Le travail du gouvernement dans le domaine de la Fonction publique et des Réformes administratives entre 1981 et 1984 et l’appréciation de François Mitterrand en 1985
Vu par Jacques Fournier dans son ouvrage Itinéraire d’un fonctionnaire engagé (Dalloz, 2008)
Entre 1981 et 1984, François Mitterrand s’est peu intéressé à ce qui se passait dans la fonction publique, ne manifestant un avis personnel que sur certaines questions particulières : la loi du 19 octobre 1982 relative à la réglementation du doit de grève dans les services publics, les projets de réforme administrative surtout évoqués dans des communications en Conseil des ministres, la 3° voie d’accès à l’ENA, la limite d’âge des grands corps. Avocat de formation, il avait peu d’inclination pour les questions concernant l’administration et ses fonctionnaires. L’élaboration législative et réglementaire sur les fonctionnaires et la fonction publique durant cette période a été réalisée en concertation avec les organisations syndicales et en relation étroite avec le Premier ministre Pierre Mauroy et son cabinet.
Les extraits qui suivent sont tirés de l’ouvrage de Jacques Fournier, alors Secrétaire général adjoint à l’Élysée puis Secrétaire général du Gouvernement , Itinéraire d’un fonctionnaire engagé (Dalloz, 2008).
p. 252-253
« Les ministres communistes ont pleinement joué le jeu de la participation au gouvernement. Ils ont comme il était normal défendu leur point de vue. Ils ont voulu marquer leur territoire. Fiterman avec la loi d’orientation sur les transports intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982. Le Pors avec les lois sur la fonction publique du 13 juillet 1983. Mais ils n’ont pas failli à la solidarité ministérielle et on ne peut en aucune manière leur reprocher d’avoir cherché à faire prévaloir des points de vue partisans. »
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« Charles Fiterman, ministre d’État, jouera à l’intérieur du gouvernement un rôle dépassant ses attributions, déjà en elles-mêmes importantes de ministre des Transports. Il eu un excellent cabinet au sein duquel mon ami Braibant occupait une place éminente. Avec Anicet Le Pors, je devais, comme je le dirai plus loin, avoir des rapports étroits sur les thèmes de la réforme administrative. C’est Marcel Rigout, ministre de la Formation professionnelle, lui aussi homme de caractère, que j’eus le moins l’occasion de pratiquer. »
p. 263
« Si le programme de la gauche a été mal ou insuffisamment appliqué, il ne faut pas chercher la raison dans le comportement d’une caste bureaucratique … Certes, il y a toujours une certaine inertie de l’administration. Mais le ministre qui le voulait pouvait parfaitement conduire les réformes. Il ne tenait qu’à lui d’afficher clairement ses intentions et d’affirmer son autorité. Anicet Le Pors, ministre communiste de la Fonction publique, a eu de nombreux mois comme directeur général de la fonction publique l’un de mes collègues du Conseil d’État, Marcel Pinet, qui n’était absolument pas de son bord politique. L’un et l’autre se sont parfaitement accommodés de cette situation et ils ont su faire de concert, en prenant chacun les responsabilités qui leur incombaient, un excellent travail. »
p. 324-327
« Certes la notion de réforme administrative apparaissait dans la dénomination du département ministériel confié à Anicet Le Pors dans les gouvernements Mauroy 2 et 3… Dans le gouvernement Fabius, Jean Le Garrec, qui lui succédait, portait le titre de secrétaire d’État « chargé de la fonction publique et des simplifications administratives ». Mais pour les soutenir dans cette partie de leur tâche, ils ne disposaient que d’une petite cellule située à l’intérieur de la direction de la fonction publique.
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Je réunis périodiquement dans ce but, d’une manière informelle, un groupe de réflexion de haut niveau associant la direction de la fonction publique, celle du budget et celle des collectivités locales au ministère de l’Intérieur. Anicet Le Pors, aurait pu considérer que, ce faisant, je marchais sur ses plates bandes et en prendre ombrage. Il eut au contraire l’intelligence de donner le feu vert à ses collaborateurs pour participer à ces réflexions et j’ai l’impression qu’il fut heureux de me voir lui proposer des éléments de programme qui pourraient alimenter ses communications sur ces sujets au conseil des ministres.
La grande œuvre de Le Pors pendant ses années de ministère fut la refonte du statut de la fonction publique avec la mise en place d’une nouvelle architecture législative : un texte général sur les droits et obligations des fonctionnaires et trois lois pour chacune des trois fonctions publiques de l’État, territoriale et hospitalière (cette dernière n’aboutira qu’après son départ). C’est à cette construction imposante, que d’aucuns jugent trop systématique et contraignante, mais qui a incontestablement un certain panache, qu’il consacra, avec le concours de son directeur de cabinet René Bidouze venu de la CGT, et des directeurs successifs de la fonction publique, Michel May, venu du budget, et Marcel Pinet, venu du Conseil d’État, l’essentiel de ses efforts.
Sur la réforme administrative il était plus sec. Je l’aidai à définir ses orientations, qu’il présenta au conseil des ministres du 16 février 1983 : élaboration d’une charte des relations entre l’administration et les usagers ; développement de l’utilisation des technologies nouvelles ; simplifications administratives ; déconcentration des services de l’État ; amélioration des instruments d’analyse et de contrôle de l’activité administrative. La charte pris finalement la forme d’un décret qui n’apportait que des améliorations limitées aux droits des citoyens face à l’administration. Elle n’a pas vraiment marqué une date entre les lois qui, sous le septennat de Giscard d’Estaing, avaient introduit des innovations intéressantes (motivation des décisions administratives, accès aux documents administratifs, CNIL, médiateur), et celles qui reviendront sur ces thèmes à la fin des années quatre-vingt-dix.(1)
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Il en fut de même de l’étude que nous avions demandée au Conseil d’État, dans le cadre de sa nouvelle section du rapport, sur les structures gouvernementales et l’organisation administrative. Le rapport du Conseil fut établi en décembre 1985. Il avait été préparé par un groupe de travail présidé par Bernard Tricot et auquel Anicet Le Pors avait pris une part active. Il faisait, sur ce sujet qui revient périodiquement au premier plan lors des changements de président ou de gouvernement, des propositions fort intéressantes. Il se prononçait notamment pour une forte réduction du nombre des ministères et une articulation plus précise des ministres et des secrétaires d’État. Commandé par Pierre Mauroy à la veille de son départ de Matignon, remis à Laurent Fabius peu de temps avant le changement de majorité du printemps 1986, il n’aura eu aucune suite directe. »
p. 349-350
« Anicet Le Pors, lui, n’était plus au gouvernement lorsque le président s’interrogea à haute voix, le 29 mai 1985, sur l’utilité de l’ensemble législatif concernant le statut de la fonction publique dont il avait été l’artisan. Passait ce jour-là en conseil des ministres le projet de loi sur la fonction publique hospitalière, dernier volet de cet ensemble. Le commentaire de Mitterrand est en demi-teinte : » L’adoption de ce texte s’inscrit dans la logique de ce que nous avons fait. À mon sens ce n’est pas ce que nous avons fait de mieux. » Il évoque une » rigidité qui peut devenir insupportable » et des » solutions discutables « . On ne peut plus recruter un fossoyeur dans une commune sans procéder à un concours. » » Il est vrai que j’ai présidé moi-même à l’élaboration de ces lois. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment informé. Tout ceci charge l’administration et conduit à la paralysie de l’État. Il reste que c’est la quatrième et dernière partie d’un ensemble. Je ne suis pas sûr, en définitive, que ces lois aient longue vie. »
C’était il y a 23 ans …
(1) Sur la question des réformes administratives voir : A. Le Pors, « Chronique d’une mort annoncée : le décret du 28 novembre 1983 », La Semaine Juridique, n° 6 du 5 février 2007 et sur ce blog, article n° 10.