Quel sens donnez-vous au dépôt de vos archives de militant dans le fonds classé du PCF ?
Anicet Le Pors. L’importance que, personnellement, j’accorde aux archives semble rencontrer la même conviction de la part du PCF. Il est indispensable de garder la connaissance sur le passé pour analyser correctement le présent, ses contradictions, ses potentialités. Et surtout, pour éclairer l’avenir, il faut savoir d’où on vient. Cela relève à la fois de la préservation de l’histoire et d’une démarche véritablement scientifique. La politique, aujourd’hui, se nourrit de rumeurs, de petites phrases, de qu’en dira-t-on, de stratégies d’alliances qui donnent une vision myope. Les archives situent une démarche politique dans le temps, non seulement dans le temps passé, mais dans la trajectoire des perspectives. Autrement dit cela oblige à prendre de la hauteur par rapport à une conjoncture qui dans la crise actuelle est particulièrement médiocre au plan politique.
C’est la première fois qu’une personnalité dépose ses archives dans le fonds du PCF alors qu’elle n’en est plus membre….
Anicet Le Pors. Je trouve cela assez naturel. J’ai milité au PCF pendant 36 ans. Même si je l’ai quitté il y a quelques temps, ma vie politique s’est essentiellement située dans la démarche du parti communiste français. J’ai gardé les archives des dix dernières années car elles me sont encore utiles mais, dans un souci de continuité, j’envisage de leur faire prendre le même chemin. Le PCF y a vu un geste symbolique que je n’imaginais pas moi-même et a le souci de lui donner un certain écho. C’est de sa part une réaction profondément politique que je salue, une position à la fois juste et courageuse.
Il y a quelques temps que ce parti a décidé d’ouvrir ses archives…
Anicet Le Pors. Cela veut dire que les chercheurs peuvent y avoir accès. J’ai participé à la réunion au cours de laquelle, solennellement, Marie-George Buffet a indiqué à Martine de Boideffre, directrice des Archives de France, qu’elle remettait au département de la Seine Saint Denis – puisque cela doit passer par une collectivité territoriale-, les archives du parti communiste français qui, réciproquement, étaient reconnues patrimoine national.
Certains des documents que vous remettez sont-ils attendus par les chercheurs ?
Anicet Le Pors. La période qui est couverte devrait intéresser, pas seulement sur la base de mes témoignages, mais plus généralement. Ne serait-ce que pour porter un regard critique sur toutes ces années de montée en puissance du Programme commun de gouvernement et sur ce qu’est devenue, en particulier, une question comme celle de la propriété publique. Il y a aussi, par exemple, le projet constitutionnel réalisé pour le PCF en 1989. Ce sont des sujets qui restent d’une grande actualité.
En ce moment les personnels du ministère de la Culture qui s’occupent des archives expriment de grandes inquiétudes (2)…
Anicet Le Pors. Prendre soin des archives est un acte profondément politique. Les archives nationales ont été instituées en 1790 par la Révolution française, c’est une dimension importante du combat démocratique. Je pense notamment à ce qu’a écrit le grand juriste et ami qu’était Guy Braibant : « Il n’y a pas d’histoire sans archives…Il n’y a pas d’administration sans archives…Il n’y a pas de République sans archives. » Je pense aussi au travail de Françoise Bosman, conservateur général des archives, qui dirige celles du monde du travail à Roubaix. Et plus près de l’actualité, à Annette Wieviorka qui a mené une grande bataille pour la création d’un établissement permettant une extension des archives postérieures à 1790. Celui-ci devrait voir le jour en 2012, à Pierrefitte, tout près de d’université Paris VIII. Mais il se trouve aujourd’hui télescopé par la révision générale des politiques publiques et les suppressions d’emplois annoncées. Tout comme est mis en cause le principe d’une direction d’administration centrale des archives organisant de manière unifiée tous les éléments de la collecte, du classement, ainsi que les formations associées. La ministre de la Culture prévoit, en effet, d’inclure les archives dans un ensemble plus vaste d’une direction des patrimoines avec les musées, les monuments historiques, l’archéologie, etc. Ce qui ferait perdre aux archives leur identité et en diminuerait la portée politique et démocratique. La volonté générale de régression de la dépense publique se double donc, chemin faisant, d’une volonté politique d’affaiblir tout ce qui participe de près ou de loin du pacte républicain.
(1) Notamment Robert Chambeiron, secrétaire général adjoint du CNR, Michel Duffour, ancien ministre, Guillaume Nahon, directeur des archives départementales de Seine-Saint-Denis, Michel Naudy, vice-président de Mars, Roland Perrier de l’UGFF-CGT, Annette Wieviorka, historienne.
(2) l' »Appel pour sauver les archives » a recueilli plusieurs milliers de signatures.