

Sur quelques-unes des réformes envisagées

 

Je rappelle les trois principes républicains fondant l’unité de la fonction publique « à trois versants » : égalité, indépendance, responsabilité. La réforme contrevient à ces trois principes sur trois points au moins : le contrat est opposé au statut, le métier à la fonction, l’individualisation des rémunérations à la recherche de l’efficacité sociale.

 

* Le contrat opposé au statut

 

Je veux tout d’abord souligner que les réformes proposées s’inscrivent dans un contexte de déréglementation et de privatisation dont on ne finirait pas d’exposer les cas multiples et les modalités (La Poste et France Télécom, Service des Poudres, SEITA, GIAT, IN, DCN) ; d’affaiblissement des organismes de programmation (CGP, intégration de la DP dans la DGTPE, disparition du CNE) ; d’extension du champ de la contractualisation au détriment de la loi, y compris dans la FP régalienne.

 

Pourquoi le fonctionnaire a-t-il été placé par la loi vis-à-vis de l’administration dans une situation statutaire et réglementaire et non contractuelle ( art. 4 T I) ? et pourquoi les emplois permanents des collectivités publiques doivent-ils être occupés par des fonctionnaires (art. 3 T I) ? Parce que le fonctionnaire est au service de l’intérêt général à l’inverse du salarié de l’entreprise privée lié à son employeur par un contrat qui fait la loi des parties (art. 1134 du Code Civil). Remettre en cause cette spécificité c’est déconnecter le fonctionnaire de l’intérêt général pour le renvoyer vers des intérêts particuliers, le sien ou celui de clients ou d’usagers.

 

Le choix à l’entrée (avant ou après le concours ?) entre le statut et un contrat de droit privé conclu de gré à gré tourne ainsi le dos au principe d’égalité. En réalité on voit clairement ce qui découle de l’alternative ainsi proposée : la mise en extinction du statut général par recrutement parallèle et de manière croissante de personnels contractuels, le cas échéant bénéficiant de conditions avantageuses ce qui conduira à élever leur proportion comme le mouvement en est d’ailleurs amorcé, jusqu’à ce qu’ils deviennent plus nombreux que les fonctionnaires eux-mêmes. Il y a des précédents : le pdg de La Poste, Jean-Paul Bailly, ne vient-il pas d’annoncer (Le Figaro, 25.10.07) qu’en 2012 il y aurait autant de salariés de droit privé que de fonctionnaires à La Poste ? Or on sait que le statut général qui n’écarte pas, par dérogation au principe, le recrutement de contractuels en circonscrit strictement les motifs (art.4 TII).

 

La réforme proposée est donc franchement contraire principe d’égalité.

 

* Le métier opposé à la fonction

 

La façon dont on appréhende la notion de fonction publique dépend du niveau où l’on souhaite situer les activités qu’elle regroupe. Pour ma part je déclarais le 15 décembre 1983 : « Dans le système dit de la carrière, propre à la conception française, on ne sert pas l’État comme on sert une société privée. C’est une fonction sociale qui s’apparente aussi bien à la magistrature, au sens donné à ce mot dans l’ancienne Rome, qu’au service public moderne dans toute la gamme des technicités requises pour la mise en œuvre des fonctions collectives d’une société développée comme la société française ». On retiendra de cette quasi-définition la référence de la fonction publique à une magistrature et sa conception globale : le système de la carrière considère des travailleurs collectifs dont l’activité est nécessairement gérée sur l’ensemble d’une vie professionnelle.

 

Aujourd’hui on nous propose le métier comme concept de référence. C’est celui du secteur privé et assez largement celui de la fonction publique territoriale avant la réforme de 1983-84. Je ne considère pas la notion de métier comme péjorative dans la fonction publique ; elle peut avoir une utilité pour analyser les fonctions, et synthétiser un ensemble d’activités élémentaires, mais son usage n’est pas neutre selon qu’il s’agit d’activités régies par le marché ou relevant d’une fonction publique. Dans le premier cas c’est la donnée de base des activités participant à la production de biens ou de services. Dans le second cas c’est l’éclatement des fonctions en composantes parcellaires qui ne peuvent prendre sens que par rapport aux fonctions publiques intégrées, elles-mêmes ordonnées par rapport à l’intérêt général.

 

Ainsi la substitution du concept de métier à celui de fonction vise à rien moins que de substituer la logique du marché à celle du service public, une fonction de publique d’emploi à une fonction publique de carrière. Elle est accordée à la substitution du contrat à la loi.

 

Elle touche donc au cœur la conception française de fonction publique en remettant en cause le principe d’indépendance.

 

* L’individualisation des rémunérations opposée à la recherche de l’efficacité sociale

 

Le mérite est mis en avant pour mettre en accusation les pratiques actuelles. Personne n’a jamais contesté que le mérite doive être considéré pour rémunérer les fonctionnaires. On ne trouvera aucune déclaration de ma part prônant un égalitarisme généralisé, j’ai toujours affirmé le contraire, c’est-à-dire que le fonctionnaire qui travaille bien ne doit pas être rémunéré comme celui qui travaille mal. Le statut le permet, ce qui manque c’est le courage. En réalité, l’évocation du mérite et le thème de l’individualisation des rémunérations recouvre une remise en cause d’un ensemble des caractéristiques de la conception française de la fonction publique.

 

D’abord la notion de corps, c’est-à-dire de ces ensembles fonctionnels, regroupant le cas échéant plusieurs métiers dans une structure hiérarchique, organisés pour assumer certaines fonctions publiques spécifiques participant de fonctions publiques plus globales. On en critique le nombre en avançant des chiffres fantaisistes. Selon la DGAFP il y a aujourd’hui 300 à 500 corps et non pas 1500 et il ne faut jamais perdre de vue que 2 % des corps regroupent 70 % des fonctionnaires. Si la pratique n’est pas satisfaisante, les possibilités statutaires de mobilité existent par la voie du détachement, de la mise à disposition et ce n’est pas ceux qui, par la loi Galland du 13.7.87 ont supprimé la comparabilité entre FPE et FPT de se plaindre du défaut de mobilité, pas davantage ceux qui ont pratiqué d’année en année le gel indiciaire pour critiquer ensuite la rigidité des carrières.

 

Ensuite, les modalités de rémunérations. J’ai connu le temps où des négociations salariales actives bien que conflictuelles avaient lieu chaque année. Elles ont disparu et le système a été profondément dénaturé par la confusion sciemment entretenue entre les différentes composantes de la rémunération : rémunération indiciaire, GVT, primes, bonifications, etc. À l’évidence le gouvernement actuel veut pousser plus loin la confusion par l’individualisation, vraisemblablement sur le modèle que suggérait le rapport 2003 du Conseil d’État (p. 360), une rémunération en trois parties dépendant respectivement : de l’indice, de la fonction, de la performance. La part discrétionnaire pourrait dans ces conditions croître considérablement, en dehors de tout contrôle.

 

Enfin, cette atomisation salariale, s’ajoutant l’atomisation fonctionnelle et contractuelle, m’apparaît dangereuse en tant qu’elle isole le fonctionnaire des travailleurs collectifs auxquels il appartient dans l’organisation statutaire. Elle le rend par là plus vulnérable dans un contexte qui tendra à devenir plus clientéliste, plus sensible aux pressions administratives, politiques ou économiques. Elle conduit inévitablement à l’affaiblissement des organisations syndicales. C’est au bout du compte l’intégrité de la fonction publique qui risque d’être mise en cause et la responsabilité que conférait à l’agent public l’article 15 de la DDHC : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

 

C’est donc aussi le principe de responsabilité qui est mise en cause et, au-delà, la pleine citoyenneté du fonctionnaire.

 

Sur la démarche à développer en réponse à la « contre-révolution culturelle »

 

Écartons les faux débats : la question n’est pas de savoir s’il faut évoluer ou pas. À cet égard, je l’ai dit, il est peu de texte de l’importance du statut général qui aient autant évolué sur une si longue période. Il n’y a pas de texte sacré et un tel système qui ne s’adapterait pas aux besoins et aux techniques dépérirait. Ce n’est pas, pour autant, une raison pour remettre en cause les principes qui participent du pacte républicain. Fermeté sur les principes, souplesse dans la mise en œuvre.

 

La « contre-révolution culturelle » introduit en réalité un nouveau modèle, une autre conception de la fonction publique, une fonction publique d’emploi. C’est la FPT (« maillon faible » de la fonction publique « à plusieurs versants ») qui devient progressivement la référence et non plus jusqu’à présent la FPT. Il s’agit d’une stratégie cohérente que le rapport annuel du Conseil d’État de 2003 « Perspectives pour la fonction publique » avait déjà théorisée. À cette cohérence, il faut répondre par une autre cohérence. Celle-ci passe toujours, à mon avis, par la réaffirmation des principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité. Ce débat droit prendre place dans le cadre du « Pacte service public 2012 » annoncé par le président de la République et, à cours terme, dans les conférences prévues jusqu’en mars 2008.

 

Pour autant cela ne doit pas empêcher la formulation de propositions de réformes statutaires ou non-statutaires. De mon point de vue, elle pourraient concerner, par exemple : la mise en œuvre de la double carrière (sur la base du rapport de Serge Vallemont) ce qui nécessiterait une politique de formation sans commune mesure avec ce qui existe ; les conditions d’affectation, de détachement et plus généralement de mobilité ; une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences (en lieu et place de cet aveugle non remplacement de la moitié des départs en retraite) ; l’amélioration de l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs de la fonction publique ; la remise en ordre des classements indiciaires et statutaires ; la résorption de la précarité et la titularisation des contractuels indûment recrutés sur des emplois permanents ; l’instauration de modalités sérieuses de négociation et de dialogue social ; le développement de l’évaluation des politiques publiques, etc.

 

Il y a nécessité d’une mise en mouvement syndical sur ces questions en même temps que celles portant sur le pouvoir d’achat et les effectifs. Au-delà, il convient d’accorder un grand intérêt à la formation de l’opinion à une meilleure connaissance de la conception française de la fonction publique, du service public et de l’intérêt général.

 

5. Le statut général des fonctionnaires, un atout majeur pour le progrès social, l’efficacité économique et la démocratie politique

 

S’il est légitime que les fonctionnaires se mobilisent pour défendre leurs intérêts propres, leur action va bien au-delà et joue un rôle éminent dans la défense et la promotion des droits des autres salariés et de l’ensemble des citoyennes et des citoyens. Et ce pour des raisons à la fois sociales, économiques et politiques.

 

Sociales, car étant dans une position statutaire et réglementaire et non contractuelle, ils échappent aux rapports de forces souvent inégaux qui président aux différentes formes de contractualisation. Ils peuvent ainsi constituer une référence forte (sans transposition néanmoins) pour la progression de la notion de « statut du travail salarié ».

 

Economiques, car la fonction publique exige encore largement, même si les dérogations tendent à se multiplier, une base matérielle publique, une propriété publique étendue qui tend à faire échapper les activités regroupées dans la fonction publique à la marchandisation des rapports sociaux et à substituer la notion d’efficacité sociale à celle de rendement ou de rentabilité financière.

 

Politiques, car les fonctionnaires sont avant tout au service de l’intérêt général. C’est-à-dire qu’ils sont au service des valeurs cardinales de la citoyenneté, non seulement la conception française de l’intérêt général, mais aussi l’affirmation du principe d’égalité pour que l’égalité sociale rejoigne l’égalité en droit, mais encore l’exigence de responsabilité que fonde le principe de laïcité.

 

C’est tout cela qui fonde la dignité du fonctionnaire dont parle Roger Vailland dans ses Écrits intimes, « la dignité de ne pas avoir l’homme pour maître ».

Va-t-on vers un démantèlement de notre fonction publique ? – SNES 28 novembre 2007

Il y a un appauvrissement idéologique de la réflexion syndicale sur le service public et la fonction publique (faible commémoration du 60° anniversaire de la loi du 19.10.1946).

 

La mise en perspective témoigne du fait que le statut général des fonctionnaires n’a cessé d’évoluer de se transformer (1946, 1959, 1983-86) ; d’environ 1 million à 5,2 millions ; de 145 articles en 1946, 57 en 59, plus de 500 aujourd’hui pour la FP « à trois versants » respectant l’extrême diversité des fonctions et des activités.

 

L’unité de démarche est fondée sur la référence aux principes républicains : égalité, indépendance, responsabilité.

 

À l’évidence, l’élection du nouveau président de la République marque une nouvelle étape significative. J’ai pu parler à son sujet de « forfaiture », je voudrais expliciter cette appréciation, donner un avis sur certaines des propositions avancées dans son discours à l’IRA de Nantes le 19.9.07 et m’interroger ce qu’il faudrait faire pour contrecarrer l’entreprise présidentielle engagée.

 

Sur la notion de « forfaiture »

 

– Robert : « Crime dont un fonctionnaire public se rend coupable en commettant certaines graves infractions dans l’exercice de ses fonctions. » . L’expression est a fortiori extensible aux plus hautes autorités de l’État, c’est ainsi que le président du Sénat avait qualifié en 1962 la décision du président Pompidou de prendre l’initiative du recours au référendum sur la base de l’article 11 de la constitution (et non l’article 89) pour instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel.

 

– Il y donc, forfaiture lorsqu’une autorité publique outrepasse ses compétences par une action délictuelle ou lorsqu’un mandat est détourné des engagements qui le constituent et qui ont été strictement consacrés par le suffrage universel.

 

– En l’espèce, l’engagement de Nicolas Sarkozy en matière de fonction publique a été exprimé pendant la campagne électorale dans son discours de Périgueux du 13 octobre 2006, il tient en six lignes :

 

« Au fonctionnaire qui se sent mal payé, je dis que ma volonté est qu’il y ait moins de fonctionnaires mais qu’ils soient mieux payés et mieux considérés. Au fonctionnaire qui se sent démotivé parce que ces efforts ne sont jamais récompensés, je dis que mon objectif est que le mérite soit reconnu et les gains de productivité partagés. Au fonctionnaire qui est prisonnier des règles de gestion des corps je dis que mon objectif est de supprimer la gestion par corps pour la remplacer par une gestion par métier qui ouvrira des perspectives de promotion professionnelle beaucoup plus grandes. Je ne veux pas que la seule voie de réussite soit celle des concours et des examens. »

 

– Si plusieurs des mesures annoncées à Nantes peuvent être devinées dans ces formulations générales on ne saurait en déduire le dispositif annoncé avec, ce qui a été rappelé : le rejet de la distinction public-privé, la gestion par corps réduite à l’exception, l’encouragement à quitter la fonction publique au bénéfice d’un pécule, le choix à l’entrée entre « le statut et un contrat de droit privé négocié de gré à gré », l’extension à la fonction publique du « travailler plus pour gagner plus » notamment par le moyen d’heures supplémentaires et le rachat des heures accumulées dans les comptes épargne-temps avec parallèlement réduction des effectifs, l’individualisation des carrières sur la base d’une réflexion sur la « culture du concours et sur la notation » afin d’échapper au « carcan des statuts »… le tout étant baptisé « révolution culturelle ».

 

– Je considère donc que Nicolas Sarkozy n’a pas été mandaté pour engager ce qui est en réalité une « contre-révolution » dans la fonction publique, et c’est pourquoi je parle de forfaiture. Je dois ajouter d’ailleurs que c’est de sa part une constante s’agissant de sa pratique des institutions, mais il s’agit d’un autre sujet que j’ai traité par ailleurs sous le titre de « Dérive bonapartiste ».

 


Sur quelques-unes des réformes envisagées

 

On rappelle les trois principes républicains fondant l’unité de la fonction publique « à trois versants » : égalité, indépendance, responsabilité. La réforme contrevient à ces trois principes sur trois points au moin : le contrat est opposé au statut, le métier à la fonction, l’individualisation des rémunérations à la recherche de l’efficacité sociale.

 

* Le contrat opposé au statut

 

– Je veux tout d’abord souligner que les réformes proposées s’inscrivent dans un contexte de déréglementation et de privatisation dont on ne finirait pas d’exposer les cas multiples et les modalités (La Poste et France Télécom, Service des Poudres, SEITA, GIAT, IN, DCN) ; d’affaiblissement des organismes de programmation (CGP, intégration de la DP dans la DGTPE, disparition du CNE) ; d’extension du champ de la contractualisation au détriment de la loi, y compris dans la FP régalienne.

 

– Pourquoi le fonctionnaire a-t-il été placé par la loi vis-à-vis de l’administration dans une situation statutaire et réglementaire et non contractuelle ( art. 4 T I) ? et pourquoi les emplois permanents des collectivités publiques doivent-ils être occupés par des fonctionnaires (art. 3 T I) ? Parce que le fonctionnaire est au service de l’intérêt général à l’inverse du salarié de l’entreprise privée lié à son employeur par un contrat qui fait la loi des parties (art. 1134 du Code Civil). Remettre en cause cette spécificité c’est déconnecter le fonctionnaire de l’intérêt général pour le renvoyer vers des intérêts particuliers, le sien ou celui de clients ou d’usagers.

 

– Et c’est aussi parce que la loi est l’expression de la volonté générale qu’aux termes de l’article 6 de la DDHC (art. 6) « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » Ainsi le principe de l’égalité des citoyens entraîne nécessairement l’égal accès aux emplois publics. Et nous en avons déduit que, sauf dérogation prévue par la loi, les fonctionnaires sont recrutés par concours conduisant à une situation statutaire et réglementaire.

 

– Le choix à l’entrée (avant ou après le concours ?) entre le statut et un contrat de droit privé conclu de gré à gré tourne ainsi le dos au principe d’égalité. En réalité on voit clairement ce qui découle de l’alternative ainsi proposée : la mise en extinction du statut général par recrutement parallèle et de manière croissante de personnels contractuels, le cas échéant bénéficiant de conditions avantageuses ce qui conduira à élever leur proportion comme le mouvement en est d’ailleurs amorcé, jusqu’à ce qu’ils deviennent plus nombreux que les fonctionnaires eux-mêmes. Il y a des précédents : le pdg de La Poste Jean-Paul Bailly ne vient-il pas d’annoncer (Le Figaro, 25.10.07) qu’en 2012 il y aurait autant de salariés de droit privé que de fonctionnaires à La Poste ? Or on sait que le statut général qui n’écarte pas, par dérogation au principe, le recrutement de contractuels en circonscrit strictement les motifs (art.4 TII).

 

La réforme proposée est donc franchement contraire principe d’égalité.

 

* Le métier opposé à la fonction

 

– La façon dont on appréhende la notion de fonction publique dépend du niveau où l’on souhaite situer les activités qu’elle regroupe. Pour ma part je déclarais le 15 décembre 1983 : « Dans le système dit de la carrière, propre à la conception française, on ne sert pas l’État comme on sert une société privée. C’est une fonction sociale qui s’apparente aussi bien à la magistrature, au sens donné à ce mot dans l’ancienne Rome, qu’au service public moderne dans toute la gamme des technicités requises pour la mise en œuvre des fonctions collectives d’une société développée comme la société française ». On retiendra de cette quasi-définition la référence de la fonction publique à une magistrature et sa conception globale : le système de la carrière considère des travailleurs collectifs dont l’activité est nécessairement gérée sur l’ensemble d’une vie professionnelle.

 

– Aujourd’hui on nous propose le métier comme concept de référence. C’est celui du secteur privé et assez largement celui de la fonction publique territoriale avant la réforme de 1983-84. Je ne considère pas la notion de métier comme péjorative dans la fonction publique ; elle peut avoir une utilité pour analyser les fonctions, et synthétiser un ensemble d’activités élémentaires, mais son usage n’est pas neutre selon qu’il s’agit d’activités régies par le marché ou relevant d’une fonction publique. Dans le premier cas c’est la donnée de base des activités participant à la production de biens ou de services. Dans le second cas c’est l’éclatement des fonctions en composantes parcellaires qui ne peuvent prendre sens que par rapport aux fonctions publiques intégrées, elles-mêmes ordonnées par rapport à l’intérêt général.

 

– Ainsi la substitution du concept de métier à celui de fonction vise à rien moins que de substituer la logique du marché à celle du service public, une fonction publique d’emploi à une fonction publique de carrière. Elle est accordée à la substitution du contrat à la loi, du contrat au statut.

 

– Elle touche donc au cœur la conception française de fonction publique en remettant en cause le principe d’indépendance.

 


* L’individualisation des rémunérations opposée à la recherche de l’efficacité sociale

 

– Le mérite est mis en avant pour mettre en accusation les pratiques actuelles. Personne n’a jamais contesté que le mérite doive être considéré pour rémunérer les fonctionnaires. On ne trouvera aucune déclaration de ma part prônant un égalitarisme généralisé, j’ai toujours affirmé le contraire, c’est-à-dire que le fonctionnaire qui travaille mal ne doit pas être rémunéré comme celui qui travaille bien. Le statut le permet, ce qui manque c’est le courage. En réalité, l’évocation du mérite et le thème de l’individualisation des rémunérations recouvre une remise en cause d’un ensemble des caractéristiques de la conception française de la fonction publique.

 

– D’abord la notion de corps, c’est-à-dire de ces ensembles fonctionnels, regroupant le cas échéant plusieurs métiers dans une structure hiérarchique, organisés pour assumer certaines fonctions publiques spécifiques participant de fonctions publiques plus globales. On en critique le nombre en avançant des chiffres fantaisistes. Selon la DGAFP il y a aujourd’hui 300 à 500 corps et non pas 1500 et il ne faut jamais perdre de vue que 2 % des corps regroupent 70 % des fonctionnaires. Si la pratique n’est pas satisfaisante les possibilités statutaires de mobilité existent par la voie du détachement, de la mise à disposition et ce n’est pas ceux qui, par la loi Galland du 13.7.87 ont supprimé la comparabilité entre FPE et FPT de se plaindre du défaut de mobilité, pas davantage ceux qui ont pratiqué d’année en année le gel indiciaire pour critiquer ensuite la rigidité des carrières.

 

– Ensuite, les modalités de rémunérations. J’ai connu le temps où des négociations salariales actives bien que conflictuelles avaient lieu chaque année. Elles ont disparu et le système a été profondément dénaturé par la confusion sciemment entretenue entre les différentes composantes de la rémunération : rémunération indiciaire, GVT, primes, bonifications, etc. À l’évidence le gouvernement actuel veut pousser plus loi la confusion par l’individualisation, vraisemblablement sur le modèle que suggérait le rapport 2003 du Conseil d’État (p. 360) : une rémunération en trois parties dépendant respectivement : de l’indice, de la fonction, de la performance. La part discrétionnaire pourrait dans ces conditions croître considérablement, en dehors de tout contrôle.

 

– Enfin, cette atomisation salariale, s’ajoutant l’atomisation fonctionnelle et contractuelle, m’apparaît dangereuse en tant qu’elle isole le fonctionnaire des travailleurs collectifs auxquels il appartient dans l’organisation statutaire. Elle le rend par là plus vulnérable dans un contexte qui tendra à devenir plus clientéliste, plus sensible aux pressions administratives, politiques ou économiques. C’est au bout du compte l’intégrité de la fonction publique qui risque d’être mise en cause et la responsabilité que conférait à l’agent public l’article 15 de la DDHC : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

 

C’est donc aussi le principe de responsabilité qui est mise en cause et, au-delà, la pleine citoyenneté du fonctionnaire.

Sur la démarche à développer en réponse à la « contre-révolution culturelle »

 

– Écartons les faux débats : la question n’est pas de savoir s’il faut évoluer ou pas. À cet égard il est peu de texte de l’importance du statut général qui aient autant évolué sur une si longue période. Il n’y a pas de texte sacré et un tel système qui ne s’adapterait pas aux besoins et aux techniques dépérirait. Ce n’est pas, pour autant, une raison pour remettre en cause les principes qui participent du pacte républicain. Fermeté sur les principes, souplesse dans la mise en œuvre.

 

– La « contre-révolution culturelle » introduit en réalité un nouveau modèle, une autre conception de la fonction publique, une fonction publique d’emploi dominante au sein de l’Union européenne. C’est la FPT (« maillon faible » de la fonction publique « à plusieurs versants ») qui devient progressivement la référence et non plus jusqu’à présent la FPT. Il s’agit d’une stratégie cohérente que le rapport annuel du Conseil d’État de 2003 « Perspectives pour la fonction publique » avait déjà théorisée. À cette cohérence, il faut répondre par une autre cohérente. Celle-ci passe toujours à mon avis par la réaffirmation des principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité. Cet aspect idéologique a malheureusement été négligé au cours des dernières décennies, par le mouvement syndical, les fonctionnaires et l’opinion publique. Pire, lorsque des gouvernements de droite ont porté des atteintes au statut général, comme en 1987 (loi Galland, amendement Lamassoure, 3° voie de l’ENA), les gouvernements de gauche les ont consacrées lorsqu’ils sont revenus au pouvoir. Ce débat droit prendre place dans le cadre du « Pacte service public 2012 » annoncé par le président de la République et, à cours terme, dans les conférences prévues jusqu’en mars 2008.

 

– Pour autant cela ne doit pas empêcher la formulation de propositions de réformes statutaires ou non-statutaires. De mon point de vue, elle pourraient concerner, par exemple : la mise en œuvre de la double carrière (sur la base du rapport de Serge Vallemont) ce qui nécessiterait une politique de formation sans commune mesure avec ce qui existe ; les conditions d’affectation, de détachement et plus généralement de mobilité ; une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétence (en lieu et place de cet aveugle non remplacement de la moitié des départs en retraite) ; l’amélioration de l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs de la fonction publique ; la remise en ordre des classements indiciaires et statutaires ; la résorption de la précarité et la titularisation des contractuels indûment recrutés sur des emplois permanents ; l’instauration de modalités sérieuses de négociation et de dialogue social ; le développement de l’évaluation des politiques publiques, etc.

 

– Il y a nécessité d’une mise en mouvement syndical sur ces questions en même temps que celles portant sur le pouvoir d’achat et les effectifs. Au-delà, participation à la formation de l’opinion à une meilleure connaissance de la conception française de la fonction publique, du service public et de l’intérêt général.

Le dialogue social – Formation ENM-ENG, 14 mars 2007

Droit et pratique de la négociation dans la fonction publique

 

 

Prendre en compte l’hétérogénéité des personnels concernés : les personnels des greffes sont des fonctionnaires ; les magistrats ne le sont pas, relevant de l’ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature n° 58-1270 du 22 décembre 1958, modifiée par la loi organique du 25 juin 2001.

Néanmoins, par la référence aux principes régissant la conception française de l’intérêt général, à ceux relatifs à la conception française du service public et de la fonction publique, il y a communauté d’inspiration pour aborder des problèmes tels que ceux du dialogue social.

Au cœur de celui-ci dans la fonction publique, le droit de la négociation et sa pratique abordés successivement.


1. Le droit de la négociation dans la fonction publiqu
e

Le droit de la négociation suppose un bref rappel du cadrage historique du statut général et du droit syndical des fonctionnaires dont il est une composante essentielle.

1.1. L’émergence du statut général et du droit syndical dans la fonction publique

– l’affirmation spécifique de la notion d’intérêt général : Philippe le Bel à la fin du 13° siècle et l’amorce de la dualité juridictionnelle ; l’école française du service public ; la confrontation avec la conception dominante au sein de l’Union européenne : la loi et le contrat.

– la loi du 19 octobre 1946, première expression de la conception démocratique :
. avant (1905 accès au dossier, 1911 avancement, 1913 détachement, 1920 Roustan, 1924 reconnaissance de fait des syndicats, « statut jurisprudentiel » du CE, loi du 14 septembre 1941).
. après (1968 obligation de négociation, 1983-1984 droit de grève, liberté d’opinion , garantie de mobilité, extension à 5,2 millions de fonctionnaires).
. l’hostilité du mouvement syndical et la notion de « statut carcan » (principe hiérarchique).

– La fonction publique « à trois versants » ; les trois principes (égalité, indépendance, responsabilité) ; les trois versants ; les autres réformes non statutaires (3° voie ENA, titularisation, décrets sur droit syndical et organismes consultatifs, loi du 19 octobre 1982 sur le droit de grève, décret du 28 novembre 1983…).

1.2. Le droit de la négociation

– art. 8 du titre 1er du SGF : « Le droit syndical est garanti aux fonctionnaires. Les intéressés peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats … Les organisations syndicales de fonctionnaires ont qualité pour conduire au niveau national avec le Gouvernement des négociations préalables à la détermination de l’évolution des rémunérations et pour débattre avec les autorités chargées de la gestion, aux différents niveaux, des questions relatives aux conditions et à l’organisation du travail. »

– le droit syndical est reconnu aux fonctionnaires par le statut de 1946 mais sous une forme laconique et non assorti du droit de négociation. Jusque-là les conséquences ne sont pas tirées de la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels en faveur des fonctionnaires en raison de leurs obligations spécifiques liées à la continuité du service public. Dans un commentaire sur un arrêt du Conseil d’État de 1922, Hauriou écrit : « pas de lutte des classes à l’intérieur de la hiérarchie administrative et, par suite, pas de syndicats de fonctionnaires parce que la forme syndicale est liée à la lutte des classes ». Pourtant des associations puis des syndicats de fait se constitueront et seront officiellement tolérés par le Cartel des gauches en 1924.

– les moyens que ne prévoyaient pas la loi du 19 octobre 1946 seront envisagés par une circulaire Chaban-Delmas du 14 septembre 1970 (suite 1968), mais surtout définis par le décret du 28 mai 1982 accompagnant le même jour une série de nouveaux décrets sur les organismes consultatifs paritaires (CSFP, CAP, CTP, CHS) antérieurs à l’article 8 du T 1er du SGF précité.

– sur l’article 8, j’ai déclaré le 3 mai 1983 à l’AN : « ce droit de négociation aujourd’hui reconnu aux fonctionnaires ne change rien à la position juridique du fonctionnaire qui est et demeure dans une situation statutaire et réglementaire » (pour ne pas suggérer une dérive vers une position contractuelle). C’est plus qu’une demande d’avis, moins qu’un engagement contractuel, la recherche d’un accord consensuel appelé souvent « protocole », correspondant à une sorte d’engagement moral réciproque. Pour autant, pas de valeur juridique de ces textes et tout se termine finalement par des actes unilatéraux. Il est donc erroné, jusqu’à présent, de parler de « politique contractuelle » dans la fonction publique, quand bien même le rapport annuel du CE de 2003 exprime l’idée que la contractualisation pourrait devenir « une source autonome du droit de la fonction publique ».

– contenu du décret du 28 mai 1982 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique :
. liberté de constitution avec information de l’administration.
. conditions d’exercice : locaux syndicaux, réunions, affichages, distributions.
. situation des représentants syndicaux : autorisations spéciales d’absence, décharges d’activité de service.

– voir aussi l’article 9 du T 1er du SGF : « Les fonctionnaires participent par l’intermédiaire de leurs délégués siégeant dans des organismes consultatifs à l’organisation et au fonctionnement des services publics, à l’élaboration des règles statutaires et à l’examen des décisions individuelles relatives à leur carrière. Ils participent à la définition et à la gestion de l’action sociale, culturelle, sportive et de loisirs dont ils bénéficient ou qu’ils organisent … »
. organismes purement consultatifs conformes au préambule de la constitution de 1946 et institués en 1946 (art. 20 à 22). Pas de déclin du pouvoir hiérarchique, l’État ne peut pas renoncer à ses prérogatives.
. CSFP, CAP, CTP, CHS définis aux articles 12 à 16 du T II pour l’État.


2. La pratique de la négociation dans la fonction publique

Tirer les enseignements de mon expérience et les resituer dans l’appréciation de la réflexion de J. Fournier sur le dialogue social (2001).

2.1. Enseignements d’une expérience de la négociation dans la fonction publique ;

Trois considérations sur les conditions d’une négociation de qualité :

* La négociation n’est pas indépendante du contexte culturel

– Conception idéologique de la fonction publique : fonction publique de carrière ou d’emploi ; idéologie managériale ou FP référence de société ;  rentabilité ou efficacité sociale et caractère multidimensionnel des décisions ; GPE contre GRH.

– Statut général des fonctionnaires ; position réglementaire, non contractuelle ; négociations sanctionnées par textes réglementaires à défaut d’accords (« contractualisation » hypothéquée). Dualité de cultures (CFDT et autres).

– Respect des cultures et des rites : syndicats généralement compétents et influents ; pas de supériorité manifeste de la compétence administrative. Complexité du droit de la fonction publique. Nécessité de la référence plus large au contexte (intérêt général ; comptes de la nation).

– Les impératifs de la relation directions syndicales – mandants ; dramaturgie de la négociation (exemples 1981-1984) ; respect des rites (suspensions de séance, compte rendus syndicaux).

– Symboles et novations : code ou statut (code prévu par la loi de modernisation du 2 février 2007), 3° voie ENA (hostilité conjointe AAE de l’ENA et CGT).

* La négociation doit intégrer le temps et les rythmes

– L’existence d’un contentieux ancien : les appréciations péjoratives des pouvoirs publics : nantis, porteurs de pancartes, sécurité d’emploi, culpabilisation devant l’opinion publique. Exemples : gel indiciaire (Barre 1976), non-titulaires, clause de sauvegarde 1983-1984, négociations salariales 2000-2001 et acte unilatéral depuis y. c. « protocole d’accords » du 25 janvier 2006).

– L’importance de la conjoncture : il y a des moments privilégiés de dialogue, ceux des réformes attendues et/ou voulues ; « il y a un temps pour tout ».
Exemples : 1946, 1958, 1968, 1981.
Comportement des fonctionnaires gestionnaires.
« Effet de cliquet » (asymétrie droite-gauche).

– Concertation permanente et « respiration » de la négociation. Exemples : textes de 1982-1984 (notamment non-titulaires), loi du 19 octobre 1982 (et amendement Lamassoure), projet de décret sur la notation.

* La négociation vaut enfin par son cadre et son contenu

– Information et transparence : traitements des hauts fonctionnaires rendus publics le 27 janvier 1981 ; résultats globaux des élections aux CAP le 28 janvier 1981(conséquence sur CSFP) ; rapports annuels FP et égalité F/H (bi-annuel) ; communications en Conseil des ministres.

– L’importance des moyens permanents de la concertation. CSFP, CAP, CTP (circulaires du 7 août 1981 sur CTP, 12 sur droits syndicaux base 14 septembre 1970 et 24 sur utilisation des locaux administratifs), CHS. Concertation « de type nouveau » lors de l ‘assemblée plénière avec les syndicats le 3 septembre 1981.
Groupes ad hoc (missions, comités, réseaux, CP, etc.).

– L’unité de vue gouvernementale : le risque de double différenciation Premier ministre-ministre de la Fonction publique. Rôle des directeurs de cabinet et des conseillers techniques. Les réseaux non-officiels réels ou supposés (exemple : P. Mauroy-FEN ou A. Le Pors-CGT).

– « Du grain à moudre » : contenu suffisant de négociation (exemple de la négociation salariale de l’automne 1982).
Possibilité de globalisation du « quantitatif » et du « qualitatif », relevés de conclusions globaux ou séparés (10 mars 1982).
Des mises en perspective (exemple : gestion prévisionnelle des effectifs, ARTT, égalité d’accès des femmes et des hommes, etc.) et sentiment de participation à un dessein clair.

2.2. Considérations tirées de cette expérience sur le rapport de Jacques Fournier

Pour mémoire : le rapport de la commission du « renouveau du dialogue social dans les juridictions » présidée par Serge Vallemont.

3 axes :

* Revivifier la concertation

– Généraliser les élections pour la constitution des CTP ; mettre fin  à la parité dans les CTP devenant des CTC ; mieux intégrer ces CTC dans le déroulement des processus de décision ; prévoir un budget pour les études ; clarifier les rôles respectifs des CTC et des CHS ; rôle prépondérant des représentants du personnel dans l’orientation des politiques sociales.

> Pourquoi pas des élections pour les CTP mais l’avantage n’est pas certain et risque d’affaiblissement de l’autorité des syndicats ; contre la fin de la parité au nom d’un véritable débat contradictoire quand bien même il ne s’agit que d’organisme consultatif ; mieux insérer sans doute le rôle de ces comités dans les processus de décision mais ils seront affaiblis et sous contrainte (fongibilité asymétrique de la LOLF, p. ex 😉 ; le rôle des représentants du personnel dans l’orientation des politiques sociales est déjà prévu à l ‘art. 8 du T 1er.

* Développer la négociation

– Elargir le champ ouvert à la négociation et à la convention ; instauration de l’obligation de négocier ; préciser les conditions de validité des conventions ; permettre aux accords d’acquérir une force juridique.

> C’est déjà prévu à l’art. 8 du T 1er, la véritable avancée serait une participation effective aux missions de l’administration et à l’organisation des services qui reste exclue ; l’obligation de négocier risque de demeurer un vœux pieux ; risque à s’engager sur le terrain de la validation réglementaire des accords conclu ce qui obligerait à en préciser le champ et le degré d’accord, facteurs restrictifs des conventions elles-mêmes ; la procédure d’homologation des accords régulièrement conclus (notion d’acte réglementaire négocié) reste floue et marque paradoxalement un surcroît de formalisme et de rigidité dans la négociation.

* Réarticuler le dialogue social

– Se donner des principes généraux ; traiter les questions communes aux trois FP ; organiser le dialogue social au sein de l’État, dans la fonction publique territoriale et le secteur hospitalier ; identifier et diffuser les « bonnes pratiques » du dialogue social.

>  Les principes de cohérence maximale et de proximité maximale évoqués par le rapport partent d’un bon sentiment ; traiter des questions communes aux 3 FP aurait pu se faire dans le cadre, notamment, de la réunion des CS des FP, supprimée par la loi Galland ; l’organisation du dialogue social et l’instauration de la confiance ? C’est bien là tout le problème …

UNE EXPÉRIENCE DE ROGER VAILLAND, Centenaire de la naissance de Roger Vailland (1907-2007) – Bourg en Bresse 24 novembre 2007

Centenaire de la naissance de Roger Vailland (1907-2007)
Bourg-en-Bresse 23-24 novembre 2007

Je pense avoir presque tout lu Roger Vailland. J’ai aussi l’impression d’avoir tout oublié. Je suis certain pourtant d’avoir beaucoup retenu de sa lecture. J’ai eu l’occasion récemment de dire à peu près la même chose du marxisme. Autant d’imprégnations qui font ce que je suis finalement, sans pouvoir clairement démêler ce qui relève de ceci ou de cela. Mais est-ce bien indispensable ? Ni ma vie personnelle, ni mon expérience professionnelle ou militante ne s’identifient à celles de Roger Vailland et pourtant j’ai toujours eu – et je garde – le sentiment d’une grande proximité de réflexion, d’analyse, voire de posture.

 

Il m’arrive encore de reprendre des mots au sens inventé par Roger Vailland. Dire d’une femme qu’elle est « allurée » parce que je trouve qu’elle a de l’allure, ou d’un camarade qu’il s’est « désintéressé », pour signifier qu’il a perdu tout intérêt pour… Et j’ai souvent conclu une conférence sur la fonction publique par cette brève remarque de la page 100 des Écrits intimes (les seules pages relues dans la perspective de cette réunion, plus de huit cents néanmoins) : « La mentalité fonctionnaire … ne pas oublier – comme chez les postières, les instituteurs – la dignité de ne pas avoir l’homme pour maître. » Une remarque d’une grande actualité au moment de la « contre-révolution culturelle » que veut appliquer l’actuel président de la République à la fonction publique.

 

Plus généralement, si je m’en tiens à l’essentiel et au mieux assuré de mon expérience et de mon souvenir de Roger Vailland, j’insisterai sur trois idées. En premier lieu, la notion de « saison » fortement présente dans sa vie et son œuvre. En deuxième lieu, sa contribution éminente à la définition d’une « éthique » militante. En troisième lieu, le rôle du jeu et le risque encouru de l’échec, notre saison est-elle celle de l’ « Éloge de l’échec » ? Trois idées qui me semblent particulièrement utiles pour y voir plus clair dans la situation de décomposition politique profonde où, de mon point de vue, nous nous trouvons aujourd’hui.

 

Sur la notion de « saisons  » de la vie et de l’histoire

 

Autant que je me souvienne, Roger Vailland a surtout appliqué la notion de saison à sa propre vie (les simplistes, les surréalistes, la Résistance, l’alcool, la drogue, le communisme…). Cette idée simple m’apparaît importante : elle souligne que l’enchaînement des états successifs procède d’un développement contradictoire qui rend nécessaire cette succession, à la fois aléatoire sur le long terme, mais strictement déterminée dans une conjoncture particulière. Elle est importante également en ce qu’elle enseigne qu’il n’y a pas de fin de l’histoire, que celle-ci est faite de séquences successives, chacune d’elles enfantant la suivante. Et cela est vrai non seulement pour l’histoire collective, mais aussi pour les histoires individuelles : à preuve la tenue de ces rencontres Roger-Vailland pour ce qui le concerne.

 

À titre personnel, j’ai souvent pensé mon propre parcours de cette façon. Professionnellement j’ai été météorologiste pendant douze ans, puis économiste pendant les douze années suivantes, puis politique professionnel (sénateur puis ministre) pendant sept ans, enfin conseiller d’État le reste du temps. Politiquement et socialement j’ai d’abord adhéré à la Jeune République issue du mouvement du Sillon de Marc Sangnier et à la CFTC pendant quelques années, puis à la CGT et trente-six ans au Parti communiste. Je suis aujourd’hui électron libre sur plusieurs thèmes, formellement « désintéressé » du jeu politique environnant.

 

Mais le plus important est de souligner l’intérêt de cette analyse séquentielle au niveau de la société tout entière, tant il est vrai que la vie de l’homme d’action épouse nécessairement les saisons par lesquelles passe la société dont il est membre. Il existe plusieurs types de découpages possibles. Ainsi l’analyse marxiste, fondée sur le matérialisme historique, traduction du matérialisme dialectique en histoire, m’a – avec beaucoup d’autres – convaincu longtemps que l’histoire était écrite à l’avance : au féodalisme succédait nécessairement le capitalisme, lui-même subdivisé en plusieurs séquences (de concurrence, monopoliste, monopoliste d’État), puis le socialisme et enfin le communisme (après on ne savait pas). D’une autre façon, Marcel Gauchet dans Le désenchantement du monde a décrit l’évolution à très long terme du genre humain en distinguant la période pluriséculaire de domination de l’Église, puis le rêve prométhéen socialiste des deux derniers siècles, débouchant aujourd’hui sur l’idéologie faiblement caractérisée des droits de l’homme.

 

René Rémond, d’une autre façon, dans son livre Regard sur le siècle, considère que le XX° siècle a commencé en 1917 avec la Révolution bolchevique d’Octobre et qu’il s’est achevé en 1991 avec la disparition de l’Union soviétique. Pour lui aussi, ce fut un siècle prométhéen dominé par l’épopée communiste. Il ne dit pas quelle est la séquence suivante, et là est bien notre problème. Pour ma part je considère, dans cette problématique des « saisons », que nous sommes dans une période de transition, de décomposition sociale, au sens de ce qu’écrivait Alfred de Musset en 1936 dans Confession d’un enfant du siècle : « Le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris ».

 

À ce sujet, on parle aujourd’hui de « pertes de repères ». Cinq causes, notamment, me semblent pouvoir expliquer ce qui peut être aussi regardé comme un « désenchantement » sinon un « désintéressement » au sens précédemment indiqué : l’affaiblissement de l’allégeance à l’Ètat nation, la dénaturation de la notion de classe, les bouleversements spatiaux accompagnés des menaces contre l’écosystème, l’évolution des mœurs, et surtout l’effondrement des grandes idéologies de caractère messianique sous-tendant les principales familles politiques, la théorie économique néo-classique pour le libéralisme, l’État providence pour la social-démocratie, le marxisme pour le mouvement communiste. D’où une angoisse de type millénariste, des replis individualistes, la perte de perspectives politiques. Un sentiment du type de celui qu’évoquait Roger Vailland dans un article du Nouvel Observateur du 26 novembre 1964 sous le titre « Éloge de la politique » : « Et nous voici de nouveau dans le désert. Mais je ne veux pas croire qu’il ne se passera plus jamais rien. Que les citoyens n’exerceront plus leur pouvoir qu’en mettant un bulletin dans l’urne pour désigner comme souverain (à leur place) un monsieur qui a une bonne tête à la télévision ». Et il en appelait aux intellectuels, défaillants, pour conclure : « En attendant que revienne le temps de l’action, des actions politiques, une bonne, belle, grande utopie (comme quand nous pensions en 1945 que « l’homme nouveau » serait créé dans les dix années qui allaient suivre) ce ne serait peut-être déjà pas si mal ».

 

Mais quelle que soit la saison, l’appel simultané de Roger Vailland au citoyen souverain et au penseur politique pose la deuxième question que je souhaite aborder.

 

Sur la définition d’une « éthique » du militant

 

Je crois la démarche politique de Roger Vailland profondément morale. J’entends par là qu’il n’a cessé de se poser la question de la dialectique à développer entre action collective et subjectivité et d’apporter à cette contradiction une réponse personnelle de pleine responsabilité. Beaucoup d’entre nous, sans doute, ont eu à faire face à ce type de problème, qu’en conviction, dans son for intérieur, on formule souvent, par la question suivante : « Faut-il se tromper avec tout le monde ou avoir raison tout seul ? » Choix impossible entre allégeance et arrogance. Et pourtant il faut choisir. L’adhésion de Roger Vailland au PCF n’a pas été aisée, demandée en 1942 il n’a pas eu de réponse et, une fois admis, il y a toujours été tenu à distance jusqu’à ce qu’il quitte le Parti en ne reprenant pas sa carte en 1957. Dans un autre genre, j’ai moi-même adhéré au Parti le 29 septembre 1958, lendemain du vote à 80 % en faveur de la Constitution de la V° République, sans joie particulière, en quelque sorte pour régulariser administrativement ma situation politique puisque seul le PCF, en tant que parti, avait appelé à voter « non » et que j’étais moi-même très hostile à cette constitution, née du putsch d’Alger.

 

Roger Vailland considérait que la vie d’un homme véritable a un caractère tragique, mais que la tragédie doit être affrontée et que le bonheur et le plaisir même sont consubstantiels à cet affrontement et en sont en quelque sorte la récompense. Il doit y avoir un dialogue permanent entre la politique et la subjectivité, qui s’enrichissent réciproquement dans cet échange. On ne peut servir une grande cause si on a une vie minable ; l’action politique crée ainsi un héros positif si celui-ci ne se laisse pas subvertir par elle. La question est de dominer le drame, d’établir dans l’action même une distance avec cette action, de soi avec soi, selon sa formule. On a pu dire à propos de Roger Vailland que son œuvre avait intégré le communisme à l’inverse du sort commun où c’est le communisme qui a généralement intégré ses plus dévoués serviteurs. Même durant sa période stalinienne Roger Vailland n’a pas plié sa vie à la politique.

 

Dans l’acception léniniste classique, les intérêts du peuple étaient portés par la classe ouvrière, la classe la plus directement et la plus durement exploitée (le prolétariat) ; l’action de celle-ci était conduite par sa partie la plus consciente et la plus active, son avant-garde révolutionnaire constituée par le parti de la classe ouvrière, le parti communiste ; celui-ci, organisé sur le modèle militaire hiérarchisé, était lui-même dirigé par un collectif réputé détenir la science et le pouvoir, avec à sa tête un chef charismatique. Cette forte construction était cimentée par un certain nombre de concepts ayant valeur de dogmes dans les conditions de l’époque : la dictature du prolétariat, le centralisme démocratique, la direction autocratique. Le messianisme qui sous-tendait le mouvement fondait la légitimité de la direction : la mettre en cause c’était contester l’identité révolutionnaire du collectif dirigeant, s’en prendre au rôle du parti, nier la vocation émancipatrice de la classe ouvrière et finalement trahir les intérêts du peuple lui-même.

 

Cette succession de sophismes, aggravée par l’accaparement bureaucratique des pouvoirs, a justifié, on le sait, les pires exactions. On conçoit que Roger Vailland ait eu quelque difficulté à se plier à cette implacable logique. On peut biaiser un temps avec l’appareil mais un temps seulement. Ce genre de situation a des effets pervers redoutables. Ainsi, combien de fois n’ai-je pas vu des camarades soupçonnés de déviation par rapport à la ligne de la direction tenter dans un premier temps de surenchérir dans l’orthodoxie pour parer les accusations. On peut aussi – c’était ma méthode préférée – avoir recours à un certain humour pour défendre à contre-emploi l’idée de modèle (au sens scientifique du concept) au moment où la direction rejetait toute idée de modèle (au sens soviétique du modèle). Ou bien prôner un centralisme démocratique « haut de gamme » pour ne pas être contre la règle, tout en critiquant implicitement la pratique « bas de gamme » de la direction. Ou encore préconiser la « rupture » au nom de la révolution pour en appeler à un changement des méthodes de ladite direction. Mais le rôle de fou du roi n’a qu’un temps et il risque de se charger progressivement d’indignité. C’est pourquoi je m’en suis lassé moi-même.

 

Un dernier aspect éthique que je voudrais évoquer – bien que je ne souhaite pas m’étendre sur les questions relatives à la vie intime de Roger Vailland, a fortiori sur la mienne – est la liaison que Roger Vailland établit entre la politique et l’amour, entre la révolution et l’amour. On sait qu’il a été souvent considéré comme un libertin attardé du XVIII° siècle, qu’il tenait le lit pour un lieu de vérité et qu’il n’y avait pas pour lui de contradiction entre l’amant, le militant et l’action collective. Il n’est pas seul à avoir fait le rapprochement. Ainsi Roland Barthes dans Fragments d’un discours amoureux déduit de « Je t’aime – Moi aussi » : « Une révolution en somme – non loin peut être de la révolution politique : car dans l’un et l’autre cas, ce que je fantasme c’est le Nouveau absolu, le réformisme (amoureux) ne me fait pas envie ». Francesco Alberoni dans Le choc amoureux franchit le pas : « Dans l’état (amoureux) naissant, règnent les principes du communisme : chacun donne selon ses possibilités, chacun reçoit selon ses besoins ». Pour ma part – et je n’en dirai pas davantage – il m’est arrivé d’écrire : « Pour être un grand amoureux, il faut être un grand mathématicien, un grand musicien, un grand météorologiste, un grand économiste, les choses s’ajoutent et ne se concurrencent pas ».

 

Mais Aragon nous dit qu’il n’y a pas d’amour heureux. Quant au communisme, on a bien du mal aujourd’hui a dire sérieusement en quoi il consiste. Et pourtant personne n’a renoncé à être amoureux et nous restons nombreux à tenir pour idéal l’utopie que précédemment Roger Vailland appelait de ses vœux, faute d’une actualité plus satisfaisante. D’où la question :

 

Sommes-nous dans la saison de l’ « Éloge de l’échec » ?

 

Le jeu est fortement présent dans l’œuvre de Roger Vailland ; pas seulement dans La Loi. Pour lui, celui qui a le plus de chance de gagner est celui qui n’a pas peur de perdre. Son héros positif n’est pas plus dominé par le jeu que par la politique. En quelque sorte il joue et se regarde jouer. Il n’est pas asservi aux règles venant d’en haut ou de l’extérieur. Pour autant son action est consciente, déterminée, volontaire, rationnelle. Sachant qu’il agit dans un avenir aléatoire, il s’engage et il voit. Il arrive ainsi à Roger Vailland d’opposer au communiste sclérosé celui qui s’efforce, autant que possible, de penser par lui-même et qui, même s’il agit sous influence et sous domination, finira par gagner.

 

C’est aussi dans cet esprit que j’ai écrit en 2001 un livre précisément intitulé Éloge de l’échec. Mon idée était alors que, face à l’écroulement du système du socialisme réel, et ayant moi-même démissionné du comité central du PCF en juin 1993 et du Parti en mars 1994, il fallait que je fasse, pour mon propre compte, le bilan de cette aventure. Il ne pouvait s’agir d’un règlement de compte – dès lors qu’il n’avait pas d’objet et ne pouvait avoir d’effet politique – mais de tirer la leçon d’une période, à la fois tranche de vie personnelle et épopée collective. J’avais amorcé cette réflexion dès 1994 en publiant Pendant la mue le serpent est aveugle – chronique d’une différence, dans lequel j’analysais, sur le mode politico-psychologique mes dix dernières années au PCF.

 

Je ne veux pas m’étendre sur le contenu de l’Éloge de l’échec qui n’était pas centré sur la question politique mais couvrait également – je pourrais dire à la manière de Roger Vailland – le rôle de l’échec dans la vie quotidienne, le travail, l’amitié, la famille, la religion, la culture, la mort et, bien sûr, l’amour. Je m’efforçais de montrer, premièrement, que l’échec est une notion relative, qu’il n’y a pas d’échec absolu, qu’il pose la question du système de référence, que le temps fait beaucoup à l’affaire, qu’il est inhérent à la démarche scientifique, qu’il stimule l’esprit critique. Deuxièmement, que l’échec met l’effort en valeur, qu’il est formateur, qu’il porte témoignage d’authenticité, qu’il invite à se remettre de façon permanente en question. Troisièmement, que l’échec libère, car la réussite est souvent un stéréotype qui enferme, qu’il invite à la tolérance, à la sagesse, tant il est vrai comme l’écrit Cioran – un autre penseur à qui je dois beaucoup – dans ses Entretiens, qui ressemblent fort aux Écrits intimes de Roger Vailland, que « L’échec est une expérience capitale et féconde ».

 

Je crois beaucoup aujourd’hui à cette introspection nécessaire à la fois individuelle et collective. L’une des tâches politiques les plus importantes du moment me semble en effet de procéder à l’inventaire du passé prométhéen, pour en tirer toutes les leçons utiles à une conduite présente et future guidée par la raison et non par le jeu aveugle des forces marchandes. Malheureusement, nous ne disposons pour le moment que des outils intellectuels du passé pour explorer les voies de l’avenir, raison de plus pour entreprendre sans délai le travail sur les contradictions à l’œuvre dans la décomposition. Il ne s’agit en rien d’entretenir une névrose, par expérience j’ai acquis au contraire la conviction que cette démarche est de nature à nourrir l’optimisme de la volonté.

 

Cette voie de recherche doit, à mon avis, être complétée par une réflexion sur l’héritage républicain que nous ont transmis les générations antérieures afin d’en faire un investissement de nature à conjurer les dérives monstrueuses toujours possibles et à prospérer dans la recomposition à venir – car il y aura la « saison » de la recomposition, il ne faut pas en douter. C’est dans cet esprit – qu’il est aisé de rattacher à la pensée de Roger Vailland – que j’ai cru devoir écrire plusieurs ouvrages et articles – dont un Que sais-je ? – sur La citoyenneté, concept que le mouvement communiste a malheureusement méprisé, voire stigmatisé au nom d’une analyse de classe dogmatique, mais qui me semble aujourd’hui capable de fédérer ce qu’il y a d’essentiel dans une pensée de progrès. Cette pensée ne peut aujourd’hui se former qu’à partir des engagements individuels responsables et divers de chacun et de chacune d’entre nous, autant de « génomes de citoyenneté » qu’il faudra ordonner ensuite dans une centralité à inventer.

 

Je ne sais si Roger Vailland aurait souscrit à cette manière de voir. Ce n’est pas sûr, et cela n’a pas d’importance. Ce qui est intéressant c’est qu’il reste présent aujourd’hui dans notre réflexion.

« Au service de l’intérêt général » – POUR, revue de la Fédération syndicale unitaire (FSU) novembre 2007

Depuis la loi du 19 octobre 1946 le statut général des fonctionnaires a constamment évolué. Ce premier statut démocratique est étroitement lié aux avancées réalisées à la Libération après la 2ème guerre mondiale. Loin d’être sclérosé il représente une composante du pacte républicain. Les attaques qu’il subit touchent à des éléments essentiels de notre cohésion sociale, à l’opposé d’ une vision progressiste de l’évolution de l’administration.

Pour : Quels sont d’après vous les principes fondateurs auxquels il faut rester attaché?

La réforme de la fonction publique que j’ai initiée en 1983-84 repose sur trois principes fondateurs caractéristiques de la conception française : l’égalité, l’indépendance, la responsabilité. Ainsi le fonctionnaire, citoyen à part entière, n’est pas un sujet du pouvoir politique, ni de l’administration, mais assume une responsabilité importante car il sert l’intérêt général.

Pour : La société française bouge. Quelles sont les évolutions nécessaires ?

Le statut doit continuer à évoluer encore en fonction des besoins des citoyens à l’égard des administrations de l’État et des autres collectivités publiques, notamment territoriales. L’impact des évolutions technologiques et notamment l’informatique concerne au premier plan l’administration. La fonction publique est un modèle social pour l’ensemble de la société. Elle représente une référence qui pourrait, dans une certaine mesure, être transposée pour concevoir un « statut du travail salarié » tout au long de la vie.

Pour : Peut-on observer la Fonction Publique en France, et donc les services publics, sans considérer le contexte de mondialisation des échanges, de l’économie, de la communication?

Notre fonction publique, souvent qualifiée «d’exception française», est une des expériences les plus anciennes d’organisation administrative au service de l’intérêt général. A l’étranger, l’image de la fonction publique française est associée aux notions d’efficacité, de compétence et de non corruption. Elle y sert souvent de référence aux réformes statutaires. En Allemagne, il n’y a que 700 000 fonctionnaires au sens où nous l’entendons en France. Ils y occupent des fonctions régaliennes mais ne disposent de droits sociaux réduits. Les autres fonctions sont assurées par des employés sous contrat. Cette importance des contrats affaiblit la position du fonctionnaire vis-à-vis des pressions politiques ou de l’arbitraire administratif.

Pour : Quelles sont les problématiques actuelles ? Comment se déclinent-t-elles pour les fonctionnaires et les usagers?

Deux conceptions de la fonction publique s’opposent. La Fonction publique d’emploi organise un certain nombre de métiers sans perspective d’évolution significative et dont les rémunérations relèvent d’un cadre plus ou moins contractuel. Dans la fonction publique de carrière, le fonctionnaire est titulaire de son grade, et son emploi est à la disposition de l’administration. Cette séparation caractérise la spécificité française.
Ceci étant, il faudrait modifier le statut général pour améliorer la mobilité insuffisante, les conditions de détachement d’une administration à l’autre, la promotion et l’accès des femmes aux emplois supérieurs de la fonction publique. Il faut abroger la loi Galland de 1987, qui avait marqué un retour de la fonction publique territoriale vers une fonction publique d’emploi et encouragé le recrutement de contractuels.
Nos services publics offrent des garanties aux usagers. Il faut trouver les formes adéquates pour recueillir leurs avis et leurs attentes en prenant appui sur une évaluation sérieuse des politiques publiques.

Pour : Comment comprendre l’adhésion , même relative de l’opinion publique à la volonté de diminution du nombre de fonctionnaires, alors que cela conduira à la réduction des services publics?

Ceux qui mettent en avant l’intégration forcée de notre pays dans l’union européenne telle qu’elle est aujourd’hui et veulent assujettir à toute force notre société à une mondialisation dominée par le mouvement du capital et la rentabilité rencontrent en France une fonction publique animée par une logique de démocratie et d’efficacité sociale. Notre fonction publique est un obstacle à la logique du marché. Il y a une contradiction entre notre conception de la fonction publique, et le contrat prôné aujourd’hui par Nicolas Sarkozy, à l’instar de modèles étrangers.
La loi, comme le précise l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est l’expression de la volonté générale. Les fonctionnaires en sont les acteurs de premier rang. Nous avons donc de bonnes raisons de défendre la conception française au plan international et notamment, dans le cadre de l’Europe actuelle.

Une loi de dénaturation de la fonction publique – La semaine juridique 27 février 2007

S’inscrivant dans le cadre conceptuel du rapport annuel du Conseil d’État de l’année 2003 , le prédécesseur de l’actuel ministre de la Fonction publique, Renaud Dutreil, avait entrepris, d’avril 2004 à mai 2005, d’engager une grande réforme statutaire. Celle-ci, prenant appui sur les griefs habituellement ressassés contre les fonctionnaires et la fonction publique (inefficacité, corporatisme, privilégiature), visait à mettre en place une fonction publique rompant avec la conception républicaine formalisée par le Statut général, en faisant de la contractualisation une « source autonome du droit de la fonction publique » et en alignant notre système de fonction publique « de carrière » sur le modèle de fonction publique « d’emploi » dominant au sein de l’Union européenne . La réaction des organisations syndicales et de quelques esprits vigiles, ainsi que, vraisemblablement, la perspective de la prochaine élection présidentielle, ont conduit le gouvernement à renoncer provisoirement à ce projet au profit d’une stratégie moins ostentatoire, de portée plus limitée, mais gardant la même orientation : tel est le sens de la loi dite « de modernisation de la fonction publique » que le ministre Christian Jacob vient de faire adopter par la Parlement.

La nouvelle loi contient en effet des dispositions qui constituent autant d’atteintes caractérisées à la conception française de la fonction publique. Ainsi, les règles déontologiques sont rendues plus laxistes : le délai  d’incompatibilité entre les activités exercées par un fonctionnaire cessant ses fonctions et une activité lucrative dans une entreprise, un organisme privé ou une activité libérale est ramené de cinq à trois ans ; les cumuls entre activité publique et privée sont considérablement assouplis pour un fonctionnaire en vue de créer ou de reprendre une entreprise,  ou pour un dirigeant de société privée embauché en qualité de non-titulaire  de droit public (jusqu’à deux ans) ; la détention de parts sociales de capital  par les fonctionnaires est mise sur le même plan que la production d’œuvres d’art ; les agents titulaires et non-titulaires à temps incomplet peuvent simultanément exercer une activité privée lucrative dans des conditions renvoyées à un décret en Conseil d’État. D’autres dispositions sont également susceptibles de déstabiliser le fonctionnement des organes de représentation et de gestion (constitution de commissions administratives relatives à plusieurs corps) ou l’égalité de traitement  des fonctionnaires par l’introduction de l’expérimentation dans certaines administrations (entretien professionnel pour l’évaluation de la valeur professionnelle).

Plus généralement, la loi tend essentiellement à brouiller l’interface entre le public et le privé. Ainsi, la mise à la disposition qui n’était jusqu’à présent qu’une situation particulière de la position d’activité devient le moyen essentiel de la mobilité largement et réciproquement ouverte au privé sans présenter les garanties du détachement dès lors frappé d’obsolescence, alors que c’est sa réforme qui s’imposait pour dépasser les obstacles actuels au passage, notamment, d’une fonction publique à l’autre. L’article 22 du titre 1er du Statut général avait consacré en 1983 le droit individuel à la formation du fonctionnaire ; sur le fond la nouvelle loi n’apporte donc rien. En revanche, d’une part, elle renvoie à un décret en Conseil d’État la détermination des conditions et modalités d’utilisation et de financement de ce droit, mais surtout, d’autre part, elle place dans la partie législative du code du travail l’explicitation des modalités de la formation professionnelle des agents publics, ce qui gomme les spécificités de la formation au service public. La loi n’innove pas non plus en matière d’action sociale, sinon en prévoyant que « le bénéfice de l’action sociale implique une participation du bénéficiaire à la dépense engagée », ce qui passera difficilement pour une avancée sociale.

La proposition prévue à l’article 56 de la loi de « procéder par ordonnance à l’adoption de la partie législative du code général de la fonction publique » aurait pu retenir favorablement l’attention en vue de remettre un peu d’ordre dans l’architecture de la fonction publique « à trois versants » mise en place en 1983, 1984 et 1986 et modifiée de nombreuses fois depuis. Cette codification, alors évoquée, avait été vivement combattue à l’époque par des organisations syndicales qui y voyaient une remise en cause de la notion de statut. Alors même que la codification pourrait être regardée aujourd’hui comme un progrès de la réforme administrative , comment ne pas voir, dans les conditions de dénaturation et de confusion public-privé créées par la nouvelle loi, que cette harmonisation se ferait a minima ? Proposons qu’elle ne puisse intervenir qu’après l’abrogation de la loi Galland du 13 juillet 1987 (qui a ramené la fonction publique territoriale vers une fonction publique d’emploi) et de toutes les dispositions législatives prises par les gouvernements hostiles à la conception française de la fonction publique et consacrées par connivence  ou lâcheté par les autres.

Anicet Le Pors

ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives (1981-1984)
conseiller d’État (h)

« LA CITOYENNETE » – Schéma du Que sais-je ? (3° édition)

Une longue généalogie : Athène, Rome, les villes du Moyen-Age, la Révolution française, 1848 jusqu’à la citoyenneté européenne décrètée. Le triptyque : valeurs-exercice-dynamique ;

1. LES VALEURS DE LA CITOYENNETE

1.1. Une conception de l’intérêt général

1.1.1. Une définition problématique.

– optimum social, préférence révélée des consommateurs.

– la prudence du juge administratif en droit positif : DUP, ordre public. Le service public comme vecteur.

1.1.2. La crise du service public.

– une notion simple devenue complexe : l’intérêt général différent de la somme des intérêts particuliers. Mission x personne morale de droit public x droit et juge administratif. Extension et hétérogénéité. Contractualisation.

– service d’intérêt général et construction européenne : ignorance dans le traité instituant la Communauté européenne (art. 73 , 86, 87). Economie de marché ouverte. Traité d’Amsterdam : “ service d’intérêt économique général ”.

1.1.3. Service public et secteur public.

– refondation du service public : monopole-spécialisation, dérégulation.

– notion d’appropriation sociale : les trois générations de la propriété ; patrimoine commun de l’humanité.

1.2. Un principe d’égalité

1.2.1. Elaboration du principe.

– un principe fondateur : de l’affirmation du principe à la réalité sociale.

– sa consécration constitutionnelle : égalité des citoyens devant la loi sans distinction d’origine, de race ou de religion.

– application du principe en tenant compte des différences de situations selon une certaine proportionnalité (maximum-minimum).

1.2.2. Confrontation du principe et de la réalité.

– égalité et différenciation : discriminations interdites ; 3° voie ENA et écoles de musiques ; affirmative action et effet de signalisation.

– égalité et parité : 1944-1946 ; sous représentation politique ; “ la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats électifs ”.

1.2.3. Egalité et intégration.

– le modèle français d’intégration : droit du sol et égalité c. droit du sang et logique des minorités.

– logique des minorités et multiculturalisme : les quatre critères définissant les minorités (culture, langue, religion, ethnie), les trois revendications (autonomie de gestion des affaires propres, langue et administration, diaspora transnationale). Du droit à la différence à la différence des droits.

1.3. Une éthique de la responsabilité

1.3.1. Dimension juridique de la responsabilité.

– responsabilité pénale : art. 121-1 du CP “ nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ”. socialisation des risques et mise en cause élus et fonctionnaires.

– responsabilité civile : art. 1382 CC inexécution d’un contrat ; réparation d’un dommage causé. Personne ou chose que l’on a sous sa garde (art. 1134 CC).
– responsabilité administrative : “ le roi ne peut mal faire ”. Faute de/du service. Faute simple, lourde.

1.3.2. Dimension éthique de la responsabilité.

– responsabilité politique : Ancien Régime. Gouvernement. Président de la République. Fonctionnaires.

– responsabilité morale : globalisation des risques et responsabilité personnelle. Qui fait les règles de la morale sociale ?

1.3.3. La laïcité

– lois sur l’enseignement laïque de 1880-83 de J. Ferry. 1905. Une forte dialectique : neutralité de l’Etat et liberté de conscience. Contradctions et ordre public.

– Islam et laïcité : foulard islamique. Pas de loi (Coran, jeunes filles, non exhaustivité).

– laïcité valeur universelle.

Ces trois valeurs : force idéologique ; capacité de rassemblement ; isolement en Europe.


2. L’EXERCICE DE LA CITOYENNETE

2.1. Le statut du citoyen

2.1.1. La citoyenneté politique.

– les droits civiques : la Déclaration DHC mêle droits de l’homme et droits du citoyen. Le citoyen peu présent dans texte constitutionnel (art.1 et 34). Renvoi à CP (vote, fonction publique, décoration, armes, impôts …).

– avant tout nationale : restriction droit de vote (sauf communautaires art. 88-3). Tous les nationaux ne sont pas citoyens.

2.1.2. La citoyenneté économique.

– travail et cohésion sociale : déficits publics. Substitution capital-travail. Droit au travail, droit constitutionnel.
– citoyenneté dans l’entreprise : importance des droits du travail. Intervention sur les conditions de travail et sur la gestion.

2.1.3. La citoyenneté sociale.

– le social dans la citoyenneté. Caractère cumulatif des carences.

– citoyen, travailleur, allocataire social.

2.2. Le citoyen dans la cité

2.2.1. libre administration des collectivités territoriales.

– la mise en oeuvre du principe : art.72 Const. , loi du 2 mars 82.
– un principe de portée limitée : par d’autres principes, par l’absence de domaine législatif propre, par le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire, par la contractualisation.

– la personnalisation des exécutifs.

2.2.2. La démocratie représentative locale.

– un équilibre des pouvoirs favorable aux exécutifs : disparité des modes de représentation. Désaffection électorale. Le chef de l’exécutif irresponsable après élection.

– des élus entre administration et management : extension des possibilité et des droits. Développement de la gestion privée. Effet de l’intercommunalité (rôle des experts). Dégradation du statut des fonctionnaires territoriaux.

2.2.3. La difficile intervention des citoyens.

– recherche de la tranpearence. Participation institutionnelle (art. L300-2 CU). Consultations obligatoires. Commissions extramunicipales. Comités d’initiative et de consultation d’arrondissement PLM.

– référendum communal très encadré, purement consultatif. Rôle des associations.

2.3. Le citoyen et les institutions

15 constitutions. 2 lignes de forces.

2.3.1. Le peuple souverain.

– souveraineté nationale et souveraineté populaire. La citoyenneté, co-souveraineté régie par le contrat social est une création continue.

– les moyens de la démocratie directe : plein exercice droitts et libertés, droit de pétition, initiative populaire des lois.

– la question du référendum : confine au plébiscite. Art. 11 et 89 de la C.

2.3.2. La loi expression de la volonté générale.

– la loi est votée par le Parlement.

– le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.

– la clé de voute sous la V° R : le Président de la République. La cohabitation.

2.3.3. La cohérence de l’Etat de droit.

– facteurs externes de cohérence : art. 55 C. Arrêt Nicolo. Art 88-4 : transmission aux assemblées des propositions communautaires de valeur législative.

– facteurs internes : dualité des ordres juridictionnels. CSM, CE, CC. Rôle du Conseil constitutionnel.

– cohérence controversée : cohabitation, élection du PR au suffrage universel, mode de scrutin, instabilité constitutionnelle (13 révisions en 8 ans).

3. LA DYNAMIQUE DE LA CITOYENNETE

3.1. La crise de la citoyenneté

3.1.1. Crise de l’individualité.

– civisme et incivilité ; cause selon S. Roché : tolérance aux petits délits, départ gauche, réassurance, déclin du courage d’aide à ordre public.

– pertes des repères : Etat-nation, classe, cadre géographique, famille, idéologies messianniques.

3.1.2. Crise des représentations.

– “ Là ou est le représenté … ”. désuétude de la forme parti : affaiblissement bipolarisation D/G (socio., éco., idéol.).

– altération des médiations : associations (ambivalence, lobbying, scandale) : médias (audimat, manipulation, marché-journalistique-culturel).

3.1.3. Citoyenneté et nationalité.

– modèles de citoyenneté : extériorisation par rapport au politique ; à la française (par héritage et par scrupule) ; nouvelle citoyenneté.

– du national à l’universel : renvoi à responsabilité propre. Génome de citoyenneté. Nouvelle centralité ?

– liaison citoyenneté-nationalité : progressiste puis identitaire. “ La nation est et demeure … ”.

3.2. L’émergence de citoyennetés transnationales.

3.2.1. Une citoyenneté européenne décrètée.

– après une longue marche, une citoyenneté a minima.

– une faible densité : “ Il est institué une citoyenneté de l’Union … ”. Circulation, séjour, vote pétition, protection diplomatique, médiateur. Hymne, drapeau, etc.

3.2.2. Une citoyenneté de superposition.

– OPNI, sans autonomie (s’ajoute), réserves, options économiques et financières.

– pour quelle communauté politique ? Quel triptyque VxExD ? Des perspectives de développement (art.22). Renan.

3.2.3. Citoyenneté et mondialisation.

– divergence ancienne entre nationalité et citoyenneté : Thomas Paine, Anarchasis Cloots, Garibaldi, Autriche-Hongrie, URSS, etc. Nouvelle Calédonie, Polynésie, peuple corse ?

– bases d’une citoyenneté mondiale : convergences de Terre-patrie, ONG, consommation, Internet, droit international.

– une utopie : quels VxExD ?

3.3. Droits de l’homme et droits du citoyen

Rivero. Divorce entre libertés et pouvoirs. La raison d’Etat.

3.3.1. Le défi de la raison d’Etat.

– raison d’Etat légitime : science de l’administration. Laïcisation de l’Etat.

– raison d’Etat illégitime : l’Etat comme finalité. Exemples : Greenpeace, écoutes, états de guerre, de siège, d’urgence, art. 16, actes de gouvernement, réserves ou résistances sournoises.

3.3.2. Les droits de l’homme une antithèse insuffisante.

– un ensemble banal, ajouter le droit d’assistance humanitaire.

– une problématique limitée : ensemble incertain, dénominateur minimal, statut personnel, limites, radicalisation.

– M. Gauchet : espace laissé libre par échec des religions dans l’ordre séculier et des rêves prométhéens ; ici et maintenant de valeurs immanentes a-historiques ; indignation et révolte + médiation : autorégulation des rapports sociaux analogue à celle du marché dans l’ordre économique.

3.3.3. Les droits du citoyen une réponse appropriée.

– englobent les droits de l’homme.

– raisonner la raison d’Etat : injonctions de la Cour européenne en vue d’une satisfaction équitable ; contrôle réglementaire au plan interne.

– maîtriser la raison d’Etat : VxExD.

« LE DROIT D’ASILE » – Schéma du Que sais-je ? (1° édition 2005)

– Une question d’actualité : Lampedusa, boat people, famille expulsée, succession de lois, ministère de l’immigration et de l’identité nationale …

– Mais aussi thème politique et philosophique : attitude du citoyen d’ici vis-à-vis du citoyen d’ailleurs … ni xénophobie ni naïveté.

Présentation générale

– prendre la mesure du phénomène : fin 2005, le HCR compte 21 millions de personnes concernées par son action, dont 8,7 millions de réfugiés reconnus et 772 000 demandeurs d’asile.
. origine : Afghanistan, Soudan, Burundi ; RDC, Palestine, Somalie, Irak, etc.
. destination : Pakistan, Iran, Allemagne, Tanzanie, Etats Unis, Chine, R-U, etc.

– 62 % des réfugiés en Asie et en Afrique, 20% en Europe, Allemagne 700 000, R-U 300 000, France 140 000 (1,5% des réfugies du monde pour un poids démographique d’environ 1%), Japon 2000.

– ne pas confondre avec l’immigration (travailleurs, regroupement familial, étudiants…), mais ils ne sont pas indépendants.

1. LA CONCEPTION DE L’ASILE

1.1. L’histoire

– Égyptiens et Grecs, Les Romains peu enclins, les Hébreux … l’Église catholique qui frappe d’excommunication les souverains qui l’enfreignent et qui étend le champ des lieux jusqu’à l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 qui exclut l’asile en matière civile. L’Ancien Régime pas très favorable (révocation de l’Édit de Nantes en 1685).

– la Révolution française : art. 2 DDHC (résistance à l’oppression) ; constitution de I793 : droit à l’insurrection et affirmation que le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres « il donne l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » (art. 120) ; 4ème alinéa du préambule de la constitution : « tout homme persécuté en raison de son action pour la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République » ; la France plutôt accueillante au XIX° siècle (Frédéric Chopin, Heinrich Heine).

– émergence d’une réglementation internationale. Le XX° siècle, siècle des réfugiés (guerres, colonies). Russes, Arméniens … Allemands et Juifs à partir de 1935. Création du HCR de la SDN en 1921. Art. 14 de la DDH de 1948. UNHCR en 1950. Adoption de la Convention de Genève le 28 juillet 1951 et du Protocole de New York le 31 juillet 1967 (145 États ont adhéré).

– genèse du système français : fin des années 1930, la France « patrie des droits de l’homme » compte 1 million de réfugiés (500 000 Espagnols, Italiens, Allemands) pour 38 millions d’habitants. Xénophobie dans la crise des années 1930, les gouvernements suivent l’opinion publique : internements avec livraison aux forces d’occupation. Position stricte ensuite dans les discussions sur la Convention de Genève. Création de l’OFPRA et CRR (loi du 25 juillet 1952).

> de la sanctuarisation du lieu d’asile à la protection de la personne ; de la protection discrétionnaire à une perspective universaliste à base juridique nationale et internationale.

1.2. Le dispositif d’admission

– La France respecte les prescriptions de la Convention de Genève en matière de non refoulement, ainsi que les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le point de départ est donc la demande d’admission au séjour dont l’octroi est de la compétence du préfet. Qui fait remettre un document provisoire de séjour au demandeur d’asile afin qu’il puisse faire sa demande d’asile à l’OFPRA. Après cela il reçoit un nouveau titre document de séjour (on ne parle de titre qu’à partir d’une validité de 6 mois entraînant un certain nombre de droits) renouvelable, peut être hébergé dans un CADA, reçoit une allocation, peut bénéficier de l’AME, mais il n’a pas accès au marché du travail. Depuis la loi du 24 juillet 2006, (confirmée par une circulaire du 3 mai 2007 sur l’admission en CADA, un refus d’offre de prise en charge en CADA entraîne automatiquement la perte du bénéfice de l’Allocation temporaire d’attente. L’effectivité de la liberté de choix entre hébergement en CADA et solution individuelle n’existe donc plus.

– OFPRA, établissement public placé auprès du MAE, personnalité civile, autonomie financière et administrative. Dirigé par un CA. Mission de liaison avec le ministère de l’Intérieur en son sein. Protection juridique et administrative des réfugiés et apatrides ainsi que les bénéficiaires de la protection subsidiaire.

– CRR, examine les recours dirigés contre les décisions de rejet de l’OFPRA ainsi que directement les requêtes dirigées contre certaines mesures prévues par la CG. Dirigées par un président et trois vice-présidents. 10 sections. Présidents des formations de jugement : CE-TA-CAA, juges du judiciaire, Cour des comptes. Deux assesseurs (Administration et HCR) + rapporteur (OP) et secrétaire de séance. Formation des sections réunies.

– Conseil d’État, juge de cassation.

> dans tous les pays étrangers on distingue les quatre niveaux précités : accueil, examen de la demande, recours, cassation ou recours supplémentaire.

1.3. Le statut du bénéficiaire de l’asile

* Différentes catégories d’asile

– asile constitutionnel : origine révolutionnaire (Anacharsis Cloots, Thomas Peine) ; rappel Constitution de l’An I ; 4° alinéa du préambule de 46 ; art. 53-1 de la constitution (du droit de la personne au droit de l’État) ; conception solennelle et politiquement extensive quand bien même l’application de la CG est dominante.

– asile des réfugiés relevant du mandat du HCR : compétence liée du HCR et de l’OFPRA.

– asile conventionnel de la CG : qualité de réfugié est reconnue à toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à une certain groupe social et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. Cas de cessation. Notion d’exceptionnelle gravité. Possibilité de transfert d’un pays à l’autre.

– protection subsidiaire : a succédé à l’asile territorial. Accordée à toute personne exposée dans son pays à l’une des menaces graves suivantes : peine de mort, torture ou peine ou traitements inhumains ou dégradants, menace grave directe et individuelle pour un civil .

– pluralité d’autres conceptions de l’asile : unité de famille, protection temporaire, discrétionnaire (Bokassa, Duvallier, Komeyni), de fait.

* Protection du réfugié (et du bénéficiaire de la Pprotection subsidiidiaire

– le dispositif international et national de protection des réfugiés n’est que substitutif à une protection nationale étatique défaillante, d’où l’élément d’appréciation préalable à tout examen de demande d’asile CG ou PS quant à l’incapacité de l’Etat à assurer la protection.
?)

– les droits prévus par la CG : même droits que ceux reconnus aux nationaux (liberté religieuse, propriété intellectuelle, action en justice, etc.), ou non moins favorables que ceux accordés aux autres étrangers (professions non salariées, logement, enseignement au-delà du primaire, droit syndical, etc.).

– l’application en droit interne : protection administrative et juridique (carte de résident de 10 ans, un an pour la protection subsidiaire, protection administrative et juridique par l’OFPRA, etc.) ; libertés publiques (liberté de circulation, liberté d’opinion et d’expression, pas d’obligation de réserve, liberté religieuse, syndicale et d’association, etc .) ; les droits économiques et sociaux (doits au travail, protection sociale, etc.).

– des garanties en cas de renvoi : exigence d’une décision rendue selon une procédure prévue par la loi, décision motivée, respect de l’art. 3 de la CEDH, pas de renvoi durant la procédure de demande d’asile.

> caractère substitutif de la protection et recognitif de la qualité de réfugié.

2. L’OCTROI DE L’ASILE

(Préciser peut-être quelque part que le dispositif international et national de protection des réfugiés n’est que substitutif à une protection nationale étatique défaillante, d’où l’élément d’appréciation préalable à tout examen de demande d’asile CG ou PS quant à l’incapacité de l’Etat à assurer la protection ?)

2.1. Les motifs de persécution

* L’action en faveur de la liberté de l’asile constitutionnel

– reconnu à un militant algérien du RDC, peintre bangladais, réalisateur de télévision algérienne ; refusée à un membre du comité central du PKK.

* Les motifs de crainte de persécution au sens de la convention de Geénève

– notion de persécution : avoir quitté le pays et ne pouvoir se réclamer de sa protection ; la qualité de réfugié se reconnaît et ne s’octroie pas ; caractère personnel (pas la situation générale) et d’une certaine gravité ; craintes actuelles et risques encourus.

– les opinions politiques : contestées par les autorités qu’il y ait manifestation ou non, réelles ou supposées (peuvent être seulement imputées, CE Beltaïfa) ; formes militantes diverses ou motifs de conscience.

– l’appartenance à une minoritéminorité nationale ou ethnique : bannissement, purification ethnique, spoliation des terres des Soninké par les Maures en Mauritanie, mariages mixtes ; l’appartenance à une minorité ne suffit pas (Tchétchènes en Russie, roms en Hongrie).

– la confession religieuse : y compris sectes, et athéisme et laïcité « militante » (intellectuels ou femmes en Algérie ou Afghanistan ?, musulmane ayant épousé un bouddhiste en Mongolie, Falun Gong en Chine, Témoins de Jéhovah en Afrique).

– l’appartenance à un certain groupe social : caractéristiques communes identifiables socialement (femmes maliennes entendant se soustraire à l’excision, transsexuel algérien, homosexualité en Éthiopie, femmes entendant se soustraire à un mariage forcé dans certains pays, mais pas pour les parents chinois contrevenant à la règle du un enfant, victimes de Tchernobyl).

* La protection subsidiaire

– accordée à des demandeurs invoquant les menaces graves. Ne pas se situer sur le terrain de la CG.

– proxénétisme, menace de mafia, mutilations génitales, crimes d’honneur, lapidation lorsque les autorités sont impuissantes.

> La CG terrain principal en France.

2.2. Les auteurs de persécutions

* Les autorités étatiques

– origine des craintes : État du pays de nationalité ou de résidence habituelle (refus dans le cas d’un Russe d’origine tchétchène qui a reçu la protection des autorités publiques russes).

– indirectement de la part d’organisations ou de partis qui contrôlent l’État ou une partie substantielle voire d’acteurs non étatiques. Le demandeur doit faire la preuve (établir ?) qu’il a fait les démarches nécessaires (Algérien maltraité par des islamistes pour s’être converti au catholicisme).

* Les acteurs non étatiques

– les autorités de fait : administration de fait par des forces rebelles sur un territoire (milices en Bosnie et en Croatie, talibans en Afghanistan, forces autonomes du Sud-Liban). Minimum d’organisation cohérente et de stabilité.

– les autres agents de persécution : la loi ne précise pas la nature des acteurs non étatiques secondaires dans l’asile constitutionnel, les cas d’exceptionnelle gravité, cas d’ineffectivité de la protection (cas du Kosovo suite à la création que la Kafor et de la Minuk, avec l’exception du nord de Mitrovica).

* L’asile interne

– possibilité donnée à une personne de trouver refuge dans une partie de son pays avant de solliciter l’asile auprès d’un pays d’accueil. Notion forgée non par la CG mais par le HCR. Mais caractère raisonnable de l’installation (Kurdistan irakien. Solution inverse pour la Côte d’Ivoire, le Sri Lanka).

– mise en œuvre délicate : accessibilité à la zone refuge (DC du 4 décembre 2003), fondement des craintes (à la limite y trouver un logement et un emploi), autorité de protection prise en compte suffisamment sûres ; une appréciation au cas par cas (charge de la preuve à l’OFPRA, pas une obligantion).

> implication principale des autorités étatiques mais souci de prendre en compte la situation réelle.

2.3. Le refus de l’asile

* L’exclusion

– mMais protégés de l’éloignement (assignation à résidence ou autre).

– un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité (crimes jugés à Nuremberg, Ex-Yougoslavie, journaliste de radio au Rwanda, officier russe en Afghanistan et en Tchétchénie).

– un crime grave de droit commun commis dans le pays d’origine, exclusion des activités terroristes (détournement d’avion par un Black Panthers, Robert Hatem au Liban, dirigeant du PKK).

– des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies : en général des dirigeants ayant eu des responsabilités dans des violations des droits de l’homme mais aussi des exécutants (Duvalier, responsable du régime des Khmers rouges, un garde du corps de Mobutu).

* La cessation

– nNe remet pas en cause le droit au séjour

– l’allégeance au pays d’origine : caractère subsidiaire de la protection du pays d’accueil par rapport au pays d’origine. Pas le cas pour une escale d’avion ou la participation à l’enterrement d’un proche. Mais cessation dans le cas d’un mariage de la délivrance d’un passeport à l’ambassade. Recouvrement volontaire de nationalité. Retour volontaire.

– acquisition d’une nouvelle nationalité avec protection du pays (Juifs ayant regagné Israël après la seconde guerre mondiale), Bulgare ayant obtenu la nationalité turque.

– changements des circonstances, qui doivent être durables et fondamentaux : accession à l’indépendance ou fin de dictatures (Espagne, Chili), sauf « raisons impérieuses » (Cambodge).

* La remise en cause prétorienne

– retrait pour fraude : principe de retrait des actes administratifs, intention et élément essentiel de la fraude (Turc faisant état de persécution à une date où il était en France).

– cessation pour changement de situation individuelle. La reconnaissance au titre de l’unité de famille se perd avec celle du bénéficiaire principal. Conservée par les mineurs à la majorité, mais pas pour les personnes sous tutelle. Perdue en cas de divorce (dans un délai de trois ans après l’obtention du statut) s’il n’y a pas de moyen propre.

– cessation pour motif de police écarté dans le cadre de la réglementation de l’asile, mais possible pour l’autorité de police sous le contrôle du juge administratif.

> solutions qui découlent du système de l’octroi de l’asile lui-même et de l’affirmation de la souveraineté nationale.

3. LA RÉALITÉ DE L’ASILE

3.1. La procédure de reconnaissance

* De la demande d’asile à la décision de l’OFPRA

– le plus souvent à la frontière c’est l’engagement de la procédure d’asile qui permet le séjour temporaire dans l’attente de la décision de l’OFPRA ou de la CRR, sauf demande « manifestement infondée » zone d’attente pour le vérifier (max. 24 jours).

– l’admission au séjour le demandeur reçoit en préfecture une APS d’un mois pour lui permettre, dans les 21 jours, de déposer sa demande d’asile à l’OFPRA (sauf Dublin II). Au dépôt, remise d’un récépissé attestant de la demande, renouvelable tous les 3 mois, sauf causes de non remise où la demande est examinée en procédure prioritaire (33,5 % des premières demandes en 2006), 15 jours ou 96 h. si centre de rétention.

– décision de l’OFPRA après, le plus souvent, un entretien. La décision de rejet est transmise au ministère de l’Intérieur. Possibilité de demande de réexamen si faits nouveaux. Un mois pour recours devant la CRR en cas de rejet.

* Le recours devant la CRR

– nNon suspensif en procédure priiroritaire

– la CRR statue en plein contentieux. Instruction du recours par un rapporteur.

– possibilité de statuer par ordonnance (irrecevabilité manifeste ou pas d’élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision de l’OFPRA). Audience de la formation de jugement . Décisions motivées.

– recours en cassation éventuel devant le CE.

* Formation de la conviction du juge

– établissement des faits : demande, entretien, décision, recours, compléments. Données replacées dans le contexte du pays d’origine. Audience avec ou sans avocat. Aide juridictionnelle éventuelle.

– évaluation du risque de persécution : placement ou non dans le champ de CG ou PS. Exclusion éventuelle. Faits rarement établis avec certitude. Marges de qualification et d’interprétation très larges (responsabilité pénale individuelle, notion de famille, compatibilité des blessures, niveau d’instruction, pertinence du conseil). Incertitudes du droit existant (groupe social, pays sûrs, asile interne, etc.).

> Cheminement long et difficile.

3.2. La statistique de l’asile

* Les demandes d’asile devant l’OFPRA

– en 2006 : 39 332 demandes dont 8 584 réexamens et 4 479 mineurs accompagnants (contre un total de 59 768 en 2003). 37 986 décisions (hors mineurs), 2 929 accords (7,8 % d’accords).

– 64 % d’hommes et 36 % de femmes ; 32 ans d’âge moyen.

– pays d’origine : Turquie, Sri Lanka, RDC, Serbie Monténégro, Haïti, Russie, Arménie, Chine, Bangladesh, Algérie.

– au 31 décembre 2006 l’OFPRA évalue à 124 400 le nombre de réfugiés statutaires (dont 1147 PS). Plus de 300 000 documents d’état civil délivrés.

* Les recours devant la CRR

– 28 932 décisions rendues. 4 451 décisions d’annulation (15,4 % des décisions).

* Pourvois en cassation devant le CE

– extrêmement faibles : un petit nombre (moins d’une dizaine sur plusieurs centaines de recours) franchit le seuil de l’admission préalable. Quelques-unes seulement sont annulées.

* Un dispositif très rigoureux

– en 2006, il y a eu au total (OFPRA+CRR) 7354 annulations rapportées au nombre de décisions de l’OFPRA de l’année : taux d’annulation global 19,4 % (dont 7,7 % OFPRA et 11,7 % CRR).

– pays bénéficiaires : Russie, RDC, Turquie, Haïti, Sri Lanka, Serbie Monténégro, Bosnie-Herzégovine, Guinée Conakri, Arménie, Mauritanie.

– seuls 20 % des déboutés seraient reconduits.

> La France serait néanmoins le pays où le taux d’admission est le plus élevé des pays développés.

3.3. La communautarisation du droit d’asile

* L’élaboration progressive d’un acquis communautaire

* – Ll’action de la Cour européenne des droits de l’homme

– et l’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment les art. 3 et 8 de la convention.

* L’élaboration progressive d’un acquis communautaire
(la jurisprudence de Strasbourg ne fait pas partie de l’Acquis communautaire…)

– la coopération intergouvernementale : longtemps l’asile a été abordé de manière pragmatique. Accords de Schengen le 14 juin 1985 (France, Allemagne, Pays-Bas, LuxembourgLuxembourg, Belgique). Convention de Dublin du 15 juin 1990. Le traité de Maastricht fait figurer l’asile dans les problèmes d’intérêt commun.

* L’engagement du transfert des compétences

– le traité d’Amsterdam entré en vigueur le 1er janvier 1999, fait passer les questions de l’asile et de l’immigration du 3ème au 1er pilier dans le but de parvenir en 2010 à la communautarisation du droit d’asile.

– un cheminement laborieux : succession de sommets : Taempere (1999), Séville (2002), Thessalonique (2003) qui aboutissent à quelques conclusions : Eurodac, Dublin II, directives sur l’accueil, le regroupement familial.
.

* Une communautarisation incertaine

– l’esquisse d’un « régime d’asile européen commun » par les deux directives dites « procédures » anticipée en France par la loi du 10 décembre 2003 et « qualification » à transposer avant le 1er décembre 2007.

– de sérieuses difficultés d’application : élaboration de liste des « pays sûrs », « asile interne », « auteur de persécution », « protection subsidiaire » ; préoccupations sécuritaires ou devoir de protection ? certaine renationalisation du droit d’asile en France (rôle accru du ministère de l’Intérieur et du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, nomination du représentant du HCR, etc.) en même temps que déresponsabilisation par externalisation à l’Est et au Sud.

– le projet de constitution pour l’Union européenne reprenait ces dispositions.

> Beaucoup de progrès encore à accomplir.

Hospitalité signifie le droit qu’a un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas être traité en ennemi par ce dernier […], le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la surface de la Terre, laquelle étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint à supporter malgré tout leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre. Cependant, ce droit à l’hospitalité, c’est-à-dire le droit accordé aux nouveaux arrivants étrangers, ne s’étend pas au-delà des conditions de la possibilité d’essayer d’établir des relations avec les premiers habitants. C’est de cette manière que les continents éloignés peuvent établir entre eux des relations pacifiques, qui peuvent finir par être légalisées.

Emmanuel Kant
Pour la paix perpétuelle, 1795
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